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Citations de Angel Arekin (558)


— Caern ! m’écriai-je.
Mais il ne sembla pas m’entendre. Il se glissa sous les piliers d’un rorbu abandonné, que mon père n’avait pas encore pris le temps de retaper. Il était planté là, enveloppé de sa vieille peinture écaillée, comme dérivant, au milieu des rochers qui semblaient se faire avaler par les eaux. Plus loin, à quelques mètres de notre cachette, un projecteur avait été allumé et balayait les amas de roches qui se profilaient et luttaient contre la montée de la marée. En silence, je me collai contre le dos roide de Caern, le cœur battant soudain la chamade. J’ignorais si c’était à cause de la réaction étrange et froide de mon petit ami ou bien à cause du projecteur qui paraissait irradier le paysage d’une lumière diaphane, alors que tout autour était encore plongé dans l’obscurité. Le roulis de la houle était assourdissant par ici. On n’entendait même pas les voix des policiers, pourtant à quelques mètres. Les vagues venaient s’échouer contre les premiers piliers de la terrasse du rorbu et nous éclaboussaient en des myriades de gouttelettes salées. Mais Caern ne semblait pas y être sensible. Il était concentré sur ce qui avait rassemblé les flics ici, au petit jour. La joue appuyée contre son bras, je les observai se déplacer en grappes, se traînant mollement, pris de torpeur. La scène semblait presque figée, à peine mouvante. La lumière du projecteur contrastait avec les lueurs bleues qui se prenaient dans son faisceau, maculant la roche de poussière céruléenne. S’il n’y avait pas eu l’armada d’uniformes qui éveillait en moi une terreur ancestrale, glaçante et implacable, la scène aurait pu être belle. Le décor s’y prêtait, ces monceaux de terre disparaissant dans les eaux qui roulaient encore et encore sur eux, comme pour se les approprier, et les larmes bleutées qui se dispersaient dans le vent au-dessus d’eux.
Puis tout se figea, devint obscur et ténébreux.
Caern se détacha du pilier et arracha sa main de la mienne. Je le regardai, impuissante, courir vers le projecteur. Sa silhouette fut saisie dans la lumière. Les policiers, stupéfaits eux-mêmes par la charge de Caern, ne bougèrent pas durant une longue seconde. Et soudain, tout se remit à bouger. S’accéléra. La réalité parut se briser sous mes yeux. Je reconnus Sørensen à sa carrure massive, et Jorg, à ses cheveux blonds coupés en brosse, qui saisirent Caern aux épaules. Celui-ci se débattit avec fureur. Oui, c’était de la fureur, de la sauvagerie, dans chacun de ses gestes. Il donnait des coups de pied, des coups de poing. Un troisième policier dut aider pour le ceinturer, mais sa furie était telle qu’il passa à travers le cordon de leurs corps en se propulsant de toutes ses forces. Il ressemblait à un animal acculé, prêt à tout. La voix de Sørensen claqua dans les airs, vibra, quand il le prévint :
— Ne la touche pas !
Mon cœur se disloqua à ses mots. Mes jambes se déplacèrent sans mon accord, parce qu’au fond de moi, je ne voulais pas avancer. Je ne voulais pas non plus regarder. Pourtant, c’était plus fort que moi. Que ma raison ou mon propre corps. J’avançai.
Jorg me vit approcher et mit son bras en barrage devant moi pour que je n’aille pas plus loin, mais ce n’était pas utile. Il me parla mais je n’écoutais pas. Il voulait me détourner, mais je me débattis pour qu’il me libère, qu’il ne pose pas les mains sur moi.
Je balayai le rivage du regard et mes yeux s’écarquillèrent, mes larmes coulèrent et la bile remonta de mon estomac.
Caern était à genoux, ses doigts crispés sur la roche dure du fjord, crissant et griffant comme s’il cherchait à la transpercer. Ses cheveux étaient battus par le vent et se collaient à ses joues trempées de larmes. Mais le plus dur à regarder, c’était cette bouche entrouverte, pleine de sang à cause de sa lutte, qui n’arrivait pas à pousser un son. Un hurlement sourd. Cette bouche ouverte sur le néant, incapable de libérer sa voix. Et ses yeux lancés vers l’horreur. Je poussai un gémissement, alors que Jorg tentait de se mettre en barrière pour me masquer l’effroyable scène qui se crayonnait le long de la baie. Quelques secondes avaient suffi pour qu’elle soit tatouée à tout jamais dans mes rétines, imprimée dans ma mémoire, dans chacun de mes cauchemars.
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Ma sœur était l’une des plus jolies filles de cette satanée île. Ses boucles aux nuances d’acajou sculptaient une figure de poupée de porcelaine. Son teint était d’un blanc nivéen, rehaussant la profondeur de ses iris de jade. Elle était très différente de Maja, dont le visage portait encore les traces de l’enfance, les joues pleines et les yeux vifs. C’était ce que j’appréciais chez elle : son regard pétillant, dénué de toute méchanceté. Elle semblait briller et m’irradiait un peu dans son sillage. Je voulais juste toucher du bout des doigts cette joie et cette innocence qui se dégageaient d’elle…
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Comment pouvait-on changer de peau, si ce n’était en en empruntant une nouvelle ? J’aimerais me glisser dans une enveloppe vierge, virer la mienne et toute la vie qui va avec, et renaître dans un corps neuf, innocent, dénué de la moindre pensée obscure, détestable ou coupable.
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Aucun sourire de triomphe ou d’envie ne se peignit sur ses lèvres lorsqu’il les posa sur les miennes. Son visage aux contours sublimes et ténébreux remplit tout l’espace sous mes yeux. Je tressautai au contact de sa langue qui appuya contre mes dents pour que je le laisse franchir le dernier obstacle.
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Son silence devint aussi éprouvant que l’endroit dans lequel nous évoluions. J’avais besoin de le briser, sans savoir comment m’y prendre. Caern m’impressionnait et m’effrayait un peu. Je me mordis la lèvre, me rapprochai encore pour ne pas me laisser distancer et percevoir la lumière salvatrice, et finis par lâcher comme une bombe : — Pourquoi tu n’as aucun ami ? Il s’arrêta brusquement et je manquai de m’aplatir le nez contre son omoplate. Il tourna la tête par-dessus son épaule, mais la lampe dirigée tout droit, je ne vis qu’une ombre voguer au-dessus de ses traits. — Ça a le mérite d’être une question directe, admit-il. — Désolée… — Ne le sois pas. Pourquoi… Il haussa les épaules d’un air impuissant. — Je n’aime pas beaucoup les gens, et plus le monde est petit et plus je les déteste.
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C’était peut-être pour cette raison qu’il m’attirait, parce qu’il avait un goût d’interdit. Ou parce que j’avais envie de connaître le secret qu’il dissimulait derrière l’aura sombre qui l’enveloppait telle une seconde peau.
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Mon frère détestait Caern pour une raison mystérieuse ; je ne les avais jamais vus discuter ensemble au lycée ou même s’approcher l’un de l’autre. J’ignorais pourquoi il nourrissait une telle aversion envers lui, mais en ce qui me concernait, j’étais loin de la partager. Peu importait ce que pensait Erlend, je ne pouvais m’empêcher de le trouver attirant. Il ne possédait pas la beauté esthétique d’un modèle de magazine, plutôt une aura viking, plus sauvage et plus hostile, à l’image de nos à l’image de nos îles. Il était semblable aux montagnes aux crocs acérés qui façonnaient l’archipel, offrant des paysages aussi sublimes que redoutables.
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La mer de Norvège était un paradoxe, aussi belle que les eaux bleues des Caraïbes et aussi dangereuse que les eaux tumultueuses de l’Arctique.
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C’était juste une fois. Maintenant, tout était terminé. Tout rentrerait dans l’ordre. Il en était convaincu. Il ne recommencerait pas. C’était juste pour elle. Ce désir morbide et violent désormais assouvi, il allait se contrôler. Il en était capable.
Oui… il ne tuerait plus.
 
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Elle est si belle, si sensuelle et si douce que c’est une torture de la contempler avec cette barrière encore infranchissable entre nous.
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Qu'est-ce qui vous choque ? La vulgarité a au moins le mérite d'être comprise par tout le monde. Elle est limpide, sans fioritures. Même vous, jolie jeune femme, vous la pigez très bien. Prenons un exemple. […] Mettons que je vous avoue que j'ai envie de vous sauter, c's juste que je veux vous baiser d'accord ? Il n'y a aucune ambigüité possible. Vous savez à quoi vous en tenir. Alors que si je vous fais la cour comme un bon gentilhomme, vous risquez de vous monter la tête, espérer le mariage et tout un tas de trucs qui n'ont rien à voir. Pourtant, le but reste le même : je veux toujours vous sauter. La vulgarité est sans doute moins élégante, mais au moins, vous savez toujours où vous allez. Pas de surprise. N'est-ce pas plus honnête ?
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« Bon Dieu, c’était Den Piggletonne qui roulait un bras sur mes épaules. Selon moi, c’était l’escroquerie la plus faramineuse du royaume : élire au rang de maître un type plus souvent aviné que le plus vieux poivrot de la Ruche, mais ça, c’était avant de me rendre compte que les Tenshins étaient tous cinglés à leur façon. »
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A ce moment-là, j’acquis la certitude qu’il me faudrait au bas mot quelques siècles de tentatives pour parvenir à éveiller en lui quelques émotions humaines. Je ne perdais pas espoir de pouvoir un jour craqueler sa cuirasse. Je me fis la promesse d’y employer désormais une bonne partie de mon temps. Je voulais voir jusqu’où l’on pouvait pousser un homme entraîné avant qu’il explose.
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- j'ai parfois l'impression de me disloquer quand je suis en toi.
sa confession me fait un choc. mon coeur manque un battement. je resserre mes bras autour de ses épaules et le presse contre ma poitrine.

- je te reconstruirais alors, je murmure dans ses cheveux
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- j'ai parfois l'impression de me disloquer quand je suis en toi.
sa confession me fait un choc. mon coeur manque un battement. je resserre mes bras autour de ses épaules et le presse contre ma poitrine.

- je te reconstruirais alors, je murmure dans ses cheveux
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- A cause de vous, je vais certainement être licenciée avant même d'avoir commencé à travailler.
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Dans trois mois, je serai obligée de te courir après, parce que tu vas te rappeler que tu as une trouille monstre des engagements. Je serai contrainte de te ficeler les mains et de te traîner devant le maire. »

C’était juste une plaisanterie, mais au moment où ces mots franchissent ma bouche, je prends conscience que je viens d’énoncer ma plus grande terreur : que Yano réalise finalement qu’il ne veut pas se marier avec moi, qu’il refuse de s’engager et de renoncer à sa liberté aussi jeune, qu’il souhaite continuer de s’amuser encore un peu et fréquenter d’autres femmes.

Avant qu’il ne saisisse ma détresse subite, je referme la porte derrière moi. Je l’entends crier derrière le vantail :

« C’est pas pour m’obliger à passer devant le maire que tu devras me ficeler les mains, c’est pour m’empêcher d’arracher ta satanée robe ! »

Il arrive à me soutirer un sourire, mais un petit grain de sable s’est glissé dans la machine complexe de mon cerveau. J’essaie de penser à autre chose en m’engouffrant sous la douche. Mes peurs sont ridicules. Cela fait plus d’un an maintenant que nous sommes ensemble, que nous vivons ensemble. Après tout ce que nous avons traversé, il est hors de question que Yano s’enfuie… Oui, voilà… C’est bon… Tout va bien…
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Je me laisse un instant submerger par son souvenir, puis je l’efface lentement et me concentre sur les différents discours, jusqu’à ce que quelqu’un me bouscule violemment d’un coup d’épaule, manquant de me faire perdre l’équilibre. Je ravale le juron qui menace de franchir mes lèvres et lève les yeux. En un instant, un fragment de seconde, mon rêve s’écroule, s’effondre, se désintègre. Mes doigts se resserrent si brutalement sur mon sac à main que mes ongles s’impriment sur le cuir. Mon cœur semble vouloir jaillir hors de ma poitrine, sous les yeux bleu indigo de Yano. Il me dévisage comme s’il ne me reconnaissait pas. Son regard est si froid que j’ai l’impression de fixer une congère. Mais il a ce sourire. Cette espèce de rictus épouvantable qui lui déforme tout le visage quand il souhaite lâcher une connerie, le genre de mots blessants dont il a le secret.
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«  Manipulateur. »
Je croise son regard et elle sourit.
Je fredonne, mon rictus plaqué sur mon visage :
« Et sous les crocs du loup, le petit chaperon rouge succomba.  »
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« — Soit ! L’amour… »
Il prend le temps de réfléchir, puis lance avec un profond sérieux :
« … c’est renoncer à une part de soi.
— Laquelle ?
— Une forme de liberté.
— Pourquoi y renoncer ?
— Parce que, à partir du moment où tu aimes quelqu’un, tu ne t’appartiens plus tout à fait. Tu t’inquiètes pour la personne que tu aimes. Tu crains de la perdre. Tu désires la voir chaque minute, lui faire plaisir, apercevoir son sourire, ses yeux qui brillent. Tu souhaites t’inscrire dans chacun des pans de sa vie tout en préservant ce qui la définit et qui te rend amoureux d’elle. Tu ressens… un besoin permanent. C’est à la fois dévorant, passionnant et salvateur. Mais ça peut être destructeur aussi lorsqu’une fausse note se glisse dans la définition.  »
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