La salle de bal est un livre dans lequel j'ai plongé et que j'ai dévoré avec émotion, angoisse et souvent un sentiment de révolte tout en appréciant le talent d'Anna Hope pour me faire sentir quantité d'odeurs, odeurs humaines, bestiales, naturelles ou artificielles.
Après un bref prologue se passant en Irlande, en 1934, prologue que j'ai oublié bien vite mais que Ghislaine m'a rappelé fort judicieusement quand j'ai refermé le livre, l'auteure revient en 1911, s'attachant aux pas d'Ella, jeune femme irlandaise encadrée par d'autres femmes en uniforme puis amenée dans une salle où elle découvre une centaine de lits occupés par des congénères qui hurlent, chantent ou crient… le décor est planté. Ella vient d'être enfermée dans l'asile de Sharston alors qu'elle ne pouvait plus supporter son travail à la filature et qu'elle avait brisé une vitre pour avoir un peu d'air : « Elle n'avait personne pour prendre sa défense ici, nul être pour se faire son écho, rien pour expliquer qui elle était ou aurait pu être. »
Second personnage qui va revenir régulièrement, le Docteur Charles Fuller, médecin-chef adjoint, apporte de bonnes idées comme la musique mais il est séduit par les thèses eugéniques qui fleurissent dès le début du XXe siècle et trouveront leur apogée avec le nazisme. C'est peu connu mais les thèses de pureté de la race étaient en vogue dans d'autres pays d'Europe dont l'Angleterre et les déclarations de Churchill, à l'époque, font froid dans le dos. Pour lui, la stérilisation des malades mentaux est nécessaire.
Enfin, voici John Mulligan que nous suivons en alternance avec Ella et Charles. Avec son ami Dan, ils creusent des tombes pour caser six corps, ceux des malades qu'on laisse mourir à l'asile. Dan est une force de la nature et son aide est précieuse pour John.
Ella, ouvrière bambrocheuse, celle qui remplace les bobines de fil terminées par de nouvelles, dès l'âge de 8 ans, n'a pas pu apprendre à lire. D'abord révoltée, elle comprend : « Être sage, c'était survivre. » Elle se lie à Clem, jeune femme dont l'internement pose aussi question mais qui se réfugie dans la lecture. Toutes les deux, elles effectuent un parcours terriblement humain et émouvant surtout lorsque Clem lui lit les lettres qu'elle reçoit d'un homme...
Sans dévoiler la suite de l'histoire, il faut tout de même parler de cette fameuse salle de bal qui a bien existé. Pour y aller, il fallait être choisi par le personnel et c'est Charles qui mène le petit orchestre. C'est le seul endroit où femmes et hommes peuvent se rencontrer et danser, véritable bol d'air, seul petit plaisir hebdomadaire dans une vie de contraintes et de privations.
Les saisons s'écoulent mais l'été caniculaire de cette année 1911 cause bien des bouleversements.
La salle de bal est un roman formidable d'humanité, roman qu'Anna Hope a dédié à son arrière-arrière-grand-père interné dans cet asile qui lui a servi de modèle, le West Riding Mental Hospital, dans le Yorkshire, hôpital fermé en 2003.
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