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Citations de Arnaud Dudek (122)


La vie est parfois sinistre, même pour les gentils garçons.
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Les photos de l'enfance, c'est toujours un peu pareil. Un bébé couperosé, donnant l'impression d'avoir mangé un plat trop pimenté, un bébé à élever volets fermés et rideaux tirés, un bébé que tout le monde ose trouver mignon. Puis les enfantillages, les poses en anorak orange devant un bonhomme de neige raté, les poses en slip de bain kaki devant un château de sable raté, les poses en sous-pull bordeaux devant un fraisier penché (le cliché ne raconte pas l'océan de larmes, dix secondes avant le flash: un gâteau aux trois chocolats avait été commandé). Ensuite ? Le corps commence à pousser, à nous cerner, à nous enfermer dans un bocal. La vie angoisse, la mort angoisse, l'amour angoisse et les bagues grises d'un appareil dentaire voilent le sourire. Il n'y a rien de moins photogénique qu'un adolescent complexé. Un poulpe, à la rigueur.

Martin n'a pas échappé aux heures de sourire figé, aux « ouistitis » et aux « cheeses » prononcés avec conviction. Martin n'a pas échappé aux recule, aux encore un peu à gauche, aux bah on la double t'as fermé les yeux d'une mère rarement aussi directive que dans ces moments-là.
Là où Cathy se démarquait, c'était dans la phase suivante.
Elle ne développait jamais les photos.
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C'est des drôles de gens, ces sportifs, tu ne trouves pas ? Ils sacrifient tout, ils boivent pas, ils fument ne font pas, ils pas la fête, ils zappent leur jeunesse, bousillent leurs muscles et leurs tendons, tout ça pourquoi ? Des petites médailles, des records éphémères... Moi c'est clair, je ne pourrais pas. Et toi ? »
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 - Le sport consiste à déléguer au corps quelques-unes des vertus les plus fortes de l'âme : l'énergie, l'audace, la patience.
Silence. Papa lève les yeux de son bout de papier. Le froisse. En fait une boulette compacte. Vise Xiang, qui est désormais le doyen de la Team, et l'atteint à la poitrine.
- Jean Giraudoux, ajoute-t-il.
Nouveau silence, puis :
- Je ne retiens personne.
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Il y a de nombreux moments de cette couleur dans l’enfance de Victor, des instants bleu pâle, vert pâle, des scènes tout à la fois vides et pleines, avec ses deux copains, des moments qui finissent par devenir transparents vers 19 heures, quand tout est dit, tout est fait ; Victor a tout gagné, tout est plié, les billes, le foot et le reste, alors c’est l’heure de prendre la douche, l’heure de mettre la table en soupirant, on se sépare d’une poignée de main molle, salut les gars, puis Victor retrouve le silence de la maison et de son père. C’est l’été malgré tout, la lumière dorée souhaite une bonne nuit aux moustiques et aux troènes, le sommeil chasse l’ennui, on rêve des montagnes que l’on veut gravir, des chemins qui feront quitter une commune de cinq mille huit cent cinquante-six habitants qui se compose de trois hameaux distincts, a été pillée par l’armée française de Louis XIV, s’est développée grâce à l’activité de l’industrie charbonnière, compte deux lignes de bus, et affiche un taux de chômage deux fois supérieur à la moyenne du pays. Qu’ils rêvent, Victor, les Rojas et les autres, parce qu’il n’y a rien de mieux à faire par ici. Rêver, ce n’est déjà pas si mal.
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(Les premières pages du livre)
Un père et son fils paraissent rue des Tourterelles, en provenance de la rue de la Cendrée. C’est un joli dimanche matin avec soleil brillant et vent frais, qui mériterait un vin blanc gras en bouche, un plaid en tartan et une chaise en résine tressée – mais un dimanche matin creux comme un bambou au bout du compte, parce qu’il n’y a ni plaid, ni vin, ni chaise à l’horizon. Le père et le fils viennent d’acheter, à la boulangerie située en face de la mercerie qui a fait faillite deux ans plus tôt et arbore un panneau À louer rouge, deux baguettes pâles et un chausson aux pommes. Même allure, même silhouette, même douceur dans le regard, même paire d’yeux verts aux longs cils. Regardez-les reboutonner leur manteau. Regardez-les ajuster écharpe et tour de cou. Regardez-les reprendre leur marche rapide. C’est le père qui porte les baguettes ; cheveux grisonnants aux tempes, visage émacié, une bonne vingtaine d’années d’excès en tous genres – vitesse, alcool et tristesse principalement. Le fils s’appelle Victor ; c’est lui qui s’occupe du chausson aux pommes. S’il ressemble beaucoup à son père, il a tout de même pris la fossette au menton d’une mère qui n’est plus dans les parages depuis un moment.

D’ordinaire, ils rentrent chez eux par le quartier des Cimes, la rue des Perdrix, la rue Anatole-France et l’allée des Mûriers, hop, numéro 15, clé, serrure. Aujourd’hui, le père choisit d’innover :

– Viens, dit-il au fils, on prend à droite.

La droite, c’est le parc de l’Arbre-Sec ; cela allonge un peu, cinq bonnes minutes, mais le chemin est nettement plus agréable. L’annonce de l’entorse à leurs habitudes laisse Victor indifférent. Même pas un mouvement d’épaules. Cette décision, anodine de prime abord, se révélera pourtant décisive avec le temps.

À côté du saule pleureur centenaire que l’on croit surgi d’un conte de fées et que, chaque année, la mairie menace d’abattre avant de faire machine arrière parce que la population s’émeut, s’offusque ou pétitionne, il y a un sac. De sport. Orange. Orné d’une virgule noire. Bandoulière réglable, anse rembourrée, contenance 50 litres. Son propriétaire trottine quelques pas derrière, dans le carré de sable fin réservé aux sportifs, longs cheveux blonds, bandana, lunettes noires, combinaison rouge, jaune et bleu à larges emmanchures. D’un mouvement fluide, le jeune athlète s’étire, s’approche du sac, prend une serviette, s’éponge le visage, sort une gourde, boit une longue gorgée de ce qui pourrait être une boisson énergétique qui améliore la capacité musculaire et l’endurance pendant l’effort. Il replie sa serviette avec soin, la range dans le sac, y glisse avec le même soin sa gourde et ses lunettes noires.

Puis il se plie en deux.

Littéralement.

Cette souplesse, cette facilité, ce regard : il ne s’agit pas d’un sportif du dimanche, se dit Victor. Cet homme égaré près du saule pleureur, c’est autre chose. Père et fils s’arrêtent pour le regarder courir, talons-fesses, talons-fesses, talons, faire dix fois le tour du grand carré de sable qui abrite habituellement des parties de football de septième division ou des concours de pétanque plus propices aux palabres qu’aux records, fesses-talons, fesses.

La durée d’entraînement joue-t-elle sur la performance ? se demande Victor en le suivant du regard. Dans seulement 1 % des cas, a conclu une étude que Victor n’a jamais lue, évidemment, puisque c’est encore un enfant, les chercheurs ont souligné qu’au plus haut niveau, outre les différences physiologiques influencées par les gènes, la personnalité, la confiance et l’expérience font la différence. Expérience, confiance, personnalité : l’athlète blond n’en manque pas, aucun doute là-dessus. Il doit multiplier les meetings, les exhibitions, les compétitions, il doit gagner sa vie en courant, en sautant, en lançant. Un champion. Un vrai.

Mon salaire ne suffit sûrement pas à payer ses chaussures fluorescentes, songe le père. Il doit avoir pas mal de médailles dans ses tiroirs, suppose le fils. Oublié le pain mou et le chausson aux pommes ; une lumière s’est glissée dans leur ombre, et tous deux s’en nourrissent.

Tiens, le jeune homme accélère, des foulées souples, élastiques. Son buste se bombe, sa course prend encore plus d’amplitude, ses genoux montent. Son pied droit griffe soudain le sol, et voici qu’il rejoint l’air, oui, voilà qu’il vole durant quelques fractions de seconde – avant de redresser son train d’atterrissage, puis de se réceptionner dans le bac à sable presque trop petit pour lui.

– Étrange, murmure le père en haussant les épaules.

Les sourcils de Victor, douze ans, 1,60 m et 43 kilos, se transforment quant à eux en accents circonflexes.

Plus tard, le père fait griller des steaks hachés dans une vieille poêle, met la table pour deux en veillant à aligner parfaitement couteaux et fourchettes, hop, une feuille de Sopalin en guise de serviette, c’est parfait, on se croirait dans un restaurant bistronomique. Victor, lui, se dit que cela doit être extraordinaire de courir, puis de s’élever ainsi. On doit se prendre pour le fils du vent.
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Il replie sa serviette avec soin, la range dans le sac, y glisse, toujours avec soin, la gourde et ses lunettes noires. Puis il se plis en deux, littéralement – cette souplesse, cette facilité, ce regard : pas un amateur, c’est certain.
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- Comment vous sentez-vous ?
La question lui avait fait venir des larmes. Elle appelait une réponse sincère :
- J’ai mal.
- Où ça ?
Victor avait désigné son cœur, et avait ajouté :
- Derrière.
- Sous le cœur ?
- Oui. Pas le cœur qui bat, l’autre, derrière, celui qui se serre quand on perd.
- Vous avez perdu quelque chose, ou bien quelqu’un. Qu’est-ce qui chagrine ce cœur arrière ?
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Victor ignore par quels états, par quels tourments il va passer. Il est jeune, doué, déterminé mais relativement naïf, il pense que sa bonne étoile ne peut pas pâlir, mais voilà, elle est tellement complexe, la vie, tout à la fois plume d’oiseau et instrument de torture, couette en duvet d’oie et bombe à fragmentation, cœur gravé sur un tronc de hêtre et feu de forêt criminel, abécédaire poétique et discours négationniste, confiture fraise-litchi et page Wikipédia recensant les personnes mortes d’un cancer du pancréas, lumière ambrée, ténèbres bancales, dunes blanches et foyers d’accueil médicalisés, il faut la prendre avec soi, toute cette complexité, toute cette pagaille, ce yang, ce yin, toute cette beauté inexplicable, se dire qu’un jour les portes automatiques s’ouvrent en grand sur votre passage mais que, le lendemain, elles peuvent demeurer closes – et pour peu qu’un homme de ménage ait fait du zèle, qu’il ait rendu cette porte absolument transparente, on peut s’y écraser, oui, se la prendre en pleine figure.
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La vie, à l’Institut, est académique, réglée, millimétrée. On s’entraîne on étudie on s’entraîne on étudie on s’entraîne ; pendant ce temps-là, des gens s’occupent du reste. Dans ce curieux microcosme, des gamins motivés essaient de déployer le talent brut que des entraîneurs régionaux ont détecté chez eux pour échapper à leur sort, briser le signe indien, ne jamais remettre les pieds dans leur cité à 20% de chômage ou leur village abandonné, ne pas devenir leur mère, leur père, ne surtout pas reprendre le flambeau de la vie normale, de la vie médiocre, de la vie des cours d’immeubles et des zones d’activités commerciales, des Gifi et des Lidl, de Pôle emploi et des Caisses d’allocations familiales.
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Incipit :
Un père et son fils paraissent rue des Tourterelles, en provenance de la rue de la Cendrée. C’est un joli dimanche matin avec soleil brillant et vent frais, qui mériterait un vin blanc gras en bouche, un plaid en tartan et une chaise en résine tressée – mais un dimanche matin creux comme un bambou au bout du compte, parce qu’il n’y a ni plaid, ni vin, ni chaise à l’horizon.
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"Certaines rencontres sont des coups de volant donnés au hasard, elles font changer de voie brusquement"
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Apprendre son infertilité. L’admettre. Passer à autre chose. Faire le deuil de la paternité normale. Au royaume des certitudes, comment a réagi mon père ? […] Je n’ai jamais songé à aborder frontalement ces questions parce que je suis persuadé de ne rien obtenir ; si la certitude est un pays, l’esquive est un empire – et mon père maîtrise cet art aussi bien que le badminton.
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Le coeur gelé par la peur, j'imagine, dans un demi-sommeil, le pire des géniteurs. Le pire, pour ne pas être deçu.
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Et je vais continuer à vieillir, et mes parents aussi, parce que personne n'échappe aux horloges.
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Première photo de famille. Des visages radieux. Un joli ciel d'hiver. Juste ce qu'il faut de lumière pour faire croire que l'ombre n'existe pas.
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Ma vie ressemble à une brise légère qui traverse des herbes hautes. Je ne me pose aucune question.
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si la certitude est un pays, l'esquive est un empire- et mon père maîtrise cet art aussi bien que le badminton.
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« Apprendre son infertilité. L’admettre. Passer à autre chose. Faire le deuil de la paternité normale. Au royaume des certitudes, comment a réagi mon père ? […] Je n’ai jamais songé à aborder frontalement ces questions parce que je suis persuadé de ne rien obtenir ; si la certitude est un pays, l’esquive est un empire – et mon père maîtrise cet art aussi bien que le badminton. »
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Donner davantage de place aux citoyens, c'est notre seule planche de salut contre la montée des extrêmes.
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