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Citations de Asli Erdogan (389)


J'entendis tout d'abord, sans comprendre ce que c'était, un cri étouffé, retenu. Il cessa rapidement. Puis il reprit et se mua en une clameur dans laquelle s'immisçaient vaguement des mots. Ce fut enfin un hurlement ininterrompu qui s'éleva, enfla, retentissant, et se répercuta à l'infini... il me plaqua contre les murs, me précipitait au fond des ténèbres. Il devenait à chaque instant plus proche, à la fois plus étrange et plus familier, plus intime... toutes les pierres alentour semblaient s'ébranler, crier, s'agiter, agoniser et rendre l'âme.
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Asli Erdogan
voici un entretien avec Asli Erdogan paru hier (8/12) dans le Corriere della serra (elle a pu répondre à des questions via son avocat)…
Un grand merci à Anne-Sophie Hoareau et à Pierre Crevoisier pour leurs talents de traducteurs. Voici l'entretien d'Asli Erdogan paru hier dans le "Corriere della serra" en français.

La voix d’Asli Erdogan depuis sa prison turque : « Le régime nous hait et l’Europe reste aveugle »

Par Alessandra Coppola

Comme dans une gare, « j’attends un train dont je ne connais pas l’horaire d’arrivée, dans la foule et le froid. Je manque de médicaments, j’ai peur… » Voilà ce que dit l’écrivaine turque Asli Erdogan qui, depuis la prison pour femmes de Barkiköy à Istanbul, par l’intermédiaire de son avocat Erdal Diogan, a réussi à répondre aux questions du Corriere. Elle a en commun avec le président Recep Tayyip Erdogan un patronyme, mais aussi un destin en miroir : c’est de lui, dit-elle, que dépend sa situation présente.

Asli Erdogan, vous êtes emprisonnée depuis le mois d’août : de quoi êtes-vous accusée ? Quelle est votre ligne de défense ?

J’ai été arrêtée le 16 août pour mon activité de consultante éditoriale auprès du quotidien Ozgur Gundem (que le gouvernement a déclaré organe du PKK, parti kurde illégal, ndlr), malgré la loi sur la presse qui stipule très clairement que les consultants ne peuvent pas être tenus juridiquement responsables de la ligne éditoriale et du contenu d’un journal. En Turquie, pour la première fois un quotidien a été déclaré « organe de presse d’une organisation terroriste ». C’est totalement illogique, illégitime, sans fondement. Il n’existe pas une seule preuve contre nous ; pour rédiger l’acte d’accusation, ils ont utilisé quelques phrases tirée de quatre de mes articles, qui jamais auparavant n’avaient fait l’objet d’une contestation. Pour neuf personnes, dont moi, le procureur a requis la perpétuité, c’est-à-dire la condamnation qui s’est substituée à la peine de mort ! En bref, je suis jugée parce que je suis la consultante, à titre symbolique, d’un journal légal, et j’encours la perpétuité pour cela. Pour autant que je le sache, c’est la première fois que ça arrive dans le monde : je fonderai ma défense sur ce non-sens.

Vous n’êtes pas la seule victime de la répression qui a suivi la tentative de coup d’État : qu’est-il en train d’arriver en Turquie ?

Ces quatre derniers mois, quarante mille personnes ont été arrêtées, accusées d’appartenir à une organisation terroriste. Environ 150 « journalistes » sont en prison, parmi eux des écrivains, des linguistes, des professeurs d’économie. Entre 150 et 200 organes de presse et maisons d’édition ont été fermés. Il y a quelques jours seulement, un juge a été arrêté en pleine audience (lors du procès consécutif au meurtre du journaliste arménien Hrant Dink, ndlr)

Pourquoi le président Erdogan craint-il les journalistes ?

Le régime est en train de devenir un régime totalitaire et il veut s’assurer que sa vérité reste absolument la seule. Erdogan est incapable de digérer la moindre critique et sa rancœur, son désir de vengeance se tourne contre les intellectuels. Par-dessus tout, il n’a aucun respect pour les « femmes intellectuelles ». Je n’arrive pas à savoir si c’est de la haine ou une grande peur.

Que devrait faire la communauté internationale, européenne en particulier ? Sachant que les accords avec Ankara pour bloquer le flux des réfugiés freinent les pressions.

L’Europe doit tout de suite cesser de fermer les yeux sur ce qui se passe en Turquie en raison de la crise des migrants. Elle a les moyens d’exercer des pressions, y compris commerciales. La Turquie utilise des personnes désespérées comme un moyen de chantage.

Quel est votre état de santé?

Que pourrait-il être? Une cellule glacée, des difficultés pour consulter un médecin, obtenir des médicaments, le manque d'air... Comment peut se porter, dans ces conditions, une personne qui a une prothèse, qui a subi quatre interventions, avec des problèmes circulatoire et intestinaux ? J'essaie de rester SAINE (en majuscule dans la retranscription de l'avocat, ndlr).

Comment se déroulent vos journées en prison ?

Chaque jour est la répétition d’un autre identique : l'appel, l'heure de silence, llentretien avec mon avocat, l'appel du soir… C’est comme attendre un train sans connaître son horaire d’arrivée, dans une gare froide, bondée, pleine d’agitation.

Quel danger courez-vous ?

La semaine dernière, un député de l’AKP (le parti du président, ndlr) a prévenu : « Il pourrait y avoir des agressions en prison, les terroristes pourraient être lynchés. » Après cette menace, nous avons eu vraiment peur. Des portes en fer ont été ajoutées, mais plus que nous protéger, elles rendent encore plus difficiles nos sorties ! Pendant cinq nuits, nous avons organisé des tours de veille. Dimanche, l’alarme a retenti, mais je m’y suis tellement habituée que j’ai continué à m’arracher les sourcils. Pour ne pas mourir brûlée vive, j’ai calculé comment je pouvais faciliter mon étouffement… Je suis totalement vulnérable, comme tous les opposants en Turquie.

Dans le monde entier, des intellectuels sont en train de se mobiliser pour réclamer votre libération : pensez-vous que ces appels peuvent vous aider ?

Mon arrestation et celle de nombreux autres écrivains et journalistes est définitivement politique, nous avons été mis là sur ordre venu d’en haut, sur la base d’accusations mensongères, sans raison. Seule la pression politique de l’Europe peut nous faire sortir. Bien sûr, la crise de la démocratie en Turquie n’est pas considérée comme un problème prioritaire par les responsables politiques. L’accord sur les migrants a réduit l’Europe au silence ! Voilà la grande responsabilité qui incombe aux intellectuels, aux écrivains, aux journalistes : nous devons rappeler à l’Europe les valeurs qui font d’elle l’Europe, et exiger qu’elles soient appliquées.

lien article en italien : http://27esimaora.corriere.it/16_dicembre_08/al-freddo-senza-cure-pericolo-regime-ci-odia-l-europa-non-vede-8ba493e0-bd7e-11e6-bfdb-603b8f716051.shtml
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« Que faut-il écrire ? Que peut bien faire l’écriture (la tienne), que peut-elle bien mettre en « mots », et au nom de quel monde peut-elle transformer celui-ci ? Jusqu’où peut-elle se baser sur la réalité ? Trois heures du matin, la pluie tombe par intermittences, bientôt à verse. Comme si c’était le bruit des secondes qu’on entendait battre sur le pavé. Je suis à ma place habituelle, dans ma nuit où j’entre comme on se faufile dans une tente. Problèmes « éternels », s’obscurcissant à mesure que l’ombre s’étend, pris dans l’étroit défilé qui coupe toute issue… « L’écriture est soit un verdict, soit un cri. »

Mot tant de fois prononcé, il lui arrive parfois de s’accrocher à l’homme telle une anaphore, de l’éparpiller entre ciel et terre. Puis il le jette subitement dehors, et l’abandonne sur les rives du silence. L’écriture, comme cri, naissant avec le cri… Une écriture à même de susciter un grand cri qui recouvrirait toute l’immensité de l’univers… Qui aurait assez de souffle pour hurler à l’infini, pour ressusciter tous les morts… Quel mot peut reprendre et apaiser le cri de ces enfants arméniens jetés à la fosse ? Quels mots pour être le ferment d’un monde nouveau, d’un autre monde où tout retrouverait son sens véritable, sur les cendres de celui-ci ?

Les limites de l’écriture, limites qui ne peuvent être franchies sans incendie, sans désintégration, sans retour à la cendre, aux os et au silence… Si loin qu’elle puisse s’aventurer dans le Pays des Morts, l’écriture n’en ramènera jamais un seul. Si longtemps puisse-t-elle hanter les corridors, jamais elle n’ouvrira les verrous des cellules de torture. Si elle se risque à pénétrer dans les camps de concentration où les condamnés furent pendus aux portes décorées et rehaussées de maximes, elle pressent qu’elle n’en ressortira plus. Et si elle en revient pour pouvoir le raconter, ce sera au prix de l’abandon d’elle-même, en arrière, là-bas, derrière les barbelés infranchissables… Face à la mort, elle porte tous les masques qu’elle peut trouver. Lorsqu’elle essaie de résonner depuis le gouffre qui sépare les bourreaux des victimes, ce n’est que sa propre voix qu’elle entend, des mots qui s’étouffent avant même d’atteindre l’autre bord, avant les rives de la réalité et de l’avenir… La plupart de temps, elle choisit de rester à une distance relativement sûre, se contentant peut-être, pour la surmonter, de la responsabilité du « témoignage »…

Aussi excessivement facile, tardif et vain que cela soit, il faut le dire explicitement : nous sommes coupables. Nous avons commis, dans ce pays, un crime atroce ; ceux qui en ont été les victimes ont trouvé ces mots pour le nommer, « Grande Catastrophe », nous avons éradiqué un peuple. Après avoir appelé les hommes à combattre dans nos armées, nous avons massacré à la pelle leurs femmes et leurs enfants, en les faisant marcher le ventre vide sur des routes interminables ».
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Asli Erdogan
Références et lien : http://www.kedistan.net/2016/11/24/asli-erdogan-2-fascisme-aujourdhui/

Quatre articles de Aslı Erdoğan, ont été utilisés pour “instruire” les chefs d’accusation. Kedistan les publiera en soutien à la campagne de sensibilisation actuellement en cours. #FreeAsliErdogan !

Aslı Erdoğan, écrivaine, est détenue depuis 16 août 2016, dans la prison de Bakirköy à Istanbul et la peine de prison à vie est demandée à son encontre.

Il est toujours périlleux de traduire de tels textes en urgence, et la langue d’Aslı, son écriture, en en traversant une autre, peut y perdre, comme dans un filet, quelques étoiles…

Article publié le 20 mai 2016

Encore une journée qui n’a ni début, ni fin… Comme une virgule mise entre deux longues phrases, entre le passé et l’avenir, au hasard, attendant silencieusement à l’endroit où elle est fixée. Deux très long phrases, monotones et redondantes… Qui ne disent pas ce qui est advenu et s’est déroulé, ce qui a disparu sans possibilité de retour, ce qui sera perdu une fois, et encore une fois… Qui ne donne pas de signe sur ce qui n’adviendra jamais… Le passé et le futur… Deux mots accrochés aux filets que tu as lâchés sur la surface de l’inconnu nommé la vie, et que tu as sorti du brouillard, dont les limites, les rives, les eaux ne sont pas visibles. Qui résonne vide, qui, quand tu colles à l’oreille, lance les éclats de rire de l’infini… La boue silencieuse et refroidie, ton “passé”, ton unique passé, que tu as arraché de tes mains nues, des profondeurs sans lumière, des rochers ; mais qui coulent, avant d’arriver en haut, entre tes doigts gelés… Mais juste là, sur l’autre rive, comme une armée dont les baïonnettes brillent à la lumière du soleil, se préparant à fondre sur toi inévitablement, l'”avenir”… Et, coulant juste à l’intérieur, comme s’ils infusaient d’une crevasse irréparable, les instants, les jours, aujourd’hui. La vie qui ressemble à une blessure dont on ressent la douleur lorsqu’elle refroidit, ou, peut être, carrément l’absence de vie, qui fait sentir son existence seule en douleur.

Les jours de massacre… Cruauté, larmes et sang. Les mots qui définissent les couleurs, les ombres, la lumière de notre vie quotidienne qui rétrécissent l’horizon de la réalité, ne sont plus les “thèmes” des marches obsolètes, des épopées, des grands contes, que personne ne lit sans être obligé, ou au contraire, les sujets des nouvelles, mille fois lues, écoutées, suivies sans cesse.. Comme si nous avions beaucoup de mots à dire, mais nous n’avons plus de voix. Comme si cette voix qui résonne vide, quand nous voulons dire, donner un sens, donner des mots, ne nous appartenait plus, comme si ce silence qui a pris la place des vrais cris que nous ne pouvons hurler, ne nous appartenait plus… Nos poignées de mains sont plus douces, plus courtes, nous construisons rapidement les phrases habituelles, nous nous les tendons plus vite l’une à autre… A chaque occasion, nous répétons de toutes nos forces, que “nous vivons dans de tels mauvais jours” , nous répétons et nous nous consolons. Nos appels “nous existons, nous sommes là” résonnent plus longuement, résonnent et restent sans réponse. Comme des pantins dont le maquillage est rafraîchi, nous tournons nos visages les plus résistants l’un à l’autre, mais, comme si personne ne pouvait regarder dans nos yeux… Les regards sans curiosité, sans question, sans réponse, glissent ailleurs, au loin, avec la lassitude de ceux qui savent ce qu’ils vont voir… Les miroirs sont plus déserts qu’à l’accoutumée, sans âme… Des yeux vides et morts, des mots vides et froids, des cœurs froids et morts… Comme si c’était une copie bâclée de nous même que nous envoyions au passé, à notre propre passé. Quant aux traits du visage que nous offrons au futur, ils ne peuvent en aucune façon prendre forme, comme si une absence de forme était troquée contre une autre… Nous traversons ces jours, lentement, comme marcher au bout des doigts dans un couloir d’hôpital… Comme si, dans une interminable aurore grise de purgatoire, sur un endroit qui se rallonge comme une langue fine dans des brouillards, dans un lieu que les cris et appels ne peuvent plus atteindre, nous marchions, nous marchions.

Le poids insupportable de vivre et d’écrire dans les jours où des gens -dont certains blessés , d’autres enfants- encerclés dans des sous-sols, sont brûlés vifs… Le poids terrible du silence que les mots portent, les mots substitués à la place de la vie… Cette falaise est là et ici, dans le passé, dans le futur, dans le présent… Nous avons beau détourner nos yeux, elle, ne quitte pas son regard, d’une profondeur unique, de nos yeux. Elle regarde avec le silence des récits, des phrases qui ont perdu leur sujet, de toutes les histoires inachevées, elle regarde avec le silence éternel de toutes les vies, elle attend, et dans l’infini brumeux, elle marche entre nous.

Plus tard, quand nous nous retournerons pour regarder l’aujourd’hui, nous allons peut être dire “En réalité, nous avions bien aimé le fascisme !”, en fermant par des peintures toute neuves, les blessures profondes d’un pantin…
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La nuit recommence en d’autres lieux du monde, sur d’autres continents, les stores s’abaissent, les sonneries d’alarme, les sirènes mettent les hommes en garde contre la menace de l’obscurité
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Son esprit n’était pas induit en confusion par des concepts tels que la psychanalyse, la névrose, l’existentialisme, et il savait ressentir cette chose à vrai dire élémentaire qu’est la douleur de l’autre. Il savait être triste pour l’autre. Il y avait en lui une sensibilité sans équivalent dans le monde hypocrite des gens trop instruits.
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Dans les ruines de l'hôtel sous les cocotiers, parmi les buissons, sur la jetée, à l'heure où le ciel des tropiques s'embrase au couchant, je ne l'avais jamais autorisé à me toucher pour de vrai, mais chaque nuit, je m'offrais toute entière à lui dans mes rêves, corps et âme sans réserve. Il promenait sur moi tantôt ses mains puissantes et sorcières - ses doigts devaient être calleux - tantôt un couteau aiguisé ; je m'ouvrais comme une moule, tremblante, sous le feu de son regard immobile et profond.
J'embrassais les cicatrices sur son torse, je respirais l'odeur forte de ses aisselles, j'aspirais l'obscurité de sa peau très noire.
Ah si je pouvais revenir à cette ultime nuit, au balcon face à l'océan !
J'arriverais cette fois à le toucher. A l'enlacer, à ne plus le lâcher.
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Seuls ceux qui sont descendus dans les profondeurs du mal peuvent monter jusqu'aux sommets de la vertu.
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En se croisant sans échanger un regard, par milliers, par dizaine de milliers, ils allaient mêler leurs destins, leurs désirs, leurs aspirations et leur rêves, tissant brin par brin un filet aux mailles serrées. Pour tenir un rôle dans une pièce écrite par d'autres, ils allaient se battre sans pitié, prendre part aux marchandages et aux disputes, se démener pour arracher au monde la part de butin qui leur était attribuée depuis longtemps. Ils ne laisseraient derrière eux que des mouchoirs de papier froissé que le vent disperse. (P. 98)
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Faisant preuve d'un courage dont nous autres intellectuels serions à jamais dépourvus, Tony était en mesure d'affronter l'évocation du suicide et de lui répondre de la seule manière humaine qui fût , par la tristesse. Son esprit n'était pas induit en confusion par des concepts tels que la psychanalyse, la névrose, l'existentialisme, et il savait ressentir cette chose à vrai dire élémentaire qu'est la douleur de l'autre. Il savait être triste pour l'autre. Il y avait en lui une sensibilité sans équivalent dans le monde hypocrite des gens trop instruits. (p. 70)
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Asli Erdogan
AUDIENCE DU 14 MARS : SUITE AU DÉPÔT DE NOUVELLES PIÈCES A VERSER AU DOSSIER, LE JUGEMENT A ÉTÉ REPORTE AU 22 JUIN
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Tel un spectre aux orbites emplies de poussière, en t'aidant des mains, tu erres parmi les décombres, ton corps brisé se détache de tes os, c'est le temps lui même, vêtu de néant, qui grimpe le long de ton épine dorsale, tes mâchoires s'entrechoquent. En attendant que l'on t'arrache le dernier mot, tu te mords la langue. Tu rampes, plié en deux, sur les genoux, sur les coudes, vers le fleuve invisible derrière les rochers, en gardant le silence qui ensanglante tes lèvres... En rêvant de te réveiller dans des eaux ténébreuses, d'être mort depuis longtemps ... Tu as enfin compris le sens de la mélodie qui émane des murs, des profondeurs, des abysses... "Laissez-moi partir", dit le chœur des jeunes défunts. Il répète toujours la même chose, il ne dit rien d'autre. Tu n'en peux plus, tu te cognes la tête contre les pierres dures, contre le sol, tu frappes à la porte du cœur de la terre ... Les pierres ont pitié de toi, elles te protègent de ta propre image. Tu sors de toi-même, tu laisses derrière toi, comme une coquille vide, un corps à demi nu qui, jadis, semble-t-il, fut le tien. Mot après mot, tu te retires de ta propre histoire et, matrice grise, tu t'étales comme de la gélatine sur la nuit pétrifiée. Tu ne peux pas aller plus loin. Ces pierres, ce vent qui siffle dans les coins, chargé de cris, de gémissements, de supplications, les grondements du tonnerre, les ténèbres, les ombres errantes blotties les unes contre les autres et une mélodie persistante, obstinée, monotone ... L'aube que tu appelles dans la nuit imperméable aux mots, une ombre que ce monde n'a pas encore vue.
P.32
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Nocturne forêt

(extrait)

« Je marche aux lisières d’une ville d’Europe de l’Est, un lundi soir. (Chaude et lumineuse, ma chambre m’attend, les feuilles blanches, les notes, les articles, les textes… À propos des attentats de Paris, de la crise des migrants, des discours de haine… La politique, antidote possible à la solitude et à l’obscurité…) Un oiseau soudain chute d’entre les branches, comme déséquilibré dans son sommeil, il meurt sans un cri.

Je continue à marcher, peut-être que je passerai ma vie à courir après un mot, ou bien, subitement tirée d’un ultime songe en quête désespérée de souvenir, je chuterai et ne me relèverai plus ».
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Secoue un peu la poupée, époussette-la et mets-la devant un miroir. Débarrasse ses yeux de ses traces de larmes, mets-lui son masque de jour, rends-la séduisante. Aie soin de cacher sa pâleur sous plusieurs couches de Rimmel et de fard si tu veux pouvoir l'insinuer dans le monde des humains
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N’est-ce pas en vertu de ce festival de lettres que nous avons survécu ?
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- En réalité, c'est toi que je voulais voir.
Je m'arrêtai et me tournai vers lui
- Pourquoi ?
Je m'étais si bien habituée à la solitude que je ne pouvais envisager l'intérêt de l'autre à mon égard que comme une menace. Une sensation pareille à l'inquiétude qu'éprouve un animal sauvage en face d'un être humain. J'avais peur qu'on ne réveillât le cadavre que je portais en moi.
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Rien ne sépare plus l'espoir du désespoir, avoir peur de ne pas avoir peur, être mort de ne pas être mort.
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CECI N'EST PAS UNE CITATION MAIS UNE ALERTE :

L'éditrice française des livres d'Asli Erdogan présentement ministre de la culture du gouvernement Macron peut proposer la légion d'honneur à l'auteure turque toujours poursuivie et privée du droit de sortir du territoire turc , sans toutefois pouvoir envisager de la lui remettre , même en douce dans l'antichambre d'un consulat .
On mesure là , l'épaisseur du nœud de la corde et la réalité de la politique d'Erdogan le "démocrate "

Information transmise par le site kedistan.fr
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Asli Erdogan
Asli Erdogan : “J'ai été relâchée de prison, mais je reste à la merci du pouvoir”

Alors que le Parlement turc a adopté des amendements qui donnent au président des pouvoirs illimités, nous avons rencontré la romancière Asli Erdogan. Victime de la chasse aux sorcières que connaît le pays, elle sort de quatre mois et demi de détention.

Sara DanielPublié le 29 janvier 2017 à 18h42 "BIBLIOBS"

Asli Erdogan est née le 8 mars 1967 à Istanbul. Le 17 août 2016,elle est arrêtée et emprisonnée pour «appartenance à une organisation terroriste». Elle est libérée le 29 décembre 2016. Auteur de plusieurs ouvrages, dont «le Bâtiment de pierre» (Actes Sud, 2013), elle vient de publier chez Actes Sud «le Silence même n’est plus à toi», un recueil de ses chroniques parues dans le journal «Ozgür Gündem», qui sont à l’origine de son arrestation.

Quelles sont les charges retenues encore contre vous ?

Asli Erdogan. J'ai été relâchée de prison, mais pas disculpée. Comme les autres personnes du comité d'administration du journal pro kurde «Ozgür Gündem», je suis accusée de toutes sortes de crimes terribles: d'être l'un des chefs d'une organisation terroriste, de faire de la propagande…
Mais la pire des accusations qui me visent est celle d'avoir conspiré à détruire et à diviser l'Etat turc. C'est la charge définie par l'article 302 du Code pénal, qui est passible de la réclusion à perpétuité. D'ordinaire, elle ne s'applique qu'à des actes de terrorisme de violence extrême, comme les attentats. C'est la première fois que cette accusation vise des journalistes et des éditeurs.
Pourtant le procureur lui-même a admis qu'il n'y avait pas de preuves de notre appartenance à une organisation terroriste, ce qu'a reconnu le juge. Au regard de la loi, l'affaire est donc plus ou moins terminée, sauf pour les accusations de propagande, qui ne sont passibles, elles, que de deux ou trois ans de prison. C'est un progrès ! Mais il n'y a plus de lois en Turquie. Un juge peut revenir sur sa décision à tout moment s'il reçoit un coup de fil du pouvoir. Et je suis à leur merci.

Vous avez écrit un livre sur la prison, l'enfermement, sans l'avoir vécu. Depuis, vous avez passé quatre mois et demi dans la prison de Bakirköy. Qu'est-ce qui vous a le plus marquée dans cette expérience?

« Le Bâtiment de pierre » est une parabole sur la notion d'enfermement. Je n'ai pas voulu faire une description réaliste de la prison, et les gens qui ont lu mon livre, les prisonniers en particulier, m'ont dit: «On voit que vous ne connaissez pas la prison.» Ils le sentaient. Maintenant que je suis passée de l'autre côté, je comprends ce qu'ils voulaient dire. Moi aussi, désormais, quand je lis un auteur, je sens tout de suite s'il a fait l'expérience de l'incarcération.
Paradoxalement, les descriptions de la prison sont plus puissantes si l'auteur n'y a jamais été. Car lorsque vous vivez une expérience aussi extrême, vous devez la rationnaliser. Pour pouvoir continuer à vivre, vous édulcorez les images qui vous viennent. L'horreur ressentie. C'est ce qu'a bien expliqué Jorge Semprún dans un de ses livres: ceux qui ont subi la torture n'en parlent pas en des termes grandiloquents. Entre eux, ils se donnent quelques détails. «Quels instruments ont-ils utilisés?» C'est précis et concis. Je ne suis pas sûre de pouvoir faire de la poésie d'après ce que je viens d'expérimenter à la prison.

Comment s'est déroulée votre arrestation?

Ce sont près de cent hommes qui ont encerclé mon domicile, ont fait irruption chez moi en hurlant. Des soldats encagoulés qui m'ont tenue en joue avec leurs armes automatiques. La perquisition a duré huit heures, ils ont retourné les 3500 livres de ma bibliothèque et ont confisqué tous ceux qui concernaient la question kurde. C'est la garde à vue au commissariat qui a été l'expérience la plus difficile. Je n'ai pas eu d'eau pendant vingt-quatre heures. Par comparaison, lorsqu'on est enfin incarcéré, c'est comme d'arriver dans un hôtel cinq étoiles ! Pourtant ma cellule était répugnante et glaciale.
Mais petit à petit on apprend à survivre. Mes voisines m'ont fait passer du thé, et puis j'avais des gens à qui parler, presque la liberté ! En fait, la prison, c'est un peu comme lorsque vous attendez un train qui n'arrive pas dans une gare où souffle un vent gelé.
Imaginez, vous attendez trois heures, trois mois, trois ans. On ne sait pas. J'avais tellement froid que je remplissais des sacs en plastique avec de l'eau chaude et les mettais contre moi. Un soir, l'un s'est percé, j'ai été inondée, mais heureusement pas brûlée. Des autres ailes de la prison nous parvenaient les cris et les terribles disputes des femmes prisonnières entre elles. Mais dans notre aile, celle des prisonniers politiques du PKK, les femmes savent contrôler leurs émotions. Et puis ces femmes kurdes ont eu pitié de ma santé fragile et m'ont protégée. J'ai même pris des cours de kurde!

Coups d'Etat, régimes militaires: la Turquie est-elle un pays où la violence est intrinsèque?

J'ai connu deux régimes militaires. Tous mes amis nés entre 1955 et 1964 ont connu la prison et souvent la torture. Il y a eu les années 1990, qui ont été terribles pour les Kurdes. De 2003 jusqu'à 2010, pendant les débuts du parti de l'AKP, il y a eu une accalmie. Mais aujourd'hui la situation est encore pire pour les Kurdes et les opposants. Oui, la violence est persistante dans ce pays.
Pourquoi ? En fait, en Turquie, si vous mentionnez le génocide arménien ou la question kurde, le citoyen moyen se fâche. C'est toujours la faute de l'autre, de celui qui est accusé de vouloir affaiblir la nation. Il n'y a eu aucun travail de mémoire. En réalité, je pense que l'Occident et la Turquie ont raté une opportunité. Si la Turquie était entrée dans l'Europe, cela aurait contribué à stabiliser le Moyen-Orient. Avec une frontière commune avec la Syrie, l'Europe se serait impliquée dans la guerre; alors qu'aujourd'hui la Turquie se rapproche de plus en plus de l'Orient, tandis que l'Europe est happée par la crise des migrants et sa lutte contre Daech.

Et les autres prisonniers, allez-vous œuvrer à leur libération?

Mais comment faire ? Il est impossible de les défendre un par un, ils sont trop nombreux ! Imaginez que près de 50.000 personnes ont été arrêtées ces derniers mois… La prison était bondée, et chaque jour des gens arrivaient. Tous se demandaient de quoi on allait les accuser. D'appartenir au PKK ou à l'organisation de Fethulla Gülen? C'était une expérience tragi-comique.
Lors de mon arrestation, j'ai été prise dans une longue file d'attente de 300 soldats qu'on venait aussi d'arrêter. Dans le tribunal où j'ai été jugée, j'ai assisté à l'interpellation d'un juge après un jugement qui avait déplu…Plus de 2500 juges ont été incarcérés. Alors le pouvoir est obligé d'enrôler de jeunes étudiants qui ne connaissent rien. J'ai dû aider le policier qui a pris ma déposition, il n'avait aucune expérience…
Même un de mes geôliers, accusé d'être trop populaire parmi les prisonniers, a été arrêté quand j'étais en prison. Cent cinquante journalistes sont aussi derrière les barreaux, et ils font l'objet de négociations entre l'Ouest et le pouvoir turc. On pourrait dire que ce n'est pas la catégorie la plus visée, mais il est capital aujourd'hui de continuer à s'exprimer envers et contre tout et il faut se mobiliser pour leur libération.

Que comptez-vous faire ?

Je n'écrirai plus d'éditos politiques, j'ai peur de retourner en prison. Je ne pouvais plus rester silencieuse, mais je suis une romancière avant tout. Je veux me remettre à la littérature. Je devais partir au Danemark, où j'ai obtenu une bourse, mais mon passeport est confisqué. Donc je ne sais pas. Je suis vulnérable. Plus rien n'est entre mes mains.

Propos recueillis par Sara Daniel

http://bibliobs.nouvelobs.com/actualites/20170126.OBS4391/asli-erdogan-j-ai-ete-relachee-de-prison-mais-je-reste-a-la-merci-du-pouvoir.html?utm_medium=Social&utm_campaign=Echobox&utm_source=Facebook&utm_term=Autofeed#link_time=1485715641
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Un petit enfant a dit un jour : si tu ne profites pas de la vie, c’est elle qui profitera de toi.C’était un enfant aux yeux noirs, né de l’union de deux ténèbres, qui a connu très tard le bâtiment de pierre. Il n’a plus jamais eu peur, parce qu’il se rappelait sa première frayeur, ou peut-être parce qu’il l’avait oubliée… Il paraît qu’il riait pour un rien
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