Parfois, regarder par une fenêtre suffit pour se sentir aussi libre qu'un oiseau.
Il y a d'autres prisons que celles faites en ciment.
P't-être bien qu'y a des choses impardonnables et mauvaises, on s'dit qu'on peut pas, qu'on doit pas les faire, mais on les fait. On se pardonne pas, mais on oublie. Ces choses-là, nous les commettons tout l'temps. Nous sommes tout le temps impardonnables.
Ne craigniez pas la tristesse, mon petit, elle est la trace éclatante que quelque chose de beau a existé!
Le chef, l'interne, l'ambulancier et Brigitte sont appelés pour une défenestration du huitième étage : "On est à fond : je ne sais pas ce qui traîne dans l'air, mais ce jour-là, bon Dieu, ce qu'on est à fond ! L'ambulancier ne conduit pas : il pilote, on est une team de super-héros prête à sauver la veuve et l'orphelin. Arrivé au pied de l'immeuble, j'attrape le scope (10 kg), le sac de réanimation (10 autres kg), on surgit dans le hall. Il y a un ascenseur ! "Pas d'ascenseur, dit le chef, sil tombe en panne quand on est dedans, le patient est cuit!" Ah oui, c'est vrai, le patient ! On va l'avoir celui-là ! Putain de bordel de Dieu, on va le récupérer, ce défenestré, et on le ramènera chez les vivants en le tirant par la corde du string s'il le faut !
On avale quatre à quatre les marches d'escalier, on flotte, on glisse, on est des particules qui volent ! Enfin nous voilà, huitième étage, transpirant, suant, mais enthousiastes et fiers d'avoir couru si vite, pour sauver ce pauvre type qui s'est pris pour un albatros. Une porte s'ouvre : une femme, petite, en tablier de cuisine, écarte largement ses bras et crie avec l'accent pied-noir :
- MAIS QU'EST-CE QUE VOUS FAITES LA! Mon fils, il s'est défenestré, c'est en bas qu'il a besoin de vous!"
Et Brigitte d'ajouter doctement :
- Tu vois, bichon, il y a une morale à cette histoire... Légère pause dramatique : Quatre personnes dans une même voiture peuvent cumuler plus de vint-cinq ans d'études à elles toutes et être pourtant plus connes qu'une valise sans poignée.
Sous sol de l'hôpital. Il y a Mme Epopteia assise devant la morgue, attendant que la porte s' ouvre. Son fils voulait un scooter pour ses 16 ans. Elle a dit oui.
Un mensonge n'a aucun pouvoir en lui-même. Il devient important dès lors qu'on accepte d'y croire. Le mensonge est un acte coopératif. Et utile. Il sert à tout. Combler le fossé entre les souhaits et la réalité, par exemple.
On a tellement de phrases qui ne servent à rien dans la vie, qui meublent le vide laissé par l'éternelle vérité : on naît seul, on vit seul, et on est toujours seul à mourir.
On meurt vraiment quand tous les gens qui nous ont aimé meurent aussi, ou quand il n'y a plus de souvenirs.
Le contraire de "libre", ma petite souris, ce n'est pas "captif", c'est "obéissant".
Racontons. Prolongeons la vie avec le récit de celle des autres. La vie de ceux qui sont couchés et de ceux qui les relèvent.
Le seul moyen d'être heureux, c'est de se battre les couilles de tout.
- Il a LE Alzheimer... La neurologue, elle saura me le réveiller, mon vieux danseur, hein?
Elle l'embrasse, je suture la plaie de son crâne avec des agrafes.
Je lis sur le dossier : "Début de démence sénile".
C'est écrit noir sur blanc.
Il n'existe aucun traitement valable contre "LE Alzheimer".
- Elle me le réveillera la neurologue, hein?
Je regarde mes chaussures de danseur italien.
Je pense en silence.
Non, madame.
Il continuera à se taire, vous continuerez à parler et à espérer que votre vieux cavalier se réveille.
Longtemps.
Sans doute qu'on ne devrait jamais remettre à plus tard, parce qu'il est toujours plus tard qu'on ne le pense dans la vie.
J'ai honte de cette immense douleur, et je pleure encore comme celui qui sait bien que, finalement, le bonheur est un projet surhumain sur cette terre.
En haut, l'indigo du ciel se tachait de points d'interrogation et de mouettes aux ailes si ouvertes qu'on aurait juré voir des croix blanches.
La déesse du pire est la poignée de porte des toilettes. Que de contorsions pour échapper à son contact !
Ma seule arme ? Me laver. Plusieurs dizaines de fois. Mais se savonner sans cesse attire l'attention.
Pourquoi me suis-je lancé dans les études de médecine ? Plus vous lavez les mains, moins vous paraissez suspect. Mieux : plus vous semblez professionnel.
On a tous des raisons secrètes d'être soignant. Moi, j'avais peur des poignées de porte.
J'appréciais M.Job. Son existence est une leçon : personne n'est à l'abri de se prendre les pieds dans le tapis de la vie et de dégringoler l'escalier social. Grâce à la médecine, j'ai perdu tous mes préjugés.
La vérité, on a toujours le temps de la dire. Elle ne presse jamais. Le mensonge, lui, il est impératif, il bouscule. Il est urgent.
La maladie, ça poisse. Quand je sors de l'hôpital, j'ai besoin de me sentir vivant, de toucher une peau dénudée de toute cicatrice et de toute plaie. Je dois tenir un corps qui ne demande pas grâce - ou seulement s'il le souhaite -, un corps sans souffrance, avec des yeux sans larmes, avec une bouche sans plaintes à exprimer. Je n'en peux plus de la douleur des autres. Je veux de la jouissance bien portante, de la sensualité en bonne santé...