Le temps de troquer mon kilt légendaire contre un slip léopard, me voici arpentant les rives du fleuve Okavango.
Okavango, c'est aussi le nouveau polar enragé de Caryl Férey, auteur dont j'apprécie l'inspiration, la fougue et la plume bien enlevée, - pas sur le dos des autruches je vous rassure.
Caryl Férey nous convie cette fois en Afrique australe, cela commence par un corps retrouvé dans une immense réserve d'animaux, une réserve privée, territoire qui sera le coeur de l'intrigue de ce roman.
Cette réserve privée est la propriété d'un personnage riche, secret, John Latham, d'origine afrikaner, complexe, affichant d'emblée sa misanthropie et son ambiguïté. Une amie qui m'est chère me dirait que c'est ce qui fait son charme. Je m'empresserai de les mettre en relation à l'issue de la rédaction de ce billet...
John Latham a créé un paradis animalier pour les touristes très fortunés qui traversent le monde en avion pour découvrir l'Afrique sauvage en trois jours et en même temps, il se fait l'apôtre de la cause animale et le grand défenseur des valeurs des peuples qui habitent ce territoire, n'hésitant pas d'ailleurs à les mettre en scène pour des velléités mercantiles.
Une femme entre en scène pour enquêter. Elle s'appelle Solanah Betwase, femme Tswana. Les meurtres d'êtres humains, ce n'est pas trop sa tasse de thé, sauf que sa mission se situe dans la lutte anti-braconnage. J'ai aimé ce personnage intègre jusqu'au bout, n'hésitant pas à confronter ses valeurs au socle de son couple en perdition...
Ici sont conviés des rangers, des braconniers, des riches propriétaires, une mafia locale régie par celui qu'on surnomme le Scorpion, mais avant tout il y a deux peuples autochtones auxquels Caryl Férey porte une attention particulière à leur philosophie, celle des Khoï et des San. Cependant, les personnages principaux ne sont pas ici des êtres humains. J'y reviendrai plus tard pour vous les présenter...
Caryl Férey nous rappelle que ce grand territoire a été déchiré il n'y a pas encore si longtemps par des guerres intestines, aujourd'hui l'idée est d'effacer pour les animaux sauvages les frontières imposées par les hommes. Ce lieu s'appelle la Kaza, la plus grande réserve au monde, qui va de la Namibie, le Botswana, l'Angola, la Zambie et le Zimbabwe, comportant même des corridors de migration pour que les animaux , notamment les éléphants, puissent aller d'un pays à l'autre. On dit que cette démarche aurait même pacifié les hommes peuplant ce territoire.
C'est aussi une invitation en entrer en empathie pour la grande cause animale et me voilà vous invitant à découvrir les principaux personnages du roman, des rhinocéros, des éléphants, des girafes, des lions, des hyènes, même des grenouilles...
Dans ce roman, j'ai été épris par l'incarnation des animaux qui est très forte, ils portent des noms, comme vous, comme moi...
Cette grande réserve privée, sur les rives de l'Okavango, s'appelle Wild Bunch, - ce qui signifie La horde sauvage, sans doute en souvenir d'un film mythique américain du même nom...
À partir du moment où ils sont dans une réserve, - qu'elle soit petite ou grande, ces animaux sont enfermés, tout y est régulé, on y trouve aussi des êtres humains autochtones, des membres des peuples Khoï et des San, ceux-ci s'improvisent en guides pour apporter sous la forme de quelque chose qui ressemble à une pièce de théâtre, une caution authentique, une mascarade imaginée par l'homme Blanc, parce que cela fait exotique.
L'incarnation des animaux est très forte, je n'oublierai jamais ce rhinocéros, Long-Corne... Certains sont de vrais personnages élevés au rang de figures littéraires dignes d'une tragédie et peut-être au-dessus... Même les hyènes, même les grenouilles... Et comment ne pas s'émouvoir de la grâce de girafes simulant sur leurs pattes le mouvement d'un compas...
Ici le minéral et l'animal ont autant de choses à nous raconter que les humains. Il y a ici ce lien essentiel entre le vivant et l'humain dans une époque où la mémoire est si courte. Caryl Ferey sait trouver les mots et nous parler de manière percutante d'un écosystème, comme le tissage intime entre les êtres et le vivant.
Vous l'aurez compris, le trafic des animaux est au coeur du ressort narratif.
N'ayons pas peur de nommer les choses, quel est ce monstre qui décore et détruit la nature, ce monstre qui dévoie les savoirs ancestraux, qui nuit aux populations locales, de quoi parle-t-on ?
Les braconniers sont aussi le symptôme d'une humanité en perdition, de sa fin programmée , s'en prendre aux animaux sauvages, s'en prendre à leur beauté, à leur liberté, c'est s'en prendre à notre propre humanité.
Caryl Férey, au prétexte d'une intrigue policière, se saisit d'un sujet universel et le développe avec brio.
Il dénonce l'effroi, l'horreur, le massacre... et ce qui se cache derrière ce désastre nous paraît si grotesque qu'on pourrait en rire, presque, sauf que non, ce n'est pas possible... Ce n'est pas possible d'en rire malgré le grotesque, car derrière ce grotesque ubuesque, c'est notre propre monde qui s'effondre...
Car oui derrière l'intrigue qui tient et porte magistralement le récit haletant d'Okavango, tout ceci n'est qu'une affaire de couilles. Désolé, j'utilise ce soir des mots qui m'échappent et sortent de mon vocabulaire ordinaire. Alors, si vous préférez, je peux utiliser d'autres mots appelant au doux euphémisme. Disons que cela parle d'un masculinisme exacerbé, - la chasse n'est-ce pas, qu'elle soit à petite ou grande échelle... Vous qui parfois pratiquez votre jogging sereinement dans les bois et croisez malencontreusement des chasseurs, - j'espère pour vous le matin car après l'heure de l'apéritif, gare aux balles perdues, avez-vous déjà remarqué une gente féminine parmi ces mâles en rut ?
Mais ici Caryl Férey nous convie à du lourd, la grosse chasse, celle au gros gibier et pour une cause essentielle aux yeux de certains, la pharmacopée chinoise, celle qui prétend qu'avec des testicules de tigres ou la corne de rhinocéros qui vaut plus que l'or, il est possible d'obtenir des performances sexuelles décuplées...
Pourtant, la corne du rhinocéros, ce n'est ni plus ni moins que de l'ongle, ce que nos ongles portent comme vertus si recherchées.
Mais de ce récit envoûtant et sidérant, je retiendrai l'image des animaux plus que celle des êtres humains. J'ai été effaré d'entendre ici que parfois la mémoire de ces animaux pourchassés finit par porter en elle le désastre et le transmettre aux générations suivantes, comme quelque chose de gravé dans les gênes, le souvenir, la peur de ces braconniers, qui poussent désormais ces bêtes à se cacher des hommes à jamais.
Nous ne serons plus jamais ensemble... Et notre humanité en est brisée...
Bon, je vous quitte, je m'en vais ronger mes ongles, vous l'aurez compris, c'est uniquement pour la cause animale, hein !...
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