Un roman incontournable et nécessaire sur l'ascendant des jeux video, celui des mondes virtuels, sur certains adolescents, prétexte à mettre en évidence et dénoncer la guerre, le fascisme, la banalisation de la violence déversée au quotidien par les médias, celle historique, lointaine, sans réalité concrète, ni dimension humaine.
Par cette longue phrase d'introduction, je vous laisse imaginer la densité des thèmes et des références, l'intelligence et l'efficacité de ce roman qui s'inscrit dans le genre fantastique dans la mesure où ce jeu ( No Pasaran en référence à Guernica, à la guerre civile espagnole ) présente des qualités technologiques extraordinaires et semble s'adapter à chacun des joueurs, à leur personnalité, en toute autonomie alors même qu'il n'existe pas, n'affichant aucun octet sur le disque dur de l'ordinateur et réalisant des connexions en réseau sans branchement de modem.
La force du récit tient à son paradoxe : hyper réalisme à travers le virtuel. Le jeu confié par un vieil homme dans une boutique de Londres entraînent les trois héros dans des reconstitutions historiques de batailles dans lesquelles ils sont actifs, se confrontant à l'horreur des conflits en totale immersion - l'expérience ultime, troisième et dernier niveau du jeu - parmi les Poilus sacrifiés, les Brigades Internationales dans l'Espagne de 1937...partout où les peuples se sont déchirés. Peur, dégoût, haine et cruauté, la prise de conscience sera terrifiante et douloureuse, d'autant que l'un des adolescents, Andreas, déjà fasciné par la violence et la mort, adepte forcené du jeu Doom, bascule dans l'idéologie fasciste - en cela déjà préparé par un père raciste et activiste - dans sa logique de destruction, dans l'idéal mortifère de supériorité et puissance par les armes et la terreur qu'il suscite. Prises de conscience au pluriel serait plus juste : des vies humaines face aux stratèges, des combattants sans idéologie s'abandonnant aux pires instincts, du rôle essentiel du passé, de le connaître, de le comprendre, pour l'avenir.
L'atmosphère du récit est oppressante, emplie de questions, de doutes, d'inquiètude; l'univers des jeux video rendu avec un réalisme technique évident - noms des jeux, marques, matériels - donnent justement tout un ton de véracité et de possible à l'histoire. Le malaise est diffus, les thèmes s'entrecroisent à travers les personnages principaux, leurs expériences; thèmes contemporains à travers les personnages secondaires, un frère soldat français en Bosnie, une camarade de classe serbe réfugiée en France.
Aussi magistral que " Be Safe " de Xavier-Laurent Petit, si ce n'est l'épilogue qui m'a paru hâtif et convenu, jouant du moral retournement de situation : Andreas, ayant choisi le rôle d'un SS au cours de la Rafle du Vel d'Hiv lors d'une reprise du jeu, se voit arrêté et déporté avec les familles juives - personnes parmi lesquelles il reconnaît le vieil homme à l'avant-bras tatoué de chiffres de la boutique alors jeune homme d'à peine quinze ans -, confondu pour usurpation d'identité, et donc soupçonné d'avoir une raison de se cacher, puisque seule la police française était active ce matin là.
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