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Citations de Elsa Osorio (119)


Les fantômes sortent maintenant de ces minutes du procès, de ces pages déjà jaunies par le temps, et peuplent mes jours et mes nuits. Je vois cette fille, Beatriz, la jambe cassée, au camp de détention, qui se traîne aux toilettes et y trouve les lettres et le journal intime de sa mère que l'on a accrochés pour se torcher le cul. Je l'imagine essayant de cacher sous ses vêtements ces papiers de sa mère qui s'est suicidée peu de temps auparavant, folle d'horreur devant le destin de sa fille.
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Elle l’avait lu dans un conte: les princes, on les reçoit avec un tapis rouge. Hippo et Mika ne sont pas des princes et ne veulent pas l’être, mais maintenant qu’ils marchent sur ce magnifique tapis de feuilles rougeâtres et vertes que Paris a déroulé dans les quais et les rues pour les recevoir, Mika ne peut que se sentir flattée.

(p. 121)
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Ils étaient chez Ramiro quand il lui parla de l’expérience qu’il avait eue
à l’âge de quatorze ans, quand il avait assisté à une séance du procès des
militaires. Il s’était mis à lire, à dévorer les comptes rendus d’audience qui
étaient publiés, en 1985, tout au long du procès, comme s’il allait ainsi
retrouver la trace de son père ou le venger d’une manière ou d’une autre.
Luz buvait ses paroles avec avidité, observait son visage, s’émut au récit
de cet après-midi où ces salauds de militaires avaient été condamnés à la
réclusion à perpétuité et où Ramiro avait trinqué avec sa mère et Antonio.
— Puis il y a eu cette loi d’obéissance due, le point final et la grâce. Ils
ont été graciés après avoir été jugés et condamnés, tu te rends compte ? Ah !
ce crétin de Menem. Ce pays est amnésique.
Obéissance due… Natalia. Comme bousculée par ces mots, Luz bondit
hors du lit de Ramiro. Elle s’assit par terre en face de lui.
— C’était quoi cette loi d’obéissance due ?
— Luz, dans quel monde tu vis ?
— Je veux que tu m’expliques bien. J’étais toute gosse à l’époque.
— La loi d’obéissance due a été adoptée en 1987 et a signifié la liberté
pour des centaines de tortionnaires et d’assassins, reconnus non
responsables parce qu’ils ne faisaient qu’exécuter des ordres, comme si on
pouvait obliger quelqu’un à commettre des actes aussi aberrants que ceux
qu’ils avaient commis.
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Le général Dufau était de ceux qui pensaient que plus on en liquidait,
mieux cela valait, qu’il fallait pour gagner la guerre éliminer toute cette
génération d’apatrides, et non pas en faire des partenaires, comme les autres
qui voulaient récupérer les montos. Pour Dufau, alors lieutenant-colonel, ce
n’était qu’une question de nombre, de statistiques. Il était fier que ses
camps de détention aient le pourcentage le plus élevé de « transferts ».
Récupérer les terroristes lui semblait absurde : le seul bon subversif était un
subversif mort. Et dans ce sens la Bête avait été un collaborateur
remarquable.
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La mère de Dolores exulte en racontant à sa fille comment la plainte
déposée depuis un bon moment déjà contre ce militaire, un lieutenant de 1ère
classe, qui s’était montré avec un enfant alors que personne n’avait jamais
vu sa femme enceinte, venait de donner une piste très concrète, car il avait
été affecté au Vesubio(15), peut-être avait-il lui-même torturé la mère, c’était
répugnant, et la dernière fois que la fille de Mercedes avait été vue c’était
dans ce camp, de plus l’époque coïncidait. Susana l’a accompagnée cet
après-midi dans le quartier où vivent le voleur et sa femme avec l’enfant,
peut-être le petit-fils de Mercedes, et elles ont rencontré le gosse dans
l’épicerie avec cette tricheuse qui joue à être sa mère, et Mercedes a dit que
le petit avait les yeux de sa fille et les oreilles comme celles du compagnon
de sa fille. Bien sûr, elles n’ont rien pu faire et elles se sont retrouvées chez
Mercedes à pleurer, et elle aussi a pleuré pour Pablo, tellement pleuré, cela
lui a fait du bien. Pleurer avec quelqu’un qui souffre de la même chose n’est
pas pareil que ces larmes solitaires, stériles, parce que c’est savoir qu’il y a
un temps pour les larmes et un temps pour l’action.
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Je prépare le biberon de Lili et je la presse contre moi, je sens sa peau
toute douce, tiède, mes larmes mouillent sa petite tête qu’elle pousse en
arrière, avec une énergie qu’elle n’avait pas jusque-là. Pourvu que tu aies
assez de force, beaucoup de force, pour survivre à ces monstres, si je ne
peux pas te sauver, Lili.
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Tellement stricts, fit Luz goguenarde, tellement purs… Vous auriez pu
vous douter que les conditions n’étaient pas idéales pour avoir un enfant.
— On le désirait.
— Tu ne crois pas que les grands experts en révolution que vous étiez
auraient pu se demander s’ils avaient le droit d’exposer un enfant au risque
de disparaître, comme vous-mêmes, de se voir voler son identité. Ces gosses
n’ont pas eu, comme leurs parents, le choix de courir ce risque en fonction
de telle ou telle idéologie. C’est vous qui le leur avez imposé – et la
rancœur scintilla dans les yeux de Luz. C’était la morale révolutionnaire ou
du pur égoïsme ?
— Quand je te parle de morale, Luz… et puis on ne savait pas, comment
pouvait-on imaginer que…
— Je veux dire, l’interrompit Luz, qu’un de ces gosses pourrait déclarer
aujourd’hui : ce sont eux qui m’ont fait disparaître, les assassins, mais mes
propres parents m’ont exposé à ce terrible destin : disparaître… en restant
en vie.
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Tout semble se résoudre comme dans un rêve, ou plutôt un cauchemar,
car il se sent dans la peau d’un voleur, d’un délinquant improvisé qui risque
d’être découvert à tout moment. Mais Alfonso et Amalia sont là, l’assurant
que tout ira bien, lorsque Mariana sortira de la clinique ils iront chercher
l’enfant un peu avant et l’amèneront à la maison.
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Quand Ramiro m’a dit : « En vérité, Luz, je suis dégoûté que tu sois la petite-fille de Dufau. Tu peux me comprendre ? » J’ai haussé les épaules, je ne trouvais pas de réponse. Qu’est-ce que je pouvais faire ? Je ne savais pas si je le comprenais, mais qu’il soit dégoûté me faisait mal. Je ne suis pas mon grand-père, je suis moi.
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Luz buvait ses paroles avec avidité, observait son visage, s’émut au récit de cet après-midi où ces salauds de militaires avaient été condamnés à la réclusion à perpétuité et où Ramiro avait trinqué avec sa mère et Antonio.
 — Puis il y a eu cette loi d’obéissance due, le point final et la grâce. Ils ont été graciés après avoir été jugés et condamnés, tu te rends compte ? Ah ! ce crétin de Menem. Ce pays est amnésique.
Obéissance due… Natalia. Comme bousculée par ces mots, Luz bondit hors du lit de Ramiro. Elle s’assit par terre en face de lui.
 — C’était quoi cette loi d’obéissance due ?
 — Luz, dans quel monde tu vis ?
 — Je veux que tu m’expliques bien. J’étais toute gosse à l’époque.
 — La loi d’obéissance due a été adoptée en 1987 et a signifié la liberté pour des centaines de tortionnaires et d’assassins, reconnus non responsables parce qu’ils ne faisaient qu’exécuter des ordres, comme si on pouvait obliger quelqu’un à commettre des actes aussi aberrants que ceux qu’ils avaient commis.
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Le général Dufau était de ceux qui pensaient que plus on en liquidait, mieux cela valait, qu’il fallait pour gagner la guerre élimine toute cette génération d’apatrides, et non pas en faire des partenaires, comme les autres qui voulaient récupérer les « montos ». (…) Récupérer les terroristes lui semblait absurde: le seul bon subversif était un subversif mort. (p. 305)
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C'est ce que m'a dit la dame de la glace -et Luz ouvre à peine les yeux, mais lui serre fort la main-, que maman n'est pas ma maman. Et elle ferme les yeux.
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Après avoir lu sur Internet le premier rapport sur les vols de la mort, je n’ai rien pu faire d’autre que de continuer à lire, malgré mes difficultés à comprendre l’espagnol. Je ne suis pas allée à La Turballe ni à l’hôpital de Saint-Nazaire ni à celui de Pornichet où travaillait Marie Le Boullec.
La rédaction fermait et je n’avais pas encore écrit un seul mot. J’ai rédigé l’article à toute vitesse, avec toute la charge émotionnelle de ce que j’avais lu, mais sans dire un mot de mes soupçons.
J’ai suivi les conseils de Fouquet : ne pas prévenir qu’on est sur une piste, au risque de laisser filer l’hypothétique criminel. Vous aurez tout le temps de raconter si jamais on le trouve, m’a-t-il dit, en citant en exemple le cas de ce dealer tabassé dans une rue de son quartier. Muet de peur, il avait refusé de révéler qui l’avait agressé. La piste que suivait Fouquet était la moins évidente, rien à voir avec un règlement de comptes entre bandes rivales, juste une histoire avec sa petite amie du lycée.
J’apprends à dire sans dire. C’est un défi. Dans le papier sur Marie, une seule phrase pouvait suggérer l’orientation de mon enquête… ou n’importe quelle autre.
« Les Grecs appelaient ananké l’impossibilité d’échapper au destin, en dépit des efforts de l’être humain pour se croire libre. L’ananké, si chère aux romantiques, surtout à Victor Hugo, a rattrapé la femme de La Turballe. »
Je pensais que le rédacteur en chef allait se montrer réticent, les références littéraires ne sont les bienvenues ni dans la rubrique ni dans le journal, mais il était si tard quand j’ai envoyé mon papier que personne n’a dû le lire. Dans les pages politiques, où j’écrivais avant, pas une ligne ne passait sans être revue et corrigée. J’aurais aimé écrire beaucoup plus, mais j’ai choisi la prudence.
Le jour s’était levé quand je suis allée dormir, angoissée.
Je sais vraiment peu de choses sur l’histoire de l’Amérique latine. La presse avait suivi avec intérêt la détention de Pinochet à Londres en 1998. Je l’ai lu aujourd’hui dans les archives. Et si j’ai été impressionnée que ses avocats défendent l’usage de la torture, cette sophistication du mal consistant à jeter les détenus vivants et anesthésiés à l’eau m’est intolérable. Les vols de la mort. Comment peut-on être aussi cruel ?
Ce que j’ai lu dans le témoignage d’un survivant est-il possible ? Pour alléger la conscience des tortionnaires, un prélat de l’Église argentine citait la phrase biblique : il faut séparer le bon grain de l’ivraie.
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Ce sont des pêcheurs qui l’ont trouvée, à La Turballe. Dans sa robe à fleurs, le visage serein, le corps bien conservé. Il n’y avait pas longtemps qu’elle était morte, a dit le médecin légiste.
Maintenant que j’ai pu mener l’enquête et reconstituer son histoire, je vois que même en cela, en laissant son corps arriver là, elle avait eu le sens de l’à-propos. Cette idée de se sauver à tout prix, qu’elle avait appliquée toute sa vie, elle l’avait gardée jusque dans sa mort.
La mort, elle n’avait pu y échapper, mais on aurait dit qu’elle s’était arrangée pour qu’on finisse par l’apprendre. Que se serait-il passé si la marée l’avait entraînée ailleurs, ou – comme c’était le plus probable – au fond de la mer ? Et que se serait-il passé si au journal on ne m’avait pas mutée du siège central, de Rennes, à Saint-Nazaire, pour couvrir des faits divers et ne plus fouiner là où il ne faut pas, mademoiselle Le Bris – histoire de me faire comprendre que personne n’est irremplaçable. Sans compter le commissaire Fouquet, un brave type, le contraire d’un imbécile, même s’il cache bien son jeu.
On n’aurait rien su. Ce n’était pas la première fois qu’elle s’en serait allée sans laisser de traces. Une de plus. Dans un petit village perdu de la côte française, au XXIe siècle, et sous une autre identité. Qui aurait pu le soupçonner ?
Fouquet m’a lancé l’hameçon et j’y ai mordu. Parce que c’est lui qui m’a dit que Marie Le Boullec était d’origine argentine et que la cause de son décès était l’asphyxie par immersion. Peu de temps auparavant, il avait lu dans le journal un article qui l’avait impressionné sur les noyés en Argentine, que l’on trouvait dans les années 70 sur une plage quelconque, ou les côtes du pays voisin.
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La vérité c'est qu'elle m'a fait pitié dès que je l'ai vue. Ils l'on amenée menottée, toute sale, les cheveux poisseux d'une couleur indéfinie, et affublée d'une espèce de masque noir pour qu'elle ne puisse rien voir.
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Je tremble comme une feuille, je ne vais pas pouvoir faire ma déposition, je suis sans voix, j’ai le vertige, je vais demander à l’avocat de remettre l’audience à demain. Mais qu’elle est la différence ? La toge noire de ces juges, leurs mines sévères ? Cette salle est loin, très loin, dans un autre pays ? Cela devrait me soulager. Je vais vomir, je veux m’en aller. Mais je ne peux pas, je ne dois pas. Ils n’ont que ma voix et celle de tous ceux qui ont survécu.

La dernière fois non plus, ce n’était pas facile, mais j’ai tenu le coup. J’ai la formule : celle qui est ici est une autre, c’est Andrea mais pas moi. Les images défilent comme les photogrammes d’une pellicule et je me limite à décrire avec objectivité : j’ai vu tel camarade et tel autre, tels faits se sont passés, le plus important, sans douleur, sans haine. Ma mémoire est active et anesthésiée.
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Fini de jouer les connes, je n'ai plus le temps (p.103)
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[…] Il veille personnellement à ce qu’elle soit bien nourrie, parce que là-bas il paraît que c’est infect.
– On lui donnait une nourriture spéciale et ils ne la torturaient pas comme ils le faisaient aux autres.
– Tu trouves que ce n’est pas une torture d’être là-bas et de savoir que toutes ces attentions, ce régime spécial, c’était pour lui voler son enfant – la haine voilait la voix de Carlos. Ils venaient là pour choisir les mères, comme si c’était un vivier d’êtres humains ! C’est monstrueux, aberrant.
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"- Ma Lili, tu es si gentille et si jolie, que tu me fais oublier les méchants.
Et de nouveau ce petit sourire qui illumine tout. Ne plus sentir la tiédeur de Lili, combien nous nous aimons, et effacer toute l'horreur derrière cette porte. Et si je la fermais à clé et qu'on ne les laisse plus entrer? On en resterait là."
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Lui seul pouvait essayer d'imaginer la fillette de cinq ou six ans derrière cette femme en face de lui, cette fillette qu'il ne pourrait jamais connaître. Il lui fallait chasser ce sentiment de gêne, desserrer l'étau de la rancoeur, oublier les circonstances, les haines, pour se laisser emporter dans cette atmosphère que Luz était en train de créer, et partager avec elle, même tard, même venant d'un autre, ces histoires qu'il n'avait pas pu lui raconter.
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