Citations de Emil Cioran (2662)
L'Angoisse était déjà un produit courant au temps des cavernes. On se figure le sourire de l'homme de Néanderthal, s'il eût prévu que des philosophes viendraient un jour en réclamer la paternité.
Au-delà d'un quart d'heure, on ne peut assister sans impatience au désespoir d'un autre.
Ce qu'on devrait apprendre dans la vie, c'est la modestie, qui n'est rien d'autre qu'une conduite réglée sur le sentiment du « néant ».
Je prends parti pour les cathares et pour n'importe quelle hérésie pourchassée par l'Église. Mais si une de ces sectes l'avait emporté, elle aurait été aussi intolérante que l'a été le christianisme officiel. Les cathares, dont j'aime tant certains points de doctrine, eussent, victorieux, surpassé les inquisiteurs.
Pour toute victime en général, si nous voulons rester dans le vrai, ayons une pitié sans illusions.
"Il (Cioran) l'a dit d'ailleurs : si mes livres sont sinistres, c'est parce que je me mets à écrire quand j'ai envie de me foutre une balle dans la peau."
Simone Boué, dans le Cahier de l'Herne consacré à Cioran.
On n’habite pas un pays, on habite une langue. Une patrie, c’est cela et rien d’autre.
Si l'on admet dans l'univers un réel infinitésimal, tout est réel ; s'il n'y a pas « quelque chose », il n'y a rien. Faire des concessions à la multiplicité et tout réduire à une hiérarchie des apparences, c'est manquer du courage de la négation. La distance théorique et la faiblesse sentimentale qu'on a pour la vie conduisent à la solution moyenne des degrés de l'irréalité, à la fois pour et contre la nature.
Si la souffrance n'était pas un instrument de connaissance, le suicide deviendrait obligatoire. Et la vie même – avec sa douloureuse inutilité, son obscure bestialité qui nous traîne dans les erreurs pour nous accrocher, de temps en temps, à une vérité – qui la supporterait, si elle n'offrait un spectacle de connaissance unique ? En vivant les dangers de l'esprit, nous nous consolons, en intensités, de l'absence de vérité finale.
méfiez vous de ceux qui tournent le dos a' l'amour , a' l'ambition ,a' la société. Ils se vengent d'y avoir renoncé.
« On n’écrit pas parce qu’on a quelque chose à dire mais parce qu’on a envie de dire quelque chose. »
Et puis, pourquoi m'embarrasserais-je à établir une hiérarchie dans la solitude? N'est-ce pas assez d'être seul?
La création est une préservation temporaire des griffes de la mort.
Un philosophe se sauve de la médiocrité seulement par le scepticisme ou par la mystique, ces deux façons de désespérer de la connaissance.
Dans la mesure où nous résistons à la sainteté, nous faisons la preuve que nos instincts se portent bien.
L'automate
Je respire par préjugé. Et je contemple le spasme des idées, tandis que le Vide se sourit à lui-même… Plus de sueur dans l’espace, plus de vie ; la moindre vulgarité la fera reparaître : une seconde d’attente suffit. Quand on se perçoit exister on éprouve la sensation d’un dément émerveillé qui surprend sa propre folie et cherche en vain à lui donner un nom. L’habitude émousse notre étonnement d’être : nous sommes – et passons outre, nous recouvrons notre place dans l’asile des existants. Conformiste, je vis, j’essaye de vivre, par imitation, par respect pour les règles du jeu, par horreur de l’originalité. Résignation d’automate : affecter un semblant de ferveur et en rire secrètement ; ne se plier aux conventions que pour les répudier en cachette ; figurer dans tous les registres, mais sans résidence dans le temps ; sauver la face alors qu’il serait préférable de la perdre… Celui qui méprise tout doit assumer un air de dignité parfait, induire en erreur les autres et jusqu’à soi-même : il accomplira ainsi plus aisément sa tâche de faux vivant. A quoi bon étaler sa déchéance lorsqu’on peut feindre la prospérité ? L’enfer manque de manières : c’est l’image exaspérée d’un homme franc et malappris, c’est la terre conçue sans aucune superstition d’élégance et de civilité. J’accepte la vie par politesse : la révolte perpétuelle est de mauvais goût comme le sublime suicide. A vingt ans on fulmine contre les cieux et l’ordure qu’ils couvrent ; puis on s’en lasse. La pose tragique ne sied qu’à une puberté prolongée et ridicule ; mais il faut milles épreuves pour en arriver à l’histrionisme du détachement. Celui qui, émancipé de tous les principes de l’usage, ne disposerait d’aucun don de comédien, serait l’archétype de l’infortune, l’être idéalement malheureux. Inutile de construire ce modèle de franchise : la vie n’est tolérable que par le degré de mystification que l’on y met. Un tel modèle serait la ruine subite de la société, la « douceur » de vivre en commun résidant dans l’impossibilité de donner libre cours à l’infini de nos arrières-pensées. C’est parce que nous sommes tous des imposteurs que nous nous supportons les uns les autres. Tel qui n’accepterait pas de mentir verrait la terre fuir sous ses pieds : nous sommes biologiquement astreints au faux. Point de héros moral qui ne soit ou puéril, ou inefficace, ou non-authentique ; car la vraie authenticité est la souillure dans la fraude, dans les bienséances de la flatterie publique et de la diffamation secrète. Si nos semblables pouvaient prendre acte de nos opinions sur eux, l’amour, l’amitié le dévoueement seraient à jamais rayés des dictionnaires ; et si nous avions le courage de regarder en face les doutes que nous concevons timidement sur nous-même, aucun de nous ne proférerait un « je » sans honte. La mascarade entraîne tout ce qui vit, depuis le troglodyte jusqu’au septique. Comme le respect des apparences nous sépare seul des charognes, c’est périr que de fixer le fond des choses et des êtres ; tenons-nous-en à un plus agréable néant : notre constituion ne tolère qu’une certaine dose de vérité… Gardons au plus profond de nous une certitude supérieure à toutes les autres : la vie n’a pas de sens, elle ne peut en avoir. Nous devrions nous tuer sur le coup si une révélation imprévue nous persuadait du contraire. L’air disparu, nous respirerions encore ; maisnous étoufferions aussitôt si on nous enlevait la joie de l’inanité
p151
Nous vivons tous dans des vérités locales. Tout ce que nous pensons est de circonstance. Le prétexte définit non seulement la nature de la pensée mais aussi celle du monde ; sans doute d’abord celle du monde.
Une seule chose importe : apprendre à être perdant.
[Une derniére citation que j'ai failli résumer au titre]: "transfiguration de la réalité".
Quelle tristesse de voir les hommes passer à coté d'eux mêmes, négliger leurs destinées au lieu de raviver en permanence les lumiéres qu'ils portent en eux, ou de s'enivrer de profondeurs ténébreuses.
La disproportion entre l’infinité du monde et la finitude de l’homme est un motif sérieux de désespoir ; lorsqu’on la considère, toutefois, dans une perspective onirique –comme dans les états mélancoliques- elle cesse d’être torturante, car le monde revêt une beauté étrange et maladive.
L’histoire, -ce dynamisme des victimes.