Franck ABED avocat
Emmanuel Pierrat, avocat au Barreau de Paris, est également écrivain, un grand voyageur et un collectionneur d’art. Son dernier livre, intitulé, Je crois en l’athéisme évoque son parcours personnel et religieux. Tout au long des pages qu’il a noircies avec sincérité, il revient souvent sur ce qu’il nomme « le blues de l’athée ».
Dès les premières lignes, nous savons que nous lirons un écrivain, avocat de profession : « Une plaidoirie se construit à partir d’un dossier, qui contient lui-même des preuves, des arguments, des textes de loi et de la jurisprudence. Elle se prépare à l’aide de notes manuscrites, souvent griffonnées la veille, voire le matin de l’audience - au terme d’un long processus de maturation, facilité par la proverbiale lenteur de la justice… » Toutefois, il ajoute : « La prise de parole à la barre doit toutefois rester un exercice d’improvisation », ce que ne permet pas l’écriture d’un texte manuscrit. En effet, ce dernier peut être relu 1000 fois avant publication. Devant le juge, les jurés, les avocats de la partie adverse, une fois la parole lancée, elle est entendue et il semble difficile de revenir sur un propos tenu.
Nous découvrons avec intérêt la remarque suivante : « Lorsque je plaide longuement, il m’arrive de commencer une phrase par Dieu sait que ou de lancer un Dieu nous garde de. Je prends immédiatement conscience de l’absurdité, pour moi, de telles formules et me rattrape toujours, en précisant : Non, non, qui vous voulez, mais pas Dieu. Hors de question d’afficher un si flagrant mensonge ». Il est intéressant de noter, nonobstant son athéisme, qu’il reste imprégné par un « si flagrant mensonge » au point de souvent le citer lors de ses plaidoiries. J’y reviendrai.
L’homme ne cache pas son athéisme. Il confesse : « Je suis aussi aujourd’hui un athée qui doit se confesser. La France, le monde, la société de 2020 nous somment de choisir de notre camp : le religieux ou la raison, le progrès ou le conservatisme, les lumières ou la superstition, Trump ou la tolérance, Moscou ou la démocratie, le tweet ou la méditation ». Il est vrai que les positions dans la société se radicalisent à outrance. De même, il devient difficile de discuter, sans que les échangent ne dégénèrent, avec des personnes ne partageant pas vos avis. Il y a souvent du sentimentalisme, de l’émotionnel, de la mauvaise foi et aussi beaucoup de méconnaissance et d’oublis volontaires.
Par exemple, de nos jours des chrétiens dans le monde subissent des persécutions car ils désirent rester fidèles à Jésus-Christ. A ma connaissance, il n’existe pas d’attaques de grande ampleur contre celles et ceux qui se revendiquent athées. Quant au déni de démocratie, nul besoin d’aller en Russie, en Chine ou aux Etats-Unis pour constater qu’il existe aussi et surtout en France. Que penser d’une institution, censée être représentative, comme l’élection présidentielle, quand le Président - le dernier en date par exemple - est élu par une minorité d’électeurs ? Que faut-il conclure quand le peuple rejette massivement par la voix du référendum le Traité Constitutionnel Européen mais qu’ensuite, le même texte à peine modifié est adopté en grandes pompes par le Parlement réunissant en Congrès les représentants du peuple ? Il est donc vrai que la « société de 2020 » établit des raisonnements partiaux et biaisés tout en poussant chaque individu dans ses derniers retranchements. Pourquoi faudrait-il opposer foi et raison ou foi et science quand on sait qu’en Europe, la très grande majorité des découvertes scientifiques reste l’œuvre de chrétiens ? Et d’une manière générale, pourquoi devrions-nous nous positionner selon les injonctions de la « société de 2020 » et des médias ?
Ceci étant dit, Pierrat écrit sans le moindre détour : « Ma foi dans l’athéisme est toujours aussi profonde. Elle est cependant nuancée, par vingt-cinq ans d’avocature, par une appartenance fidèle à la franc-maçonnerie la plus laïque et sociétale, par l’amour de l’art tribal, de l’archéologie et du patrimoine ». Il précise une idée forte à laquelle je ne peux souscrire : « Mon cabinet m’oblige parfois à défendre l’indéfendable et, plus souvent, ce qui est réprouvé moralement ». J’espère avoir l’occasion d’en reparler avec lui de vive voix…
Son athéisme peut paraître étonnant quand nous lisons : « Le souvenir est en revanche très net de ma première communion, de cette aube blanche et de cette croix de bois que l’on m’avait passée autour du cou ». Il me semble que la raison de son athéisme n’est pas à chercher très loin : « Mes parents ont surtout trouvé prétexte dans cette cérémonie aux fins de réunir la famille et organiser un repas enivré, nul n’ayant vraiment à cœur de m’entretenir sérieusement de religion ». Le drame est là : trop de familles, y compris celles de culture catholique, réduisent Pâques aux chocolats, le baptême ou la communion à un grand festin, Noël aux cadeaux.
Cela ne présente aucun intérêt d’accomplir un acte religieux, si derrière il n’est pas vécu dans le dynamisme profond qui l’habite. Il sert donc à rien d’aller à la messe pour aller à la messe, comme de faire baptiser ses enfants si la seule raison avouée reste : « Cela se fait dans la famille », comme je l’entends trop souvent. Dans l’Evangile, une phrase prononcée par le Christ intègre parfaitement le cadre de cette réflexion : « Le sabbat a été fait pour l’homme, et non pas l’homme pour le sabbat ».
Je ne peux être que compatissant envers l’auteur quand je lis : « C’est ce même rituel qui, au fil des années et de mes progrès au catéchisme, a été ravivé par les étapes suivantes, allant de ma communion solennelle à la profession de foi, et jusqu’à la confirmation ». Que c’est triste de ne pas avoir été, accompagné, suivi et encouragé par sa famille pour recevoir les Sacrements. Néanmoins, Pierrat écrit : « Je connaissais les répons par cœur, les gestes et les génuflexions du rituel de Vatican II : le prêtre face au fidèle, l’abandon du latin, tout cela me paraissait évident, et je suis toujours, étrangement, attaché à cette façon de communier, ressentant de la gêne d’assister à une messe dite traditionaliste ».
Ce passage est éclairant à plus d’un titre. Pour commencer, un athée, même anciennement catholique ne devrait pas avoir de préférence quant à la réception de la communion, car ses croyances lui interdisent, de fait, ces pratiques. C’est comme si un catholique disait à un juif ou à un musulman et même à un bouddhiste la manière dont ils doivent pratiquer leurs rites : ce serait totalement incohérent et surtout infondé. De même, le terme de messe traditionnaliste reste une invention. Il existe la sainte messe et une nouvelle forme de cérémonie entrée en vigueur à partir de 1969 suite à l’impulsion de Paul VI.
Maître Pierrat plaide-t-il le dos tourné au juge ? Je doute fort qu’il commette cette forme d’impolitesse, même si je ne l’ai jamais vu exercer ses talents au tribunal. Quand il s’exprime sur les plateaux de télévision, une personne l’aurait-elle déjà vu tourner le dos à son interlocuteur ? Bien sûr que non ! C’est évident, mais il convient de le répéter. Ainsi, un prêtre qui célèbre sa messe pour entrer en communion avec Dieu doit être face à Lui pour prier. De plus, c’est encore plus fort, et même plus beau, quand les fidèles et le célébrant regardent tous dans la même direction vers Dieu. Quel sens profond exprimerait une cérémonie ou chaque fidèle de l’assistance et le célébrant agiraient comme ils l’entendent, par leurs gestes, déplacements et paroles ?
Je ne suis donc guère surpris de lire ce passage : « La banlieue rouge où j’ai grandi était portée par les militants, au premier rang desquels mes professeurs engagés qui m’ont inscrit manu militari à la bibliothèque. J’ai appris tout ce que je sais - ou presque - grâce à ces activistes communistes ». Alors oui, les communistes l’ont transformé en fin lettré. Cependant, je garde à l’esprit les visées idéologiques et doctrinales portées par ces « militants » se réclamant d’une pensée totalitaire ayant fait ses preuves entre autres, en Chine, en URSS ou au Cambodge. Pierrat avoue sans détour : « Le parti m’a sauvé de mon destin de banlieusard issu d’une famille où personne jusque-là n’avait fini une scolarité classique ». Il ne faut pas non plus oublier que par définition les marxistes sont athées, ceci expliquant probablement mais en partie seulement son « Je crois en l’athéisme ».
A lecture de cet ouvrage très instructif, je suis intimement convaincu que Pierrat recherche Dieu. Finalement, son athéisme exprime une relation manquée voire contrariée avec le Très-Haut. Il dit : « Je me signe dans les églises. Je fais ce geste machinalement, en franchissant la porte, me dirige sans y penser vraiment vers le bénitier, y trempe ma paluche ». Malgré un ton se voulant détaché voire indifférent, il continue de faire le signe de croix, geste n’ayant aucun sens pour lui en raison de son athéisme - comme quoi, nous en revenons toujours au manque de sens. Je précise que se signer, quand ce geste est accompli sérieusement, n’a rien de sentimental, d’ésotérique ou de magique. Et cela va même plus loin, car Pierrat se sent obligé de coucher ce fait de vie sur papier dans son ouvrage, pour signifier peut-être qu’il se voit comme le fils prodigue tel que dépeint dans le texte biblique… ou pour se rappeler qu’au fond de son âme, il reste, quoiqu’il professe, intimement lié à la religion catholique.
Cependant, je ne tomberai pas dans la psychologie de comptoir, mais cette confession générale nous éclaire vraiment sur la nature profonde de l’auteur. Elle ne relève pas du hasard : Pierrat visite toujours des lieux religieux partout où il passe. Il prend des photos, rapporte chez lui des objets de différents cultes, mais tout cela ne le nourrit pas spirituellement, parce qu’il recommence encore et toujours à vouloir attraper le divin, en un mot l’absolu. Pierrat tente de mener une quête spirituelle, mais je sais qu’il a emprunté le mauvais chemin, que ce soit avec son parcours religieux syncrétique ou par son adhésion à la franc-maçonnerie. En définitive, Je crois en l’athéisme permet de comprendre pour quelles raisons tant de Français ont abandonné la religion catholique et pourquoi après tant d’années ils finissent tous par vivre, à l’instar de Pierrat, avec « le blues de l’athée »…
Franck Abed
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