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Critiques de Frédéric Boyer (59)
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Peut-être pas immortelle

Le 21 juillet 2017, sur une plage de Méditerranée, Anne Dufourmantelle, écrivaine, se noyait en portant secours à deux enfants.

De ce malheur, nous parvient le très beau livre, Peut-être pas immortelle, écrit par son compagnon inconsolable Frédéric Boyer.

Le deuil est là et lorsqu'on entre dans ce livre, il nous apparaît tout d'abord lourd des larmes qui sont venues et viennent encore dire la douleur et l'incompréhension.

C'est un petit livre de quatre-vingt-sept pages seulement, mais il est rempli de ce chagrin que l'auteur pose dans ces pages, dépose comme un fardeau, sans pour autant vouloir sans défaire. Alors, on le prend à bout de bras, on ne sait pas trop qu'en faire, comment faire avec, et puis une ombre passe de temps en temps, une ombre qui fut vivante, l'est peut-être encore puisque les pages tremblent sous nos doigts, à moins que ce ne soit le vent du large, le vent du soir…

Malgré sa concision, le livre prend le temps de s'étirer sur trois parties. Ce sont trois chants poétiques qui résonnent les uns avec les autres et viennent former une harmonie.

Le premier, qui donne son titre au livre, et se construit autour de deux lettres,- vA qui ponctuent cette variation, dont l'initiale du prénom de la compagne aimée et disparue à jamais, A comme Anne -, est une invocation, ou bien une évocation peut-être seulement, je ne saurais dire, je sais simplement avoir lu un texte qui s'ouvre sur la douleur et l'incompréhension.

vA, comme une incantation.

vA, comme une résignation, ou plutôt l'acceptation résignée du voyage d'Anne vers un lointain inconnu dont on ignore les contours et le dedans.

vA, comme une invitation à revenir de temps en temps parmi les vivants.

vA, comme on pousse une barque vers l'autre rive.

Mais quelle est cette autre rive, où mène-t-elle ? Existe-t-elle vraiment ?

Le deuxième chant est « Une lettre » à celle qui a disparu, une lamentation et une interrogation. Nous entendons les mots d'un dialogue entre elle et lui...

Le troisième chant, appelé « Les Vies », élargit l'interrogation de l'auteur aux autres vies dans laquelle s'insérait sa compagne qui n'est plus.

L'ensemble est le texte d'un homme qui se relève après une épreuve. C'est une adresse poétique bouleversante à sa compagne. Il lui parle et nous sommes là, presque de manière gênée à écouter cette voix. L'écrivain nous ouvre des portes, des fenêtres, son coeur aussi le temps de quelques pages. Il nous fait venir dans l'intime, l'univers de sa compagne, l'intimité de ses robes et de ses miroirs, les oiseaux de Rome. Alors par instant le soleil entre par effraction dans la fissure des mots.

Plus douloureuses que la mort, ce sont parfois les questions qui demeurent sans réponses. Et maintenant, que dire à leur fille, la petite Maud ?

Il porte cette douleur intime vers l'universel, vers nous lecteurs. Cela l'aide sans doute, bien que l'écriture ne soit pas toujours consolatrice. La littérature ne peut pas grand-chose malgré tout ce qu'on lui accorde comme enchantement… Mais peut-être par ce fil invisible qui relie l'écrivain au lecteur, y a-t-il une manière d'alléger un poids trop lourd à porter seul ? Un livre, c'est aussi une oeuvre qui s'écrit à deux voix : celle de son auteur et celle de son lecteur.

Frédéric Boyer nous rappelle qu'écrire, c'est tenir debout, porter une voix qui n'est plus parmi les vivants lorsque la douleur est là, sortir de la nuit, faire mémoire, se relever chaque jour avec le jour suivant qui revient dans les pas, dans les gestes du quotidien, dans un futur où il faut avancer désormais sans l'être aimée.

Écrire pour apprendre à vivre avec les cicatrices que laisse l'absence, une façon d'habiter le vide.

Mais nous, lecteurs, que pouvons-nous faire de ce fardeau de larmes ? Nous sommes devant ce texte, comme devant un trou béant.

Cependant, au fur et à mesure que nous avançons à pieds joints d'un chant à l'autre, comme sur les pierres vives d'un ruisseau, au fur et à mesure que nous passons de l'intime à l'universel, le texte s'éclaire, nous paraît plus chaleureux, non pas que nous parvenons à discerner enfin l'autre rive où nous avons poussé tout-à-l'heure la barque d'un grand coup de pied résigné. Non, tout simplement, parce que nous sommes debout à lire le même texte, peut-être en même temps et c'est un geste rassurant qui nous relie, vous et moi, les uns aux autres…
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Le lièvre

Somme-nous comptables des promesses et des rêves que nous avions enfant, lorsque l'adulte que nous sommes devenus les a passées par pertes et profits.

Un livre crû. Sans fard et sans concessions.

Devenu adulte, le narrateur souffre de l'absence de cet adulte trentenaire qui l'avait pris sous son aile alors qu'il n'avait que onze ans. A tel point qu'il éprouve le besoin de se confier à son chaman (nom dont il baptise son psychanalyste) au cours de séances qui sont l'occasion d'évoquer la personnalité controversée de cet agent d'assurance vivant avec son épouse dans la même cité que les parents, occupant le logement juste au-dessus du leur. le N° 6.

Une phrase du roman le résume, « Parce que sans doute, comme l'assassin, l'enfance revient toujours sur les lieux de son crime. »

Quelle image, enfant, avons-nous des adultes ? Nos parents sont-ils le modèle idéal de l'adulte que nous voulons devenir ? Ces adultes affairés, heureux de vivre, beaux parleurs, sûrs d'eux, fumeurs et buveurs invétérés, chasseurs, dragueurs, sont-ils une réalité ?

Ce sont les questions qu'à l'âge de onze ans se pose Frédéric. Nous sommes en 1973 et la société bascule des trente glorieuses dans l'incertitude de la crise. Elle devient moins tolérante. Accepte de moins en moins les écarts.

Le bel agent d'assurance, celui dont les voisins disent c'est un vrai mec et dont la femme est une icone blonde, y survivra-t-il ?

C'est que Frédéric ne saura jamais. Quand les flics embarque l'homme, il sortira de sa vie et n'en entendra plus parler. Des années plus tard le souvenir vient le hanter lui reprochant sa trahison et son manque de courage.

Il comprendra « (…) confusément que nous n'avions sans doute pas a faire dans la vie que notre seule volonté, mais que d'autres volontés nous guidaient en bien ou en mal. »

Et si ? semble dire en permanence Frédéric. Cette question finira par l'envahir jusqu'à l'empêcher de vivre.

Il pose ainsi la question de l'éducation. Education des maîtres, des parents, des curés, de tout ce qui peut s'assimiler à une autorité contre éducation sauvage et spontanée, sans freins, que lui propose son ami. Périples en automobile dans la nuit, chasse, liberté totale, remise en cause des normes imposées.

Images sans illusions de l'enfance et de la vie adulte, qui éclairent d'une lumière crue la vision que chacun enfant et adulte porte sur l'autre.

Je n'ai jamais rien lu, d'aussi beau, d'aussi poignant, d'aussi cruel, d'aussi juste sur le sujet.

« Après avoir mené une de ces vies lisses et impeccablement rangées qu'on imagine encore enfant en regardant autour de soi les adultes se lever le matin pour arpenter plus ou moins courageusement les trottoirs de la vie, et sans douter encore des souffrances, des délires, de la déglingue, des cahots et des échecs cuisants que cache cette image enfantine de la vie adulte. (..) tandis que tous paraissent avancer sur la petite voie nue qu'ils tracent devant eux sans y croire jamais tout à fait.»

A lire










Lien : https://camalonga.wordpress...
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La Bible, nouvelle traduction

J'ai lu l'Ancien Testament adolescent. Pourtant, je suis aussi athée qu'on peut l'être. Mes parents l'étant aussi, je n'ai pas eu d'éducation chrétienne, de catéchèse, de confirmation, etc.



J'ai lu la Bible, adolescent, pour la même raison que je lisais Homère ou Chrétien de Troyes. Parce que j'avais l'impression de lire des histoires complètement folles tout en apprenant mon histoire. J'aimais la fantasy, et ça, pour moi, ça en était.



Puis j'ai fait mes cycles supérieurs en philo où j'ai découvert la théologie et la philologie.



J'ai aimé la première parce qu'elle me donnait l'impression de faire des problèmes de maths ou de logique formelle. Je n'adhérais à aucune prémisse, mais je trouvais fascinant de voir jusqu'où on pouvait pousser la logique si on les acceptait.



J'ai aimé la seconde parce que je trouvais tout aussi fascinant de voir à quel point des choix de traduction, tout arbitraires qu'ils soient, ont pu, et peuvent encore façonner comment pensent les gens.



Je lis donc régulièrement des articles sur le sujet (et un de mes podcasts préférés est complètement dédié à cela). Et j'ai acheté cette traduction séculaire de la Bible pour compléter tout ça. Elle correspond en tout point aux analyses que j'ai lues de divers passages et de ses problèmes de traduction. La tradition est jetée aux poubelles.



Pour chaque texte, les mots choisis sont ceux qui conservent le mieux en français les ambiguïtés et la polysémie des textes originaux. J'adore.



Mais, conséquence inévitable, la plupart des textes sont beaucoup plus durs à lire. Le rythme, la sonorité, les licences poétiques, tout cela a disparu. On a ici un texte francophone qui tente même de suivre la syntaxe hébraïque, grecque ou araméenne.



Mais somme toute, si vous êtes bizarres comme moi, ça vous plaira.
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Évangiles

    Frédéric Boyer publie une traduction personnelle des quatre évangiles. Cet ouvrage, élaboré au cours de huit années, est précédé d'une préface de 75 pages dans laquelle il précise le soin qu'il a pris à se tenir "au plus près" du texte original à sa disposition, à savoir le grec du 1er siècle. J'ai lu cette préface puis, à l'occasion de messes, comparé le texte lu à l'église (ou entendu en conférence, rencontré dans un ouvrage, etc.) avec celui proposé par Frédéric Boyer.



    Le traducteur a développé plusieurs arguments pour justifier le parti qu'il a pris dans cette énième traduction "nouvelle" :





1. le texte original en grec est une transcription de l'araméen tel que parvenu par transmission orale environ un demi-siècle après les événements rapportés. Il faut donc chercher à rendre au texte écrit l'oralité (voire la sonorité) des discussions et débats rapportés.



2. le grec utilisé pour les premiers écrits était celui du monde commun de l'époque ; il faut s'en rapprocher autant que faire se peut.





3. La transcription de l'oral à l'écrit a été influencée par le milieu qui l'a opérée : la diaspora juive de l'époque. Elle a aussi été influencée par la période de crise alors vécue (destruction du temple de Jérusalem). Il faut en tenir compte.





4. Les évangiles ne sont pas un récit pour témoigner, mais une annonce pour faire advenir. En ce sens il s'agit d'une forme littéraire particulière dont il faut respecter la poésie.





5. Notre langue est chargée d'une histoire postérieure au texte original ; ainsi, les habitants de la Judée, contemporains de Jésus, ne sont-ils pas appelés par le traducteur "Juifs" ─terme qui n'est apparu en français que neuf siècles après l'époque de Jésus─ mais "Judéens").





6. Tout l'effort du traducteur consiste à réduire les "pertes en ligne" entre deux langues et deux époques. Là où deux mots différents en grec sont traduits par un mot unique en français, il y a risque d'altération du sens. Par exemple, ce qui est traditionnellement traduit par le "mal" se réfère suivant le contexte à l'une ou l'autre des deux acceptions suivantes : le "mal" peut être l'opposé du "bien", mais aussi "le mal perçu", le tourment. Inversement, un terme étranger peut être polysémique. C'est pourquoi Frédéric Boyer n'hésite pas à utiliser des mots doubles (la loi Torah ; le Verbe parole ; etc.). Enfin, des mots ont vu leur propre signification évoluer (le "prêtre" auquel le texte se réfère est ainsi traduit par le "sacrificateur").



    Il y a encore bien d'autres considérations qui sont développées dans cette riche préface, abondamment complétée au fil du texte par des notes en bas de page.



    "Transmettre, c'est bien traduire, c'est faire passer la parole de la tradition, et la faire parler de nouveau." Toute traduction est par définition périssable puisque la langue cible est appelée à évoluer. Mais elle est aussi (quand elle est respectueuse) éclairage nouveau, approfondissement de la connaissance et réduction de la distance entre l'original et ce que nous en assimilons.



    Bilan positif. Traducteurs, étymologistes, hellénistes et simples lecteurs gagneront à lire à tout le moins cette préface. Pour ma part, je garde sous le coude ces "Évangiles" et reviendrai de temps à autre faire un aller-retour entre le texte "officiel" actuel de l'Église et la traduction proposée par Frédéric Boyer.
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Peut-être pas immortelle

Une ombre passe, si loin si proche.



Un jour de l’été dernier - le 21 juillet 2017 -, Frédéric Boyer perdait Anne,

sa femme aimée, qui s’est noyée en voulant secourir deux enfants.



Trois poèmes composent ce recueil.



Les mots n'ont pas pouvoir de faire revenir les morts.

Interrogation essentielle, où est Anne :

" Oh petite reine dans le trou ?



Deux lettres : « vA » ponctuent cette recherche du lieu, un verbe de deux lettres - dont l’initiale de sa femme envolée.

" vA/va effroi viens/gloire veille à ce que mort/s’enfuie/



quand petite héroïne/repose sur le sable/souffle perdu



Un exil loin de l’être aimé, un monde vide où Anne semble plus vivante

que les vivants :

" sommes sans toi moins vivants que poupées



Mais au final, reste la vie quand même :



" Quelqu’un l’aurait-il vue cette vie qui à jamais ne fut et qui serait pourtant ? À l’époque où la terre s’embrasa quand nous étions les plus solitaires des vivants.



" Et le froid est venu tout à l’intérieur de moi, comme un signe d’impatience messianique quand nous aurions voulu donner à l’autre plus que nous n’avions.



" J’espère malgré tout que nous pourrons avoir de temps en temps des nouvelles l’un de l’autre. Mais ce n’est pas certain, tu t’en doutes, n’est-ce pas ? Par un retournement étrange, souvent, la pensée de la séparation n’éveille en nous que davantage d’attachements. Un bref instant dans lequel disparaissent tous les autres possibles mondes.



" Et tu pleurais doucement



" ces choses que tu appelais de tes vœux en riant.

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Rappeler Roland

Vous l’avez peut être entendue à l’école il y a longtemps et comme parfois les histoires que l’on nous raconte, celle-ci est restée dans votre mémoire……

Si rappelez vous, l’arrière garde de l’armée de Charlemagne est détruite à Roncevaux, Roland combattant les méchants sarrasins et sonnant de l’olifant inutilement……

D’accord vous connaissez la Chanson de Roland mais l’avez-vous lue ? moi non jamais aussi j’ai profité de cette nouvelle édition pour lire cette chanson de gestes en 4000 vers organisés en 491 laisses fondées sur la répétition. (et toc on dirait que je prépare le bac de français !)

Première chose à dire si le livre écrit vraisemblablement au XIIème siècle existe bien, les héros de cette chanson de gestes sont sans doute pure invention.

Pourtant cette épopée est restée dans les mémoires avec son traitre de service, son héros qui se sacrifie, peut-être parce que ce fut un des premiers textes littéraires en français, foin du latin !

Pendant que Charlemagne ne pense qu’à rentrer chez lui, ses fiers chevaliers vont combattre les méchants ….les méchants on ne sait pas très bien quoi, sarrasins, basques, autres ?

On est en 778 et Charlemagne quitte l’Espagne, son arrière garde tombe dans une embuscade tendue par le roi Marsile aidé du traite, il en faut bien un, Ganelon.

Et voilà comment naissent les légendes, le manuscrit ne prendra d’ailleurs le nom de Chanson de Roland que très tardivement au XIXème siècle. Pendant longtemps on la présenta comme un fait quasi historique. Et puis je ne connaissais pas du tout la fin qui raconte la tristesse de Charlemagne et sa vengeance.

Frédéric Boyer s’est attaché à traduire en français actuel cette épopée. Sa traduction est magnifique, la langue est splendide et le rythme insufflé rend bien la notion d’épopée. On est assez vite envoûté par ces héros.

Même si le vocabulaire est riche, il est suffisamment à notre portée pour que nous puissions profiter du texte. Le choix de la forme décasyllabique donne un rythme un peu incantatoire qui non seulement n’est pas gênant mais s’apparente sans doute aux façons de raconter des troubadours et autres ménestrels des temps anciens.

Quant aux deux essais qui encadrent le texte, le premier ne m’a pas intéressé du tout, par contre le second commente et éclaire l’oeuvre de façon utile.

Pour résumé Frédéric Boyer dit de la Chanson de Roland, « C’est l’histoire d’une pâtée militaire qui nous est racontée comme une victoire »



Si vous êtes sensible aux univers légendaire n’hésitez pas


Lien : http://asautsetagambades.hau..
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Yeux noirs

J’étais curieuse de mieux connaître celui qui va tenir désormais les rênes de la maison P.O.L., après le décès de Paul Otchakowsky – Laurens, créateur des éditions P.O.L. à ses initiales.

Au départ il y a « Yeux noirs », la toute première, à 6 ans. Celle qui marquera le narrateur à jamais. « Toujours, ça ne s’arrêtera jamais. Non, mais il n’existe pas de toujours sans cicatrices. Microcoupures qui font la mémoire comme l’éternité. «

A-t-il rêvé ou bien ces quelques coups légers, frappés à la porte grise, la porte du dortoir de la sieste des petits, ont-ils bien existé, laissant passer cette ravissante femme brune qui s’occupe des enfants dans cette école religieuse, et qui va laisser des petites mains caresser ses cuisses, aussi haut que possible ? Quelques minutes volées à la banalité d’une journée d’enfant, un secret partagé avec celle qui a des yeux noirs magnifiques. Et qui cesse brutalement, sans raison. A-t-il rêvé, cet enfant-là ? Aucune trace, aucune preuve, aucune photo, rien qu’un souvenir marqué au vif dans sa mémoire d’enfant.

Commencera alors une longue période de solitude, avec pour seule certitude la promesse faite par l’enfant de ne rien dire. Mais que faut-il taire au juste ? L’enfant de 6 ans n’a pas les mots pour le dire.

Alors, pour se consoler, il invente LAC.

En imaginant retrouver un jour » Yeux noirs » et l’épouser, l’enfant se dit que pour le moment il a besoin de quelqu’un qui lui parle à son oreille. Ce sera LAC. « L’enfance est un crapaud dans le jardin » dit le poète William Carlos Williams. Et c’est juste.

La petite enfance avec son souvenir brûlant morte, le narrateur est seul, très seul. LAC apaise la souffrance de la disparition de « Yeux noirs, ce premier véritable chagrin d’amour.

S’en suivent une galerie de portraits féminins.

La mère, bien sûr, celle avec qui il vit « dans cette absence ou cette attente d’une entrée en scène joyeuse indéfiniment retardée », sa Tante Jeannette, la sœur ainée de sa mère, et son saint Christophe en voiture, et avec sa voix si particulière, gémissante, haut perchée et traînante. Et puis Marie-Thérèse, l’autre sœur, sorte de Mary Poppins avec les enfants.

Des portraits de femmes, comme autant de jalons dans une vie mouvementée.

Il y a Viviane, sa professeure de français, qui lui permet de vivre sa première expérience sexuelle. « Ne t’en fais pas » lui dit-elle. Il y aussi Lady Sniper, la reine culbuteuse d’Ibiza, qui lui dévoile d’autres ressorts de relations à plusieurs.



Et puis il y a Diane, hôtesse de bord de croisière. Dans une suite de successions de scènes scabreuses qu’elle impose au narrateur – en résonnance avec le souvenir d’une soumission enfantine ? – ou bien en en faisant un apprenti mystique dévolu à cette Diane qui n’a rien d’une sainte, mais plutôt d’une masochiste perverse. Diane avec qui l’idylle se terminera brutalement, quand, descendue à terre, et souhaitant enfin une relation plus simple avec le narrateur, le charme sera définitivement rompu.

Il faudrait toutes les citer : l’étonnante Mademoiselle Goethe, une vieille dame indigne qui prend des bains de soleil nue sous les yeux de l’enfant. Viviane qui va réapparaître bien des années plus tard lors d’une lecture à Toulouse, mais que l’auteur ne cherchera pas à revoir. Ou encore la cousine Brigitte qui n’a plus rien des jeux espiègles adolescents quand il la revoit. Ou bien Jay, la petite violoniste anglaise qui voulait maîtriser la langue française et dont le narrateur tombe amoureux – il échappera par miracle à l’accident qui emporte la belle Jay.

Et enfin Yvonna. Dans une grande ville industrielle chinoise, celle qui a deux grands yeux noirs – en amande – et qui consolera un peu notre narrateur de la perte initiale. « Je suis celle que tu aurais pu aimer » trouve-t-on dans la bouche d’Ysé sous la plume de Claudel. Ces mots résonnent avec la rencontre avec Yvonna.

Avec brio Frédéric Boyer brasse ici tous les thèmes : l’enfance, la mémoire, la sexualité, le temps, le présent – un ogre qui dévore ses enfants – n’hésitant pas à invoquer St Paul et St Augustin lorsque c’est opportun. Et jusqu’aux astres qui pourraient eux aussi donner un semblant d’explication avec la découverte du fait que l’univers est en expansion.

« L’unique chair de notre mémoire, ce sont les mots. »

Dans un style soigné, avec parfois ces lettres capitales comme pour mieux surligner certains passages, Frédéric Boyer déroule le fil de son histoire jalonné de portraits féminins. Où va notre enfance une fois disparue ? Où se logent nos souvenirs ? Où est parti LAC ? Cette histoire a-t-elle seulement existé ?

« Oh ces Yeux Noirs au fond du LAC qui me contemplent. Quelque chose avait eu lieu ».

Et il parle d’amour bien sûr aussi. « Souvent l’amour nous conduit à accepter de l’autre ce que lui-même aurait préféré ne pas nous imposer » prophétise-t-il. Une connaissance acquise au gré de ces expériences féminines ?

Et on se surprend à imaginer de vivre une complicité magique avec l’auteur. Être un peu ce « lecteur absolu » dont parle Amélie Nothomb à propos de l’un de ses lecteurs qui comprend tout de son œuvre, et pouvoir restituer la magie de ce récit initiatique.



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Kâmasûtra: Exactement comme un cheval fou

Et oui, une nouvelle traduction du Kâmasûtra, et non, il n’y a pas d’image !



Écrit probablement au IIIème ou IVème siècle de notre ère, le Kâmasûtra reste aujourd'hui encore le plus célèbre des traités amoureux. Mais on ne retient souvent que le côté « guide pratiques de positions » de ce texte antique de l’Inde. Cela fait rire parfois car il y a certaines positions qui sont assez acrobatiques et semblent difficilement réalisables pour atteindre le coït.

Mais ce n’est pas que cela. D’ailleurs, Frédéric Boyer le rappelle dans sa préface : « Le Kâmasûtra est ainsi un texte de littérature d’une rare préciosité, traité taxinomique sur la vie amoureuse, dialogue philosophique et politique, manuel de savoir-vivre, rituel et bréviaire érotique, poème aux longues énumérations sous forme de listes aux détails aujourd’hui parfois bizarres et bouleversants. Il met en forme la transmission d’un savoir qu’il contribue finalement à inventer, à autoriser comme tradition. Il s’attaque à cette double aventure : rendre lisible la sexualité dans la grande écriture théâtralisée de la vie, et l’écrire dans la langue par excellence de l’être, pour l’hindouisme, le sanscrit. D’une certaine façon, la sexualité transforme la vie en une pluralité de destins que déploient la parole et ses jeux. »



J’ajouterais qu’il est assez impressionnant de la part de Frédéric Boyer d’avoir appris le sanscrit pour cette traduction originale dont le titre « Kâmasûtra : Exactement comme un cheval fou » est extrait d’un des versets du livre.

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Le lièvre

Un homme en souffrance (en deuil de deux personnes chères) se rend chez son « chaman » comme il l’appelle ironiquement.

Devant le psychanalyste il se remémore alors l’enfant qu’il était en 1973, à 11 ans et cette amitié insolite et forte qui le liait à son voisin du dessus, au n°6. Ce voisin, cet hidalgo comme l’appelait sa mère, qui pour une raison inconnue avait pris le garçon sous son aile et l’emmenait dans ses expéditions durant lesquelles ils parcouraient les routes à toute allure en Renault Torino ou allaient à la rencontre de la nature.

Ce voisin trentenaire, que l’on soupçonnait pourtant de petits trafics divers, était alors devenu le héros du jeune garçon, celui qui le libérait de sa petite vie familiale qu’il vivait « comme une relation amoureuse qui battait de l’aile ».

Sans oublier ce jour de chasse durant lequel il avait tué un lièvre. Episode déterminant qui avait vu son enfance s’envoler.

Un matin, le numéro 6 est arrêté par les flics, le jeune garçon ne le reverra jamais.

Un roman d’une richesse incroyable sur les questions existentielles qui existent à cet âge, l’abandon, la mort et le deuil et leur impact sur notre vie d’adulte.

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En prison

Critique de Louise Thunin lue sur Amazon: "La compassion de l'auteur est presque maladive, tellement elle est vive. C'est extrêmement touchant de lire à quel point il est capable de s'identifier à des condamnés, ou plutôt à cette part d'humanité qui reste vivante à jamais en tout homme, quels que soient ses actes. Ce livre doit parler à toute personne engagée dans une œuvre humanitaire. La qualité de l'expression littéraire est également à signaler."
Lien : https://www.amazon.fr/En-pri..
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Quelle terreur en nous ne veut pas finir ?

La Feuille Volante n°1055– Juillet 2016

Quelle terreur en nous ne veut pas finir ? – Frédéric Boyer- P.O.L



Ce petit livre, pris au hasard sur les rayonnages de la bibliothèque et qui peut aisément se ranger dans quelque chose qui ressemble à un billet d'humeur prend une résonance particulière dans les temps que nous vivons. Il y a actuellement une urgence, celle de la terreur. Quel est en effet le sens de ce titre un peu abscons ? de l'aveu même de l'auteur, nous vivons depuis quelques années dans une atmosphère d'insécurité. Mais n'y a-t-il pas en nous une autre forme de terreur qui n'en finit pas, que nous entretenons nous-mêmes et qui nous empêche de finir quelque chose, de passer à autre chose. Être soi-même terrorisé implique qu'on va terroriser les autres et ainsi que ce mouvement se nourrira lui-même, ne connaîtra pas de fin. Cette terreur entretenue autant par les événements que par les discours politiques, engendre un fantasme collectif selon lequel, si nous accueillons les autres, des immigrés, nous serons un jour remplacés par eux et face à cela, seule l'exclusion s'impose, au nom notamment d'une identité nationale qu'il convient de restaurer et de sauvegarder. Face à cela l'auteur propose une morale de l'accueil et n'en veut pour preuve que les grandes civilisations se sont toutes construites sur hospitalité ou sinon sont mortes. C'est une position qui va à l'encontre des idées qui irriguent notre société basée en grande partie sur l'hypocrisie de celui qui ne veut rien voir de la réalité. Ainsi ce petit essai, parsemé de vérités dérangeantes et pas forcément plaisantes à entendre, invite-t-il à sortir du traditionnel commentaire littéraire, prend-il une dimension politique, est-il une invite à une remise en question de notre état d'esprit volontiers porté sur le repli identitaire, parce que les idées qui ne sont pas remises en cause sont promises à une sclérose définitive et néfaste. Elles doivent évoluer comme une langue pour ainsi s'enrichir, s'adapter. L'apport de l'autre ne peut que faire changer les choses, renforcer la société, et c'est plutôt bien ainsi. Il se base notamment sur discours chrétien, n'hésite pas à convoquer le Christ, exemple de compassion, le prophétisme de la Bible, l'Évangile et son message d'entraide, Saint Augustin et son discours basé sur l'amour du prochain mais aussi sur les traditions philosophiques et littéraires de l'occident. Dès lors l'accueil de l'autre, cet altruisme, devient une nécessité humaine et se transforme en une force pour la communauté accueillante. Elle a donc tout à y gagner à ouvrir ses portes aux autres. C'est une invite à une prise de conscience, à regarder le monde tel qu'il est, dans sa diversité, dans sa complexité, dans sa globalité jusque et y compris contre la « bien pensance », le fantasme général auxquels il oppose volontiers son discours de naïveté, d'innocence qui bien sûr dérange et va à l'encontre de l'air du temps.

Quand nous avons fait le choix de vivre dans une société démocratique et républicaine, l'accueil de l'autre est de règle, même si, au cours de notre histoire, cette posture a bien souvent été mise à mal, et en retour l'immigration peut être considérée comme une richesse. Pour autant je me souviens du discours réaliste de Michel Rocard rappelant que même si la France devait prendre sa part dans la lutte contre l'exclusion, elle ne pouvait accueillir toute la misère du monde. D'autre part, à l'heure où les démocraties sont la cible des terroristes qui ont souvent leurs racines dans l'immigration, ces derniers exploitent les fragilités des pays qui les accueillent en vue les détruire et d'y instaurer un régime différent à la fois politique et religieux. Sans donner ni dans la vengeance, ni dans la tentation de l'exclusion et bien entendu pas dans l'amalgame toujours dangereux, il s'installe dans nos démocraties un sentiment de peur qui ne manquera pas à terme, favorisé sans doute par un discours politique partisan qui joue sur l'émotion légitime, de se retourner contre l'immigré, et ce, sans aucune volonté de nuances. Ainsi la terreur dont nous seront l'objet se retourna-t-elle contre l'autre et c'est sans doute en cela que Frédéric Boyer voit juste.



Le texte est d'une intensité hors du commun, les mots surtout dits à haute voix, prennent une dimension dramatique et invitent à la réflexion. Ainsi le livre refermé, je suis bien partagé, à la lumière des événements récents notamment l'assassinat par des terroristes islamiques d'un prête octogénaire au cours de son ministère ainsi que les massacres de populations civiles au nom d'une idéologie de la terreur. Accueillir des immigrés, la France l'a largement fait au cours de son histoire, et cela s'est passé globalement sans heurts et même avec une grande volonté d'intégration de part et d'autre. Cela a fait d'elle une nation multiethnique et multiculturelle, un véritable « melting pot », un pays « black blanc beur » qui pouvait à l'occasion servir de modèle sur le thème du « vivre ensemble ». La multiplication des attentats aussi aveugles qu'imprévisibles, caractérisant un état de guerre, générera forcément un climat de méfiance qui nuira à notre tradition d'hospitalité et se retournera contre l'immigré et ce d'autant que , dans notre pays, le racisme, notamment anti-arabe, est particulièrement enraciné.



© Hervé GAUTIER – Juillet 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]
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La Bible

Il se trouve que je connais l'un des exégètes qui a participé à cette nouvelle traduction de la Bible. L'idée des éditeurs était intéressante : confronter des hommes de lettres à une nouvelle traduction.

Mais lorsque l'on lit :

Premiers

Dieu crée ciel et terre

terre vide solitude ...



Soir et matin

Un jour



On se demande si ce n'est pas un gamin qui a composé le texte. Volonté d'épuration certes !



Dieu dit à Noé

Fin de toute chair

avec eux la violence est partout

avec la terre je vais les ruiner

Fais-toi une boîte



Une boîte ??? L'arche de Noé est devenu une boîte !!

Risible, ridicule et tout est ainsi à l'avenant. Toute la beauté et la poésie du texte rendues par les plus grands traducteurs avec talent s'est évanouie.

Style télégraphique ! Bible SMS entre Dieu et les hommes !!



Alors, on laisse très vite tomber ce colosse ratage pour ne ressortir cette nouvelle traduction que pour la qualité de ses notes en complément d'une bonne vieille traduction de Louis Segond !
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Yeux noirs

Éclairer le trou noir d'un souvenir d'enfance. Une méditation éblouissante sur l'enfance et le passage du temps.



Un souvenir d'enfance se trouve à la source de ce récit paru le 18 août 2016 aux éditions P.O.L., après «Quelle terreur en nous ne veut pas finir ?» (2015), un souvenir que le narrateur ressuscite et confesse, pour le laisser reposer en paix ou s'enfuir. Il y a très longtemps, tandis qu'il n'était qu'un petit garçon, il a côtoyé une jeune femme aux yeux noirs magnifiques, une relation sans mots fondatrice et troublante, brutalement interrompue, de manière inexplicable pour l'enfant. Pour s'échapper de lui-même, supporter l'incompréhension, la peine et le bannissement, l'enfant s'était alors créé un autre moi, un petit frère invisible baptisé Lac.



La suite sur mon blog ici :

https://charybde2.wordpress.com/2016/08/19/note-de-lecture-yeux-noirs-frederic-boyer/
Lien : https://charybde2.wordpress...
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Quelle terreur en nous ne veut pas finir ?

Surmonter la peur et penser l’autre.



«Nos identités ne peuvent être closes. Car la grande aventure, c’est la reconnaissance de l’autre comme enjeu de notre propre humanité possible.»



Les phrases amples et poétiques de ce court texte de Frédéric Boyer, paru en mars 2015 aux éditions P.O.L., s’écoulent comme une rivière en crue, plaidoyer d’un homme ébranlé par les opinions dont il est le témoin.



À rebours de discours politiques et médiatiques qui distillent chaque jour la peur et la paranoïa, dérivatifs commodes tellement plus faciles à accepter que la complexité et la prise de risque qu’impliquent l’ouverture à l’autre, ce texte salvateur plaide pour l’hospitalité, pour que les mots liberté, égalité et fraternité retrouvent un véritable sens.



«On ne bâtit pas une civilisation sur le thème hallucinatoire de l'invasion et du remplacement. On ne fonde pas une communauté sur la suspicion d'autrui. Et la simple idée qu'une identité forte et assumée, bien distincte, serait la mieux à même de nous permettre l'accueil, c'est alors supprimer purement et simplement le risque, l'ébranlement, l'inquiétude sans lesquels nulle éthique ne se découvre.»



L’humanité s’incarne dans ce texte, à contre-courant des opinions d’une civilisation figée, drapée dans des «certitudes soi-disant républicaines» et tournée vers le passé, et qui, au nom d’un héritage et d’une identité menacés, court le double risque de la déshumanisation et de sa propre agonie.



«Le dilemme, le déchirement, la décision paradoxale, le compromis et son coût, son prix à payer honnêtement, le renoncement généreux, ne font peut-être plus partie de notre politique ni sans doute de notre démarche individuelle ou collective. Il faudrait pourtant toujours appendre à marcher sur des fils tendus avec des pattes d’araignée. C’est-à-dire que les choix auxquels nous pouvons être confrontés, les choix d’existence les uns avec les autres, les uns envers les autres, ne sont jamais des choix définitifs, ni des choix exclusifs, mais des avancées instables sur le chemin, très mince, très étroit, d’une aventure inachevée qui ne saurait être la nôtre, exclusivement.»



Dans ce texte visionnaire et non programmatique, porteur des valeurs d’une humanité faillible mais authentique, Frédéric Boyer ne nie pas les risques de conflits et d’instabilité inhérents à l’ouverture des frontières. Il appelle, au nom de l’idéalisme dans son sens le plus noble, à garder les yeux ouverts sur le monde, souligne la nécessité d’accepter l’autre pour ne pas sombrer à nouveau dans la barbarie, la nécessité de sortir du repli sur soi, impasse qui rapprocherait sans doute notre civilisation de sa fin.



«Je sais bien que le malheur humain, que la misère du monde seraient intolérables s’ils n’étaient dilués régulièrement dans le temps et l’espace, s’ils n’étaient oubliés, un moment repoussés hors de nos frontières, hors de notre champ de vision, mais il arrive peut-être que par honneur nous devions empêcher que toute la misère du monde ne se dilue, ne s’oublie, ne se disperse, pour qu’elle nous reste intolérable à jamais. Même si pour cela nous devons risquer notre propre intégrité, notre propre histoire commune, sous peine de ne préserver notre propre humanité qu’en nous montrant à nous-mêmes d’une cruauté impitoyable et d’un aveuglement féroce et barbare.»



Dans un monde devenu mondialisé, «Quelle terreur en nous ne veut pas finir ?» plaide pour la libre circulation des hommes et non des capitaux, dont nous avons si «goulûment abusé et profité», contre le repli et l’accumulation, car les principales victimes sont toujours les plus malheureux, ceux qui n’ont pas de choix.



«Car j’observe que ce sont toujours les pauvres, les plus pauvres d’entre nous, les plus malheureux, les plus faibles du monde, que nous repoussons, et sur le dos de qui nous bricolons et recollons nos déchets de morale, et sur le dos de qui nous faisons porter le fardeau de notre identité malheureuse.»



Retrouvez cette note de lecture, et toutes celles de Charybde 2 et 7 sur leur blog ici :

https://charybde2.wordpress.com/2015/07/18/note-de-lecture-quelle-terreur-en-nous-ne-veut-pas-finir-frederic-boyer/

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Jésus. L'histoire d'une Parole

Je ne pense pas que j'aurai fini un jour de lire ce livre tant il offre un regard nouveau sur la vie et le message de Jésus. Mais je ne vais quand même pas attendre des années avant d'écrire ma critique !

J'ai découvert ce livre pendant l'été 2020 grâce à quelques extraits dans La Croix L'Hebdo. Je connaissais déjà le travail réalisé par Frédéric Boyer sur l'Ancien Testament et j'attendais avec impatience qu'il "s'attaque" à la vie de Jésus... et je n'ai pas été déçu.

Il ne raconte pas vraiment la vie de Jésus, comme il le dit lui-même (dans Panorama en septembre 2020) : "Jeshua, Jésus en araméen, était probablement un homme important, un maître ou un rabbi, comme on l'appelle dans les évangiles. On venait a lui, on l'écoutait pour l'enseignement qu'il dispensait, autour de lui mais aussi dans les synagogues et au temple de Jérusalem. Et plutôt que de raconter la vie de cet homme, comme on l'a fait souvent, Serge et mol avons préféré mettre en récit et en images, aujourd'hui, sa parole, son enseignement. Pour les chrétiens, Jésus est bien l'homme de la parole. L'acte de foi chrétien, c'est de reconnaître qu'il est la Parole incarnée, vivante."

En une introduction et douze chapitres, nous voyons comment la Parole de Jésus s'enracine dans la tradition juive et comment elle a résonné dans les communautés rassemblées en son nom après sa mort. Comme le dit encore Boyer : "La plupart du temps, Jésus s'appuie sur les Ecritures de son peuple, Ce n'est pas l'enseignement qui est neuf mais c'est l'urgence de le transmettre et de l'incarner dans la vie. Une de ses forces, c'est de redonner de la vigueur à l'échange de la parole, de la remettre au cœur."

Les illustrations de Serge Bloch participent aussi à de donner de la force à ce texte. Ils sont un peu moins figuratifs que dans Bible - les récits fondateurs. Le trait est rapide, parfois très simple ou abstrait et il nous laisse ainsi apporter notre propre interprétation à ce qu'il essaie de représenter.

Vraiment, pour moi, cela m'aide à relire l'évangile et à en vivre différemment.
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Rappeler Roland

"Rappeler Roland" se présente comme un triptyque : la première partie est une longue poésie, une voix obsédante rappelant Roland et sa légende aux oreilles de Frédéric Boyer qui invite ainsi son lecteur à éveiller sa mémoire littéraire comme une introduction à la deuxième partie qui est une nouvelle traduction du texte médiéval basé sur le manuscrit d’Oxford, une épopée de 291 laisses (groupe de vers décasyllabiques). Définir cette œuvre comme chanson lui convient bien, car elle s’apparente à une liturgie, à une complainte narrant les combats imaginaires et héroïques de l’armée de Charlemagne vers les confins de son empire, dans les étroites vallées pyrénéennes. Si le récit progresse, passant de la trahison à la colère, de la vengeance à la mort, il est aussi un éternel retour, récit en boucle qui n’aurait pas de fin, passant de la colère à la trahison et de la mort à la vengeance. Une sorte de métaphore de l’Univers où rien ne s’arrête vraiment, où tout appelle l’infini. La troisième partie, intitulée « Cahier Roland », est une analyse de l’œuvre à travers son histoire, ses énigmes, son lyrisme, ses thèmes, interrogeant notre rapport à la Chanson de Roland, un récit où la victoire est aussi une défaite, où l’ennemi est aussi un frère, et où le père (Dieu ou empereur) est aussi fratricide. Une histoire à notre image : folle et désespérée ?
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Techniques de l'amour

Ayant lu avec beaucoup de perplexité ce livre, j'ai voulu me renseigner sur son auteur. Wikipédia m'apprend que Frédéric Boyer (né en 1961) est un écrivain assez prolifique; il dirige actuellement la maison P. O. L. Il a travaillé aussi à la traduction de la Bible et d'ouvrages de Saint-Augustin. Ce contexte parait très loin de ce livre, dont le titre peut vraiment prêter à confusion: non, il ne s'agit absolument pas d'éducation sexuelle pour adultes ! Frédéric Boyer nous livre des considérations très générales sur l'amour, l'objet de cet amour étant "quelqu'un" dont on ne connaitra pas le nom, ni même le sexe. C'est déroutant. Je n'ai probablement rien compris et, en tout cas, je n'en retire rien pour moi-même: je suis encore victime de ma "témérité littéraire".
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Évangiles

Le 13 octobre 2022, les éditions Gallimard ont publié une nouvelle traduction des Évangiles par Frédéric Boyer, auteur d'une trentaine d'ouvrages, qui a dirigé la traduction de la Bible parue chez Bayard en 2001. Il explique son projet dans une longue introduction, qu'il dit d'ailleurs avoir hésité à écrire.

Les quatre textes (Matthieu, Marc, Luc et Jean) sont annotés : au fil de la lecture, des termes grecs sont explicités et on indique aussi au lecteur les références à la Torah.

Ces textes fondateurs de la religion chrétienne sont connus de tous, au moins par bribes... et il est intéressant de les relire dans cette nouvelle traduction, pour en mesurer les différences et ressemblances. (...)



La traduction de Frédéric Boyer est agréable à lire, grâce aussi à une mise en page aérée qui fait penser à des versets, à de petits poèmes parfois. La lancinante parole de Dieu rappelle aussi au lecteur l'idée que tout est possible à celui qui a confiance.
Lien : https://lemanoirdeslettres.f..
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Le lièvre

Dans une confession qui prend parfois la forme d'une parabole, l'auteur livre une méditation sur la perte et le mal, avec conviction et puissance, en délaissant sciemment une intrigue qui reste secondaire, là n'est pas le propos du livre. Quelques passages m'ont semblé atteindre un certain caractère universel.
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Vaches

La rumination des mots



« Les premières à mourir ce sont les vaches ».

C'est par cette phrase énigmatiquement belle que s'ouvre Vaches , précieux petit livre irrigué de lumière.



J'ai lu cet ouvrage de Frédéric Boyer en m'imprégnant du lait de chaque mot, comme une prière qu'on rumine, un cantique d'herbe qu'on roule patiemment entre sa langue et ses dents.



Ce petit opuscule, mystérieux à plus d'un titre, porte en lui le goût des larmes, la virgule de lumière des francs sourires.



Dans une soixantaine de pages comme autant de poèmes en prose, Frédéric Boyer interroge notre humanité, le poids de la conscience qui pèse sur nos crânes.

Il dépose au plein jour notre incapacité à vivre dans la pure présence, cela même qui nous mord le coeur et nous déchire l'âme.



Les vaches sont les carmélites de l'herbe. Elles ne prient pas, elles broutent. Elles n'attendent rien, elles sont. Elles veillent sur les champs, gardiennes d'un secret inconnu aux hommes. Leurs cloches sonnent à toute volée des messes joyeuses, à ciel ouvert. Ont-elles un dieu ? Alors ce ne peut être que le soleil, ce frère de chaleur qui, de ses pis, les arrose du doux breuvage de sa grande mamelle rouge. Je n'ai jamais lu plus belles pages sur ces épouses des prés, ni croisé de regard plus doux qu'en leurs yeux d'innocentes.



« Les vaches ont des robes pleines de ronces et de fleurs et de poudre des champs. Elles ne savent rien de l'exception de la vie terrestre sous les étoiles. Rien de l'exception de notre vie banale dans l'univers féroce toujours plein de notre cruelle errance avec dans la prairie tant de victoires perdues.

Comment expliquer l'impression qu'elles donnent d'être traversées par la vie même? d'avoir une puissance identique à la vie? Cette vie nue dans les champs. Cette vie sans propriétés. Ce corps immense et lourd et patient des vaches.

L'injustice des paysages rend si inquiétante dans sa quiétude temporelle la gratuite existence sans appel, sans justification des vaches.

Les vaches aimaient s'asseoir dans le soleil et s'arroser de poudre des champs, s'asperger de poussière des talus, s'envelopper de fines particules d'insectes bourdonnants. » (p. 9-10)



Pour pasticher le poème en prose de Baudelaire, intitulé “L'Etranger”, j'en reprendrais la fin, après la dernière question posée à l'étranger :



« – Eh ! qu'aimes-tu donc, extraordinaire étranger ?

– J'aime les vaches... les vaches qui paissent là-bas... là-bas... les merveilleuses vaches ! »



Thibault Marconnet

26/01/2013
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