Citations de Frédéric Dard (2233)
L'autre hoche la tête. C'est un petit être chafouin, grisâtre, obscur, sans importance collective. C'est tout juste un individu, dirait Céline.
La vie est potable. La mer est bleue, l'aurore aux doigts de rose caresse l'horizon. Des écharpes de brume flottent au vent du large, comme les caleçons d'un facteur sur un fil d'étendage.
Faudra qu'il aille se faire repaver la gueule s'il veut s'engager comme jeune premier à Hollywood.
- J'ai deux mètres vingt de cicatrices depuis le menton jusqu'aux genoux.
La plupart des ménages sont composés de célibataires mariés.
Déjà, inexorablement mourir, c'est pas joyce joyce comme perspective. Mais "les" morts qu'on nous mijote, nous affûte, nous courtbouillonne à plaisir dans des labos et officines, usines, bataclans de merde, là, je te promets du sévère! Si on était mariés, on se taillerait en Australie, m'man, Toinet, Maria l'Andalouse au fion de braise et moi. On se blottirait chacun dans le cul d'un kangourou, et on sauterait, sauterait, sauterait! Mais ouitche, à quoi bon? Un jour notre planète sera recouverte de glace ou de poussière et le rien inouï aura repris le dessus pour l'éternité. Si on n'a pas Dieu à ce moment-là, gare à nos couilles, l'ami!
Je passe mes vitesses sans répondre. Respectant ma méditation, il prend le parti d'allumer une sèche.
- Tu es un garçon vraiment gonflé, susurre-t-elle.
- Une vraie montgolfière...
La solitude n'est faite pour nous. Elle nous dévaste et nous creuse, car le vide appelle le vide !
- Vous êtes professeur de ...
- D'allemand.
- Je suis dans sa classe, m'explique Marie-Marie, mais moi, le chleuh, j'ai du mal.
- C'est pourtant une fort belle langue, assure son professeur.
- Pour commander de foutre le feu à Oradour ou pour chanter Wagner, j'dis pas, madame, mais j'sais que j'voudrais pas qu'on cause d'amour en allemand.
L’existence est pleine de gens qui se disent au revoir pour la dernière fois.
Les hirondelles, on n’y fait plus attention. Comme dit cette grosse enflure de Bérurier : la différence qu’il y a entre une chaude-piste et une hirondelle, c’est qu’on ne peut pas attraper une hirondelle !
Officiellement, et quoi qu’il arrive, nous sommes deux alpinistes suisses qui se sont égarés dans la chaîne de l’Himalaya. On va nous parachuter près de la frontière du Cachemire avec un matériel de montagne destiné à accréditer notre version. Ensuite, ce sera l’Inconnu avec un I majuscule. A nous de jouer. Dans cette période indécise du voyage, au cours de ce temps mort qui échappe à mon contrôle, je fais un retour sur moi-même.
Je médite un instant, les yeux fixés sur le ciel moutonneux qui s’étale au-dessous de nous. Désormais, selon la volonté ferme du Vieux, nous ne sommes plus Français. Notre Président de la République doit faire un voyage à Pékin dans les jours à venir et, étant donné les bonnes relations nouées entre la France et la Chine, un incident diplomatique est à éviter coûte que coûte.
Je file un regard à Béru. Les mains nouées sur la bedaine, voûté à cause du parachute qui lui gonfle le dos, il pionce en émettant un bruit nettement supérieur à celui de l’appareil.
Un officier amerlock assis en face de moi m’adresse un clin d’œil.
- On va bientôt arriver, dit-il dans un français approximatif. Il faudrait réveiller votre camarade.
- Dans combien de temps, interrogé-je.
Il mate sa tocante.
- Dix minutes environ. Le poste de pilotage nous préviendra cinq minutes avant le point de largage.
- Alors il sera temps de secouer Bérurier.
Le DCD de l’armée de l’air américaine vrombit dans la nuit d’Asie.
J’entre par le bar, mets-toi à ma place.
Tout de suite, je retapisse le taulier. Un patron de bistrot, dans son bistrot, c’est comme un commandant de barlu sur sa dunette : impossible de le confondre avec un prédicateur dominicain ou un chef d’orchestre tzigane.
Merdanflak est un quadragénaire trapu, blond et bronzé, avec des yeux clairs, très bouffis, et une certaine gravité peu compatible avec son état de commerçant.
Il fait plutôt assureur-conseil, ou agent général d’une marque de voitures qui se vendent mal. Un tel personnage n’a, apparemment, rien qui convainque une clientèle de bar de venir chez lui.
Rien, sinon ses serveuses.
Elles sont deux.
Personne ne sait plus où il en est, où j’en suis, si c’est de l’hilare ou du coton, la couleur du cheval quatre d’Henry Blanc.
Je prends ma chère, belle et tendre Zoé par l’épaule.
- Aie confiance, mon amour, je t’expliquerai, lui dis-je.
Elle ne répond rien. Elle a rentré sa very jolie tête dans le col de sa robe denteleuse, comme un scaphandrier qui ôterait sa combinaison de travail.
Le maire renfrogne éperdument. Il redoute que je me paie sa tronche. Il a des craintes vives pour son standinge.
Des deux mains en de Gaulle-sur-le-champ-de-foire, il calme la rumeur. L’apaise, la dompte, la neutralise, l’endort, la réduit à rien.
Puis, dans le silence aussi temporaire que retrouvé, il déclame :
- Je vous demande pardon, cher monsieur, vous venez bien de me répondre non ?
Et moi, tu sais ce que j’y rétorque ?
Je te le donne en mille, mais en trois lettres.
T’as déjà vu jouer : « Remous dans la fosse septique », toi ? Tu sais ce qu’est un mouvement de foule ?
Un brouhaha ? Des bruits divers ? Tu te représentes une stupeur collective ? Touille tes cellules grises pour les décoller, Camarade et fais un effort de compréhension.
Mon « non » produit un effet taureau (car bœuf émasculerait la notion que je tiens à imposer).
Y’a un brin de silence absolu, rigoureux, extrêmement affreux. Puis des exclamations de disjonction, des vitupérences à fulgurité passionnelle, des étonnations parachevées éclatent un peu partout, comme des pets dans un attelage de diligence.
je fonce un peu partout. Reniflant, tripotant, regardant... Si jamais le proprio s'annonce dans les azimuts, ça fera un méchant cri dans le pays, je vous l'annonce ! Ce que je maquille présentement s'appelle de l'effraction. Et l'effraction, même lorsqu'elle n'est pas accompagnée de vol qualifié, vous donne droit à une alimentation à base de haricots !