Vous êtes les jardins de ma nuit
Et je suis votre regard délivré
Regards qui veillez dans mes années
Une lente aventure de silence.
Légende d’un poète
Attristant le penser me vient
que si en nos pensées tu vis
ce rêve est nôtre et non pas tien.
En moi résonne en vain l’appel
vers ton impossible présence
ô frère à jamais devenu
ermite ou page de la mort.
Mais non tu n’es que pages vives
d’une inquiète mélancolie,
ton ombre on dirait va sortir
de ces vers qu ta voix murmure
au promenoir des deux amants.
Seule flâne encor ta mémoire.
N’est plus d’Iseult pour toi Tristan
dont le plus beau nom rime non plus
avec rires ou pleurs des belles
mais en secret avec le mythe
d’Orphée en lui-même changé,
en mots changé mon pauvre Orphée
même s’ils bruissent ou s’ils chantent
au fond du songe au fond du cœur.
De si loin nous parvient l’écho
d’un aveu lié à tes heures
de si loin d’au-delà néant
et déjà nous ne savons plus
quelle voix passe en notre voix
pour scander l’adieu des amants
« Car vivant d’une même vie
Ils meurent d’une même mort ».
Dire
L’étoile était dans la neige et le feu,
L’œil et le silence, le chevreuil et la feuille.
Ouvrir la main, c’était offrir le monde
Grenade à grains brisés de sève rouge.
Et tant de jours demeuraient à sauver.
Qui portait à ses lèvres le chant désert ?
Qui, sans voix, sans mots, soulevait
Les pampres interdits ?
Si juste et forte la rumeur de vivre
Que nul n’entendait les désaveux.
Les horizons s’ouvraient, la chair était soleil.
Souvenez-vous, on nous vola notre royaume !
(Le sable sous nos doigts savait perdre son nom,
Le sable et l’écume et les dents de la nuit.)
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Ces chemins de l'enfance qui nous mènent
A des trésors à des amis à des domaines
De sable et de ciel qui nous attendent,
Je les devine avec l'aube de tes yeux,
Je les caresse avec la fleur de tes doigts,
Ma Juliette des prés des sources et des bois.
A chaque fois que l'on me pose la question suivante: Mais à quoi sert la poésie?, je réponds invariablement: et à quoi sert la vie?
La vallée de la nuit
ombre après ombre
pierre après pierre
lentement descend
lentement s'étire.
Alors entre les monts
ensommeillés
sans bruit s'élève
le pays où règne
l'être de l'absence.
Si elle pouvait devenir infirme comme lui, cette nuit même, ou bien redevenir petite, toute petite, comme Clotilde. Ils seraient bien obligés alors de la garder.
Voluptueuses
volutes
dans le vent marin.
Où se creuse la dune
l’arrière-pays avance
qui se languit de la mer.
Comme elle se tait
pour un instant
la houle.
Matin vert
Qui vive parmi les écureuils de l’automne ?
Vif-argent du corps, oriflamme ou feuillage,
Le souvenir de l’amour à l’avenir se confond.
Qui cherchez-vous ? Quel être ou quel espace apaisé
De paysage en pays, de regards en étreintes ?
Est-ce le fleuve ou les années à l’horizon ?
Le monde est vieux mais sa lumière vient de naître
Comme naît dans la chair, dans le souffle et l’image
Un désir où l’aimée ressemble au matin vert.
De fleurs et de nuits je voudrais
De silence et d'écume de rosée et de ciel
Je voudrais ma soeur étrangère
Mon absente mon éloignée ma douce
Obstinée ma chaude chaste corolle
Mon cristal noir mon écho prisonnier,
De sources, de monts purs et de chants je voudrais
Ma flamme lisse, mon rêve printanier
Te parer.
( " Chansons sur porcelaine")
Qui parle ?
Voix venue de quelle enfance au fond de l'enfance
( tel un jardin abandonné tout au fond des taillis noirs où nul
jamais ne se hasarde).
Quel est ce récit où l'oubli, le mensonge et les paroles folles
se mêlent selon l'ennui, la chance ou le regret ?
Je suis hanté par un homme qui meurt.
Il me suit, il m'attend, me supplie et mer perd.
Un masque emprisonne son visage et sa voix.
C'est mon père et mon frère
(Ou peut-être moi -même)
Son front contre mon front
Son coeur contre mon coeur
(Nos souffles enlacés voudraient chasser la peur)
L'ombre chantait ancienne autour de ta jeunesse,
Je lisais au bonds de la flamme une caresse
De nos regards, de notre songe avant que s'ouvrent
La nuit, et cet affrontement tendre ou cruel
Où nous fûmes jetés pareils
Au secret de la source et de la foudre.
De sa jeunesse justement, il nous peignait le goût violent. Mais d'abord, il nous faisait l'éloge d'Aragon dont il louait le retour à la poésie en même temps que la vaillance militaire. "Comme en 1918", remarquait-il. Puis, en souriant - ou bien était-ce son calme, sa douceur qui à mes yeux, ressemblaient à un sourire ? -, il évoquait son propre combat de mai 1918, cette journée à Vailly, dans l'Aisne, où, lieutenant de vingt ans, il était monté à l'attaque des lignes allemandes. Il portait des bottes rouges. "Rouges", répétait-il, et cette fois, il souriait vraiment, comme pour se moquer du jeune fou, du jeune écervelé impatient de braver la mort. Et une balle l'a traversé, qui toucha la colonne vertébrale. On le crut mort. Non, il survécut.
Joé Bousquet nous désigne de la main, parmi les tableaux qui tapissent les murs, une toile de Max Ernst. Dans les rangs des soldats allemands qui, ce jour-là, à Vailly, tiraient sur lui, Max Ernst était présent. Maintenant, et depuis bien des années, l'amitié liait le poète et le peintre... En écoutant Bousquet, en suivant le regard qu'il laissait rêver sur les étranges images de Max Ernst, je songeais que l'un et l'autre vivaient dans des univers situés, en connivence profonde, hors du temps, et comme au-delà de la mort - cette mort qu'au printemps de 1918, leurs jeunesses, alors ennemies, avaient de si près guettée.
" J'étais un voyou"... Devant nos mines éberluées, Joé Bousquet avait un rire sourd et bref. "Oui, un voyou" reprenait-il. Il précisait combien, à dix-huit ans, il cherchait la bagarre et le risque. L'alcool, la violence, nul projet d'avenir, la vie facile, absurde, au soleil du Midi, pendant qu'au nord la guerre continuait. Sur un coup de tête, il devance l'appel. Dès qu'il a "fait ses classes", il est incorporé dans une unité d'infanterie vouée aux actions les plus risquées. "Il y avait là, dans la compagnie, d'autres voyous, oui, même des types qui avaient fait de la prison... J'étais volontaire pour toutes les missions..." Une blessure lui vaut d'être retiré du front pendant quelques temps. Convalescent, il séjourne peu de jours à Béziers. Son père, le docteur Bousquet, y était mobilisé comme médecin-chef. Sa mère espérait qu'il allait se faire hospitaliser là-bas. Bien au contraire, l'officier de vingt ans demande à remonter au front.
On sait maintenant qu'une affaire amoureuse et un tragique malentendu poussèrent le jeune passionné à se jeter ainsi de nouveau dans le danger. Il ne nous en fit pas vraiment confidence lors de nos rencontres, mais on comprenait qu'il était allé au-devant de la mort. Je me souviens bien de son sourire un peu moqueur entre deux bouffées tirées de sa pipe d'opium pour répéter : " Avec mes bottes rouges, je suis monté à l'attaque, avec mes bottes rouges... C'était à Vailly, le 24 mai 1918."
Il y avait vingt-deux ans et trois mois - sans le vouloir, mentalement j'avais fait le calcul - qu'il était passé de la civière sur laquelle les soldats l'emportaient, mourant pensaient-ils, au lit à perpétuité, ce lit où il gisait devant nous, détruit et pourtant rayonnant, victorieux. Victorieux du temps et, en ces jours où la France elle aussi gisait détruite, victorieux de l'Histoire
Je trouvais à José Corti l'allure d'un monarque à la fois altier et familier. Il régnait derrière son comptoir bureau, sur le plus beau des royaumes que je pusse concevoir, celui des livres. Et quels livres !
Entre mer et roc des dieux
les étés de braise bleue.
La même langue mais solaire.
Et la vie change avec le vent.
Vous qui dans mes rêves vivez encore
n'êtes-vous là que vaines apparences
resurgissant d'une mémoire enfouie
ou vos ombres viennent-elles mendier
un reflet des jours aux miroirs des nuits?
Passants d'ombre