Tout simplement parce que j’ai eu une addiction… qui est à l’origine du livre. J’ai traversé une période de grande panne littéraire : impossible d’écrire une ligne, j’entends une ligne publiable. Je m’étais mise en disponibilité pour écrire un roman, j’avais une année devant moi, pas plus. Et tous les matins, j’étais devant mon ordinateur, au travail. J’y passais la journée. Le soir, je lisais le fruit de mon travail : il était consternant. J’y retournais le lendemain, même résultat. Une semaine, deux, un mois, deux, trois ont passé ainsi. Je ne voulais pas renoncer, je ne quittais pas ce fichu ordinateur dont je me disais quelque chose de pas trop mauvais allait sortir, et j’étais confrontée à mon éternelle nullité. Un jour, en milieu de matinée, prête à me taper la tête contre les murs, je me suis dit que je devais peut-être m’accorder une petite récréation. Pour être prête à écrire au cas où une idée surviendrait, j’ai décidé que cette récréation aurait lieu sur mon ordinateur. Je suis joueuse. Pourquoi pas une petite partie de poker en ligne ?
Je m’inscris sur Winamax, je joue, je gagne. Je joue encore, je gagne toujours. Une nouvelle fois, je perds : ce n’était pas grave, cela faisait une bonne moyenne.
Le lendemain, même récréation. Il n’y a pas eu trois parties, mais dix. Les jours suivants, j’ai passé l’essentiel de mon temps à jouer. D’abord gratuitement, pour me faire la main. Puis avec de l’argent, c’était tout de même plus drôle.
Je jouais, je perdais. Normal : c’était sur Internet ! C’était truqué. Tout le monde sait que c’est truqué, sur Internet. Une seule solution : jouer « en live » comme on dit. Sur des parties privées, ou au casino.
J’ai donc écumé les casinos et joué sur des parties privées la nuit. J’adorais jouer. J’étais increvable.
Vint un jour où mon mari me demanda, au petit déjeuner : peux-tu m’expliquer pourquoi il y a un trou de 5000 euros sur le compte commun ?
C’est tout à fait normal, mon chéri, m’entendis-je répondre. J’apprends à jouer au poker. Je suis débutante. J’apprends. Dans quelques mois, je vais gagner, gagner beaucoup.
Il a eu beaucoup de mal à me démontrer que j’étais devenue addict au poker. J’étais dans un déni total. J’ai compris ce qui se passait, pourtant. C’était parfait : j’avais le sujet du livre que je voulais écrire. Ainsi sont nés les Ennemis de la vie ordinaire.
Et c’est comme ça que je suis revenue à mon addiction incurable : l’écriture.
Lorsque j’ai décidé de constituer un groupe d’addicts, j’avais le choix entre une foule d’addictions (nous sommes dans une société qui me semble en secréter tous les jours de nouvelles). J’aurais pu parler de l’addiction à la nourriture (j’en connais un rayon sur l’addiction au chocolat), au travail, à Facebook, au téléphone portable, aux séries télés, aux jeux vidéo. Mais il était impossible de faire exister autant de personnages : caractériser suffisamment les sept addicts que j’ai retenus et les faire exister, les rendre identifiables au cours du récit par le lecteur était déjà une gageure. J’ai dû faire des choix. J’avais beaucoup réfléchi à un adolescent accro aux jeux vidéo qui aurait « décroché » comme on dit, du système scolaire. Il aurait pu beaucoup apporter au roman, car il aurait vécu dans un monde parallèle : il aurait eu beaucoup d’imagination dans la troisième étape du récit, celle où mes loosers magnifiques se constituent en association de malfaiteurs. Mais c’était trop complexe : écrire, c’est parfois renoncer à un personnage pour mieux réussir un roman.
Comme vous le dites, je me mets dans la peau de mes personnages. Je suis tous mes personnages, je suis Protée, c’est là le côté jubilatoire de l’écriture. J’entre tellement en empathie avec mes personnages que je deviens eux. J’ai fait beaucoup de théâtre à une époque de ma vie, et j’ai travaillé l’improvisation. Lorsque j’écris, je mets des personnages dans une situation, et je les fais improviser : allez-y, étonnez-moi ! Je ne sais pas où cela va me conduire : je suis chacun d’eux, et je suis imprévisible. Et donc, je suis Pablo qui court, heureux et libre, à l’aube, dans les chemins d’Auvergne, et incapable de s’arrêter de courir lorsqu’il se fait une entorse et je suis Pablo qui, sous l’emprise de la boisson et de diverses substances illicites viole sauvagement la femme qui le castre depuis des mois (j’ai adoré écrire cette scène, je le confesse). Je suis Mariette qui crève sans son héroïne et qui a peur d’être chassée du squat miteux où elle s’est réfugiée et qui se retrouve à la rue. Comme elle je connais les humiliations de la misère. Comme elle, j’aime m’amuser à essayer un déguisement différent chaque fois qu’elle (que je) fait/s l’amour avec Damien. Comme Damien, je suis passionnée par le théâtre du XVIIème siècle, comme lui je cherche Dieu (lui le trouve, moi pas). Comme Elisabeth, j’ai vécu lorsque j’étais jeune avec un homme qui m’exhibait comme un signe extérieur de richesse. Si je ne l’avais pas quitté, je serais peut-être devenue l’épave alcoolique qu’on découvre au début du livre. Mais comme pour Elisabeth, il y a une énergie en moi qui me fait toujours rebondir lorsque je suis au plus bas. Elle qui était la plus abimée au début du roman, atone, visage déformé par des années d’alcoolisme, mutique, va, au milieu du livre, prendre sa vie, et tout le groupe en main. Mais comme il s’agit de conduire le groupe au succès, Elisabeth va tout de même les conduire d’une main de fer… l’air de rien. Eh bien, c’est tout moi, ça !
J’ai lu tout toute la littérature médicale consacrée à l’addiction que l’on peut trouver. Même lorsqu’on décide d’écrire une comédie, il faut que le substrat soit irréprochable. Toutes les addictions sont liées à une pathologie du lien : l’addict est souvent quelqu’un qui a eu un des parents « abandonniques » (excusez le jargon) ou à l’inverse intrusifs. De ce fait, ils sont incapables de créer des liens « secure » avec des proches, se retrouvent très seuls, et créent un lien toxique avec une substance ou un comportement.
Cela dit, l’addiction n’est pas présentée comme une fatalité dans le roman. Plusieurs personnages guérissent : Damien, par exemple, sex-addict, incapable de développer un lien amoureux, va connaître une passion folle. Elisabeth, l’alcoolique, va arriver à prendre le leadership du groupe... Ce qui est très important à mes yeux, c’est que tous mes personnages, qui vont au plus mal au début du roman, sont grâce à la fiction, grâce à la comédie, transformés à la fin. Ils étaient solitaires, ils sont devenus solidaires. Ils se sont constitué une famille improbable. Ils ont découvert l’entraide, l’amitié, l’amour. A mes yeux, c’est le plus important : Les ennemis de la vie ordinaire sont une comédie, certes, mais où se jouent des enjeux vitaux. Sortir du mal-être, et retrouver le goût de vivre. Tous mes romans sont des récits de résurrection.
Et je sais pourquoi : je suis une résiliente. Chaque livre est l’occasion de revivre le processus de résilience. Chaque fois, j’y mets toutes mes forces.
Je ne cherche absolument pas à choquer, mais je n’ai aucun tabou autour de ce qui pourrait heurter les tenants d’une morale puritaine : plaisirs charnels, amours homosexuelles… Mais aussi embrouilles et petits arrangements avec la vérité. Car enfin, mes personnages s’en sortent parce qu’ils forment une sympathique association de malfaiteurs. Mais reproche-t-on à Scapin ses fourberies ? Non, on en rit. J’espère qu’on rira des trouvailles de Jean-Charles et de Mylène…
Fantaisie-sarabande et Le Degré suprême de la tendresse faisaient une large part à l’érotisme. J’ai un rapport joyeux au sexe, j’écris donc facilement, et avec plaisir, des scènes d’amour. Pour une raison qui m’échappe, le sexe hétérosexuel me fait rire. Je trouve ça amusant, un pénis : c’est tout petit, ça ne ressemble à rien, et puis ça se transforme. Bref, c’est un joujou extra, comme le chantait Jacques Dutronc. Parfois, j’aimerais bien en avoir un, rien que pour quelques jours, pour voir ce que ça fait.
Pour les relations homosexuelles, j’en parle avec moins d’humour et plus d’émotion il me semble. Il faudrait sans doute que je fasse une analyse pour comprendre la raison de cette différence de traitement.
L’envie d’écrire a commencé avec l’enfance. Je passais ma vie à lire, je dévorais toutes les collections : Le club des 5, Le clan des 7, Les Alice. c’était formidable ! J’ai commencé à lire la série juste après le CP. Celle qui dirigeait le groupe des gamins enquêteurs, c’était Claude, de son vrai nom Claudine. Un vrai garçon manqué, une rebelle. A l’époque, ma meilleure amie était un garçon manqué, très androgyne et très fonceuse. Qu’elle était belle ! J’étais follement amoureuse d’elle et nous nous sommes mariées (nous avions sept ans). Elle a été mon premier mari et ma première muse. J’inventais des histoires pour l’envoûter, qu’elle écoutait avec un léger sourire.
Marcel Proust, évidemment. Comment écrire après un génie pareil ? Certaines phrases de Proust sont des univers. Quelle musique, quelle densité, quelle intelligence, quelle cruauté ! Et Proust est un auteur comique. Très stimulant, donc, mais plus encore inhibant.
Voyage au bout de la nuit, de Louis-Ferdinand Céline. J’avais décidé de ne jamais lire une ligne d’un écrivain dont l’antisémitisme était à mes yeux rédhibitoire. J’y ai été obligée : il était au programme de l’agrégation. J’étais d’ailleurs indignée : comment pouvait-on nous obliger à lire une ordure qui avait écrit des pamphlets antisémites ignobles ? Et puis je l’ai lu, et j’en ai été bouleversée. Je connais certains passages par cœur. La fin de la première partie de Voyage, lorsque Bardamu quitte Molly à Detroit… chaque fois que je lis ces lignes, je pleure.
Dans ma vie, il y a un avant et un après Céline.
La Chartreuse de Parme : un pur moment de bonheur, d’intelligence, de subtilité. Quel talent ! Vous savez à quoi on reconnait un très grand styliste ? Il est impossible à pasticher (j’ai essayé dans mon recueil de pastiches, Le Degré suprême de la tendresse). Impossible. Il y a dans certains chefs-d’œuvre quelque chose qui résiste. Comme un secret.
Les historiettes de Tallemant des Réaux.Mémoires pour servir... de Gédéon Tallemant des Réaux. Tout le début du XVIIème siècle est là, rapporté par un observateur goguenard, malicieux, brillant. Concision, sens de la pointe, intelligence, rosserie : un grand bonheur de lecture.
L`Etranger. J’aime beaucoup Albert Camus, mais franchement, L’étranger, c’est un peu faible, non ?
« Je me hâte de rire de tout de peur d’être obligé d’en pleurer ». C’est Figaro qui le confie au comte Almaviva dans Le barbier de Séville. Cette phrase résume ma vie, et définit mon écriture.
Je viens de terminer Petit Piment d’Alain Mabanckou, qui a été un vrai bonheur de lecture. Je lis en ce moment Animarex, de Jean-François Kervéan. Mais quel bonheur ! Quel talent ! Les amours du jeune Louis XIV et de Marie Mancini... Evidemment, le sujet m’a attirée : j’adore cette époque où la Jeune Cour n’en fait qu’à sa tête. Mais je suis tout simplement épatée par l’audace de Kervéan, sa poésie, ses fulgurances, son érudition, sa subtilité pour dire le désir, sa crudité pour évoquer le plaisir, sa sincérité pour traduire la tristesse du temps qui passe. Je n’ai qu’un regret : comme il n’écrit qu’un livre tous les dix ans, hélas, il va falloir patienter pour lire le suivant.
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