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Critiques de Hubert Haddad (565)
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Un monstre et un chaos

°°° Rentrée littéraire 2019 #30°°°



Je suis très étonnée qu'en cette rentrée littéraire on ne parle que si peu de ce formidable roman au titre puissant. Un monstre et un chaos, c'est pour Pascal ce que devient l'homme pour l'homme lorsque l'éthique s'effondre sous les coups de la barbarie, il n'est même que cela.



C'est l'histoire tragique du ghetto de Lodz durant la Deuxième guerre mondiale, le 2ème plus grand derrière celui de Varsovie ( lui aussi récemment exploré par l'excellent Ghetto intérieur de Santiago Amigorena ).

C'est aussi l'histoire d'Alter, jeune garçon juif d'une dizaine d'année, orphelin, que l'on suit de son shetl de Mirlek, rongé par la misère et les pogroms, au ghetto de Lodz, après le massacre de son frère jumeau et toute sa famille par la Wehrmacht en septembre 1939. C'est son regard d'enfant qui va transcender tout le récit.



Tout le talent de Hubert Haddad est de parvenir à conjuguer la petite histoire d'un orphelin à la grande histoire sans lourdeur, mais avec brio et fantaisie. Dans l'immensité de la Shoah, il a réussi à dégotter un personnage absolument insensé et qui pourtant a réellement existé : Chaïm Rumkovski, le doyen du Conseil juif de Lodz, homme d'affaires, aventurier et directeur d'orphelinat, qui va diriger ce ghetto de plus de 100.000 personnes et surtout « collaborer » avec les Nazis autour d'un projet dingue : faire du ghetto un centre industriel ! Une centaine d'usines se mettent en place, fabriquant textiles et jouets pour le IIIème Reich en échange de nourriture, quelques jours de survie, quelques semaines, quelques mois de plus ... Au final, le ghetto sera liquidé, ses habitants tous déportés, y compris son roi ... qui a fait durer son royaume deux ans de plus que celui de Varsovie.



Ce récit est passionnant et de façon très impressionnante, bien loin du compte-rendu historique classique grâce à la magnifique écriture de l'auteur. Il n'y a pas une page où sa vivacité n'éclate, comme lorsqu'il décrit le fameux Chaïm Rumkovski :



« Habile postulant au-devant de la scène, harnaché en privé d'un lourd collier d'argent avec bouclier de David du même métal en suspensoir sur sa robe de chambre royale, ce second rôle encombrant illustrait à ses yeux tous les travers de la servilité arrogante. Vieux grison corpulent, l'air immensément satisfait de sa personne entre deux coups d'oeil craintifs vers les si proches confins de sa conscience, une mise soignée de rabbi de cimetière enrichi par on ne sait quelle manne en petite monnaie, le personnage fait penser tour à tour à al doublure d'opérette d'un Philippe Pétain en marzalek levantin ou à quelque pseudo-Falstaff sentencieux. »



Le lecteur est emporté dans ce tourbillon romanesque qui jamais ne sombre dans le pathos malgré l'horreur. Au contraire. Tant qu'il y a du vivant, il y a de la vie. le ghetto bruisse de musique, de théâtre, d'animation de bateleurs et de chansonniers. le jeune Alter crée même une spectacle de marionnette en faisant ainsi revivre son jumeau disparu. Même au seuil de l'anéantissement, les vivants sont portés par l'imaginaire, même affamés, leur cerveau parvient à s'évader, plus que jamais. Le lyrisme et la poésie du texte croissent à mesure que le drame s'accentue. C'est toute la résistance de l'esprit humaine qui est magnifiquement mise en avant, tout le roman se fait alors célébration de l'art comme pulsion de vie.



Dans cet équilibre de funambule, Hubert Haddad a l'élégance de ne jamais faire basculer son récit dans le pathos. L'émotion surgit au contraire avec subtilité, au détours d'un détail, d'une description, d'une pensée d'enfant qui porte toute l'humanité du monde, d'autant plus bouleversante.



Ce roman tragique est miraculeusement lumineux, à l'image de ces mots en yiddish que l'auteur ne traduit jamais ( ni en bas de pages, ni dans un lexique postface ) mais qui sont universellement compréhensibles par la musicalité qu'ils portent.
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Un monstre et un chaos

En Pologne, des jumeaux Ariel et Alter, peu après leur naissance ont été recueillis et hébergés par Warshauer, un oncle forgeron qui leur assure le gîte et de quoi ne pas mourir de faim. Ils vivent avec leur jeune mère dans le misérable shetl de Mirlek. Fin 1939, des automitrailleuses traversent le shetl et Alter assiste au massacre de son frère et des autres membres de la famille. le cauchemar a débuté et notre jeune garçon va fuir et se retrouver au ghetto de Lodz.

Avec Un monstre et un chaos, c'est donc la vie de ce ghetto en 1941 que Hubert Haddad fait revivre, ghetto que Chaïm Rumkowski, pour sauver son peuple, transforme en un vaste atelier industriel au service du Reich, convaincu que la productivité des juifs assurera leur survie.

Tout au long de ce livre, nous suivons notre jeune héros et la résistance mise en place vainement pour survivre.

Si le héros est fictif, le contexte dans lequel il évolue a bien existé et Chaïm Rumkowski, ce personnage très controversé a bel et bien existé et cet ancrage dans la réalité, est, à mon avis, tout ce qui donne sa force à ce roman.

En épilogue, l'auteur s'exprime ainsi : "Comment la vieille Europe a-t-elle pu se trouver prise en otage et mise à mal abominablement au siècle dernier ? Oubliera-t-on jamais les mille et cent, les millions d'enfants du ghetto qui parlaient yiddish, cet esperanto d'exil où les langues allemande et hébraïque s'éprennent l'une de l'autre, mêlées d'apports slaves et d'intonations latines. Les mille et cent, les millions d'enfants furent on le sait exterminés et le yiddish s'est éteint dans leurs cendres comme une braise, avec les plus beaux chants. Comment est-il possible que le spectre de l'antisémitisme, marqué du sceau génocidaire, revienne nous hanter aujourd'hui un peu partout en Europe et dans le monde ?"

En conclusion et pour résumer ce livre noir mais ô combien salutaire pour espérer que l'on ne vive plus jamais ça, je citerai la dernière phrase du roman :

"Disons tout bonnement que l'homme, privé de simple humanité, n'est qu'un monstre et un chaos."


Lien : http://notre-jardin-des-livr..
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L’invention du diable

°°° Rentrée littéraire 2022 # 33 °°°



Qui connaît Marc Papillon de Lasphrise à part quelques amateurs de poésie baroque ? Poète-soldat contemporain de Ronsard, il combattit aux côtés des Ligueurs et des Guise durant les guerres de religion, un dur à cuire sur son cheval; avec son armure de près de cent kilos, il était envoyé briser les lignes adverses. Retraité de la soldatesque à 40 ans, retiré dans son fief de Touraine, couturé et balafré, perclus de rhumatisme, il décide de se consacrer à la publication définitive de sa poésie. Il est supposé mourir en 1599 mais pas de tombe, comme s’il s’était volatilisé.



Hubert Haddad ne propose pas un roman biographique conventionnel même s’il injecte dans la première partie de son récit le peu d’éléments biographiques dont on dispose sur Marc Papillon. Dans son dernier poème empli d’exaltation, celui-ci lance un pacte faustien au Diable : tant que sa poésie ne sera pas reconnue et célébrée, il ne mourra pas. L’écrivain prend au mot le poète et l’imagine immortel en quête de gloire errant à travers les temps.



A partir de la deuxième partie qui démarre en 1599 donc, Marc Papillon traverse les siècles et se confronte à l’Histoire de France et à ses grands événements mais de biais, par des anecdotes et des rencontres avec des personnages secondaires toujours savoureux, jusqu’à déborder notre époque dans un Paris de demain. La Révolution française, les guerres napoléoniennes, la Commune, les deux Guerres mondiales servent ainsi de décors à cet extraordinaire roman picaresque temporel. On se régale de la fantaisie de ce personnage sans cesse déphasé, devant s’adapter sans fin aux nouvelles réalités ( linguistiques, vestimentaires, scientifiques, technologiques ), se confrontant également aux milieux littéraires de chaque époque.



« Les décennies se succèdent à la vitesse de l’oubli et s’effacent dans un clignotement d’étoiles. »



A mesure que le récit avance, la fantaisie poétique se teinte d’une puissante réflexion sur le Temps et gagne en épaisseur en acquérant cette dimension philosophique. Marc Papillon devenu immortel devient une créature métaphysique confronté au tragique de l’existence humaine.



« Que valent jours, mois et années pour l’insensé qui, ajournant son Salut au profit d’une hypothétique gloire, se sera lui-même condamné à la survivance ? Marc Papillon, sieur de Lasphrise, empli de cette candeur phénoménale que partagent les soldats et les poètes, avait trop de morgue pour en convenir. De tout, fors l’orgueil, on admet l’emprise. »



Au fil des siècles, il ne cherche plus à jouer à la vie, il se dépouille de ses vanités, de ses aspirations initiales, de sa poésie même, jusqu’à n’espérer plus rien que l’amour, que retrouver sa « Nouvelle inconnue », cette femme aimée qu’il perd à chaque fois et retrouve sous un autre visage quelques décennies plus tard. L’immortalité n’est que mélancolie à apprivoiser.



« Papillon à cet instant de recueillement ne jouait plus à la vie ni même en proie à ce comble du divertissement qu’est l’ennui. Il pleurait à l’écoute de la pluie et du vent, de cette durée si ténue qu’une musique virtuose simulait au pli même du présent et de la mémoire. N’existe-t-il en ce monde que des parenthèses temporelles qui s’effacent à la suite les unes des autres comme des paysages entrevus ? Il n’avait rien oublié du soleil de Moissy, l’été, dans un vacarme d’insectes et de passereaux, ni des longues nuits d’hiver faussées par la clarté de neige des songes. Mais les visages adorés, éphémères reliquaires de l’âme, s’étaient défaits aussi vite que les nuages sous un ciel précipité. »



Dans cette odyssée fantastique, l’émotion ne naît pas nécessairement du sort tragique de Marc Papillon, le récit a quelque chose de actuellement glacé, le lecteur survolant le récit en surplomb sans être vraiment touché par les êtres du dessous. Mais l’émotion naît de la beauté de l’écriture, elle affleure en permanence au détour de phrases absolument sublimes. Le regard subtil de l’auteur sur la complexité humaine fusionne avec une écriture à la fois flamboyante et précieuse, éclatante par la richesse de son vocabulaire ( c’est bien d’avoir un dictionnaire à proximité, j’ai ainsi découvert de très beaux mots ).



« Prêt de rendre l’âme, il avait mis celle-ci aux enchères ; mais quel était l’enjeu véritable ? Il avait vu s’effacer comme buée ses contemporains jeunes et vieux, tant d’amis chers et d’amours impérissables. Le monde humain pour lui était une serre à papillons ; les plus belles parures ocellées d’un jour ou d’une nuit voletaient autour de ses mains vides et de son visage. »



Une proposition littéraire rare et exigeante, portée par un talent de conteur évident.
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L’invention du diable

Hubert Haddad est un caméléon me semble-t-il, de style japonisant avec « Le Peintre d’éventail », de style scientifico-philosophique dans « Corps désirable » et là, de style baroque avec son dernier roman « L’invention du diable ». Cet auteur, qui a reçu le grand Prix SGDL de littérature pour l’ensemble de son œuvre, sait adopter le style qui sied à son thème, se réinventer, et cette façon de faire force l’admiration. J’imagine le travail important qu’il y a derrière chacun de ses livres, notamment en termes de préparation pour bien connaitre son sujet et pour le traiter de façon si originale. Les quelques livres lus de lui m’ont en effet étonnée tant le sujet est chaque fois abordé de façon surprenante. Il sort à chaque fois des sentiers battus de la littérature contemporaine et transcende son objet d’étude.



C’est bien un roman baroque à l’écriture ciselée qui caractérise son dernier livre. Hubert Haddad se base sur la vie du véritable Marc Papillon de Lasphrise, poète baroque satirique et érotique, né près d'Amboise vers 1555 et mort vers 1599, pour en faire un roman flirtant par moment avec le fantastique.



Après avoir connu l’amour et la guerre, après avoir flirté avec la mort, enfant, suite à une ruade violente à son encontre par une truie, il l’imagine pactisant avec le diable : tant que ses Poésies n’auront pas accédé à la prospérité, il ne connaitra pas de repos éternel. L’immortalité sera sa malédiction. Les multiples et courts chapitres du livre sont ensuite dédiés aux différentes péripéties que Papillon va rencontrer après l’année 1599, année réelle de sa mort, péripéties nous permettant d’appréhender l’Histoire de France car il va en effet traverser les époques depuis la fin du XVème Siècle jusqu’au milieu du XXème Siècle. Nous croisons des scènes médiévales d’exécutions publiques, d’obscures remèdes médicaux à base de saignées, des scènes sensuelles et cocasses de libertinage galant où les femmes « s’encadrent de vilaines mouches pour gagner par contraste en appâts », un enfermement dans la Bastille avec le Marquis de Sade, Une rencontre surprenante avec Napoléon…jusqu’à la Gestapo dont il échappe de peu. A chaque période les écrits de Marc Papillon sont plus ou moins bien accueillis.

Chaque aventure n’est pas dénouée d’humour et de sensualité, à la recherche de femmes dont les senteurs de lait, d’encens et de musc lui rappellent d’anciennes émotions « qu’il avait cru dissoutes dans les acides du temps », à la recherche de son Inconnue idéale.



« Il y avait là, belle et blonde, couchée à demi sur un lit à baldaquin richement drapé de taffetas une dame encore jeune, dignement parée, en robe de réception, un sobre collier de diamants sur une gorgerette blanche, qui semblait à cet instant attendre les saints sacrements ».



Mais quel étonnement de la part des mignonnes lorsqu’elles s’aperçoivent que le doux Papillon, contrairement à elles, ne vieillit pas, tout immortel qu’il est :

« Sans que leur flamme eût pâli, des années plus tard, un dimanche matin submergé de soleil liquide, Elfida réveillée par une volée d’hirondelles surgies en criant dans la chambre, découvrir avec consternation sa nudité flétrie, la peau distendue de son ventre et de ses cuisses. Malgré une ferveur intacte, relevant le visage, elle se mordit le poing pour ne pas gémir d’effarement en constatant pour la première fois en vingt années de vie commune le corps immuable de son amant, pareillement musculeux et robuste, avec cette tournure candide qu’ont les ours ou certains moines ».



Oui, Hubert Haddad est un caméléon, car figurez-vous que le plus original et le plus audacieux dans ce livre, est qu’il adapte son écriture aux époques traversées. D’un style baroque au début du livre, nous passons peu à peu à un style contemporain. Un véritable tour de force !

De belles réflexions sur le rôle de la poésie et des poètes éclairent chaque chapitre mettant en valeur la puissance intemporelle de la littérature.



Original oui, énormément même…Mais, il y a un mais…Est-ce cette originalité qui est à la fois source de plaisir et source de troubles me concernant ?… je suis restée comme spectatrice, sur le chemin. Est-ce dû au style tellement travaillé et magnifique, style très particulier voire complexe (que de phrases lues et relues, que de mots cherchés dans le dictionnaire !), style évoluant au fil du livre ? Un style tellement à part que je me suis tenue quelque peu à distance du personnage et de l’histoire, focalisée sur l’écriture dont les tournures me réjouissais, perdant parfois les pédales dans la compréhension de l’histoire, n’arrivant pas à me concentrer, ne comprenant plus où j’en étais et devant faire un effort de mémoire pour savoir quel était déjà l’objectif de l’auteur. Le style a fait de l’ombre à l’histoire. C’est étonnant, c’est exactement le même ressenti que j’avais eu pour Corps désirable ; une attirance et une curiosité pour le thème choisi (la transplantation d’une tête sur le corps d’un autre) tout en restant à distance (cette fois ci complètement à distance) de l’histoire et des personnages, m’en voulant presque de rester si froide et hermétique. C’est comme si, en ce qui me concerne en tout cas, le style d’écriture d’Hubert Haddad et son ingéniosité empêchait de me connecter totalement à la narration, comme si, en voulant trop bien faire, il noyait un peu son histoire…L’arbre qui cache la forêt en quelque sorte. Le talent stylistique plus fort que le talent de conteur, l’écriture alambiquée et travaillée tel un orfèvre écrasant la narration ?



Ça n’en reste pas moins un beau livre, exigeant, original en période de rentrée littéraire, dont l’écriture à elle seule vaut le détour…celle-ci m’a en effet procuré beaucoup de plaisir, source d’une lecture qui se mérite il est vrai, mais dont le murmure à haute voix procure un immense bonheur tant elle est belle et ingénieuse. C’est de plus, un bel hommage à la littérature, aux poètes et à la poésie, à sa puissance et à sa force intemporelle. A son immortalité. Je regrette d'être passée ainsi à côté de l'histoire.



Un poème de Marc Papillon de Lasphrise pour clore ce retour mitigé en beauté, morceau tiré de ses Amours de Théophile, et pour vous donner un aperçu de ses poésies qui sont restées dans la postérité…est-ce dire que son âme, quelque part, est restée présent à toutes les époques et les a traversées ? Sans doute…



« Ton poil, ton œil, ta main, crêpé, astré, polie,

Si blond, si bluettant, si blanche (alme beauté)

Noue, ard, touche, mes ans, mes sens, ma liberté,

Les plus chers, les plus prompts, la plus parfaite Amie,

Mais ce nœud, mais ce feu, mais ce trait gâte-vie,

Qui m’enlace, m’enflamme, et me navre arrêté,

Etreint, encendre, occit, avecques cruauté,

Quel cheveu, quel flambeau, quelle dextre ennemie ?

Phébus, Cypris, l’Aurore (Ange du plaisant jour)

Ton poète, ta Mère, et ta cousine Amour,

Porte-crins, porte-rais, porte-doigts agréables,

Puisses-tu donc beau poil, bel œil, et belle main,

Lier, brûler, blesser, mon cœur, mon corps, mon sein,

De cordelles, d’ardeurs, de plaies amiables.



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Le peintre d'éventail

Atôra, un petit coin de campagne au nord-est de l’île Honshu, Japon.

Un vieux moine aveugle.

La quiétude d’un jardin zen, les saisons qui avancent se font éternelles.

Un peintre qui transpose son art et celui du jardin sur des éventails.

Des haïkus contemplatifs.

Même une ancienne courtisane, maitresse des lieux.

Les seins d’une jeune femme qui se bercent comme le lys au vent.

Oui, ce roman a tout pour me plaire, tout pour attirer au moins mon attention.



Je m’installe donc dans ce jardin que des âmes millénaires ont contemplé, que le vent a immuablement soufflé de son refrain, la neige étouffé de sa candeur. Le vieux moine aveugle psalmodie ses sutras ; le soleil distille ses rayons sur le lac, la belle pucelle aux longs cheveux lisses comme des lianes de saule nage nue ; les grues cendrées s’envolent, je la regarde, l’œil amoureux, ma bière qui s’évente, l’air qui se fait étouffant.



J’en apprends un peu sur ces êtres qui tournent autour de ce jardin, mais je me sens perdu. Je n’arrive pas à me concentrer. J’y avais mis beaucoup de cœur, trop d’attente certainement, dans cette balade bucolique entre montagne et mer. Je ne connaissais pas encore Atôra, ni même Matabei, disciple du peintre, sérieux candidat pour chavirer l’âme fleurie de cette jeune fille, disciple de la courtisane. Et plus je m’aventurais dans la profondeur de cette toile, plus j’enrageais de rester si froid, presque hermétique, à l’univers décrit par l’auteur. Hubert Haddad éclaire de sa plume ce texte, à moins que cela soit le clair de lune qui illumine ses pages. Je le découvre aussi, mais fait preuve de suffisance face à cette histoire. La motivation ne suffit pas, je manque de concentration et mon esprit s’évade déjà entre les saules et les ormes de ce jardin, l’œil à la recherche d’une naïade au corps caramélisé par le soleil, blanchi par la neige. Je m’en veux, terriblement, profondément.



Il a fallu qu’un élément se déclenche pour me remettre sur la ligne de flottaison. Les cygnes s’envolent au milieu des canards, les oiseaux chantent toujours innocemment, mais les cigales se sont tus. Les Dieux ont un message, et ma lecture devient subitement plus intéressée. J’oublie la magie des lieux, la jeune femme a disparu, la terre gronde, la vague submerge. Il a fallu donc que ce 11 mars 2011 entre en jeu pour que mon esprit soit capté par ce roman. Triste à dire, triste à lire. La désolation se lit sur les pages qui suivent, la terre inondée, la terre brûlée par le sel, des cadavres, des explosions et des gens que l’on déporte, 10 kilomètres autour, puis vingt, puis trente. Plus personne dans la zone, à part quelques vieux irréductibles qui veulent mourir sur leur terre, ou Matabei qui cherche sa naïade.
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Le peintre d'éventail

“La vie est un chemin de rosée dont la mémoire se perd, comme un rêve de jardin. Mais le jardin renaîtra, un matin de printemps, c’est bien la seule chose qui importe. Il s’épanouira dans une palpitation insensée d’éventails.”



Au Japon, dans la contrée isolée d’Atôra - district de Futuba - entre montagne et Pacifique, le professeur Xu Hi-Han, disciple de Matabei Reinen, nous raconte la vie de son maître, le peintre d’éventail, dont “l’histoire fut comme le vent, à peu près aussi incompréhensible aux autres qu’à (lui)-même.”



C’est une histoire tissée de hasards qui se déroule principalement au sein de la pension de famille de dame Hison, une ancienne courtisane, “un lieu d’oubli plus que de sérénité, un lieu pour disparaître aux autres ou à soi” où il trouva un jour refuge après le décès pour lui traumatisant d’une jeune fille inconnue et qu’il a vue mourir. Une histoire qui ressemble à un conte où des personnages solitaires et singuliers traversent comme dans un songe les haïkus, les délicats agencements des jardins et le souffle des éventails...



"Le peintre d'éventail" est un récit initiatique plein de profondeur et de finesse où la poésie se nourrit de contemplation, de spiritualité et de philosophie. J’en ai aimé la belle écriture, le soin apporté à la description de la nature et des paysages, le rythme pensif et lent et le regard porté sur l’art. Et je me suis attachée à ce beau portrait de peintre “qui n’aura vécu que d’espérance jusqu’à l’heure du chaos”, que le hasard des rencontres, des circonstances et de la tragédie finale révèle peu à peu à lui-même et qui s’efface sans bruit car “les vrais maîtres vivent et meurent ignorés et (on ne peut) espérer plus belle équité en ce monde”.



Une belle méditation, que j’ai beaucoup aimée, sur l’impermanence des choses et sur ce qui, malgré tout, demeure.



[Challenge Multi-Défis 2020]
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Le peintre d'éventail

C'est pour fuir les démons qui le hantent et que la vie trépidante du Japon moderne n'a pas la moindre chance d'apaiser que Matabei se réfugie chez Dame Hison, qui règne sur une petite communauté bigarrée, loin des tumultes de la ville sur l'île d'Honshu. La petite pension cache un trésor inestimable : crée et entretenu par Osaki Tanako, un jardin merveilleux réjouit le regard. Dompter la nature et la sublimer en l'immortalisant sur de fins éventails : Matabei est séduit et devient le disciple de l'artiste.



Mais le feu couve sous les cendres et l'harmonie est un équilibre fragile que les passions humaines sont promptes à disloquer. Sans compter qu'un drame autrement plus destructeur viendra douloureusement accréditer la thèse de l'impermanence...

Dans un Japon contemporain, clairement bien connu et compris, le drame collectif vient balayer la vanité des conflits triviaux, animés par des passions dérisoires.



Toute la magie de ce roman est portée par la finesse de l'écriture, aussi précise et artistique que les créations d'Osaki. La poésie et la magie qui se dégagent du teste fait accéder le lecteur à l'émerveillement que produit la contemplation de l'œuvre picturale du maître des éventails.


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Un monstre et un chaos

Nous sommes en Pologne à la fin des années trente. Nous découvrons la vie ordinaire d'un shtetl semblable à tant d'autres et sa communauté juive. Deux jumeaux y grandissent, Alter et Ariel, alors que grondent déjà au loin les rumeurs de guerre.

En septembre 1939, la Wehrmacht envahit la Pologne et commence à massacrer tout ce qui ressemble à la différence, celle qui ne convient pas à l'idéologie du IIIème Reich, c'est-à-dire les Tziganes, les Juifs... La famille des jumeaux est ainsi décimée, sous les yeux du seul survivant Alter.

Alter a perdu son alter ego, son double, son frère...

Alter s'enfuit car il est traqué, fuyant les rafales de mitraillettes qui le chassent comme un lapin qu'on cherche à abattre. Il court dans les bois, c'est l'errance parmi des paysages d'horreur, fuyant les tueurs, au milieu des cadavres qui jonchent les routes, au milieu de la forêt où il se réfugie pour dormir parmi les bêtes...

Il va s'identifier définitivement à son frère mort parce qu'il aura vu ce massacre sous ses yeux, c'est le grand traumatise dans lequel il chavire dès les premières pages et qui en même temps le fait tenir debout, lui donne des jambes, des ailes, lui donne le coeur de tenir dans cette barbarie qui déferle comme une vague.

Condamné à l'errance, sa course le mène aux portes du ghetto de Lodz, - l'un des plus grands ghettos de Pologne après celui de Varsovie. Il s'y engouffre, il s'y perd, il se retrouve dans une vie grouillante.

Lodz, c'est cette immense communauté juive, cernée de murs, une sorte de prison à ciel ouvert d'où il n'est pas possible de s'échapper. le doyen du Conseil juif qui y règne en maître, - Chaïm Rumkowski un personnage qui a réellement existé, va faire de ce territoire une vaste cité industrielle, démultipliant les ateliers, les boutiques, les manufactures, d'où sortent des draps, des vêtements, des chaussures, de la bonneterie pour les dames berlinoises...

Chaïm Rumkowski c'est cet étrange personnage mégalomane, très controversé, pantin à la solde des nazies pour les uns, grand protecteur de sa communauté pour les autres, pour que les siens ne soient pas livrés à destination des camps, - enfin pas tout de suite, il veut en sauver quelques-uns, c'est ce dessein qui l'anime.

On pourrait croire que c'est l'attente du désastre et de la mort, - même si nous savons après coup que c'est une antichambre de l'horreur, avant l'anéantissement, avant « la solution finale », mais non pour l'instant ici cela grouille de vie, d'espoir, de solidarité, de fraternité...

Dans le ghetto de Lodz, il y a la vie industrielle avec ses activités qui fourmillent dans tous les sens, mais il y a aussi une vie artistique intense et étourdissante dans laquelle Alter se fond, trouvant l'univers qui saura résonner avec son âme blessée à jamais.

C'est un monde empli de musique, de théâtre, de comédiens, de bateleurs, de chansonniers, de chants yiddishs.

Et dans ce monde artistique qui tient peut-être à bout de bras l'autre monde déjà désespéré, Alter trouve dans un théâtre de marionnettes le moyen de combattre son traumatisme, de réaliser son rêve le plus cher, créer une marionnette à sa taille, à son image et qui ressemble comme deux gouttes d'eau à son autre frère qui n'est plus là, du moins qui s'était absenté durant quelques temps car voici de nouveau Ariel sous les traits de cette marionnette , mais qui lui ressemble aussi...

Alter, Ariel... Ariel, Alter... À partir de ce moment-là, le texte bascule comme une pièce de théâtre, comme une scène avec ses planches, ses rideaux, ses cordages, ses coulisses, ses doubles cloisons, ses secrets...

Dans cette gémellité extraordinaire perdue, retrouvée, Hubert Haddad crée un récit picaresque à l'écriture onirique foisonnante, où le sentiment d'humanité apporte sans cesse sa lumière.

Un monstre et un chaos, c'est un peu le monde des toiles de Chagall qui s'enroule dans le tourbillon des mots d'Hubert Haddad.

Un monstre et un chaos, c'est la barbarie vue à travers les yeux d'un enfant de douze ans, orphelin rebelle, refusant de porter l'étoile jaune, s'esquivant sans cesse comme un chat, derrière les coulisses d'un paysage. La barbarie à visage humain, oui vous savez celle pour laquelle on avait dit au lendemain de la seconde guerre mondiale, plus jamais ça...

J'ai été emporté par le regard de cet enfant qui traverse ce récit, le transcende et nous transperce le coeur par l'humanité qui sous-tend ce texte comme les fondations d'une scène de théâtre...

Il y a ici une puissance romanesque qui m'a séduit, bouleversé, par son écriture, par l'imaginaire de l'histoire d'un jumeau en quête de son double, et qui s'empare de la grande Histoire, du destin peuple juif massacré, dire cela, comprendre cela, dans le contexte d'aujourd'hui où les voix de la bête brune continuent comme jamais de hurler à nos portes...

Essayer de dire sans pathos non pas seulement ce qui fut, - l'horreur absolue que fut la Shoah , mais conjurer la tragédie pour qu'elle ne revienne plus, pour ne pas oublier, pour transmettre...

Comment rendre le rêve plus grand que la nuit ? Comment rendre la vie plus grande que l'horreur ? Comment rendre les mots plus forts que le silence et l'indifférence ?



« C'est arrivé, cela peut donc arriver de nouveau. » Primo Levi.

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Un monstre et un chaos

Que dire d'Un Monstre et un chaos de Haddad, si ce n'est pour paraphraser je ne sais plus qui, que le silence qui suit est encore de lui.

Un Monstre et un chaos c'est le monde de Chagall passé au lance-flammes, avec dans cet univers qui rétrécit comme peau de chagrin jusqu'à l'anéantissement un garçon, Alter (!), qui a perdu son jumeau Ariel, et qui tente de le faire revivre au coeur du ghetto de Lodz.

Sur Lodz, il y a eu Les Dépossédés, de Steve Sem- Sandberg, et La fabrique de papier tue-mouches, d'Andrzej Bart qui mettait en scène le « procès » de Chaïm Rumkowski, l'ancien responsable du ghetto transformé en complexe industriel pour grappiller quelques années de survie, jusqu'en 44.



Au milieu du chaos généralisé et de l'absolue cruauté, la cité surnommée le « Manchester polonais » tente de repousser la mort du plus grand nombre et l'enfant et son double "ectoplasmique" s'évadent grâce au théâtre et aux marionnettes puisque jusqu'au bout, un semblant de vie même culturelle s'accroche aux murs lépreux. C'est là toute la force de ce magnifique roman, merveilleusement écrit et construit, de mêler l'onirisme à la réalité la plus crue. «  On peut rendre le rêve plus grand que la nuit ».

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Le peintre d'éventail

Le peintre d'éventail représente un véritable travail d'orfèvrerie littéraire.



Dans la pension de Dame Hison, ancienne courtisane, viennent se réfugier des êtres abîmés. Son auberge et ses environs forment un microcosme où le temps semble s'être arrêté. Une autre caractéristique de l'endroit est le magnifique jardin. Hubert Haddad rend justice à la nature par de superbes descriptions poétiques émaillées de haiku. Le jardin, rassemblant en un seul organisme les multiples sortes de jardins japonais, devient un personnage du roman à part entière si ce n'est le personnage principal.

Il est également question ici de la transmission du savoir afin que la beauté ne se perde pas. A travers les expliquations données au jeune Hi Han, Haddad résume les conceptions fondamentales de l'esthétique japonais basées sur la recherche d'une perfection inachevée, dans le respect du concept "wabi sabi", ou recherche de l'élégance épurée.



Si la première partie du roman offre une vision assez contemplative, la seconde partie voit les forces de la nature et des hommes se déchaîner sur cet endroit retiré. Ce presque paradis perdu est alors emporté par la réalité dévastatrice. Pourtant, la vie s'accroche et permet de retrouver la beauté même au coeur de la fange.



J'a découvert cet auteur avec ce livre. Son écriture m'a beaucoup émue par sa grande sensibilité et par la qualité évocatrice de sa poésie.
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Le peintre d'éventail

Le peintre d'éventail est un livre à lire lentement, en apesanteur, peut-être à lire autrement. Je préconise de lire ce roman de préférence perché dans un arbre, ou bien sur un rocher devant la mer et en définitive, si vous n'avez ni arbre, ni océan sous la main,- ce qui parfois peut arriver, alors perdez-vous avec ce livre dans le fin fond d'un désert, loin du vacarme du monde...

Hubert Haddad, son auteur, est un écrivain rare, qui ne fait pas de bruit, chacun de ses livres est une offrande, un chemin qui chemine, une respiration qui s'égare, un reste de rosée du matin posé sur la peau de l'être aimée. Voilà comment je vois un peu cet écrivain que j'ai découvert il y a très longtemps, je crois qu'il s'agissait de son premier roman Perdu dans un profond sommeil, il n'est d'ailleurs pas répertorié sur Babelio. Je sens que je vais y remédier dans pas longtemps, mais à condition de le relire...

Le peintre d'éventail, c'est comme un jardin où l'on descend pieds nus. On voudrait que l'être aimée soit seule à entendre le frémissement d'une pluie qui tombe sur les pages des arbres et cela serait le signal mystérieux, magique presque, d'une invitation à venir.

Ce récit est une déambulation...

Autour, il y a le bruit et la fureur, le monde qui ne sait pas se retirer sur la pointe des pieds, qui ne sait pas se retenir... Entrer dans un jardin, c'est comme entrer dans une cathédrale vide, vide de ses prêches et de ses foules, c'est comme venir dans un coeur qu'on aime, c'est comme prier sans croire en Dieu, c'est comme vivre dans l'absolue liberté qui nous a vu naître...

Sans doute les jardins, quels qu'ils soient, ont cette merveilleuse faculté à savoir réparer les âmes un peu abîmées. Plus que jamais, nous avons appris et compris depuis quelques mois que les jardins étaient devenus nos seuls espaces de digression depuis que les bars, les salles de concert, les théâtres et les musées sont fermés.

Ce récit merveilleux porte un jardin ou c'est peut-être l'inverse, mais cela n'a pas d'importance car nous sommes prêts à être renversés dans ce texte magnifique, tendu vers une tragédie universelle, celle du 11 mars 2011, le tsunami qui a dévasté le nord-est du Japon et provoqué le désastre nucléaire de Fukushima...

Hubert Haddad nous invite au fin fond de la contrée d'Atôra, au nord-est de l'île de Honshu. Nous nous glissons dans les pas de Matabei Reien, c'est lui le personnage principal, celui-ci cherche à fuir son passé qui le hante et finit par échouer dans une pension à l'écart du monde, la pension de famille de Dame Hison, une ancienne courtisane...

De multiples personnages venus se mettre en retrait pour différentes raisons, vont ici se croiser, s'effleurer, autour d'un jardin suspendu, hors du temps, comme un lieu catalyseur des douleurs et des blessures du passé, des attentes, des transmissions à venir.

Comme Matabei, parfois j'ai rêvé de devenir le disciple d'un vieux jardinier, artiste et poète, qui me transmettrait son art... Mais le bruit du monde me ramène chaque fois au sol, me faisant à chaque pas encore ressembler à l'albatros de Baudelaire.

Hubert Haddad est un écrivain qui aime le Japon et bien que, connaissant peu ce pays et sa culture, je l'ai ressenti à chaque pas, dans cette lenteur presque hallucinatoire qui effeuille les pages de ce roman avec une grâce et une maîtrise de l'écriture. Parfois on pourrait être amené à penser que cette maîtrise ôte la spontanéité des personnages. Ne vous trompez pas ! Sous l'apparence des dessins finement ciselés sur la soie ou le papier, derrière l'architecture savante des haïkus, se cachent la sensualité des gestes, d'ardentes passions prêtes à dévaster des coeurs aussi violemment que les tsunamis...

Ce roman, c'est juste une quête de la beauté, chacun ira la chercher à l'endroit où ses pas ressentent le moins les sables mouvants...

Ce roman initiatique est une présence au monde rassurante, consolatoire, réparatrice, un jardin mis à l'écart des tentatives de l'apocalypse.

Si par ces quelques mots, j'ai pu vous donner envie d'aller à la rencontre de cet écrivain rare, Hubert Haddad, alors peut-être que ce soir un albatros sur un bateau d'équipage, s'apprête à reprendre son envol vers les lointains...

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Le peintre d'éventail

Le narrateur raconte la vie de Matabei, un homme qui, suite à un accident, se retrouve dans la pension de dame Hison, ancienne Geisha, et apprend auprès du jardinier l'art de peindre les éventails et de trouver l'harmonie d'un jardin. Le narrateur, Hi-Han, fut lui-même pensionnaire de la maison, et apprit auprès de Matabei son art, avant de s'enfuir à cause d'une femme qui avait séduit son maitre.



Cela faisait longtemps que je voulais découvrir Hubert Haddad, poète et écrivain, et à mon avis, je me suis trompée sur le livre avec lequel faire sa connaissance. Pour être honnête, je n'ai pas beaucoup (voire pas du tout) d'affinité avec la littérature asiatique, surtout quand elle est "contemplative". D'autre part, je n'aime pas les récits de troisième ou quatrième main : Haddad nous raconte le récit de Hi-Han qui nous conte la vie de Matabei qui nous livre celle du "vrai" maître d'éventails, Osaki Tanako, jardinier de la pension. Je trouve que c'est compliqué, on ne sait jamais qui raconte quoi, ni à quel moment ça se passe.

Ce livre est, grosso modo, divisé en deux parties. La première, qui raconte les passations d'expérience et de sagesse dans la pension de dame Hison, est essentiellement "contemplative", emplie de descriptions du jardin japonais, de la place de chaque essence, de sa couleur, de son intégration dans le tout... Comme je l'ai dit, je ne suis pas assez sage pour que ça me "parle" ou m'intéresse. A noter quand même, dans cette première partie, la galerie de personnages qui vivent à la pension, assez réussie et attachante (de la Coréenne sans enfant qui vit avec ses poupées aux amoureux discret et officieux ou même l'énervant mais drôle commerçant Monsieur Ho), mais pas assez approfondie à mon gout. Cette première partie voit également naitre et se développer la folie amoureuse de Matabei pour une jeune pensionnaire recueillie par Dame Hison, Enjo. Ca, c'est pareil, ça m'échappe : comment un homme qui maitrise tant de sa vie, qui introjecte son environnement, qui "cultive son jardin" (aux sens propre comme figuré) avec tant de rigueur et de minutie peut ne plus se contenir à la vue d'une jolie paire de seins ? La sérénité la plus totale en même temps que la folie amoureuse la plus paroxystique ? En fait, à dire vrai, j'ai trouvé cette folle passion un peu ridicule, comme ça, vue de l'extérieur, entre un vieux monsieur un peu sage qui perd la tête pour une jeunesse pas très sage !

Bref, la seconde partie est celle de la désolation, suite à un tremblement de terre provoquant un tsunami, et celle de l'errance de Matabei sur les ruines de son jardin, à la recherche d'Enjo. J'ai finalement préféré cette seconde partie, plus courte, plus intense émotionnellement (en tout cas, pour moi).

Que dire d'autres sur ce peintre d'éventails ? L'écriture de Haddad est recherchée, parfois alambiquée, ne fluidifiant pas le récit. Les quelques passages sur la peinture sur éventails (il y en a bien moins que sur l'entretien du jardin, mais il semble que ces deux actions ne soient que les deux faces d'une même activité) sont passionnants, et les Haïkus qui y sont inscrits sont inspirés.

Mais je suis globalement déçue de cette lecture...

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Un monstre et un chaos

La Pologne, alors que le monstre du parti national-socialiste commence à dévorer l’Europe et que le chaos s’abat sur Mirlek, « une grosse bourgade informe proche de la ville de Plonsk, dans la Voïvodie de Mazovie, de l’autre côté de la Vistule. »

Ariel et Alter sont deux jumeaux élevés par Shaena, leur mère, qui pourrait tout aussi bien être leur sœur. Ils se sont réfugiés chez l’oncle forgeron, Waurshauer.

L’armée allemande envahit le village et décime toute la population. Seul Alter, du haut de ses douze ans, en réchappe après avoir assisté au viol et au meurtre de sa mère ainsi qu’à la mort atroce de son frère.

Il s’enfuit et c’est l’histoire de cette errance au milieu de l’horreur sanguinaire des hommes qui ont mis leur intelligence au service d’un eugénisme contre-nature, qui ont inventé l’aberration ultime.

Enfermé dans le ghetto Litzmannstadt, Alter marche sans l’étoile qu’il refuse de porter au milieu de cette nouvelle société qui est en train de s’ébaucher afin de survivre au monstre. Il y a ce Chaïm Rumkowski qui pense sauver la population juive de la déportation en créant l’utopique royaume du judenrat où il bat monnaie de singe et timbres à son effigie, milite pour faire de cette enclave le premier centre industriel du troisième Reich en mettant la population au travail avec pour salaire quelques semaines, quelques mois de vie supplémentaires. Il poussera sa folie illusoire jusqu’à prononcer ce discours ignoble retranscrit mot pour mot par l’auteur ! Discours qui illustre bien jusqu’à quelles extrémités peut pousser un état de désespérance totale. Rien que pour ce passage, le livre d’Hubert Haddad mérite d’être lu.

Il y a cette vie culturelle qui s’organise, concert, théâtre, chansons, bibliothèques parce que tant qu’il y a de la vie il y a de l’espoir et la pensée est la dernière des libertés, inaltérable.

Hubert Haddad raconte avec beaucoup de poésie et de maitrise, cette partie de l’histoire dont il faut soigneusement entretenir la mémoire car, pour reprendre Primo Levi, qu’il cite au début de son ouvrage : « C’est arrivé, cela peut donc arriver de nouveau. »

Une lecture que je recommande tant pour la beauté de l’écriture de l’auteur que pour le message qu’il envoie. Au-delà du roman, Hubert Haddad relate des faits qui se sont réellement passés et des hommes qui ont hélas existés, pour que l’humanité porte sur son front durant une éternité, la honte de l’abomination et sa plus hideuse invention, la haine de l’autre.

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La sirène d'Isé

Envie de fraîcheur saline et de poésie marine, alors n'hésitez plus à plonger dans ce très beau roman envoûtant et d'une beauté onirique ensorcelante.

Mes pensées sont encore dans ce lieu d'une beauté singulière, les Descenderies un ancien hôpital maritime du docteur Riwald dont les immenses baies vitrées baignent sur l'océan.

Ce vaisseau de pierres protégé à l'avant par l'immensité iroise et à l'arrière par un jardin labyrinthe, prend les allures étonnantes d'un fief moyenâgeux imprenable.

Malgorne, l'enfant sourd devenu roi de ce royaume sur terre comme le dieu Poséidon sur les mers est le gardien vivant des légendes portées par le souffle du vent et l'écho fantôme des cornes de brumes.



L'écriture est magnifique, poétique à souhait, un tableau de couleurs aux équinoxes somptueux et de douce rêverie. Avec Hubert Haddad, les mots s'évadent de leur enveloppe  « les vagues meurent d'être sauves dans un remous d'écume », chevauchent des territoires inconnus, se juxtaposent dans d'étranges combinaisons et rivalisent de beauté sortilège pour amadouer la violence des tragédies humaines.



L'océan chante, bouge, lèche les parois fragiles de la falaise. Il est ce rempart mais aussi le vaste transporteur des vaisseaux d'acier et des nouveaux naufragés de la mer qui s'invitent derrière la fable.

J'aime beaucoup cette manière de raconter une histoire tristement réelle dans une intemporalité surnaturelle.

J'aime la sonorité des mots, leur langage, je les visualise, je les entends et je les respire.

le lecteur est l'oreille de Malgorne, Malgorne est le maître de nos sens.



Il y a Malgorne « le cours visible des astres collait à son silence » et il y a Peirdre, la jeune fille mélancolique souffrant de solitude dans son sémaphore, sur le bec-de-l'aigle de l'autre côté de la baie « le crépuscule était sa délivrance ».

Ils sont tous les deux isolés, dans leur tour d'ivoire, la mer entre eux balayée par les lumières blanches du phare mais il suffit parfois d'un « il était une fois » pour que la vie surgisse là où on ne l'entendait plus.



J'étais dans un autre monde, dans un temps suspendu entre jardin et mer, au milieu des fleurs et des poteries, le ressac en fond sonore :

« Dans le clair-obscur du rêve tous les chemins égarent, rien ne commence ni ne s'achève et nul ne regarde où il marche ».

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Ma

« C’est ainsi : toute personne inconnue ouvre une nouvelle demeure. »

Imaginez...vous entrouvrez doucement les portes coulissantes d’une demeure japonaise pour progressivement vous acclimater à l’ambiance si particulière du lieu. Vous découvrez la disposition des pièces, les habitudes de vie des occupants, leurs histoires, leurs désirs, leurs portraits peut-être, le magnifique jardin attire votre attention, promesse de rêveries et d’un ailleurs sublimé. Ici, « toute richesse n'est que rosée sous le vent », et « la respiration tranquille des arbres » vous rend un peu de vigueur, à moins que ce ne soit « la neige exquise des cerisiers » en fleurs.



« Le voyage est ma demeure » disait Bashõ, un des haïkistes les plus fameux.



Le voyage proposé par Hubert Haddad pour suivre les destins croisés de deux poètes vagabonds qui s’interpellent à un siècle de distance ( dont celui de Taneda Shõichi Santokã, le dernier grand haïkiste ), s’ancre pour moi dans cette demeure japonaise, puis en efface les murs par sa seule puissance d’évocation.

On n’y rentre pas en coup de vent, on se laisse surprendre par des ondes d’émotions, des bulles de douceur poétique et on tente d’effleurer cette sagesse, ce détachement vis à vis du réel si convoités.

Par chance, le charme est double : une écriture poétique d’une grande beauté et une histoire à double entrée émaillée de haïkus de grands maîtres du genre.



Bon voyage !

« Il faudrait toujours se dire adieu sur un je t’aime. »
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Le peintre d'éventail

Nous connaissons le mont Fuji, peint par Hokusai ou Hiroshige, nous ne connaissons pas le mont Jimura. C'est pourtant le sujet d'un des trois éventails gardés, ou refaits par Matabei : l'un reproduit des oies cendrées volant dans la brume, le deuxième un pont suspendu au-dessus d'une rivière tumultueuse. Et le troisième la nature autour de la montagne.

Nous avons là, en résumé, trois thèmes centraux du roman :

- la cendre, celle des oies, « bientôt en cendres », celle des milliers d'esclaves coréens partis en fumée, celles du vieux peintre mort d'épuisement, les morts qui attendront de devenir cendres après le cataclysme, alors que l'incinérateur est en panne. Plus que tout, les cendres qui seront notre lot commun.

- les eaux dévastatrices, suite à un tremblement de terre qui touche l'ile de Honshu, l'ile principale du Japon.

- la peinture d'éventails, sur des papiers fragiles, symboles même de la permanence des couleurs et des formes, jointe à l'impermanence, « un éventail assombri s'agitait de temps à autre comme l'aile d'un papillon ».

Matabei fuit, après avoir été témoin de l'accident mortel d'une jeune fille percutée par une voiture. Il cherche sa voie et reprends des forces en jardinant avec le peintre d'éventails.

Jardin et peinture sont liés, car le jardin donne un spectacle à la fois immuable et toujours changeant selon les saisons, et il s'agit de s'adapter au changement de la nature. La peinture par lavis de ce jardin peut être recommencée indéfiniment et constitue une trace tangible figée.

Changement perpétuel et reproduction inchangée, voilà un premier paradoxe.

Poésie et cataclysme, deuxième paradoxe.

Les pierres, les massifs, les arbustes, doivent être regardés pendant des heures pour livrer leur secret, « l'ultime nudité du fond ». Et cependant, paradoxe, un aveugle voit encore mieux, s'extasie sur la beauté des éventails, comme si voir n'était pas si nécessaire.



Hubert Haddad, par un seul mot, reprend lui aussi son ouvrage : Matabei fuit, parce que c'est lui l'assassin involontaire.

Les rivières suite au séisme, sont sans doute soulevées par un tsunami, ou comme conséquence de l'accident nucléaire de Fukushima, de 2011, or le peintre d'éventail a été écrit en 2013. L'auteur glisse plusieurs fois le mot « irradiation ».



Serait-ce le secret de ce livre ? apparemment une réflexion sur les jardins et la peinture de ces jardins, il introduit par petites touches des amours décrites dans le détail, des catastrophes, de la jalousie, de la culpabilité, des morts, jusqu'à la destruction du jardin et du lieu de vie.

Les peintures, cependant, reproduisent ce jardin détruit « en une somme magique d'inachèvements. ».



Il attendait, ce livre, et la chronique il y a peu de Sandrine @hundredDreams me l'a fait ressusciter, comme le jardin sur les éventails.

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Le peintre d'éventail

Hubert Haddad est un auteur que je rencontre pour la première fois. Il fait partie de ces auteurs que je souhaitais lire depuis longtemps. Mon choix s'est porté sur « le peintre d'Eventail » en raison de mon attachement à l'art et la nature. J'avais envie de me promener dans ce jardin d'Eden encadré d'un côté, par les montagnes et de l'autre, par le bleu de l'océan.

Le végétal, le minéral et l'animal avec pour écrin, le Pacifique.



*

Témoin de la mort d'une passante dont le dernier regard rivé sur le sien le tourmente et l'obsède, Matabei choisit de se retirer au nord-est de l'île de Honshu. Il loue une chambre dans une paisible pension de famille tenue par une ancienne geisha, Dame Hison.

Attenant à l'auberge, se trouve un jardin magnifiquement entretenu par un vieil homme, maître Osaki. Matabei se lie au vieux jardinier, découvrant en lui un extraordinaire talent pour la peinture d'éventail et l'écriture de haïkus. Matabei deviendra bientôt l'élève du vieillard, apprenant l'art du jardin, l'écriture de haïkus qui retranscrit les émotions que lui suggère la nature, la technique du lavis sur des éventails de papier et de soie.

Hubert Haddad effleure avec beauté cette technique picturale, ma curiosité pour la peinture aurait mérité d'entrer de manière un peu plus approfondie dans les détails de cet art traditionnel.



« Depuis sa chambre, Matabei considérait avec une profonde émotion les gestes du peintre. Une sérénité d'un autre siècle émanait de ce globe de clarté au sein duquel un éventail assombri s'agitait de temps à autre comme l'aile d'un papillon de nuit. »



*

L'âme du poète et le regard sensible de maître Osaki fusionnent délicatement pour les transposer à l'esthétique du jardin. Ainsi, l'artiste reproduit l'art des lavis au jardin, jouant sur les perspectives, les couleurs, les formes pour guider l'oeil des promeneurs. Chaque massif, chaque plante sont pensés pour former un ensemble équilibré et harmonieux.



« Il travaillait au jardin en artiste, attentif à la métamorphose des saisons. »



C'est avec plaisir que l'on découvre ce jardin perdu entre océan et montagnes, entre forêts de bambous et lac : par petites touches impressionnistes, Hubert Haddad restitue avec poésie, la douceur et l'harmonie du lieu, les jeux de lumière et de couleurs sur les massifs floraux, les chants d'oiseaux, le clapotis de l'eau du bassin dans lequel nagent des carpes koï.



« On y échappait à la loi commune pour l'amour ou par la désespérance ; c'était un havre d'oubli plus que de sérénité, un lieu pour disparaître aux autres ou à soi. »



Hubert Haddad, par la force de son écriture, provoque de douces émotions, appelle à la contemplation et aux rêveries.



*

« le peintre d'Eventail » est avant tout un roman d'atmosphère dans lequel viennent enchâsser de magnifiques haïkus.



« Bec et plumes

l'encre est à peine sèche

qu'il s'envole déjà »



Hubert Haddad décrit, à la façon d'un poète. Son écriture, particulièrement belle, sensible, mélodieuse, recherchée et métaphorique, se pare d'images dans un kaléidoscope de couleurs, de sonorités, de parfums et d'émotions, pour tisser, en toile de fond, ce merveilleux jardin. C'est une estampe japonaise qui fait naître des sensations et des impressions.



« Créer des paysages, … c'est assimiler la loi d'asymétrie et le juste équilibre comme un art de vivre. Les chemins de rosée, les sentiers sous les arbres et les passes de gué avec tous ces riens échelonnés, cette pierre, l'eau vive d'une rigole, cette branche basse, voilà le parcours intérieur. »



La vie s'écoule doucement dans ce cadre hors du temps, rythmée par le calme et l'harmonie du jardin, le chant des oiseaux, les confidences discrètes des deux hommes, les résidents de la pension, dessinant lentement le carrousel de la vie avec ses bonheurs et ses maux, ses passions et ses drames intimes.

Le passage du temps entremêle subtilement passé et présent.



Le lecteur trouve une forme d'apaisement dans ce décor silencieux empli d'éclats de lumière et d'ombres, de sensualité et de déchirements, de pudeur et d'impudeur.



« Trempée de rosée

dans les parfums de cent fleurs –

tu t'éveilleras »



Mais pour ma part, tout en étant admirative de la prose de l'auteur, l'histoire, trop contemplative, parsemée de longueurs, a eu aussi pour effet de me détacher insensiblement de ce jardin et de ses habitants.

Mon esprit s'est mis à vagabonder, à flâner, à voyager entre douceur et douleur, tendresse et tristesse, jusqu'à ce qu'un drame inattendu me sorte de mes rêves et me ramène à la brutale réalité. Dans les tourbillons enchevêtrés de l'horreur, les évènements passés et présents prennent une direction imprévisible.



Hubert Haddad évite subtilement l'écueil du sentimentalisme. Au contraire, j'ai vraiment aimé cette rupture soudaine et violente avec l'atmosphère de cette première partie. L'ambiance cataclysmique est magnifiquement rendue, c'est douloureux, tragique, émouvant, poignant. C'est très étrange de dire cela, j'ai trouvé de la beauté dans le cheminement de Matabei.



« le chant éperdu des oiseaux de la forêt laissait croire à l'innocence du jour. Il avait rêvé de son vieux maître aux cendres délavées qui lui parlait du jardin des nuages et des fleurs de la mémoire. »



Une fois le livre refermé, mon impression sur le début de l'histoire s'est modifiée. En effet, à la lumière de l'ensemble du récit, je ressens autant un équilibre qu'une continuité entre ces deux moments bien distincts. C'est comme une boucle, un prolongement, un héritage qui se transmet et se perpétue entre maître et élève.



« On peut exprimer sa pensée avec des couleurs, des mots, mais aussi avec ce que tu vois : les plantes, l'eau et les pierres. Là, il faut compter avec l'adversité, le vent et la pluie, les saisons. le jardin vit de ta vie, c'est la différence… »



*

Tout au long du récit, se déploient des beaux thèmes autour de la transmission, de l'art qui fusionne avec l'intime et redonne du sens à la vie, de la mémoire et des souvenirs, du traumatisme et des regrets, de la nature qui s'invite dans les drames de la vie.



« Chant des mille automnes

le monde est une blessure

qu'un seul matin soigne »



*

Pour conclure, « le peintre d'Eventail » n'est pas le coup de coeur que j'attendais, mais c'est un joli roman initiatique parsemé de haïkus, émaillé de magnifiques passages descriptifs, avec pour toile de fond la nature, îlot de verdure où les hommes s'isolent, se reconstruisent, se rencontrent, se déchirent, s'aiment, s'éloignent, pleurent.

Un roman sensible et maîtrisé où le temps donne matière à des réflexions philosophiques.

Un roman sur la résilience que je recommande pour tous les amoureux de romans d'atmosphère, de beaux textes qui cisèlent la vie, la mort, le destin de chacun.



« La vie est un chemin de rosée dont la mémoire se perd, comme un rêve de jardin. Mais le jardin renaîtra, un matin de printemps, c'est bien la seule chose qui importe. Il s'épanouira dans une palpitation insensée d'éventails. »
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Premières neiges sur Pondichéry

Ce joli livre dormait sur mes étagères depuis quelques années...Une libraire - bonne fée me l'avait recommandé, un jour de pluie parisien, tout gris, sans rêve et sans musique, me promettant monts et merveilles ...



J'ai réveillé le bel endormi , et , comme dans les contes, son charme a agi : j'en suis sortie tout émerveillée.



Un joli sujet, une imagination débordante, une culture profonde et raffinée, un voyage dont je rêvais depuis longtemps, de la musique, de la musique avant toute chose...



Et une plume...enchantée !



Avec le talent de Hubert Haddad, dont je compte bien découvrir les autres facettes, j'ai découvert le Kérala où les hôtesses tamouls dessinent chaque matin, sur le seuil de leur maison, un merveilleux kolam de pigments colorés, cette "dentelle éphémère des trottoirs" qui augure si poétiquement du jour qui vient, se brouille avec les derniers pas, et s'efface au vent du soir.



Je suis entrée dans la synagogue bleue de Fort Cochin, où neuf vieux juifs de la diaspora en attendent un dixième pour le minyan , la grande prière, afin de convoquer tous leurs dons de conteurs pour raconter, une fois encore, à l'étranger nouveau venu, l'étonnante histoire vraie du royaume de Cochin où les Juifs de tout pays, fuyant pogroms et persécutions trouvèrent un refuge miraculeusement paisible et tolérant parmi les bouddhistes, les musulmans et les chrétiens de cet éden indien...



J'ai écouté les rumeurs de l'ouragan souffler sur les côtes de Malabar auquel s'opposait , fragile mais convaincu, le chant du hazzan bègue. La musique modale carnatique - sitar, tambour, luth arabe, bombarde et violon - m'a bercée de ses lentes mélopées hypnotiques, tandis que, dans la pension de Mâ, le piano de l'enfant monstrueuse du dieu Ganesh répondait au violon virtuose du vieil Hochea Mentzel.



Venu se perdre en Inde comme on se jette en un puits profond, Hochea Mentzel est seul, vieux, marqué douloureusement dans sa chair. Un attentat meurtrier lui a laissé l'âme détruite: le voici desormais sans plus d'espoir en l'homme, en rupture de ban avec cet eretz Israël qui avait été son havre après les déportations et l'horreur de l'holocauste, mais qui est à son tour devenu une terre d'intégrisme, de bruit et de fureur, où deux peuples ne peuvent plus fouler la même terre ni boire la même eau sans une haine féroce.



Mentzel n'imaginait pas trouver paix et tolérance au pays des castes et des intouchables.



Sans doute n'imaginait- il pas non plus y retrouver la passion de la musique, ni l'amour filial d'une jeune fille...



Un conte sensuel, une parabole apaisante sur la vieillesse, un voyage poétique et chamarré, auquel il est bon de s'abandonner, sans réserve, au son du sitar, dans les encens parfumés ..







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Un monstre et un chaos

" Qui d'autre que les poètes et les raconteurs d'histoires saura transmettre la mémoire de notre terre perdue ? Eux seuls pourront restituer à nos enfants la haute mélancolie du shtetl ."



Hubert Haddad est exactement le chantre de ces paroles. Grâce à une qualité d'écriture poétique mais aussi fantasmagorée, il nous emmène, nous transporte dans cet univers qui permet à la mémoire de subsister.

Le roman relate l'histoire du ghetto de Lodz, l'une des premières grandes villes polonaises à connaître l'enferment du ghetto. Fait ironique ou désolant, ce ghetto survivra presque jusqu'à la fin de la guerre grâce à Chaïm Rumkowski qui pour "sauver son peuple" les fera travailler sans répit pour fournir aux Allemands tout ce qui leur était nécessaire.

Polémique ou pas, ce qui m'a touché dans ce roman, c'est ce grand souffle d'espoir que portent les " condamnés" du ghetto. En s'accrochant à faire vivre toute la culture yiddish de leurs shetls envers et contre tout.

La littérature sauve les âmes, la culture peut être une carapace qui protège des horreurs et bassesses d'un monde en folie.

Les personnages de papier créés par Hubert Haddad sont très attachants comme ce jumeau qui survit seul dans cet univers broyé. Il apprend l'art d'être marionnettiste et cela lui permet de faire revivre son frère.

Certaines phrases culminent dans l'horreur toutes réelles de ce cauchemar des ghettos.

"Le Reich en déroute devait gagner coûte que coûte la seule bataille qui lui importait encore : l'anéantissement du peuple juif."

Hubert Haddad malgré tout sait nous parler de la résistance qui s'organise dans ce ghetto de Lodz, des lueurs d'espoir qui nous ont penser que rien n'est jamais complètement mort.

C'est justement cette mémoire qui transmet cet héritage au monde qui suivra ce chaos.



Un livre remarquable, une écriture qui nous touche le cœur, une histoire universelle.

"Le ciel nocturne s'est déchiré sur des milliers de pointes étincelantes. Chacune est un soleil tourné vers l'au-delà. Des larmes aux yeux, Rebecca marmonne la prière des endeuillés."



BOULEVERSANT !
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Palestine

Lekh lekha, va vers toi-même...



Ce pourrait être une jolie façon de résumer, en hébreu, Palestine, le beau livre de Haddad.



Cham, permissionnaire malchanceux de Tsahal, disparaît des écrans radars le premier jour de son congé : sans papier, sans arme, sans uniforme, il est enlevé par un commando palestinien dissident , ni Fatah, ni Hamas, dont tous les membres meurent dans une même déflagration. Choqué, blessé, amnésique, Cham  est soigné et recueilli par une palestinienne aveugle et sa fille, Falastin, qui veulent reconnaître en lui Nessim,  un fils, un frère disparu.



Le voici donc Nessim, palestinien, doté de papiers et entouré d'amour. Mais sans souvenirs.



Cham-Nessim vit alors une expérience schizophrénique instructive : il voit et vit sa ville, quelques semaines, avec les yeux, le corps , le coeur de l'autre, ceux de l'ennemi, ceux du  feddayin.



Quand cette connaissance cruelle aura achevé de faire de lui un autre, quand sa " mère", sa "soeur"auront noué leur destin à  la trame noire du malheur,  il ne lui restera plus qu'à accomplir  à son tour le sien, à faire les quelques pas, décisifs, qui le séparent encore de lui-même.



Lekh lekha, va vers toi-même...



Le cache-cache identitaire de Cham à Nessim, et de Nessim à Cham ,  un passeport perdu et retrouvé,  une soeur évanouie  contre un frère perdu pour jamais... le destin, on le sait,  aime les hasards ironiques, les chaises musicales macabres : le destin joue à la vie à la mort.



Une fable poignante et cruelle dont chacun doit chercher l'apologue : quelle reste la part d' espoir pour la paix dans un contexte aussi tendu, aussi exacerbé,  dans cette guerre fratricide entre deux peuples d'une même terre? Se mettre à la place de l'autre, certes, ouvre les yeux...mais on les referme pour pleurer et pour mourir.



Hubert Haddad ne donne pas sa réponse:  il en fait entendre plusieurs, mais la tonalité générale  et la conclusion, superbe, suspendue et néanmoins désespérée,   ne laissent pas grand espoir...



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