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Critiques de Ingeborg Bachmann (42)
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La trentième année



La Trentième année c’est, pour reprendre un terme tristement à la mode, un âge pivot, celui où l’on “n'a plus le droit de se dire jeune.”



“Il découvrit, au milieu de sa chevelure brune emmêlée, un quelque chose blanc et brillant. Il le toucha, se rapprocha de la glace : un cheveu blanc ! Son coeur se mis à battre dans sa gorge. Il regarda le cheveu bêtement et sans détourner les yeux. Le jour suivant il reprit le miroir, craignit d’en découvrir d’autres, mais il ne vit que celui de la veille et ce fut tout.”



Avoir trente ans, c’est être “encore jeune”. Ce mot, “encore” nous dit tout du passage que constitue cette trentième année, l’insouciance est de plus en plus mal vue, il faut commencer à se tenir, à faire l’adulte, à épargner, faire son repassage. Les générations suivantes sautent aux yeux, elles poussent les vieux trentenaires vers la sortie.



Alors bien sûr, c’est “la force de l’âge”, mais la force pour quoi ? Bâtir une carrière, fonder une famille, travailler, on jette un pont vers le futur sans savoir comment les choses aboutiront, avec le peu d’années que nous pouvons mettre à profit, tous les espoirs sont permis, du moins le croit-on, à ceux qui sacrifient, qui suent, pour leurs succès à venir. C’est l’âge du “faire”. Martin du Gard, bourgeois de son état, avait une belle phrase sur la production : “ne vous illusionnez pas sur l’utilité de la production quand même. Est-ce qu’une belle vie ne vaut pas une belle œuvre ? J’ai cru aussi qu’il fallait besogner. Peu à peu, j’ai changé d’avis…”



Et quand on regarde en arrière, sont-ce vraiment nos plus belles années (merci Pollack, Redford et Streisand… ) ? Marguerite Yourcenar considérait ces décennies, entre l’enfance et la vieillesse, comme “un tumulte vain, une agitation à vide, un chaos inutile par lequel on se demande pourquoi on a dû passer ”. La pression que vivent les trentenaires, tyrannique, vient du fait que l’on a encore l’illusion que l’on peut vivre plusieurs vies, qu’on peut même toutes les vivres et que tous nos choix sont cruciaux pour se faire un destin, comme le résumait Paul Valéry dans son Monsieur Teste “mon possible ne m’abandonne jamais”.



Bachmann me semble tout de même plus optimiste, il y a des moments de prise de conscience, comme si l’existence nécessitait ces petits deuils réguliers de tranches de vie, des moments massue, dont on se relève parfois mieux armés, plus conscients aussi de la finitude des choses, car c’est le privilège de la jeunesse que de pas concevoir aisément la vieillesse.



Au fil de cette longue nouvelle, sinueuse, extra-lucide, jamais nous n’oublions que l’écrivaine, qui partagea la vie de Paul Celan, est aussi poétesse, il y a quelque chose du songe, du rêve éveillé, particulièrement lorsque nous regardons la vie comme en dehors de soi, le personnage s’en fait écho, lui-meme est souvent dépersonnalisé ; on a l’impression qu’il vit les évènements de son existence comme extérieur à eux.



Une réelle attention aux sensations les plus personnelles, comme l’acte même de “penser” , que le personnage découvre au détour d’une librairie, et tout le vertige, l’ivresse que ces acrobaties mentales provoquent. Cela peut rattacher ce texte au courant du flux de conscience, bien que Bachmann donne aussi beaucoup sur le cadre extérieur : les voyages en Italie, dont l’inspiration est sans doute à aller chercher dans la biographie de l’écrivaine autrichienne, tout comme, rétroactivement, le récit glacial et prémonitoire d’un tragique accident de la route.



Une lourde charge contre la mondanité, incarnée par le personnage de Moll, nous connaissons tous un Moll, on ne peut s’en défaire, c’est un “hydre” pour Bachmann, cette incarnation de la vacuité et la fatuité : “Moll plein de mépris pour les ratés et le plus raté de tous”. Une ironie salutaire vis à vis du conformisme comme lorsque le personnage principal rédige une lettre de motivation pour un emploi en terminant par “en espérant que…” et Bachmann d’ajouter : ‘Il n’espérait rien du tout.”



Néanmoins, il y a quelque chose d’hermétique parfois, de rebutant, peut-être pas tant dans l’écriture d’Ingeborg Bachmann que dans l’angle qu’elle choisit, malgré la beauté et la singularité de son angle d’approche littéraire.



“Fuir avec elle (…) vivre avec elle tout simplement, vivre avec son corps, sans contexte et loin de tout. Vivre dans sa chevelure, dans le coin de sa bouche, dans son sein.”



Autre récit saillant de ce recueil de sept nouvelles, paru au début des années soixante, “Du coté de Gomorrhe”, fragment d’une nuit de combat intérieur que se livre à elle-même une femme essayant d’oser échapper, dans les bras d’une autre, au mensonge d’une vie à l’abri de ses désirs lesbiens. De bons dialogues, une réelle tension, parfois brutale, et un soupçon de sensualité agrémentent ce morceau tranchant de vie. L’auteure fait montre d’une perspicacité audacieuse dans l’étude du personnage de Charlotte, dans le tourment et l’épuisement qu’une homosexualité contrariée peut causer à la psyché.



Qu’en pensez-vous ?
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Sämtliche Gedichte

Obsession du pouvoir de mots comme dans ce poème d'hommage à Anna Akhmatova et omniprésence des femmes.

Un très beau recueil de poésie !
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Le passeur et autres nouvelles



Le 17 octobre prochain ce sera tout juste un demi-siècle que la virtuose des lettres allemandes, Ingeborg Bachmann, nous aura quitté, dans des circonstances bizarres, à l’âge de seulement 47 ans.



Le présent recueil regroupe une douzaine de textes, parmi lesquels des nouvelles publiées à titre posthume, mais aussi des débuts de romans, comme par exemple "Portrait d’Anna Maria", qui sont malheureusement restés inachevés. On ne peut que regretter que tout ce travail de grande qualité ne verra jamais le jour.

Le dernier texte du recueil "Visite d’une ville ancienne" devait ainsi constituer le début du troisième chapitre de son roman "Marina".



Née le 25 juin 1926 à Klagenfurt dans la Carinthie autrichienne, Ingeborg Bachmann se classe parmi les grands écrivains de son pays, tels un Stefan Zweig, Joseph Roth et Arthur Schnitzler, pour m’en limiter qu’à ces 3 maîtres.



La vie d’Ingeborg Bachmann a été plutôt mouvementée et s’est terminée dans le drame à Rome, le 17 octobre 1973. Morte de ses brûlures. On sait maintenant qu’elle se serait endormie en fumant au lit, à un moment où elle était déjà affaiblie par la prise de psychotropes et calmants.



Il existe une épatante biographie de la main de Hans Höller, traduit en Français par Miguel Couffon "Ingeborg Bachmann" et parue en 2006 chez Actes Sud, que je peux vous recommander vivement.

Il s’agit d’une biographie illustrée qui explique avec une grande tendresse son amour pour le poète Paul Celan (1920-1970) et son mariage avec l’écrivain et architecte suisse Max Frisch (1911-1991).



L’auteure a obtenu un doctorat en philosophie à l’université de Vienne et le Prix Büchner, le prix littéraire allemand le plus prestigieux.

Depuis 1977, chaque année dans sa ville natale de Klagenfurt est décerné un prix littéraire qui porte son nom : le "Ingeborg-Bachmann-Preiss".



Je considère le recueil en rubrique, d’à peine 139 pages et qui se lit très vite, comme un excellent moyen de faire connaissance avec cette grande dame et je salue en passant Miguel Couffon pour son admirable traduction.

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Requiem pour Fanny Goldmann

c’est la 3 fois ou plus que je lis un livre de cet auteur. Ce livre inachevee a été traduit par Miguel Couffon Ele a jeté sur le papier un certain nombre d’idées. J’ai lu Malina. Vivait une certaine Fanny Wickenewski, fille d’un colonel autrichien. Il s’était suicide un jour par patriotisme. Elle devint actrice et joua des pièces comme Iphigenia ou Merci pour les roses. Elle passa l’hiver chez sa mère. Fanny s’élevait bien plus haut. C’est quelque chose qu’elle n’a jamais dite. Qu’elle aimait. On but à la santé de Fanny et Goldman. Ils souriaient toujours.

Fanny avait un joli appartement. La Gebauer dit : Ces deux-la sont merveilleux. Vous habiterez encore ensemble. Quand tout sera fini. Il lui fit un récit détaillé.Sa tendresse s’évanouit. Sa condition de juif le taraudait. C’ était l’émigration qui le préoccupait. Elle était ridiculement belle. Il parlait d’italo Svevo.

Passez moi les épines.
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Franza

« Franza » est un petit roman qu'Ingeborg Bachmann laisse inachevé lorsqu'elle meurt subitement en 1973. La prix Nobel de littérature a tout de même légué un bijou intéressant, dans lequel on retrouve ses thèmes habituels : l'amour qui se transforme en haine, les relations de couples qui tournent à la violence (plus psychologique que physique, surtout insidieuse) et l'incapacité à communiquer. Peut-être un soupçon de folie, aussi. L'histoire commence avec Franza qui pense à sa jeunesse en Galicie, une région d'Autriche, à son arrivée à Vienne et à son mariage avec le docteur Jordan, un célèbre psychiatre de dix ans son ainé. Mais elle ne se sent pas bien. Son frère Martin la convainc éventuellement de l'accompagner en Égypte. Ensemble, ils voyagent et explorent ce pays exotique. Lui, parle beaucoup. Avec érudition. Elle, écoute distraitement. LeCaire, oui. Les Arabes, oui. le désert, la mer Rouge, oui. La Vallée des Rois et les pyramides, oui. Martin est certain qu'elle ne l'écoute pas vraiment, qu'elle n'est pas toute là. C'est qu'elle a beaucoup en tête, Franza. Mais cette solitude, ce désert, il est propice aux réflexions, à l'introspection. Enfin libérée du joug de son mari, elle se rend compte à quel point il pouvait se montrer méchant. Il la traitait comme une de ses patientes, disséquant ses moindres gestes, ses moindres paroles. Surtout en gardant une froide distance entre eux deux. Maintenant, enfin, elle peut penser par elle-même. Mais, une fois les valves ouvertes, c'est une véritable tempête qui l'engouffre. Elle sombre tranquillement vers les ténèbres. Bachmann réussit à faire évoluer son personnage avec finesse, à la faire passer à des émotions brutes et violentes avec beaucoup de délicatesse. À sonder les profondeurs de l'âme humaine dans toute sa complexité. Attention ! J'ai commis l'erreur de vouloir le lire trop rapidement, je me disais qu'un si petit roman pouvait s'achever en un rien de temps. Il faut plutôt le lire sans presse, s'en imprégner.



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Trois sentiers vers le lac

C’est le 4ème livre de cet auteur que je lis. Il a ete traduit par Hélène Belletto. Boje moi. Dieu , qu’elle avait froid aux pieds. C’était sûrement Paestum. Je suis en traduction simultanée. j’aime ce livre. Il ou elle baillait. Il fallait aller voir dans les nouveaux hôtels.Quelle excitation de pouvoir parler ainsi:

Non jamais elle ne se marierait. quand elle s’arrêtait au Lido de Paestum. A son âge, il ne pouvait souffrir d’artériosclérose comme Nadja. Les sarrasins encore les sarrasins dit elle. Elle ne pesait presque rien. C’est la mer c’est merveilleux. Je vois Dinard est-ce normal docteur? Le miracle est comme la foi. Il lui fut impossible de finir cette phrase. Mme Mihailovics ne pouvait s’arranger avec elle. Je pense que la combinaison n’était pas la meilleure. J'ai le covid. Je ne l’avais jamais attrapé avant. J’étais vacciné 3 fois comme il est prévu. Miranda ne le voudra jamais. Miranda et incorrigible. Miranda est tombee amoureuse d’un pied de table. Elle déambulait Prinz-Eugen strasse. Johannes est sexuel.

ca ne me déplaît pas de travailler pour une canaille.

Elle aime comme ma tante, les voix. je me rappelle cette tendresse infinie de mon père. Suffoquant, elle dit à son père.

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La trentième année

Je l’ai déjà écrit et je me répète : je suis toujours embêté quand vient le temps de rédiger une critique sur un recueil de nouvelles. Ça finit souvent en un résumé chacune des histoires qui le composent, j’ai l’impression de ne pouvoir qu’en effleurer l’ensemble. Mais bon, je me suis imposé à nouveau cette tâche puisqu’il n’y avait aucune critique sur cette œuvre, « La trentième année », de la grande poétesse autrichienne Ingeborg Bachmann. Une situation qu’il fallait rectifier !



Souvent, dans tous le recueils de nouvelles, certaines histoires sont moins bien réussies. Mais, dans le cas de Bachmann, elles laissent toujours un souvenir évanescent. Il en reste un petit quelque chose, que ce soit une impression, un vague souvenir. Dans tous les cas, j’aime beaucoup cette oeuvre de Bachmann, comme toutes les autres, et cela pour différentes raisons.



Des intrigues puissantes et simples à la fois. L’auteure décrit des situations de la vie de tous les jours, auxquelles tout le monde peut s’identifier. Le temps qui passe, la trentaine (cette année charnière qui nous amène à réfléchir à nos accomplissements, à notre vie…), les relations parents/enfants, les relations amoureuses, l’amitié entre femmes, le deuil, etc. Bref, des situations qui ne devraient laisser personne indifférent.



Personnages forts, tant féminins que masculins. Je le précise car, selon moi – et s’il-vous-plait, ne me taxez pas de mysogyne ni de sexiste ! –, les écrivains femmes en général réussissent moins bien à rendre réellement justice aux personnages masculins. Certaines, plusieurs, beaucoup y parviennent, bien sur. Mais Bachmann est dans une catégorie toute spéciale. Les nouvelles « Tout » et « La trentième année » en sont la preuve. Mais les personnages féminins ne sont pas en reste, comme dans « Du côté de Gomorrhe », où les deux protagonistes Charlotte et Mara entretiennent une relation poignante toute en tendresse.



Émotions fortes. Mais attention, on ne tombe pas dans le mélo-dramatique ni dans le tragique. Et encore moins dans l’eau-de-rose ou le pathétique. Les personnages sont racontés alors qu’ils traversent des moments-clé de leur existence mais Bachmann réussit à nous transmettre leurs états d’âme sans fard ni mascarade. Sans trompette ni tambour. Des émotions brutes. Mais tellement criantes de vérité. Un peu comme dans la nouvelle « Ondine s’en va », dans laquelle la narratrice crie sa haine des Hans – en fait, des hommes en général – qui l’on trompée, abandonnée. Partout il y a cette intensité qui provient d’une folie subconsciente.



Je ne connaissais pas beaucoup Ingeborg Bachmann. Alors récemment j’ai lu de ses œuvres comme « Franza », puis « Malina ». J’ai voulu poursuivre et je me suis lancé dans le recueil « La trentième année » que j’ai beaucoup aimé. Décidément, une auteure à découvrir.
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Malina

Traduit par Ph Jacottet et claire De Oliveira. C’est le 2 eme que je lis de Bachmann de Klagenfurt. Après Franza. Je n’ai pas vu le film. J’ai lu un livre de Jelinek. j’ai très moyennement aimé. O vieux parfum vaporisé. Sa chambre est la dernière. Il n’y a pas de cadeau. Je ne connais pas ce livre. J’ai fabriqué plus au restaurant Linde. L’ omo la lessive qui lave plus blanc que blanc. Ce n’est pas forcément pour toute la vie. Les gyerekek puisque tels est leur nom. Celan ce poète roumain de langue allemande. Je suis à Venise. Le ciel est d’un noir profond. Mettre du calme dans ton inquiétude. Il est vain de feindre l’indifférence. Note dame des remedes.
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Toute personne qui tombe a des ailes



J'avoue avoir bien du mal à traduire mon ressenti , après lecture de cette anthologie très complète de l'énigmatique Ingeborg Bachmann. Autrichienne née en 1922, son traumatisme sera que son père a adhéré au parti national-socialiste. Amante de Paul Celan, elle n'aura de cesse de dénoncer les guerres, les injustices, à travers ses poèmes mais aussi ses oeuvres en prose. Elle mourra tragiquement et précocement de brûlures accidentelles, à 47 ans.



Je n'ai pas été touchée, ou très peu, par ses poèmes. Quelques-uns écrit dans sa jeunesse, où la recherche de lumière est pure, et d'autres, empreints d'une tristesse profonde m'ont plu mais je suis restée de marbre devant l'ensemble de sa production poétique. De marbre, j'utilise volontairement le terme car j'ai eu l'impression d'un bloc de pierre impénétrable, sans affects. Mais bien sûr, c'est une impression toute personnelle. Et peut-être que la traduction, si difficile en poésie, n'arrive pas à rendre la profondeur des mots.



La rencontre n'a pas vraiment eu lieu pour moi, j'espère qu'elle se fera pour d'autres lecteurs car la poésie d'Ingeborg Bachmann est exigeante, en quête d'absolu et mérite qu'on s'y attarde...
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Toute personne qui tombe a des ailes

Quelle force poétique incontestable !



Auteure autrichienne dont le père était nazi et qui en souffrait assez pour nous offrir une poésie pleine de souffrance mais tellement belle.



Sérieux bémol, le vocabulaire utilisé en français semble parfois plat et la rime manque. Le plaisir doit être d'autant plus grand pour le lecteur qui pourra lire le texte original de cette édition bilingue. Car en allemand, il est visible que tout rime et chante davantage. Difficile de traduire la poésie bien sûr.



Ceci n'empêche pas de s'imprégner de cette oeuvre notable. J'en recommande la découverte en tout cas !
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Malina

Comment classer cet ouvrage ? Roman ? Long poème en prose ? Fiction autobiographique?.. Démarche inutile à mon sens : il serait préférable de ne pas faire rentrer cette gemme brute dans un écrin trop réducteur. Car MALINA est avant tout une ode à la liberté de création, l'un de ces objets littéraires se déployant selon leurs propres règles de construction, et qui ne peuvent laisser indifférent aucun lecteur…

Le roman s'ouvre sur une présentation pourtant assez classique de ses protagonistes, qu'on devinerait volontiers impliqués dans l'un de ces scénarii trop souvent rebattus du «triangle amoureux», chacun étant introduit par une brève notice (né à.., domicilié à…, travaille dans…), le tout faisant d'ailleurs drôlement penser aux didascalies initiales d'une pièce de théâtre. Deux personnages masculins sont ainsi présentés, Ivan et Malina (ce dernier bizarrement affublé d'un prénom féminin), Béla et András, les enfants du premier, âgés de 5 et 7 ans, la narratrice enfin, désignée non pas par son prénom, mais par un «Moi» anonyme que l'on suppose pouvoir aussi désigner l'auteure (d'autant que comme celle-ci, « Moi » serait née à Klagenfurt, a les yeux bruns, cheveux blond…). Ingeborg Bachmann insistera cependant, à maintes reprises, à exclure véhément toute dimension autobiographique à son roman…

Après les « Personnages », arrive logiquement le «Lieu» : Vienne. Puis le «Temps», naturellement. Inscrivant tout d'abord, «Aujourd'hui», la narratrice déclare qu'il lui sera toutefois «laborieux», voire par moment impossible, de respecter une telle unité de temps. «Aujourd'hui» étant en l'occurrence, pour celle qui le «traverse en toute hâte», «trop démesuré, trop bouleversant», si bien qu'elle se sent incapable de le circonscrire systématiquement ou de manière linéaire. Et, dit-elle, si elle arrivait malgré tout à écrire quoi que ce soit sur cet « aujourd'hui », encore faudrait-il l'effacer aussitôt, comme on devrait, rajoute-elle, «déchirer, froisser, laisser inachevées, inexpédiées, les lettres réelles, parce qu'étant d'aujourd'hui, il n'est pas d'aujourd'hui où elles puissent être reçues»*

*{ Normal, en 1970 l'on n'était pas encore à l'ère des «mails», pourraient à juste titre retorquer certains d'entre nous !! – Il ne faudrait pas pour autant, je trouve, s'empresser de discréditer cette proposition, sous prétexte d'un progrès technologique majeur intervenu entretemps, l'ayant rendue soi-disant caduque et signant, par la même occasion, l'arrêt de mort à presque toutes les formes postales classiques d'échanges épistolaires (qui écrit encore des lettres personnelles aujourd'hui ??). Dans tous les cas, l'image garde toute sa pertinence quant à la nature et à l'intensité du sentiment d'urgence interne éprouvé par la narratrice, et puis, ne serait-il pas tout aussi illusoire de croire qu'on peut désormais communiquer enfin sa subjectivité «en temps réel», grâce à l'Internet ? Toujours est-il que dans le roman, de nombreuses tentatives épistolaires verront le jour, des lettres à profusion, brouillons froissés, recommencés, courriers inachevés et jamais expédiés, envahissant l'emploi du temps et le bureau de la narratrice, illustrant parfaitement cet impératif paradoxal et vital d'écrire chez elle… Aussi Ingeborg Bachmann laissera-t-elle à sa mort quantité de textes inachevés et un nombre incalculable de feuillets épars qu'on continue encore à ce jour à exhumer et à analyser. Enfin, pour clore cette longue parenthèse postale, dans son roman, l'auteure avouera sa fascination pour la personnalité du célèbre facteur autrichien Otto Kranewitzer, condamné "injustement" pour malversation et abus de confiance après avoir inexplicablement cessé de distribuer le courrier, et l'avoir entassé chez lui pendant des mois alors même qu'il n'avait strictement rien ouvert ou subtilisé.. !}

Ainsi, brisant volontairement toute unité temporelle, brouillant les pistes et l'étanchéité séparant d'ordinaire les genres narratifs, libre de toutes contraintes, l'auteure semble-t-elle s'autoriser à nous livrer à l'état brut sa voix la plus personnelle et intime ( dont le corollaire musical figurant à différents passages du récit ne sera autre que celle du «Pierrot Lunaire» de Schoenberg, avec son « sprechgesang» particulier, curieux et imprévisible «parlé-chanté»..). Sans retenue donc, sans aucun filet de sécurité non plus, portée par sa narratrice et avatar, «Moi», elle nous invite à quitter abruptement la tranquille vallée des certitudes quotidiennes (« huit heures de travail ou un jour de congé, tel ou tel trajet, quelques courses, la lecture du journal, le thé, un oubli, un rendez-vous..») pour l'accompagner errer dans ces régions de l'esprit où l'atmosphère intérieure se raréfie, quelquefois à la limite du respirable («Le troisième homme»), périple jamais tout à fait balisé, sachant d'emblée l'impossibilité d'en retranscrire son tracé précis, nos vérités les plus personnelles et essentielles, celles qui nous ont façonnés en une monade unique et irréductible étant, n'est-ce pas, celles aussi dont on ne peut justement donner aux autres aucune preuve irréfragable ou définitive…

Chez Ingeborg Bachmann, âme passionnée et à fleur de peau, écorchée, création et destruction paraissaient indissociables. Femme séduisante et séductrice, indépendante et naturellement douée, qui n'aura jamais caché «aimer les hommes», elle aura cherché au travers de ses nombreuses «amitiés amoureuses» masculines - dont le lien qui l'unissait au poète Paul Celan fut sans aucun doute la plus intense -, à la fois un agent indispensable à son inspiration créatrice et une planche de salut à ses tentatives de ramener à la lumière cette partie d'elle-même restée, selon une formule devenue récurrente chez elle, dans le «cimetière des jeunes filles assassinées». Ingeborg Bachmann ne réussira pas en effet, jusqu'au bout, à effacer complètement les séquelles laissées par les traumatismes subis durant son adolescence, liés au rôle funeste joué par l'Autriche durant la Deuxième guerre mondiale et à l'éducation reçue de son père, fervent protestant, admirateur de l'idéologie nazie et adhérent du parti national-socialiste dès le début des années 30, ainsi que par ceux provoqués, au tout début de sa vie de jeune femme, à Vienne, par le silence insupportable autour de l'histoire récente dans lequel son pays natal était plongé, essayant à tout prix de faire passer l'Autriche aux yeux de la communauté internationale pour «la première des victimes de l'Allemagne nazie».

«Un jour viendra où nos maisons s'écrouleront, les voitures ne seront que ferraille, nous serons délivrés des avions et des fusées, nous aurons renoncé à l'invention de la roue et à la fission de l'atome, un vent frais descendra des collines bleues gonfler nos poumons, nous serons morts et nous respirerons, ce sera la vie entière.»

À la lecture de MALINA, pour peu qu'on se soit intéressé à la histoire même et au parcours de son auteure, et ce malgré toutes les mises en garde que celle-ci n'aura cesser d'apporter, il paraît difficile d'éviter de penser et de faire un parallèle entre la vie d'Ingeborg Bachmann et son premier roman. Quid d'Ivan ou de Malina ? le premier ne pourrait-il pas constituer un reflet fictionnel de l'écrivain suisse Max Frisch, avec lequel elle aura entretenu une longue liaison passionnée, avant que ce dernier quitte femme et enfants (deux, comme Ivan..) pour venir la rejoindre à Rome, ville où Ingeborg Bachmann s'était réfugiée depuis plusieurs années, et où, à l'instar de sa narratrice, elle avait certainement dû passer beaucoup de soirées à attendre «le son de sa voix, à côté du téléphone, en fumant cigarette après cigarette».. ? Et Malina, ne pourrait-il incarner le fantôme de Paul Celan, l'âme-frère, son amour le plus inconditionnel et fidèle, initié en 1948, jamais tout à fait accompli, jamais interrompu non plus avant ce jour à Paris où le poète, fatigué de vivre, s'était abandonné dans la Seine (encore un évènement tragique dont Ingeborg ne se sera jamais tout à fait remise), âme-soeur aussi, fusionnelle, reflet toujours disponible à portée de main et de miroir (d'où son prénom féminin, Malina?..).

D'autres niveaux de lecture pourraient certainement être aussi envisagés à la lecture du roman : s'agirait-il plutôt d'élucubrations purement imaginaires d'une femme vivant, pourquoi pas, toute seule dans son appartement ? « En gros le lieu est Vienne », nous apprend la narratrice, cependant «l'unité de lieu» se résumerait en vérité «à une seule rue, mieux que cela, à un fragment de la rue de Hongrie : c'est là que nous habitons, Ivan, Malina et moi » (!) ? D'une fantasmagorie autour de quelques-uns des paradoxes constitutifs du désir, ici dans sa version féminine, entre d'un côté le besoin d'assurance, de protection venant d'une figure masculine fiable et raisonnable - «mari », ou celui qui en ferait office- , et, d'autre part, l'exaltation d'un amour-passion, de cette urgence et de cette dévotion des sens qui ne s'expliquent pas, incarnées dans le roman par le fantasme idéalisé de l'amant auquel on s'abandonne sans concession, «échue sans mots», tremblant d'un désir impérieux et en même temps de l'attente et la peur d'être subitement délaissée? Faire coïncider ces deux images sur un seul et même support, en voilà bien une manoeuvre qui peut s'avérer parfois délicate à négocier pour la psyché féminine... ! La psychanalyse freudienne pourrait également y trouver un terrain favorable à sa grille de lecture, notamment en ce qui concerne la problématique de la triangulation oedipienne (la deuxième partie du roman consiste en une longue succession de rêves autour des figures parentales archaïques, dominés par l'omniprésence terrifiante du père et, accessoirement, la mère), ou encore la dynamique particulière aux déchirures irréparables provoquées dans le tissu psychique par les traumatismes précoces, enfermant le sujet dans un cercle de répétitions incontournables et d'obsessions envahissantes («Je ne peux pas lui parler de pareille insanité, et comme je ne peux pas lui parler de meurtre, j'essaie seulement de crever, de brûler cet abcès, pour Ivan, je ne veux pas rester vautrée dans cette obsession du meurtre, avec lui je devrais parvenir à l'éliminer, qu'il la prenne sur lui, qu'il me sauve », nous confiera la narratrice, pourtant alors en pleine idylle amoureuse).

Comment se reconstruire sans détruire ? Comment ériger du nouveau autrement que sur les ruines d'une autre chose, de quelqu'un d'autre ou de soi-même ? Voilà tout le dilemme, et en même temps la source vive de cette écriture.

Quoi qu'on en pense et analyse, MALINA reste avant tout une oeuvre dédiée à cette impasse, sorte de retable baroque lyrique et ténébreux, un tryptique comportant un panneau central (« Des Fins Dernières») et deux volets mobiles (« le Bonheur » et « le Troisième Homme »), tableaux saisissants à la fois de l'exaltation de la passion amoureuse et créatrice, et des stations de la via crucis personnelle de son auteure : un « Exsultate Jubilate » se terminant par la descente de croix de son corps mystique.

Un roman, en fin de compte, qu'il ne faudrait peut-être pas chercher à tout prix à «comprendre» rationnellement.

Je crois que souvenir que j'en garderai, en tout cas, sera celui d'un essai insensé de sismographie émotionnelle servi par un langage poétique fulgurant et fragmentaire, déployé ici (et superbement traduit par Philippe Jaccottet) sur un fond de ciel noir et tourmenté, certes, mais serti de brillants; le souvenir enfin d'une femme exceptionnelle à la destinée émouvante, emblème mélancolique de toute une époque et génération, de sa force de caractère et de sa grande fragilité, et qui m'aura, moi aussi, fasciné.

Je suis d'ailleurs absolument convaincu, jusqu'à preuve en contraire, que c'est à elle que s'adressait Paul Celan en écrivant ceci : «Si grand était son amour pour elle qu'il aurait suffi à faire sauter le couvercle de son cercueil – si la fleur qu'elle y avait déposée n'avait pas été si lourde.»

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Toute personne qui tombe a des ailes

Je feuillette depuis quelques jours ce recueil d'Ingeborg Bachmann - amante et muse de mon bien-aimé Paul Celan- féministe, rebelle, agitatrice infatigable, à la mort tragique - elle succombe à ses brûlures dans une chambre d'hôtel romaine- et je cherche dans ses vers quelques éclats de cette colère, quelques morsures de cette intransigeance, quelques oracles de cette recherche- la belle était philosophe de formation, thèse sur Heidegger, etc...-mais les quelques pépites trouvées me déçoivent un peu..

C'est un peu trop lourd, un peu trop germanique pour mon goût...

Non que ce soit trop "dit" -ce qui tue, à coup sûr, la poésie- mais les images ne me parlent pas, le mystère est de plomb, opaque....pas de fulgurants trous d'air, comme chez Celan...

Il faut sûrement chercher encore, mais en poésie ce n'est pas comme en prose: on se fait vite une opinion. L'intuition nous guide plus que la raison, la sensation plus que l'idée.

La poésie d'Ingeborg reste pour moi comme son rude prénom: une gangue rugueuse dont je n'ai pas su extraire l'or...
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Malina

Il arrive que durant ce roman, qui par moments flambe et réjouit, on se demande ce que Ingeborg Bachman a voulu nous dire. Dès lors, entrer dans cette fiction ne laisse pas intact : ou bien rebuté par ce qui s'apparente à une tentative de déstabilisation de vos repères, vous laissez le livre là, défait, ou bien, éperonné, vous tenez à connaître les motivations non-conformistes, folie ou révolte, qui ont poussé cette autrichienne à déverser ses luttes et ses cauchemars dans un livre déconcertant. Peu avant de reconduire Malina incomplètement lu en bibliothèque, un article1 de Pierre Assouline m'a donné la résolution d'aller au bout et d'entreprendre une quête approfondie. "Au nom de l'énigmatique beauté du texte" et avec le sentiment stimulant de ne pas être seul en difficulté, le sens échappant parfois à Philippe Jaccottet lui-même, car "il est vrai que cette histoire autrichienne n'aurait pu être écrite dans une autre langue que l'allemand."



Beaucoup de clichés et de légendes circulent à propos d'Ingeborg Bachman, et c'est seulement depuis une trentaine d'années que la critique scientifique explore cette œuvre majeure de la littérature en langue allemande de la seconde moitié du vingtième siècle. Elle est peu connue en France, sans doute en partie parce que sa traduction est difficile : Françoise Rétif est parmi ses biographes et traductrices francophones les plus compétentes et on trouvera dans ses publications un éclairage sur l'étonnante autrichienne.



Ingeborg Bachman est née à Klagenfurt en 1926 et à l'âge de dix-huit ans, elle est une écrivaine prolifique avec des poèmes, des nouvelles, des lettres fictives, un drame et un journal de guerre. Étudiante en germanistique et philosophie, elle soutient une thèse brillante sur la philosophie existentielle de Heidegger qu'elle n'hésite pas à critiquer. Elle est tôt invitée à faire partie du prestigieux Groupe 47 et reçoit le prix qu'il décerne en 1953. La publication de son second recueil de poèmes et deux pièces radiophoniques lui valent une célébrité définitive, d'autant plus marquée qu'à cette époque, l'Allemagne en reconstruction s'empressait de reconnaître la poésie belle et émotive, riche de sa langue, qui faisait oublier la shoah et renouait avec la tradition. Mais l'autrichienne dérange par sa féminité provocante et ses liaisons nombreuses, difficiles et scandaleuses. Partagée entre Rome, Zurich et Berlin, liée à des créateurs connus tels Paul Celan, Max Frisch, Henze, Weigel, elle manifeste une pensée critique à l'égard des pays germaniques et des hommes. Tout cela, sa mort accidentelle dans un incendie à Rome, ses silences prolongés, contribuèrent à construire un mythe autour de son nom.



Si on dépasse les jugements superficiels, on découvre dans l'œuvre une quête continue, des thèmes récurrents. Très engagée, elle n'a cessé de stigmatiser, dans tous ses poèmes comme en prose, tout ce qui s'apparente au drame autrichien de l'Anschluß, alourdi par l'implication de son père dans les violences nazies. Elle continuera à dénoncer le fascisme là où elle le voit, dans les sociétés capitalistes, colonialistes et patriarcales. Elle n'a cessé de considérer que l'écrivain a une mission à accomplir pour le progrès de la société. À cela s'ajoute le rôle de la femme auteur, trouver sa place et son identité dans une tradition dont elle hérite et qu'elle veut transformer. Sa soif d'écriture et d'idéal l'amèneront avec opiniâtreté et lucidité à adopter des formes littéraires nouvelles, de conception esthétique audacieuse. Elle démystifie un art intouchable, sacré, avec une écriture subtile, changeante, innovatrice. On touche là au caractère évident de Malina : transgression au plan de la forme et des idées.



Malina, à fois journal intime et chronique fragmentaire, est le roman de trois êtres: une narratrice, nommée Moi, sa part masculine Malina, compagnon non amant, et enfin Ivan, l'homme aimé pour qui le livre doit être écrit. Il s'agit du seul roman achevé de la trilogie "Façons de mourir" (parfois traduite "Genres de mort", maladroitement selon moi), car la mort brutale en 1973 écourta le projet. Malina, que l'on prend pour un nom de femme et c'est voulu, représente le père sévère, le surmoi social. Il tente de réconcilier la narratrice avec le monde ordonné, bien agencé, très masculin, qui s'oppose à une nature fantasque, rêveuse et passionnée. À la fin du roman, Moi s'efface, entre dans le mur et s'y enferme. Suicide symbolique mais aussi assassinat où on lira la contrainte exercée par les hommes pour intégrer la femme dans un processus de socialisation qu'ils structurent.



Françoise Rétif interprète plus avant la décision de disparaître dans le mur. Elle consiste, pour Moi, à se refuser à poursuivre l'écriture lorsque écrire signifie accepter de renoncer à tout ce qui constitue une écriture indissociable de la passion, de la volonté de la femme d'écrire pour l'homme aimé, Ivan. Car ce dernier l'a quittée. Dans Le livre à venir, Maurice Blanchot évoque l'idée de l'écriture comme une décision de s'y clôturer, une limitation en quelque sorte. C'est autour de cela que gravite Malina, à savoir — je cite Rétif — "la thématique centrale de l'œuvre bachmanienne: qu'est-ce qu'écrire, si écrire signifie renoncer à la vie ? Qu'est-ce que l'art s'il faut lui sacrifier la vie ? Qu'est-ce que l'art s'il fait de la mort son œuvre ? Et qu'est-ce que l'art quand c'est une femme qui écrit ?" La question de la femme écrivain est posée en terme de sexe (de genre): une femme peut-elle entrer dans le système symbolique sans renoncer à une partie d'elle-même ? Sur ce sujet, je préfère renvoyer au chapitre Art féminin, art paradoxal que développe Françoise Rétif dans le bon ouvrage paru chez Belin, collection Voix Allemandes.



Le rapport des sexes est envisagé sous deux aspects dans cette fiction. D'une part, la dénonciation de la violence d'une réalité à travers l'image du Père, auquel Bachman consacre la seconde partie du livre, Le troisième homme, amalgame d'autorité brutale et d'inceste rapporté dans une narration onirique effrayante: "Ce n'était pas mon père, c'était mon assassin." À côté de cela, il y a l'utopie de la réconciliation. Androgynie ou bisexualité qui abroge la séparation des sexes sans renoncer à leur complémentarité et à leurs différences. Une relation idéale avec Ivan qui abolirait la schizophrénie dont souffre la narratrice. Un moment, c'est Ivan et moi; un autre moment nous; tout de suite après toi et moi. Rapport amoureux dans l'harmonie de la complémentarité, accord du corps et de l'esprit qui rendrait possible alors une écriture en tant que fruit de l'amour et trace de celui-ci. Opposition avec Lacan pour lequel, quand on ne peut avoir la chose perdue, on la tue en la symbolisant par la parole, de sorte que la parole serait meurtre de la chose. Au contraire chez Bachman, l'écriture serait la trace de la fécondité de l'amour. Forme de venue à l'écriture par la passion amoureuse, écriture qui n'est donc pas réparation de la perte mais gain d'amour, à l'opposé de la conception occidentale courante selon laquelle l'art est une forme de sacrifice.



Intégrer significativement ce roman, vous l'avez compris, est exigeant. Il convient de dépasser une lecture superficielle pour entamer un travail de documentation qui porte rapidement ses fruits et devient passionnant. Outre l'ouvrage chez Belin mentionné plus haut, j'ai trouvé des informations considérables dans la revue mensuelle Europe d'août septembre 2003. Saluons aussi la publication de trois œuvres chez Actes Sud.


Lien : http://www.christianwery.be/..
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Franza

Franza, roman inachevé, ne paraîtra pas avant la mort prématurée de son autrice, Ingeborg Bachmann, brulée vive dans sa chambre d'hôtel à Rome en 1973. Il devait faire partie d'un ensemble de romans sur le thème de la mort regroupant, outre Franza, Malina et Requiem pour Fanny Goldmann.

C'est surtout le frère de Franza qui est présent au début du livre, un frère universitaire qui doit entreprendre un voyage en Orient, et qui part à la recherche de sa soeur ainée, disparue depuis plusieurs années, après avoir reçu un appel à l'aide sous forme d'un télégramme de trois pages. Martin a oublié sa soeur. Démuni, il essaye de la décrypter avec ses outils et méthodes de géologue.

La silhouette juvénile de Franza apparaît dans les souvenirs de Martin, à la sortie de la guerre notamment, quand elle va, hardiment, à la rencontre des soldats anglais.

Il la retrouve bientôt dans leur maison d'enfance, seule, malade et séparée de son mari.

Nous les retrouvons tous deux en Egypte et c'est la voix de Franza qui prend le relais. Elle relate l'expérience traumatisante vécue avec ce mari, éminent psychiatre viennois, qui la considérait et la traitait comme un cas clinique, rédigeant des fiches sur ses symptômes, et niant sa collaboration à des travaux de recherche et d'écriture. Franza considère qu'elle a été victime d'une tentative de meurtre psychologique, et les faits rapportés évoquent ce que nous appelons aujourd'hui la perversion narcissique.

Frère et soeur déambulent dans des paysages désertiques, en bordure de la mer rouge, dans les monuments de l'Egypte antique, tentant de lire les hiéroglyphes et de percevoir les visages détruits par les pilleurs de tombes. Franza, en proie à une mystérieuse maladie, dans des environnements hostiles, vacille, délire, connait des troubles de la perception, éblouie par le soleil ou ensevelie dans la boue.

Franza échappera-t-elle à sa destinée ? Le désert lui apportera-il des solutions ? Son sort n'est-il pas scellé depuis le départ ?

La fin de l'ouvrage est composée de fragments qu'Ingeborg Bachmann pensait retravailler et incorporer au roman.

Franza est un livre exigeant, énigmatique, dont les clairs-obscurs donnent à entrevoir, de manière poétique les facettes d'une femme confrontée au lourd passé de son pays et aux difficultés de relation avec les hommes. Traitant de thématiques proches, comme les rapports de domination, il complète à merveille Malina, le seul roman achevé de l'autrice.
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Trois sentiers vers le lac

Un choeur de voix féminines m'enveloppe et m'ensorcèle.

Elles sont cinq à prendre la parole dans ces nouvelles. Ce sont des voix un peu heurtées, déphasées, cacophoniques, qui s'interpellent d'une nouvelle à l'autre, font écho et se racontent des histoires, ou des bouts d'histoires, souvent avec des hommes qu'elles séduisent mais avec qui elles ont du mal à s'accorder. Il y a quelque chose qui cloche, ne les convainc pas, les laisse insatisfaites.

Elles ont perdu le décodeur, sont légèrement en décalage avec la réalité.

Elles parlent plusieurs langues, comme Nadja, traductrice, qui entame une relation avec un homme qu'elle vient de rencontrer dans un congrès. C'est juste le début d'une liaison ou une aventure de courte durée, un peu chaotique, à distance. Nadja est embarquée malgré elle dans ce périple, perdue dans le flot de mots qu'elle doit traduire, avec cet homme qui n'a d'autre attrait que celui d'être originaire de Vienne.

Dans Problèmes, problèmes, Beatrix, immature, entretient une liaison avec un homme marié dont l'épouse fait plusieurs tentatives de suicide. Elle n'a ni formation, ni travail, et ses seuls plaisirs sont le sommeil et le coiffeur, et pourtant la dernière séance va virer au cauchemar.

Dans Les yeux du bonheur, Miranda a un problème avec ses lunettes. Souvent, elle ne les trouve pas. Cela lui permet de voir les choses comme ça l'arrange. Elle va procéder de la même manière avec son amoureux.

Il faut se laisser porter par ces longues phrases sinueuses et poétiques, par ces voix captivantes, moins âpres et désespérées que celle qu'Ingeborg Bachmann nous faisait entendre dans Malina, plus légères, distanciées, proches de nos interrogations, de nos errements, de nos maladresses.

Dotée d'une capacité à décrire des situations avec une sorte d'"hyperréalisme émotionnel", cette écrivaine nous touche au coeur.
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Franza

J'ai lu ce livre deux fois dans un intervalle de 10 jours. Devant un tel talent, j'ai le souffle coupé : Bachmann est une grande écrivaine et sculpte la langue comme une artiste : elle procède par affleurements successifs et atteint aux couches géologiques les plus profondes de l'être. Elle embrasse l'histoire sans minorer l'importance de ceux qui la traversent ou en meurent. D'ailleurs ce roman est la relation d'un meurtre.

Il est resté inachevé, mais à mon sens il n'y perd rien : sans chair inutile, sans liens artificiels, ses trouvailles exhumées des profondeurs n'en sont que plus terribles et merveilleuses, mieux éclairées dans leur évidence souterraine.
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Trois sentiers vers le lac

Quatre magnifiques nouvelles d'une écriture poétique dans une langue exigeante (traduction de l'allemand par Hélène Belletto).

Ingeborg Bachman, auteure et poète autrichienne, a fait partie dans l'immédiat après-guerre du groupe 47 qui se proposait de défaire la langue allemande des tournures sémantiques et syntaxiques qui avaient permis le développement de la pensée nazie et reçu, dans un mouvement inverse et réciproque, son empreinte. Entreprise de titan qui touche à l'âme même d'un peuple, ou plutôt à ce que l'histoire en a fait.

N'étant pas germaniste, je ne suis pas capable d'apprécier dans le texte cet immense travail et doit me contenter de la traduction française qui fait apparaître effectivement une fluidité dans les états de conscience des héroïnes que je n'attribue pas à la langue allemande (peut-être à tort). Le style me fait penser à celui, toujours à travers leurs traductions, des récits de Marina Tsvetaeva (russe) ou de Clarice Lispector (brésilienne).

Cinq personnages féminins s'expriment dans ces nouvelles à travers un narrateur omniscient. L'une confie sa rencontre inopinée avec un homme dans un hôtel en Italie : avoir comme seul point commun une origine viennoise suffira-t-il à créer entre eux la complicité nécessaire pour effectuer ensemble un petit circuit touristique ? L'héroïne de la deuxième nouvelle ne trouve de vraie satisfaction que dans le sommeil et n'en éprouve aucune culpabilité. La troisième histoire évoque la façon dont une myopie sévère peut infléchir le cours de la vie jusqu'à lui conférer un velouté artistique non dépourvu de danger. La quatrième révèle l'amour d'une femme délaissée et triste pour sa belle-mère, délaissée aussi par le même homme. Dans la dernière nouvelle une journaliste renommée, en visite chez son père, se retourne sur sa vie sentimentale et professionnelle tout en essayant de retrouver un chemin mille fois parcouru dans son enfance, et qui semble effacé.

Tout ceci n'est que la structure de l'oeuvre, bien entendu, et pas l'essentiel. L'essentiel se trouve dans l'émission par les personnages d'un souffle vital si peu entravé par des considérations de bon ton et d'usages qu'on se surprend à y trouver un outil d'introspection poétique. Il y faut un peu de patience, accepter de ne pas tout comprendre, mais c'est terriblement efficace si on se laisse porter.
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Malina

Emprunté à la médiathèque, Malina dont le titre m'a attiré car il m'a rappelé un film avec Isabelle Huppert, est une vraie expérience de lecture, pas forcément toujours agréable.

Nous assistons, dans ce livre aux accents autobiographiques, aux déboires sentimentaux et existentiels d'un personnage féminin "Moi" qui ressemble beaucoup à Ingeborg Bachmann.

La narratrice, dont la personnalité est fragile, nous relate dans les première et troisième parties de l'ouvrage ses relations amoureuses avec deux hommes, un amant hongrois et un compagnon, qui, tous deux, ne semblent pas répondre à ses aspirations. Elle est dépendante d'eux, en quête d'une réassurance et d'une identité qu'elle ne parvient pas à trouver.

La deuxième partie du livre, plus obscure et mystérieuse est consacrée à des souvenirs d'enfance avec un père violent et incestueux. Elle nous donne des clés de lecture pour comprendre le mal être et les difficultés de la narratrice.

Nous sommes à Vienne après la guerre, dans un pays qui a vécu les traumatismes du IIIème Reich. Ingeborg Bachmann, dont le père était nazi, nous amène à partager avec elle une expérience de décomposition et de morcellement, au travers d'un récit fragmenté composé de prose, de dialogues, de lettres inachevées. Son écriture froide et dépersonnalisée est émaillée de fulgurances poétiques.

J'ai beaucoup aimé au début du livre la description fantasmée de Vienne et l'absence de frontières entre la ville et le psychisme de l'autrice.

Le tout est déroutant, assez rude mais il donne envie d'en savoir plus sur Ingeborg Bachmann.

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Malina

Cela fait déjà quelques jours que j’ai fini ce roman ( ?), mais j’ai énormément de mal pour écrire un commentaire sur cette lecture. Il s’agit d’une œuvre hors-norme, difficile à cerner, que je ne suis pas sûre d’avoir vraiment comprise, et de laquelle il m’est donc assez difficile de parler d’une façon relativement cohérente et construite.



C’est un récit à la première personne, un monologue, d’une femme, qui ressemble forcement très fort à Ingeborg Bachmann, enfin pour ce que je puis en imaginer. Cette femme vit à Vienne, et se partage entre l’écriture et deux hommes, un avec qui elle habite et un autre qui habite à quelques pas, et qu’elle voit le plus souvent possible. Mais le monde de la narratrice semble pouvoir à chaque instant dérailler, devenir une sorte de cauchemar éveillé dans lequel les choses et les gens deviennent étranges voire menaçants. Et il y a les récits qu’elle écrit et qui s’intègrent à certains moments au récit du roman. Il y a par moments des descriptions très réalistes, qui alternent avec des moments où les choses ne sont plus réalistes du tout.



Le livre semble décrire le monde intérieur de la narratrice-auteur, un monde chaotique, peu rassurant, dans lequel il faut à chaque moment apprivoiser le réel pour qu’il ne vous avale pas. On dirait qu’elle cherche en permanence des points d’appui qui se dérobent, rien n’est vraiment certain, sauf peut être la souffrance.



Même le langage, défense suprême se dérobe, le livre contient un certain nombre de lettres inachevées, comme si aller jusqu’au bout était impossible. Par exemple, une lettre au notaire, dont la narratrice essaie de composer plusieurs versions, jamais finies, et dont le sens semble s’éloigner de plus en plus de ce qu’elle semblait vouloir dire au début. Ces lettres sont de brillants morceaux d’ailleurs, écrits d’une façon éblouissante, avec des formules toutes faites, comme dans bon nombre de lettres, et Bachmann semble les détourner, comme si toutes ces formules tuaient la communication, la rendaient impossible. Là, il y a sûrement une brillante étude à faire sur l’utilisation du langage chez Bachmann, sur l’échec du langage qui mène à sa propre fin et à la mort, j’imagine que cela a du être écrit par des brillants spécialistes.



Un livre donc très cérébral, mais qui en même temps qu’il est complètement désespéré peut être étrangement drôle. Drôle, touchant, effrayant, incompréhensible aussi, ce livre est tout cela à la fois. Une expérience de lecture très particulière, qui demande un certain effort, qui apporte un certain plaisir, qui trouble et intéresse, mais par moments agace aussi. Quelque chose de complexe en somme. Et difficile à résumer.
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Malina

Excepté la deuxième partie, que j'ai trouvé extrêmement forte, je n'ai pas réussi à accrocher à cet étrange roman...
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