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Citations de Ismaïl Kadaré (280)


Ils errent sur les routes avec ce ruban noir sur la manche comme des fantômes dans le brouillard.
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En observant les balluchons bigarrés qui contenaient sans doute le trousseau de la mariée, ils se demandait dans quel coin, dans quelle boîte, dans quelle poche, dans quel gilet brodé les parents de la jeune mariée avaient placé "la cartouche du trousseau", avec laquelle, selon le Code, l'époux avait le droit de tuer sa jeune épouse, si elle tentait de le quitter.
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Le représentant des anciens une fois parti, Gjorg demeura comme engourdi dans un coin de la maison. Il avait devant lui trente jours sans danger. Puis il serait guetté de tous côtés par la mort. Telle une chauve-souris, il ne pourrait plus se mouvoir que dans l'obscurité, fuyant le soleil, le clair de lune et les torches.
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Le Kanun prévoyait l'état de choc dans lequel son acte pouvait plonger le meurtrier, et il permettait que des gens de passage fissent ce que lui-même n'avait pas été en mesure de faire. En revanche, laisser le mort couché à plat ventre et avec son fusil loin de lui était une honte impardonnable.
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L'homme s'approchait. Pourvu que cette fois je ne fasse pas que le blesser, se dit Gjorg, presque d'un ton de prière. Les siens avaient eu bien du mal à acquitter l'amende pour la première blessure et une seconde les ruinerait. Si, en revanche, le coup était mortel, ils n'auraient rien à payer.
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Puis la première pleureuse chantait la résurrection du fils maudit et sa chevauchée nocturne vers le pays où s'était mariée sa sœur :

Si pour une joie tu es venu,
Je me vêtirai en fée,
Si pour un deuil tu es venu,
En robe de bure je me mettrai,

et la troisième lui répondait avec les paroles du mort :

Viens, ma sœur, comme tu es.
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Peut-être Doruntine avait elle appris de quelque manière le malheur qui s'était abattu sur sa maison et, le choc lui ayant fait perdre la raison, s'était-elle mise d'elle-même en route. Dans cet état de profond désarroi, elle avait peut-être mis beaucoup de temps, des mois, voire des années, pour faire le trajet qu'elle croyait avoir couvert en une nuit. On ne pouvait expliquer autrement ces troupeaux d'étoiles qu'elle croyait avoir vu courir dans le ciel. En outre, de quelqu'un à qui les dix jours et dix nuits au moins de voyage nécessaires pour venir de Bohème font l'effet d'une seule nuit, on pouvait s'attendre que cent jours lui fissent le même effet. Plus généralement, une personne dans cet état peut être sujette à toutes sortes d'hallucinations.
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Il était une fois un général et un prêtre partis à l'aventure. Ils s'en étaient allés ramasser les restes de leurs soldats tués durant une grande guerre. Ils marchèrent, marchèrent, franchirent bien des montagnes et des plaines, cherchant et ramassant des cendres. Le pays était rude et méchant. Mais ils ne rebroussèrent pas chemin et poussèrent toujours de l'avant. Ils ramassèrent le plus d'ossements qu'ils purent et revinrent les compter. Ils s'aperçurent qu'il leur en manquait encore beaucoup. Ils passèrent alors leurs bottes, endossèrent leurs imperméables et se remirent en route. Ils marchèrent, marchèrent, franchirent bien des montagnes et des plaines. Harassés, rompus, ils se sentaient écrasés par leur besogne. Ni le vent, ni la pluie ne leur disait où se trouvaient les soldats qu'ils cherchaient. Ils en ramassèrent tant qu'ils purent et revinrent encore les compter. Beaucoup de ceux qu'ils cherchaient n'avaient pas été retrouvés. Exténués, fourbus, ils repartirent pour un nouveau et long voyage. Ils marchèrent, marchèrent, sans fin. C'était l'hiver, et il neigeait.
- Et l'ours ?
- Alors leur apparut un ours.
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Que pourrais-je écrire d'autre ? Tout le reste n'est qu'une chronique monotone. De la pluie, de la boue et des listes, des procès-verbaux, toutes sortes de chiffres et de suppositions, toute une technologie lugubre. Et puis, ces derniers temps, il m'arrive quelque chose d'étrange. Dès que je vois quelqu'un, machinalement je me mets à lui enlever ses cheveux, puis ses joues, ses yeux, comme quelque chose d'inutile, comme quelque chose qui m'empêche de pénétrer son essence, et j'imagine sa tête rien que comme un crâne et des dents (seuls détails stables). Vous me comprenez ? J'ai l'impression de m'être introduit dans le royaume du calcium.
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Pendant le voyage, il s'était souvent répété les mots qu'une très grande dame lui avait dits avant son départ : "Tel un oiseau superbe et solitaire, vous volerez sur ces montagnes silencieuses et tragiques, pour arracher à leurs gorges et à leurs griffes nos malheureux garçons."
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La question de l’auréole de l’écrivain ou de l’artiste avait été l’une des plus délicates de tous les temps. Cela pour la simple raison qu’arrivait toujours un moment où la soif de gloire, ainsi que l’envie, se déployaient ouvertement dans la vie publique. Qu’ils le voulussent ou non, les hommes de l’art étaient au centre de cette configuration. Face à eux, volontairement ou pas, se trouvaient les leaders politiques, les patriarches, les princes, les idoles nationales. L’auréole, bonne ou mauvaise, agissait différemment sur les deux camps. Et c’était là que se manifestait une surprenante différenciation : la mauvaise face de la gloire, la mauvaise réputation étaient aussi destructrices pour les idoles politiques qu’elles étaient impuissantes vis-à-vis des artistes. Et comme si cela ne suffisait pas, au lieu de les détruire, elles les rendaient souvent d’autant plus fascinants.
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D'autres soutenaient que l'Apocalypse n'était rien d'autre qu'un jour où les rêves sortiraient de la prison du sommeil, car la Résurrection des Morts, que les hommes se représentaient de manière banale, métaphysique, s'accomplirait en fait sous cette forme-là. Les rêves n'étaient-ils pas déjà leurs messages avant-coureurs ? cette revendication séculaire des morts, cette supplication, cette lamentation, cette protestation - de quelque nom qu'on l'appelât - , il y serait ainsi fait droit un jour.
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En continuant de tracer la même mention sur les feuillets suivants, il éprouvait une joie vengeresse à l'encontre de ces malheureux inconnus qui, souffrants de coliques ou d'hémorroïdes, l'avaient tourmenté deux jours durant avec leurs rêves insensés, qu'ils n'avaient peut-être même pas faits du tout, mais simplement entendus raconter par d'autres. Crétins, bourriques, imposteurs ! grommelait-il à leur encontre, tout en inscrivant la formule de condamnation.
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- Parle-moi encore de ce Maître-rêve ...
L'autre inspira profondément, mais, comme s'il avait deviné que la quantité d'air ainsi avalée était excessive pour le volume relativement faible de la voix qu'il allait émettre, , il en rejeta une partie avant de se mettre à parler.
- Tu sais peut-être que chaque vendredi, parmi les milliers et milliers de rêves qui nous parviennent et qui sont analysés ici au cours de la semaine, on en choisit un, celui qu'on a jugé le plus important, pour le présenter au Sultan au cours d'une cérémonie sans grande pompe, mais de très ancienne tradition. C'est le Maître-Rêve, ou encore l'Archirêve.
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- Là est précisément l'essence de notre travail, poursuivit-il : débarrasser les dossiers de tous les rêves sans intérêt. D'abord les rêves de caractère privé, sans aucun rapport avec l'Etat. Ensuite les rêves provoqués par la faim ou la satiété, le froid ou la chaleur, les maladies, etc., bref, tous ceux qui ont un lien avec la chair. Enfin les rêves simulés, autrement dit ceux qui n'ont pas été vraiment vus, mais conçus par certains dans l'espoir de faire carrière, ou forgés par des maniaques de l'affabulation ou des provocateurs. Ces trois catégories doivent être éliminées de nos dossiers.
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- Il y a longtemps que le monde a reconnu l'importance des rêves et leur rôle dans l'anticipation des destinées des pays et de ceux qui les gouvernent. Tu as sûrement entendu parle de l'Oracle de Delphes dans la Grèce antique, des célèbres chiromanciens romains, assyriens, perses, mongols et autres. Dans les livres anciens, on trouve évoqués tantôt les effets bénéfiques de leur prédiction quand elles permirent de prévenir les malheurs, tantôt le prix qu'il en coûta pour ne pas y avoir ajouté foi ou l'avoir fait trop tard ; bref, s'y trouvent évoqués tous les évènements annoncés d'avance, que leur cours ait été modifié ou non par le déclenchement de tels signaux.
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Il sentit monter en lui une panique sourde, de celles que provoquent en général les tremblements de terre. De fait, ce qu'il ressentait était précisément suscité par une certaine mise en branle : le fonctionnaire au visage morose, tout en poursuivant sa lecture, s'était lentement levé de son siège. Son mouvement ascendant était si lent, si régulier, que Mark-Alem fut saisi d'épouvante en raison même de cette lenteur, de cette régularité, car il se dit soudain que ce mouvement ne s'achèverait jamais et que le redoutable fonctionnaire dont son sort dépendait allait se métamorphoser sous ses yeux en monstre. Il fut sur le point de crier : Assez, je ne veux pas de cet emploi, rendez-moi ma lettre, je ne peux plus supporter de vous voir vous levez comme ça ! - mais le fonctionnaire était à présent complètement debout.
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Aucun empire à ce jour n'a trouvé emblème plus dominateur pour son étendard. Quand Byzance porta son choix sur l'aigle, celui-ci était à l'évidence plus altier que la louve de Rome. Mais voici que ce nouvel empire s'est doté d'un emblème qui s'élève dans les cieux bien plus haut que n'importe quelle créature ailée. (Kadaré fait référence au croissant de lune comme emblème de l'Empire ottoman).
Et il n'a nul besoin d'être dessiné ou peint comme une croix. Ni de flotter cousu sur une toile, au sommet de tours et de citadelles. Il s'hisse seul dans le ciel pour apparaître à l'ensemble du genre humain sans qu'on puisse en offusquer la vue. Son message est des plus clairs : les Ottomans entendent s'en prendre non pas à un ou deux états, mais au monde entier.
Chapitre LV
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Pousuivant mes explications, je lui parlai d'une ancienne liste serbe des nations, avec leurs symboles respectifs, que m'avait envoyée un moine slovène, et où l'Albanais était représenté par un aigle (dabar), le Serbe par un loup, le Croate par un hibou, le Hongrois par un lynx et le Roumain par un chat.
Chapitre XXV
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Nous (Albanais) sommes installés ici depuis la nuit des temps. Les Slaves, eux, qui s'agitent beaucoup en ce moment, à l'instar de nouveaux venus, ne sont arrivés des Steppes d'Orient que depuis trois ou quatre siècles.
Chapitre XXV
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