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Citations de Ismaïl Kadaré (281)


L’idée de la pyramide, Majesté, a vu le jour en période de crise.
[…]
Le pouvoir pharaonien, ainsi qu’en témoignent les chroniques, était affaibli. Sans doute n’était-ce pas là un phénomène nouveau. Les vieux papyrus sont truffés de pareilles vicissitudes. Ce qui était nouveau, c’était bien autre chose. Inédite, étrange, voire abasourdissante était la cause de cette crise. Une cause perfide, sans précédent : la crise n’était pas provoquée par la pénurie, par un retard dans les crues du Nil, par la peste, comme ç’avait toujours été le cas, mais, tout au contraire, par l’abondance.
Par l’abondance, répéta Hemiounou. Autrement dit, par le bien-être.
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Rapport de la commission d’enquête
Aucun indice sur cette septième pierre, fût-ce en provenance de la carrière ou par les voies qu’empruntent d’ordinaire les dénonciations, surtout anonymes, y compris de la part des transporteurs terrestres ou fluviaux. Le début du glissement a été quasi imperceptible, au point que les maçons qui étaient appuyés dessus ne l’ont même pas sentie bouger. C’est la maître maçon Sham qui, le premier, a fait remarquer : mais que se passe-t-il donc, on dirait que cette pierre remue ! Les autres, cependant, n’ont pas pris ses paroles au sérieux. Ils se sont même mis à se taquiner : Hé ! c’est toi qui l’as poussée, non, c’est toi, etc. Un instant plus tard, s’étant aperçus que la pierre bougeait effectivement, ils ont essayé de la retenir à la force des bras, mais en pure perte. Alors le maître maçon Sham s’est rendu compte qu’il n’avait sous la main aucune sorte de grappin, il s’est précipité pour s’en procurer un et le glisser dessous. Les autres aussi se sont affairés, mais trop tard. La pierre a fait voler les crochets en tous sens et, comme redoublant de fureur, s’est ruée vers le bas. Elle s’est mise à zigzaguer sur le plan incliné au niveau du dixième gradin et c’est au onzième qu’elle a entamé son massacre. Au treizième, le contremaître Thout s’est dressé devant elle en criant : Vive le pharaon ! mais il a été réduit en bouillie. Une de ses mains, arrachée, a fendu les airs, ce qui n’a fait qu’accroître la panique. Parvenue au-dessus du quatorzième gradin, la pierre a quitté le plan incliné, elle est tombée et a poursuivi sa dégringolade. C’est à ce moment que le maçon Debehen s’est mis à hurler : La pyramide s’effondre ! – et, on ne sait pourquoi, il s’est précipité sur le contremaitre pour le mordre à la gorge. D’autres se sont mis à courir dans toutes les directions comme lors d’un tremblement de terre, mais ils étaient si terrorisés que certains, au lieu d’esquiver la pierre, se sont retrouvés sur son passage et ont été écrasés. Au vingtième gradin, les éclaboussures de sang se voyaient de loin sur le bloc ; des lambeaux de chair humaine et des touffes de cheveux voletaient durant sa chute. En fait, ce n’est pas au cent vingt-quatrième gradin qu’il s’est brisé en deux, mais peu avant, et l’insistance mise par les témoins à prétendre qu’il s’est fendu au point exact où commence ce qu’on appelle la numérotation céleste relève soit d’un innocent hasard, soit de quelque sombre dessein politique. L’enquête suit son cours.
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Elle se laissa tomber dans un fauteuil,les yeux rivés au tapis.
De temps à autre, une tristesse bien particulière s'emparait d elle, une tristesse torpide pareille à des pans de neige mi_dégelée, et par là plus supportable que de vrais, de vivants accès de tristesse.
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La cité était sombre et plus pentue que jamais. Il lui semblait que, d'instant en instant, elle allait glisser du versant de la montagne où elle avait grimpé et rouler en vas, dans la vallée, au milieu des plaintes et des gémissements.
Personne ne saura jamais qui a hissé le drapeau blanc, pensa-t-il, tout décontenancé. Cet homme est apparu comme un spectre à la surface de la ville, et il a disparu. Qui était-il. Seuls les toits connaissent le secret. Et les cheminées éteintes!
Il pensa que le soir, dans les cafés, les hommes, en fumant tranquillement, se demanderaient en eux-mêmes : Qui diable a sorti le chiffon blanc ? Et il feraient défiler dans leur mémoire les capitulards et les espions. Personne ne comprendra jamais rien à cette affaire, et le mystère du chiffon blanc nous cassera longtemps la tête, pensa-t-il.
Il alluma son tchibouk et tira dessus, les yeux à demi fermés, l'esprit ailleurs.
Les tanks allemands entraient, et le manchot eu l'impression que l'image trouble d'une chose blanche bougeait, peureuse et inconstante, au-dessus de la ville pentue.
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Tirana et sa vie lui plaisaient. Tout lui plaisait ; d'abord ce nom, Tirana, qui semblait se déployer d'un coup et foncer tout droit, mais aussi ces petites ruelles près du centre, tranquilles et intimes par rapport au rues principales.
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L'automne était arrivé, les roses se flétrissaient, le jardin se dépeuplait, mais la maison de Grand-père me parut tout à coup plus belle et plus claire. C'étaient les derniers jours où les Tsiganes jouaient du violon dans la cour assombrie, tandis que le grand-père, après avoir lu tout l'après-midi les gros livres, fumait son grand tchibouk, étendu sur sa chaise longue. Moi, j'étais, comme à l'ordinaire, assis près de lui sur une chaise, mais je ne songeais plus à du tabac ou à des livres innombrables parce qu'il arrivait que Marguerite fût assise auprès de moi ; de temps en temps, elle jetait son beau bras autour de mon cou, et je restais tout figé tandis que mon cœur battait lentement, lentement, comme s'il allait s'arrêter. Je sentais sa poitrine appuyée sur mon dos, ses cheveux châtains qui touchaient mon cou et une odeur légère, étonnante et troublante, que n'avaient ni ma mère, ni ma grand-mère, ni mes tantes.
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C'était une ville étonnante qui semblait être née à l'improviste un nuit d'hiver, tel un être préhistorique, et avoir grimpé, au prix de mille efforts, sur la face de la montagne. Tout dans cette cité était vieux, pierreux et fort.
C'était peut-être la ville la plus pentue du monde.
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A neuf heures et demie, au croisement de la rue de la Renaissance et du boulevard Mussolini, deux hommes coiffés de vieux chapeaux de feutre, charriant péniblement un lavabo blanc, le laissèrent choir brusquement à terre. Le lavabo resta planté à l'envers au milieu de la rue cependant que les deux hommes s'éloignaient promptement. Un instant plus tard, d'un portillon proche, quelqu'un poussa près de l'objet abandonné une roue de chariot démantibulée, et, venant d'en face, un jeune homme et une jeune fille jetèrent au même endroit, lui un sac apparemment rempli de sable, elle un vieux paillasson qu'elle avait feint jusque là de secouer sur le pas de sa porte. Ils ne s'étaient pas encore éclipsés que sur le tas à peine formé des passants déposèrent prestement des chaises, des briques, des fauteuils défoncés, des chaudrons, des chenêts, des aiguières, et jusqu'à un lourd rideau de velours. Au même moment, d'un fortin dressé de l'autre côté u boulevard, une rafale de mitrailleuse lourde balaya la barricade à peine érigée.
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Ismaïl Kadaré
Et quand ma mémoire lasse…


Et quand ma mémoire lasse
Comme ces trams d’après minuit
Ne s’arrêtera plus qu’aux stations principales,
Je ne t’oublierai pas.

Je me rappellerai
Le soir tranquille, infini de tes yeux,
Le sanglot étouffé, tombé sur mon épaule
Comme une neige impossible à chasser.

Il fallut bien se séparer
Et je me suis éloigné de toi.
Rien d’extraordinaire,
Seulement, quelque nuit,
Les doigts de quelqu’un se mêleront à tes cheveux,
Mes doigts lointains, qui auront des kilomètres de long.
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" J'ai fort mal dormi la nuit dernière, dit-il; j'ai fait un rêve étrange.
-- Et quoi donc ?
-- Je voyais cette fille publique, celle dont ce cabaretier nous a raconté l'histoire, vous vous souvenez ?
-- Oui, dit le prêtre.
--C'est justement d'elle que j'ai rêvé. Elle était morte, étendue dans une bière. Alors que, dehors, une foule de soldats, couchés eux-aussi dans des cercueils, attendaient leur tour, devant la porte de la maison.
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Bref, de même qu'une plante ou un fruit demeure sous terre pendant une certaine période avant d'apparaître en surface, les rêves de l'homme étaient pour l'heure immergés dans le sommeil, ce qui ne voulait pas dire qu'il en serait toujours ainsi. Un jour, les rêves émergeraient à la lumière du jour et viendraient occuper toute leur place dans la pensée, l'expérience et l'action humaines; quant à savoir si cela serait bien ou mal, si le monde s'en trouverait changé en bien ou en mal, cela, Dieu seul le savait.
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--J'étais si troublée, dès qu'il m'eut dit qu'il était Constantin et qu'il était venu me chercher, que j'ai été prise d'une horrible angoisse.
-- Tu as pensé à mal ?
-- Bien sûr. Au pire : à la mort.
-- D'abord à la mort de ta mère, puis à celle d'un de tes frères ?
-- Oui, de chacun d'eux tour à tour, y compris Constantin.
-- C'est pour cela que tu lui as demandé pourquoi il avait de la boue sur les cheveux et sentait la terre mouillée ?
-- Oui, bien sûr."
Malheureuse, pensa Stres. Il imaginait l'horreur qu'elle avait dû éprouver en pensant, ne fût-ce qu'un instant, qu'elle chevauchait derrière un mort, car elle avait apparemment couvert une bonne partie du chemin hantée par ce doute.
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Le pacha suivait avec une attention extrême chaque mouvement du cheval. Les yeux fixés sur lui, il paraissait fasciné. Il était si tendu qu'au bout de quelque temps, il sentit ses genoux et son cou fatigués, comme si c'eût été lui qui galopait devant les remparts en baissant de temps en temps la tête pour rechercher un peu d'humidité sur le sol brûlé. A un moment, il eût même la sensation qu'il avait de l'écume à la bouche, et il y porta la main pour l'essuyer.
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Chaque jour arrivèrent d'Albanie centrale de jeunes volontaires enthousiastes. Champions du dépassement de plans eux-mêmes dépassés, conformément à l'expérience soviétique. D'autres entonnant le chant "La pioche dans une main, le fusil dans l'autre" qu'ils portaient parfois pour de bon afin de mieux l'illustrer. Détecteurs de saboteurs de canaux d'évacuation erronés. Débusqueurs de dames sophistiquées sortant rarement de chez elles en signe de mépris pour le nouveau régime. Activistes ne regardant que droit devant eux ; d'autres qui regardaient principalement droit devant, mais insuffisamment accomplis pour ne pas jeter de temps à autre un regard en arrière. Sculpteurs de bustes de martyrs. Candidats au martyre, prêts à prendre la place des derniers dans les cimetières si le cours naturel des choses venait à le leur permettre. Hommes des trois "non" : à l'impérialisme, au sionisme et au Coca-Cola.
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Car il faut reconnaître en toute objectivité, que les Albanais ne sont pas des criminels de droit commun. Les meurtres qu'ils commettent sont toujours conformes à des normes dictées par d'anciens usages. Leur vendetta ressemble à une pièce de théâtre composée selon toutes les règles de la tragédie, avec un prologue, une tension dramatique qui va croissant sans cesse, et un épilogue comportant inévitablement la mort. Cette vendetta pourrait être représentée comme un taureau furieux lancé sur les monts et ravageant tout sur son passage. Et ils lui ont pourtant accroché au cou une quantité d'ornements et de parures qui répondent à leur conception de la beauté, de sorte que, lorsque la bête est lâchée, et qu'elle sème partout la mort, ils puissent en même temps goûter des satisfactions esthétiques. [...] En sorte que les Albanais, tout au long des siècles, n'ont fait que jouer une sanglante pièce de théâtre.
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Des villes châtiées, il y en avait eu partout, au point qu'en y réfléchissant un peu, on eût dit que depuis sa création ce passe-temps constituait le principal hobby de l'humanité. Les illes étaient assiégées, n leur coupait l'eau, les vivres, on les canonnait, leurs portes étaient démolies, les murs s'écroulaient, elles étaient réduites en cendres, rasées, on allait même jusqu'à y semer du sel afin que l'herbe ne repoussât plus. Les villes tombaient ainsi, dans le désespoir mais avec courage, alors que se faire pilonner, c'était out autre chose.
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On dirait qu'ils veulent semer ici, en sol italien, leur propre patrie.
Mais une patrie se cultive-t-elle? Avec quelle charrue faire ce travail?
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Après les clameurs, les polémiques, les accusations, les cris « Avoue ta faute ! », suivis du fracas de sa chute, la surdité du sous-sol paraissait cent fois plus profonde.
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Entreprendre une oeuvre qui passât l'imagination , dont les effets seraient d'autant plus débilitants et anémiants pour ses habitants qu'elle serait plus colossale.Bref, quelque chose d'épuisant , de destructeur pour le corps et l'esprit, absolument inutile; Ou , plus exactement , une oeuvre aussi inutile pour les sujets qu'elle serait indispensable à l'Etat.
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Tout le monde tremble devant moi. Mais nul n'imagine à quel point je tremble moi-même. (La Nuit du sphinx)
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