AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Critiques de Jean Dufaux (2280)
Classer par:   Titre   Date   Les plus appréciées


Murena, tome 5 : La déesse noire

A l'approche de la diffusion de l'ultime saison de Vikings (j'en ai presque des palpitations brrr) il me fallait finir cette année 2020, hmmm comment dire… oui chaotique c'est bien le mot, sur une note brute et massive. Et voilà que Gibert Joseph m'offre sur un plateau d'argent (ok c'était un vulgaire étal en bois mais c'est pour l'exercice de la prose m'voyez) le tome 5 de Murena à prix doux. Pile-poil à la bonne heure.



La première chose qui frappe à l'ouverture de la BD c'est le coup de griffe de Philippe Delaby qui a gagné en maturité. Le trait du dessinateur est plus gracieux, affûté et expressif et fourmille de détails, si bien qu'il confère davantage de puissance à l'atmosphère lourde et oppressante de ce fulminant ballet des masques dépouillé de tout état d'âme.



Car oui, pourquoi changer une recette qui rencontre un franc succès ? Jean Dufaux, tel un éminent stratège doté des plus viles et obscures pensées, n'en finit pas de se renouveler et de nous mener par le bout du nez dans les méandres d'une Rome perfide, sinistre théâtre de tous les dangers. N'ayons point peur des mots : le spectacle est délicieusement divin.



Venons-en à présent à la vraie raison de mon ultime critique de 2020. Ok je suis toqué et je ne pouvais pas finir sur un nombre de billets impair mais au-delà de cette pathologie congénitale, je tenais à vous souhaiter à vous tous mes compagnons de lecture 2.0 une belle et heureuse année à venir.



Que la santé vous accompagne sans relâche, que 2021 vous soit douce et que le Covid (cherchez pas je suis de la team « le » dans « la » Covid il y a quelque chose qui cloche) soit bientôt de l'histoire ancienne. Car comme l'a si bien dit Antoine de Saint-Exupéry « Faites que le rêve dévore votre vie afin que la vie ne dévore pas votre rêve ».
Commenter  J’apprécie          253
Murena, tome 3 : La meilleure des mères

Une BD historique avec un grand H ! Encore une fois, je tiens à souligner et je salue la justesse historique de cette série, alors même qu’elle est accessible à tous, y compris sans connaissances particulière sur la période dont il est question ici.



Aucune faille, aucune perte de vitesse, une intrigue très alléchante… Ce troisième volet de la série confirme que nous sommes en présence d’un scénario bien ficelé, par ailleurs marqué par une extrême brutalité. Je n’ai pas pu m’arrêter de tourner les pages, il fallait absolument que je sache ce que Néron – ou sa vicieuse de mère – nous réservait ! Et je dois dire que l’on est pas déçu ! On en a pour notre argent, si j’ose le dire ainsi : c’est noir, violent, glaçant. Tout ce que j’aime ! Le maître mot – ou plutôt l’expression – de cet album est, sans nul doute, ad patres. Le sang gicle et les morts sont nombreux !



Que dire des dessins ? Qu’ils frôlent la perfection ? Sincèrement entre chaque planche, j’avais l’impression d’être dans un musée à admirer des tableaux. Le trait est précis, maîtrisé, les couleurs sont choisies précisément pour laisser entrevoir la beauté des édifices antiques mais également celle des personnages. Petit bémol, je trouve ce tome un peu moins « coloré » que les précédents. Mais peut-être est-ce parce que les complots fusent et que la violence fait partie de cet album ?



L’étau se resserre, l’histoire est captivante, on en prend plein les yeux… Autant vous dire que j’ai hâte de me trouver un petit moment de calme pour dévorer les autres albums !
Lien : https://ogrimoire.com/2020/0..
Commenter  J’apprécie          250
Murena, tome 1 : La pourpre et l'or

Ca faisait un bon bout de temps que je me disais qu'il faudrait que je relise Murena. le moment est arrivé, le tome 1 est enfin resorti du carton dans lequel il dormait depuis près de 10 ans (une sombre histoire de déménagement, de travaux qui n'en finissent pas, j'ai encore quelques dizaines de cartons qui trainent dans le grenier chez mes parents).

Bref, je me suis confortablement assise et j'ai ouvert la couverture comme on retrouve un vieil ami : on se laisse porter, on savoure le moment et on ne voit pas le temps passer.

Avec ce premier tome, tout est mis en place. A travers un personnage fictif (Lolia Polina n'ayant jamais eu d'enfant), nous revivons les règnes de Claude et de Néron, la chute vertigineuse d'un adolescent manipulé par une mère terriblement ambitieuse qui va petit à petit tomber dans un narcissisme et une folie tristement célèbre. Les personnages sont fins et l'intrigue est d'autant plus intéressante que, si elle est romancée, elle n'en reste pas moins historique et que les auteurs se sont attachés à restituer un maximum de données ayant traversé les siècles jusqu'à nous tout en essayant de comprendre et d'exposer les causes de la lente et fatale déchéance de Néron.

Le dessin est impeccable et je sais qu'il ne va faire que s'améliorer par la suite. Au sein même de ce tome, il semble même mûrir de pages en pages.

Sexe, poisons et combats de gladiateurs...bienvenue à la cour de Rome!
Commenter  J’apprécie          252
Fox, tome 2 : Le miroir de vérité

Un petit plus pour ce second tome, ce qui porte ma note finale à 4,5 / 5 car ici, le lecteur se retrouve vraiment plongé au coeur de l'Egypte (il n'y a qu'à regarder la couverture et vous comprendrez), d'abord à Héliopolis puis ensuite au Caire. Allan est d'abord venu ici pour libérer celle qu'il aime et qui a été kidnappée, la belle et jeune Edith, mais aussi pour tenter de découvrir de que représente réellement ce fameux livre, encore appelé livré sacré ou maudit mais plus connu sous le nom de livre de Toth. C'est en partie pour cela que j'ai particulièrement aimé ce second tome car le représentant du musée qui accueille Allan au Caire se fait un immense plaisir de lui donner quelques clés pour mieux comprendre la mythologie égyptienne.

Bien qu'un mystérieux inconnu soit venu en aide à Allan et Edith (ce même homme qui avait déjà aidé Allan dans dans le premier tome en le conduisant auprès d'u nain du nom de Bès...tiens tiens tout comme le dieu égyptien, étrange coïncidence non ?), Allan et sa compagne sont cependant loin d'avoir résolu cette étrange énigme que constitue ce livre en lui-même. Pourquoi certains peuvent-ils le toucher alors que d'autres sont destinés à une mort certaine à son simple contact ?



Il leur reste beaucoup d'énigmes qui leur restent à découvrir et surtout, le chemin sur lequel s'engagent nos deux jeune héros ne sera sûrement pas de tout repos...En plus de certains esprits malfaisants qui en veulent à la vie d'Allan, il faut également compter sur la magie qui empreigne ce lieu à la fois fascinant mais également inquiétant ! A découvrir !
Commenter  J’apprécie          250
Conquistador, tome 1

Diptyque de toute beauté, Conquistador débute, dans ce premier tome, par un exposé rapide du contexte historique. Cortès, Tenochtitlan, 1520. La guerre, l’appât du gain et les rites ancestraux sont les trois principaux thèmes développés ici.



Jean Dufaux, adepte des sagas historiques, notamment avec Murena, développe ici un scénario qui peut sembler convenu, mais comme il mêle son talent prononcé pour raconter de belles histoires, cela se lit très facilement. Trop facilement peut-être d’ailleurs : quelques temps après cette lecture, aucun personnage ne s’impose à mon esprit ; c’est davantage l’ambiance qui nous est proposée qui envoûte plus qu’autre chose. Quant au dessinateur Philippe Xavier, il se trouve qu’il est encore peu connu, mais il apparaît de plus en souvent en tant que collaborateur de Jean Dufaux, et ici il nous livre, je pense, une composition quasi parfaite pour transcrire au mieux l’ambiance presque mystique qui lie la jungle ténébreuse aux majestueuses cités aztèques. D’un certain côté, la nature et l’architecture prennent peut-être, de temps en temps, le pas sur les personnages et les détails de leur carrure et de leur visage. Cet aspect-là ne se voit d’ailleurs pas du tout sur la couverture. Celle-ci est tout bonnement magnifique en tout point de vue et donne franchement envie de se lancer dans la lecture de ce premier tome de Conquistador, dont la suite promet déjà beaucoup. La couverture du diptyque a l’énorme avantage d’être construite selon un effet miroir entre un conquistador et un Aztèque.



Astucieux et franchement vendeur, ce premier tome vaut son pesant de cacahuètes et ne demande pas, par la suite, un investissement déraisonnable pour connaître la fin : rendez-vous au tome 2 le plus vite possible !



Commenter  J’apprécie          250
L'Impératrice rouge, tome 3 : Impurs

Personne n'échappe à son destin.

-

Ce tome fait suite à L'Impératrice rouge, tome 2 : Coeurs d'acier (2001) qu’il faut avoir lu avant car la tétralogie forme une histoire complète. Sa première édition date de 2002. Il a été réalisé par Jean Dufaux pour le scénario, par Philippe Adamov pour les dessins et la mise en couleurs. Il comporte quarante-six pages de bande dessinée. Cette série a fait l’objet d’une intégrale en 2009, avec un épilogue inédit supplémentaire de quatorze pages. Adamov est également le dessinateur des séries Le Vent des dieux (1991, cinq tomes) et Les eaux de Mortelune (1986-2000, dix tomes), deux séries écrites avec Patrick Cothias, ainsi que deux tomes de la série Dakota](2012, 2016) avec Dufaux.



Le chef des impurs ordonne que le skan Lermontov soit déclenché. Adja est allongée nue dans une sorte de capsule : le couvercle est en train de s’abaisser descendant vers elle pour l’emprisonner dans ce sarcophage technologique. Elle hurle un énorme Nonnnnnnn !!! Le responsable regarde calmement en appréciant la mélodie qu’il y a dans le cri d’une femme, il ne s’en lassera jamais. Adja voit le couvercle approcher de son visage et sa dernière pensée est pour Catherine : c’en est fini. Le sarcophage se referme et le technicien indique que les impurs peuvent entrer : le colis est prêt. Une dizaine d’hommes et de femmes pénètrent dans le laboratoire, libèrent la capsule de son support, et la font glisser devant eux, flottant à un mètre de hauteur. Le technicien s’adresse au chef en indiquant que l’empereur peut être prévenu : il sera satisfait.



Dans une grande salle d’audience, en présence de l’empereur, du comte Orlof, de l’ingénieur Constantin Demko, Catherine assise demande : Aucune trace de sa petite Adja ? Le comte effectue son rapport : ils ont fouillé les blocs Z et Kb de fond en comble… Rien, aucun signe, aucun élément leur permettant d’espérer. L’impératrice se lève et s’adresse à Demko : c’est pourtant près du block KB que Rostan a été retrouvé ? L’ingénieur le confirme et il donne des nouvelles de l’état du cyborg : il est encore trop tôt pour se prononcer sur son état. Le disque OV24 est abîmé. Ils l’ont branché sur un rhésus quanta optique. Ils en sauront plus le lendemain matin. L’empereur Pierre perd sa patience : son épouse ne l’avait pas tenu au courant de ces balivernes. Retrouver une trace des impurs ! Comme s’ils pouvaient encore exister ! L’impératrice lui répond en haussant le ton qu’ils existent, l’un d’eux a même failli la tuer. L’empereur exige des preuves, qu’on lui montre ce soi-disant impur ! Elle répond que c’est impossible que la morgue où se trouvait son corps a brûlé. Il s’emporte prenant tout le monde à témoin : Cette femme ne cesse d’attaquer son époux sans jamais apporter de preuves ! Elle agit ainsi par pur caprice, par perversité. Il ne supportera plus cela longtemps encore : elle devra faire des excuses publiques au lieu et à l’heure qu’il aura choisi. L’empereur tourne les talons et sort, très satisfait de son numéro. Rostan entre dans la pièce, visiblement pleinement remis.



Même les plans les mieux préparés partent en sucette. L’impératrice rouge semblait avoir le dessus dans le précédent tome : deux coups d’avance sur son mari, une meilleure compréhension des factions au sein du peuple prêtes à la soutenir, et elle avait survécu à la cérémonie de Saint-Bothrace, et la voilà maintenant privée de sa fidèle confidente, inconsciente que son garde du corps a été reprogrammé, sans information sur le clan de Stepan Rajine. En deux tomes, le scénariste a mis en place et en mouvement de nombreux personnages et plusieurs factions, et le lecteur se retrouve dans l’incapacité d’anticiper le sort des uns, les actions des autres, d’estimer les rapports de force en place. Il a bien conscience également que le scénariste peut faire intervenir de nouvelles informations ou d’autres forces qui n’avaient pas encore été évoquées. En cours de lecture, il se dit qu’il a peut-être sous-estimé le risque pour les principaux protagonistes car l’histoire se conclut dans le tome suivant, et certains pourraient bien ne pas survivre au tome en cours. Il suit donc un peu inquiet le sort d’Adja, la jeune demoiselle menue aux mains des impurs, des individus génétiquement modifiés. Il se dit que la personnalité de Rostan ne pèse pas lourd face à la reprogrammation de ses membres et organes robotiques. Il se rend compte que le valeureux amant de l’impératrice, Nicolas Pancock (Nom de code : Vladimir) a été envoyé dans une mission diplomatique vouée à l’échec.



Le lecteur se retrouve donc bien impliqué dans l’intrigue générale : qui de l’empereur ou de l’impératrice parviendra à consolider sa base de pouvoir et à évincer l’autre avec perte et fracas ? Peut-être une tierce personne ? Il s’immerge avec le même plaisir dans ce mélange d’anticipation, de science-fiction et d’uchronie, grâce à la narration visuelle riche et dense. Il savoure les nouveautés de ce tome pour leur détails et leur caractère baroque, leur savant dosage entre des éléments de provenance disparate : la sarcophage à effacer la mémoire, l’apparence hétéroclite des impurs et leur apparente intelligence limitée, la prestance retrouvée de l’empereur alors qu’il vient de remette son épouse à sa place, l’allure décharnée et le teint cadavérique de Frère Zosime véritable exemple des ravages d’une vie de prières, le regard de Rostan oscillant entre absence d’émotion et folie, le comte Orloff en train de faire valoir son grade auprès de sous-fifres peu consciencieux, l’architecture de la gare Anna Karénine, le baiser mortel de Rostan, etc.



Outre la méticulosité des représentations, la finesse des traits de contour et l’imagination visuelle, l’artiste compose des scènes mémorables, en termes de plan de prise de vue et de direction d’acteurs. Bien évidemment, le lecteur ressent une forte empathie pour Catherine, le personnage principal de la série dont celle-ci porte le nom. Il la regarde réagir aux différentes informations auxquelles elle est confrontée : la colère refoulée alors qu’elle perçoit très bien le petit jeu d’indignation factice et de duplicité auquel se livre l’empereur, le jeu d’écoute et d’intimidation vis-à-vis de frère Zosime, la conservation de l’initiative lors de ses ébats au lit avec Rostan, le retour au comportement calculé avec Drossof. Il se montre tout aussi inquiet du sort d’Adja qui doit se défendre sur onze pages face aux impurs, en particulier lors d’un combat à mains nues sur une étroite planche au-dessus d’un bassin de liquide irradié. C’est l’une des séquences impressionnantes, avec un duel de trois pages, dont les attaques et les parades se succèdent de manière impeccable, avec une logique parfaite dans les déplacements et les mouvements. Juste avant, le lecteur assiste à la fuite d’Isaac dans la gare Anna Karénine, et c’est superbe de bout en bout. Tout d’abord une vue générale de la gare en extérieur, puis la structure métallique avec les poutrelles sur le quai, la décoration en carrelage des couloirs souterrains, le magnifique hall avec les lustres suspendus et les horloges, l’arrivée en gare d’une locomotive à vapeur ouvragée, tout ça en suivant les déplacements d’Isaac, tantôt en marchant, tantôt en courant. En accomplissant sa mission, Nicolas Pancock se retrouve à dos de cheval sur une grande route recouverte de neige, encadré de part et d’autre par des poteaux télégraphiques, une scène dégageant un froid intense et un sentiment de désolation, rendue plus cruelle par un paysan obligé d’abattre sa monture tombée au sol.



Dans cette lutte pour se maintenir au pouvoir, tous les coups sont permis, même les pires. Par réflexe conditionné, le lecteur accorde sa sympathie aux personnages qui sont dans le camp des bons, qui incarnent des valeurs morales, ou au moins qui sont animés par une ou deux. Il a facilement écarté l’empereur Pierre, vieux débris libidineux, n’hésitant pas à faire exécuter ceux qui le menacent, à frapper une jeune femme sans défense. Dans le même mouvement, il se plaît à détester toute sa clique, surtout l’infâme traître Demko. Il a dû se résoudre à écarter également l’impératrice qui ne peut faire autrement que de recourir aux assassinats, elle aussi, ce qui rend Pierre un peu moins pire par ricochet. Rostan est un tueur, Nicolas Pancock est une victime en puissance juste parce qu’il côtoie l’impératrice. Le comte Orloff abuse de son autorité, Drossof est un parrain du crime organisé. Il ne reste qu’Adja, jeune femme qui se prête aux jeux de l’impératrice, tout en conservant une forme de distance, qui ne se salit par les mains directement. Ayant fait ce constat, il se dit que chaque personnage s’est adapté à son environnement : le pouvoir corrompt, tout le monde, sans exception. Pour autant, autre chose le chiffonne : en repensant aux motivations de chacun, il ne voit que des individus devenus des professionnels dans leur partie, politique, militaire, criminel, confident. Ces individus de pouvoir ne se préoccupent à aucun moment des intérêts du peuple.



Jean Dufaux et Philippe Adamov excellent à raconter la lutte de pouvoir entre l’empereur et l’impératrice dans cet environnement de science-fiction. La narration visuelle procure un grand plaisir d’inventivité, de rythme et de construction des séquences, de détails de toute sorte, de personnages inoubliables. L’intrigue utilise des termes aux relents russes, mentionne le poète Mikhaïl Iourievitch Lermontov (1814-1841), le roman Anna Karénine (1877), œuvre de Léon Tolstoï (1828-1910), évoque la grande Russie, ce qui nourrit cette guerre froide entre puissants où leur entourage se compose de victimes en puissance. Toutes ces composantes hétéroclites se combinent pour un récit entre intrigues de palais, espionnage et politique, très réussi.
Commenter  J’apprécie          242
Monsieur Noir, tome 1

Rien ne se perd à Blacktales. Tout se crée, tout s’échange, tout se monnaie.

-

Ce tome constitue la première moitié d’un diptyque qui forme une histoire indépendante de toute autre. Son édition originale date de 1994, la seconde partie étant parue en 1995. Il a été réalisé par Jean Dufaux pour le scénario, Griffo (Werner Goelen) pour les dessins, et Anaïs pour les couleurs. Il compte soixante-deux pages. Dufaux & Griffo ont déjà collaboré sur d’autres séries comme Beatifica Blues (1986-1989, trois tomes), Samba Bugatti (1992-1997, quatre tomes), Giacomo C. (1988-2005, quinze tomes, et une suite en deux tomes 2017/2018).



Quand la mère de Fanny mourut, ses tuteurs la confièrent à son oncle Lord Arthur Charleston, qui voulut bien condescendre à recueillir la fillette chez lui. C’est ainsi que par une vilaine nuit de novembre, une voiture à cheval, conduite par Jasper, amena l’enfant au château de son parent en un lieu appelé Blacktales. Il était plus de minuit quand la voiture s’arrêta enfin dans la cour intérieure du château. Pour Fanny une nouvelle vie allait commencer, bien différente de tout ce qu’elle avait pu imaginer lorsqu’elle vivait encore auprès de sa mère. Le cocher frappa la porte. Le château semblait comme abandonné et, là-haut, les éclairs redoublèrent de violence. Finalement des pas se firent entendre, la lourde porte grinça sur ses gonds… Et une silhouette hideuse se montra aux deux voyageurs glacés jusqu’aux os par la pluie battante. Le cocher remet Fanny aux bons soins du serviteur Foxtrot, en lui précisant que cette demoiselle désire voir les maîtres du lieu et qu’elle est attendue normalement, tout en se faisant la réflexion qu’il est fort laid. Le serviteur bossu et de très grande taille accueille Fanny par son prénom en précisant qu’ils étaient prévenus de son arrivée. Jasper souhaite des vœux de bonheur à Fanny et prend congé.



Foxtrot guide Fanny à travers le grand hall pour prendre l’escalier monumental. En marchant, il lui explique que lord Charleston s’excuse de ne pouvoir la recevoir, mais une grippe le retient au lit. Il a ordre de la conduire à monsieur Gavotte qui s’occupera d’elle. C’est un professeur qui vient de Paris, il sera le précepteur de Fanny. Ils entrent dans un grand salon muni d’une imposante bibliothèque et monsieur Gavotte se lève en indiquant Fanny qu’elle peut l’appeler maître tout simplement. Il explique que c’est à lui que Milady et Milord Charleston ont confié son éducation, une rude tâche car la jeunesse est rebelle à leur époque. Il prend une lampe à huile et il se lève pour aller montre sa chambre à la jeune fille. Milady la recevra le lendemain matin à sa table, à sept heures. Il espère que Fanny ne l’oubliera pas. Après qu’ils aient quitté la pièce, le serviteur se met à passer un coup de balai et il glisse la poussière sous le tapis en le soulevant, ce qui fait apparaître qu’il manque des lattes. Gavotte ouvre la porte de la chambre, en s’excusant de sa petitesse. Fanny découvre une très grande pièce, avec un monceau de cartons à chapeau dans un coin. En redescendant l’escalier, Gavotte se fait la réflexion que Fanny est rudement mignonne, et son petit air faussement naïf ne fait qu’ajouter à la chose. Il se fait le pari qu’elle a de jolies jambes.



Une jeune demoiselle orpheline, recueillie par un membre de sa famille éloignée, dans un château aux dimensions impossibles, habité par des individus aux allures étranges, avec un secret, une mystérieuse plume perdue qui confère un pouvoir politique à celui qui la détient. Sans oublier un certain Monsieur Noir qui brille par son absence. Il s’agit d’un conte à n’en point douter. D’ailleurs, le scénariste s’amuse bien avec les conventions du genre : des individus au comportement étrange, au physique particulier entre inquiétant et ridicule, une aristocratie déconnectée, une jeune fille jouant le rôle de candide, des rituels immémoriaux semblant dépourvus de sens, des adultes incompréhensibles, le nom du château Blacktales (les contes noirs), des phénomènes surnaturels, un historique inconnu qui pèse lourd sur le présent, deux enfants ou tout juste adolescents qui découvrent ce monde, et qui mettent à jour des secrets qui échappent aux adultes au cours d’une aventure. Griffo s’amuse avec les conventions visuelles correspondantes, faisant preuve d’une verve malicieuse : l’architecture surdimensionnée du château Blacktales, l’allure du serviteur qui ouvre la porte (un bossu avec une très grande taille), les grands yeux curieux de Fanny, la taille et la masse imposante du cuisinier Surf avec son grand couteau à sa ceinture de cuir, la décoration luxueuse du salon de Lady Habanera (les tapis, la peau de bête, sans oublier les lourdes tentures, son chat irascible), la lunette astronomique d’une taille gigantesque, les flammes de l’âtre qui prennent la forme d’une entité maléfique, le bazar dans les appartements de Mambo & Tango, la ressemblance de Carmagnole (le fossoyeur du château) avec le chapelier fou, la soupe populaire sous la neige, etc.



Régulièrement, le lecteur sent son regard s’arrêter sur une case pour un moment d’une rare puissance évocatrice, où le plaisir de l’artiste et celui du scénariste se rencontrent pour un instant intense : la perspective vertigineuse d’une vue de dessus d’un escalier de pierre en colimaçon, l’envol d’un ballon rempli d’urine (il y a bien une raison loufoque et logique pour ce rituel), ou encore les amoncellements en tas de cartons à chapeau. La complicité et la complémentarité des deux créateurs se ressentent à la lecture. En découvrant, la silhouette du château Blacktales dans le lointain alors que la carriole s’y dirige, le lecteur commence par se dire que le dessinateur s’est fait plaisir avec un assemblage esthétiquement joli, mais dépourvu de plausibilité dans la réalité. Alors que le serviteur et Fanny se dirigent vers l’immense escalier, il envisage cette approche comme héritée des films américains avec château européen en carton-pâte : la cohérence d’une pièce à l’autre est foulée au pied, au profit du caractère spectaculaire de la prise de vue. Il savoure donc la représentation des autres pièces comme un spectacle. Puis voilà qu’un personnage dit explicitement que Lord Charleston considère Blacktales comme l’une de ses plus belles demeures, demeure qui ne cesse de croître au fil des ans. Des salles s’allongent chaque fois un peu plus, les murs s’écartent, les plafonds montent, les caves se creusent. Certaines pièces dans cette maison ont atteint des proportions inouïes. On se perd facilement à Blacktales. Aussi, lorsqu’on se décide à explorer les lieux, il faut prendre soin d’emmener avec soi quelques victuailles et, bien sûr, un carton à chapeau… Il devient alors patent que ce château peut être envisagé comme un être vivant, ou interprété comme une métaphore évolutive.



Le lecteur se retrouve vite accroché par ce conte avec un discret second degré s’adressant aux adultes, sans aller jusqu’à la raillerie ou la moquerie du genre. Les personnages sont à la recherche de cette mystérieuse plume qui se révèle être l’artefact dont la possession permet de devenir le maître de Blacktales. Cette dynamique est nourrie par d’autres composantes politiques. La plus évidente réside dans cet état de fait où une aristocratie oisive (mais non dénuée d’une certaine grandeur d’âme) est servie par des gens du peuple besogneux, dont certains se servent en premier pour leur enrichissement personnel (charité bien ordonnée commence par soi-même). En se rendant au petit déjeuner, maître Gavotte informe Fanny que Lady Habanera s’est entiché d’un auteur rencontré par hasard à Londres lors d’une de ses rares excursions dans la capitale. L’auteur, très barbu, très entreprenant, a réussi à la convaincre de lire ses principaux ouvrages. Le nom de l’auteur se trouve sur la couverture du livre. Il n’est pas encore très connu, mais il paraît que cela viendra. Le lecteur jette un coup d’œil à la couverture du livre et découvre qu’il s’agit de Karl Marx, Lady Habanera réalisant des expériences sociales pour aider les masses laborieuses. Il apparaît également rapidement que la possession de la plume constitue un enjeu économique, à la fois pour celui qui la monnaye et pour celui qui la possède, puisqu’il devient maître des richesses de Blacktales. D’ailleurs la derrière scène permet de découvrir ce qu’il est advenu du précédent maître des lieux.



Dans le même temps, le lecteur prend rapidement conscience qu’il est possible d’interpréter le château comme étant la métaphore de l’esprit, avec ses parties conscientes et ses parties inconscientes. Les pièces prennent de l’ampleur au fil des années, tout comme la quantité de souvenirs d’un être humain prend de l’ampleur au cours de sa vie. Différentes parties du château sont habitées par des individus à la personnalité très marquée : Sarabande comme s’il s’agissait de la partie cartésienne de l’esprit, Mambo & Tango symboliseraient la facette matérialiste et intéressée, maître Surf un appétit vorace (avec l’étrange appétit d’ogre de Fanny pour son premier repas), Monsieur Noir l’inconscient ou le refoulé de la psyché, Carmagnole l’empathie et la sollicitude, etc. Carmagnole mentionne à Fanny que rien ne se perd à Blacktales, tout s’échange, tout se monnaie, évoquant le fait qu’aucune expérience ne laisse l’individu intact, aucun souvenir ne se perd même s’il est refoulé, et toutes les pensées interagissent entre elles, parfois pouvant être décrites comme des tractations, ou selon une dynamique transactionnelle. Comme dans toute métaphore, certaines facettes ne trouvent pas d’équivalent dans ce mode d’analogie. Pour autant, elle fonctionne bien comme peuvent le faire les éléments symboliques d’un conte.



Première partie d’un diptyque : un conte où une jeune demoiselle orpheline est à la recherche d’une plume (un stylo-plume en fait) pour assurer la gouvernance d’un château qui grandit. Deux créateurs maîtrisant les conventions du conte, et jouant avec tout en les respectant, un plaisir se communiquant au lecteur. Un conte politique aussi une métaphore psychologique, et l’absence inquiétante de Monsieur Noir.
Commenter  J’apprécie          242
Murena, tome 10 : Le Banquet

C’est avec une petite crainte que j’ai abordé ce 10ème tome de « Murena ». En effet, le talentueux Delaby étant malheureusement décédé, c’est un autre dessinateur qui illustre « le banquet ». Il s’agit de Theo dont j’avais pu admirer le trait sur la série « le pape terrible » scénarisée par Jodorowsky. Le dessinateur a très vite dissipé mes doutes. Theo produit ici un travail remarquable en parvenant à proposer un dessin personnel mais qui s’inscrit dans la continuité du travail de Delaby. Le scénario m’a semblé un peu moins abouti que dans les tomes précédents mais la tension et le suspense demeurent intacts. Il ne me reste plus qu’à attendre la sortie du 11ème tome, espérons qu’il ne tarde pas trop.
Commenter  J’apprécie          242
Giacomo C, tome 1 : Le Masque dans la bouch..

Ambiance, ambiance ! Venelles sombres et silhouettes encapuchonnées, ribaudes plantureuses et marquis sournois, complots et dénonciations, chantage et double-jeu… Ah, Venise !

Si le scénario manque un peu de clarté, on arrive tant bien que mal à en comprendre les rouages. Il est clair que la lecture du second tome sera nécessaire après cette mise en place. Côté dessin, c'est très agréable, les décors minutieux, et pour un amoureux de Venise tel que je suis, c'est un plaisir de retrouver les lieux sous un autre angle.

Le côté érotico-libertin du dessin, du personnage principal voire de l'intrigue, n'est pas dénué d'intérêt et donne un côté particulier à cette sombre histoire.

La suite et fin, bientôt.
Commenter  J’apprécie          240
Murena, tome 4 : Ceux qui vont mourir...

"Alea jacta est", comme disait César ; les dés sont jetés, et l'étau se referme, autour de bien des personnages, dans ce quatrième tome de "Murena", qui vont devoir affronter leur tragique destinée.

L'étau se referme, et le titre exprime bien ce qui va se passer dans ce tome : la mort de certains des personnages les plus importants. Et c'est toujours très bon : dessiné superbement par Delaby, servi par un scénario solide inventé par un Jean Dufaux au sommet de son art, des personnages forts, une peinture tout à fait passionnante et détaillée de la Rome antique, une précision d'orfèvre, nous livrant ainsi la suite d'une histoire forte, qui ne laisse pas indifférente.

Cette peinture de la Rome antique, pose beaucoup de questions sur la nature humaine, la condition humaine, et le fait politique.

Mais c'est surtout une grande BD historique, traversée par un souffle épique, et tragique, de telle façon qu'elle ne peut laisser personne indifférent. Cette bande dessinée aborde des thèmes universels, avec une intelligence rare, et sa peinture, tragique, de la Rome antique et de l'évolution de ces personnages, ne peut pas indifférer.

Un très beau quatrième tome, virtuose, comme les précédents !...
Commenter  J’apprécie          240
Croisade - Cycle 2, tome 8 : Le dernier sou..

Ce tome 8 intitulé "Le Dernier souffle" est très bon, à la seule condition de faire abstraction du Syndrome Jean Dufaux...

Gauthier et Osarias entrent dans la forteresse troglodyte des flagellants pour mettre la main sur Qua'dj de la saison 2 qui n'a rien à voir à le Qua'dj de la saison 1, mais que Jean Dufaux arrive à relier entre eux en ressortant de manière capillotractée le Miroir de Vérité parce qu'il n'est pas fichu de construire une histoire sans se contredire d'un tome à l'autre (voire au sein d'un même tome quand il est en forme). Agissent-ils pour les chrétiens, pour les musulmans, pour le sorcier Ottar Benk ou pour leur compte propre pour personne ne puisse s'approprier ses pouvoirs ? C'est tellement mal raconté que c'est impossible à deviner ! Pour la 3e fois on nous fait le coup du détournement de "Beowulf" avec un huis-clos où une communauté sert de gibier pour ne pas dire de garde-manger à une incarnation des forces du mal, sauf que le monstre anthropophage est remplacé par un démon fuligineux qui ressemble un peu voire beaucoup à la fumée noire de la série télévisée "Lost" (d'ailleurs Jean Dufaux empreinte mal de trucs à "Lost" et force est de constater que cela devient lostien, ce n'est pas un compliment hein !).

Sinon il y a les bellicistes chrétiens et musulmans qui attendent le premier prétexte pour s'étriper joyeusement, Guy de Lusignan qui fornique joyeusement avec Sybille alors qu'il s'est illustré dans le tome précédent par ses propo sur les femmes femelles lubriques qu'il faut châtier, Renaud de Châtillon qui regrette la mort de sa soeur Vespera et qui ne veut pas d'une victoire au prix de la magie noire (alors que c'est lui qui a amené le démon dont tous convoitent les pouvoirs, et qu'il a guère manifesté d'émotions à la mort de sa soeur dans le tome 5, sans parler qu'il est mystérieusement passé d'exécuteurs des basses oeuvres à donneur d'ordre), et Syria qui est libérée au lieu d'être condamnée et qui se porte au secours de Gauthier...

Si on passe les blablas censément stylés mais qui ne servent à rien, on a Entéacleon qui n'a servi à rien, le maître des flagellants qui n'a servi à rien, Ottar Benk qui ne revient que pour crever comme un merde après avoir contredit tout ce qu'il avait proclamé dans les tomes précédents, Syria d'Arcos qui n'a servi à rien à part de demoiselle en détresse à la toute fin (elle devait sauver Gauthier, mais Gauthier la sauve d'un puits ensablés dans le repaire mis à sac d'Entéacleon). le jeu de massacre en fin de saison, c'est la grosse ficelle des scénaristiques tâcheron qui ne savent plus quoi faire de leurs créations, et Jean Dufaux réussit l'exploit de réintroduire un personnage qui n'avait servi à rien puis de le faire crever comme une merde sans qu'il servent à quelque chose de plus, le tout hors-champ ! C'est tellement con que cela en devient merveilleux...

Pour se donner bonne conscience et se la péter bon samaritain, Gauthier nous explique qu'il a fait tout cela pour respecter sa promesse à Lhianes de libérer sa soeur Nabhu, mais comme il ne s'est pas pressé pour le faire, qu'elle meurt comme une merde et qu'il a rien à secouer c'est n'importe quoi et cela amène en plus des incohérence en plus ! Si Nabhu est arrivée au Jebel Tarr avec le Qua'dj dans le tome 7, comment Lhianes pouvait savoir qu'elle était esclave des flagellants dans le tome 6 ? L'une des deux informations contredit l'autre !... et puis dans le tome 3 le Qua'ad voyage dans le corps du maître des flagellants mais dans le tome 8 le maître des flagellants nous dit qu'il voyage dans le corps d'une vieillard anonyme... L'une des deux informations contredit l'autre !... Et puis on nous explique le Qua'dj est en colère car prisonnier du Jebel Tarr alors qu'il y est entré de son plein gré... L'une des deux informations contredit l'autre !... Putain relis-toi des fois Jean Dufaux ! Et puis on ressort le Miroir de Vérité qui finalement n'aura été qu'un McGuffin eco+, et Jean Dufaux ne laisse même pas Philippe Xavier et Jean-Jacques Chagnaud s'éclater avec une scène de bataille alors qu'ils nous éclatés avec toutes les chouettes scène d'action durant toute la saison 2, car la religion rend les hommes fous blablabla la guerre rend les hommes fous blablabla la folie et la violence des hommes est éternelle... Soupirs...



Mais on peut quand même remercier Jean Dufaux d'avoir tellement dégoûté Philippe Xavier qui celui-ci finit par décidé de voler de ses propres ailes (et les scénarios gagnent largement au change !)
Commenter  J’apprécie          240
Blake et Mortimer, tome 22 : L'Onde Septimus

Mais que diable vous arrive-t-il mon cher (ou plutôt détesté) Olrik ? On finirait presque par vous plaindre, vous le Satan incarné, la récurrence du Mal, la noirceur absolue toujours resurgissante... Ressaisissez-vous old chap ! L'histoire est beaucoup moins intéressante sans votre participation à plein régime... Ah mais voilà, c'est que les méfaits de la drogue et des ondes mega sont tenaces, cher ami, et la mauvaise conscience têtue... Tiens, c'est que vous avez une conscience ? Quelle horreur, dans votre situation. Non, décidément il faut vous ressaisir. Vous arriveriez à rendre décevante une histoire super. Même notre cher Blake et notre bien-aimé Mortimer en sont tout retournés.... Beaucoup plus mous que d'habitude, on dirait qu'ils ne savent plus à quel démon se vouer... Avouez que c'est un comble, vous, leur adversaire préféré... Vraiment il vous faut retrouver du peps...

Ou vous finirez définitivement à l'asile, c'est moi qui vous le dis.

En toute inimitié et avec mes plus sincères détestations.

Commenter  J’apprécie          242
Sortilèges, tome 1

Avec cet album, Jean Dufaux, désormais réputé pour sa série « Murena », et l'illustrateur José Luis Munuera nous offrent le premier tome d'une bande-dessinée intitulée « Sortilèges » et conçue comme un diptyque. Le lecteur y découvre un univers fantastique rendu à la fois familier par une ambiance proche de celle de l'Europe médiévale, mais en même temps surprenant puisqu'on y trouve aussi bien de puissantes et terribles sorcières que des démons, de la magie... C'est sur ce royaume étonnant que doit désormais régner la jeune Blanche, héritière du trône bombardée du jour au lendemain reine d'Entremonde après la mort de son père et la destitution de son frère. C'est au bien de la couronne que doit désormais se consacrer la jeune femme qui doit consentir à bien des sacrifices et se retrouve rapidement acculée par des ennemis venant aussi bien de l'extérieur que de l'intérieur du royaume. Ajoutez à cela un prince de l'Enfer qui, par ennui, décide de se mêler des affaires des mortels, une magicienne avide de vengeance, un bossu haineux et envieux du destin de sa royale sœur..., bref, il y a déjà de quoi faire avec ces quelques soixantaines de pages.



Les personnages sont pour leur part convaincants, et si la plupart auraient mérité d'être davantage étoffés, certains se révèlent d'ores et déjà très prometteurs comme la maléfique Miranda ou la capricieuse et ambitieuse petite princesse du monde d'En-Bas Aldora. Blanche reste toutefois le protagoniste le plus réussi auquel on parvient sans peine à s'identifier. Le personnage de Maldoror, le fameux seigneur du monde d'En-Bas, est cependant un peu décevant, la faute à son allure de prince charmant classique quand on aurait pu s'attendre à quelqu'un de plus ténébreux et peut-être moins stéréotypé (du point de vue du physique en tout cas puisque niveau caractère le personnage se distingue de ce à quoi on pourrait s'attendre). Les graphismes, enfin, sont un peu particuliers mais m'ont, au final, beaucoup séduite. Il arrive que les visages de certains personnages semblent ainsi un peu grossiers (phénomène dont n'a jamais à souffrir à Blanche qui bénéficie toujours d'un dessin soigné la mettant très bien en valeur) mais les décors sont pour leur part toujours très réussis et nous transportent sans mal au cœur de ce conte surprenant.



Une bande-dessinée rafraîchissante avec laquelle on passe un agréable moment. Un grand merci à Babélio et aux éditions Dargaud pour cette belle découverte que j'entends bien poursuivre avec le second album.
Commenter  J’apprécie          240
Fox, tome 1 : Le Livre maudit

Et puis sait-on jamais ?

-

Ce tome est le premier d’une heptalogie, une série indépendante de toute autre. Sa première édition date de 1991. Il a été réalisé par Jean Dufaux pour le scénario, par Jean-François Charles pour les dessins, et Christian Crickx pour la mise en couleurs. Il comprend quarante-six pages de bandes dessinées. La série a bénéficié d’une réédition intégrale en deux tomes en 2005.



Quelque part dans une exploitation minière, avec des terrils, un hiver enneigé, de nuit, il se produit une grande explosion. Les habitants de la petite ville s’arrêtent tous au beau milieu de leur occupation, y compris ceux dans la rue et ils voient une colonne de fumée noire s’élever au-dessus de l’accès d’un puits. La sirène d’alarme se met à hurler. L’ingénieur responsable se précipite devant la cage pour voir l’équipe qui remonte du fonds. Il s’adresse au chef Porion et lui demande ce qui se passe. Le chef mineur répond que personne ne sait, voilà seulement les équipes qui remontent, et il interroge Casimir. Ce dernier indique qu’ils ont eu chaud, ils ont été drôlement secoués. Il ajoute : C’est pas normal ce qui s’est passé là, c’est pas un coup de grisou, ça ! En bas, ils ont entendu un grand rire, juste avant l’explosion, un rire de dément. Comme si la folie s’était introduite dans la galerie… Au fond de ladite galerie, derrière un éboulement, un homme avec un foulard devant le visage se félicite : il a réussi ! Personne n’a pu l’arrêter, même pas eux, les sorciers et les charlatans, qui le guettent depuis des siècles. Ils vont chercher à le retrouver, mais il sera trop tard. Son corps se recomposera devant ses yeux, et il sera le dépositaire de ses secrets. Il faut qu’il tienne. Mais il y a cette étrange faiblesse qui le reprend. L’homme masqué perd connaissance.



Dans les bureaux de l’entreprise, le mineur continue ses explications : ils travaillaient au fond du puits 24 et ils venaient tout juste de couper une veine quand, tout à coup, il y a eu cette détonation. Les boisages ont commencé à vibrer. Ils n’ont eu que le temps de se jeter dans la cage et de tirer la sonnette. Tout s’est écroulé derrière eux. Pourtant ils avaient pris toutes leurs précautions. L’ingénieur réfléchit à voix haute : il n’y avait pas de dynamitage prévu dans ce coin-là, il ne comprend pas ce qui a pu se produire. Il reste à attendre que les équipes de secours remontent. Au fond de la mine, trois mineurs fouillent les décombres : ils ont la surprise de voir arriver un homme titubant, parlant en anglais et évoquant la similitude avec un portemanteau, deux sens tassés dans un seul monde. L’homme est emmené à l’infirmerie et allongé dans un lit. L’ingénieur vient lui rendre visite. L’infirmière lui commente son état : des contusions, quelques ecchymoses, rien de bien grave au plan physique, du moins. Par ailleurs, il semble profondément choqué. Les soignants lui ont donné un sédatif, mais il continue de s’agiter, et la fièvre ne cesse de monter. L’ingénieur n’y comprend plus rien : que faisait un Anglais au fond de la mine ?



Une bande dessinée d’aventure, utilisant des conventions de genre au premier degré, en tout connaissance de cause. Les auteurs commencent par une situation dramatique qui est le fruit d’une histoire qu’ils vont révéler dans leur récit. Un bel homme fort et discrètement exotique : il est américain. Par le passé, il fut un pilote de chasse dans l’armée, pendant la seconde guerre mondiale, avec un attachement pour la France. Une belle jeune femme mince et séduisante lui tombe dans les bras, après quelques hésitations quand même. Il chevauche une belle moto avec une grosse cylindrée. Un autre personnage mystérieux, le visage masqué par un foulard et un casque, affublé d’un surnom (le Pénitent) à propos duquel on ne sait rien. Des phénomènes surnaturels : un mystérieux (aussi) livre qui brûle lorsqu’une personne s’en empare si elle n’y a pas été autorisée. Une connexion avec les pyramides égyptiennes. Cela fait déjà une bonne dose d’ingrédients typés Aventure, avec un soupçon de fantastique, et du mystère bien sûr. S’il ne connaît que la suite de la carrière de Jean-François Charles, le lecteur peut être surpris par des dessins sur la base de contour avec un trait encré, et pas en couleur directe comme il en fera sa marque de fabrique par la suite. Il se situe lui aussi dans le registre de l’aventure, avec des dessins dans un registre descriptif, plutôt réaliste, avec des expressions de visage très discrètement exagérées.



D’un autre côté, il n’y a aucune raison pour que le lecteur boude son plaisir dans cette aventure premier degré. En fait, le scénariste fait plus que le minimum syndical : il nourrit son récit avec de nombreux éléments qui le rendent spécifique. Certes, Allan Rupert Fox jouit du prestige du héros au physique avantageux, sans peur, et dans le même temps il s’est lassé de la guerre, sa personnalité présente des aspérités, il s’assure du consentement de la dame. Celle-ci, Edith, sait très bien ce qu’elle fait, et elle n’endosse le rôle probable de demoiselle en détresse que dans les toutes dernières pages. L’intrigue démarre dans un lieu inhabituel, une mine, et de nombreuses scènes se déroulent à la campagne. Les personnes sortent des stéréotypes attendus : le commissaire divisionnaire Bolen de B.S.R. (Brigade de Surveillance et de Recherche de la gendarmerie) pose des questions intelligentes et pertinentes, l’ingénieur responsable de la mine est respectueux des mineurs et les écoute, le rôle du mystérieux personnage masqué sort de l’archétype du méchant au rire de dément. À la rigueur, seul Vincent Daudier (1928-1938) reste conforme au modèle simpliste de chercheur maudit, victime de ses recherches. À plusieurs reprises, le lecteur relève un élément original et surprenant : Fox tapant ses mémoires à l’ombre d’un arbre dans le jardin, Romuald, un clochard sous un pont de Paris, ayant lu Miroir historial de Vincent de Beauvais, Paroles de Prévert, La méthode curative des playes et fractures de la teste humaine d’Amboise Paré, L’amour des homonymes de Desnos, la présence d’un mandrill, ou encore l’intervention d’un étrange clown blanc.



Le lecteur (re)découvre les dessins encrés de Jean-François Charles et leur richesse. Lui aussi intègre des éléments originaux donnant plus de saveur au récit. Pour commencer, il ne mégote pas sur les détails descriptifs pour donner à voir au lecteur les personnages et les lieux. Chaque protagoniste dispose d’une tenue vestimentaire particulière : le costume-cravate pour l’ingénieur, les uniformes pour les mineurs, le complet veston avec nœud papillon pour le commissaire divisionnaire, les différentes robes d’été d’Edith, le galurin méchamment cabossé pour le clodo Romuald, la tenue d’aviateur pour le Pénitent, le beau costume de scène pour le clown blanc. Dès la première page, le lecteur apprécie le soin apporté aux décors et aux paysages. L’exploitation minière avec ses hautes cheminées, ses bâtiments en brique, la cage de l’ascenseur et la machinerie, les longues galeries et les tuyaux qui y courent, les éboulis dans les galeries, la mise en couleurs nuancée. La présentation de la petite maison abritant la pension dans laquelle Allan Fox va séjourner : la grille en fer forgé, le jardin bien entretenu avec ses arbres, ses haies, ses bancs, les volets et la toiture, tout cela donne également envie au lecteur d’y passer quelques jours de repos réparateur, au calme. La balade en moto sur les routes de campagne apporte une autre forme de détente, le plaisir de sentir le vent, les ombrages des arbres, la douceur des étendues herbeuses. La séquence à Paris apparaît exotique : le quai de Seine avec les feuilles mortes, l’étonnante vue en hauteur d’une rue de Montmartre, et les cabanes de fortune dans un terrain vague. Un peu plus tard, Allan et Edith passent une nuit dans une auberge en bord de canal : en planche trente-sept, une très belle représentation de cette construction à un étage, avec le cours d’eau en premier plan, un bateau amarré, un pont métallique avec la structure pour le lever afin de laisser passer les bateaux, la ligne d’arbres en arrière-plan, une évocation parfaite de ce type de paysage.



Le lecteur se laisse séduire sûrement et lentement par cette histoire à l’ambiance particulière. Il fait la découverte de l’existence d’un livre maudit qui brûle ceux qui veulent se l’approprier indûment. La mise en scène se révèle insuffisante pour y voir une métaphore sur l’appropriation d’un savoir interdit. Ce livre qui, en quelque sorte, avait inclus Edith & Allan de force dans sa tragique destinée…Le héros a beau se montrer courageux, il semble patauger du début à la fin, sans réussir à accomplir d’exploit, sans parvenir à prévenir les catastrophes. Il relève une phrase à propos du Pénitent : c’est ainsi qu’on appelait les repris de justice chargés d’enflammer le grisou avant l’arrivée des mineurs, un étrange rapprochement qui en dit peut-être long. Il reste coi devant la méthode de suicide choisie par Romuald, à l’aide d’une perceuse. Arrivé à la fin, il sent qu’il est bien accroché par l’intrigue et la narration.



Une aventure à l’ancienne, avec un beau héro américain, une belle pépée, et un mystère surnaturel vaguement horrifique ? Il y a de cela, et en même temps l’investissement de l’artiste dans la description, la palette de couleurs soignée et nuancée, ainsi que des éléments originaux placent ce premier tome au-dessus de la mêlée, en termes de saveurs originales, séduisant ainsi le lecteur qui en redemande.
Commenter  J’apprécie          230
La Callas et Pasolini, un amour impossible

Je remercie #NetGalleyFrance et les Éditions Dupuis pour la découverte de #LaCallasetPasoliniunamourimpossible de Jean Dufaux (scénario) et Sara Briotti (illustrations).



Cet album raconte une partie de la vie de Maria Callas, après sa liaison avec Onassis, au moment de sa relation avec Pasolini, "l'écrivain, le poète, le cinéaste" homosexuel qui la met en scène dans Médée. Il s'ouvre sur septembre 1969 : une nuit italienne de célébration entre célébrités et La Callas et Pasolini s'échappent dans les rues pour se confier l'une à l'autre. Puis nous sommes projetés en mai 1977, à Paris. La Callas se sent "Sola, Perduta, abbandonata"... et elle raconte ce qu'il s'est passé entre elle et Pier Paolo au Brésil, après la parution du film.



Voici quelques bribes d'un amour impossible, platonique, profond mais contrarié entre "la plus belle voix du monde" et le metteur en scène. C'est aussi l'occasion pour La Callas de faire un bilan succinct de sa vie et de livrer quelques souvenirs de jeunesse... plutôt triste...



Les dessins de Sara Briotti sont très traditionnels, dans le style Franco-Belge, avec un trait un peu grossier à mon goût. La mise en page est tout aussi traditionnelle, hormis quelques illustrations pleines pages ou débordantes. Dans l'ensemble, j'ai trouvé les décors plutôt réussis, mais les traits des personnages manquent de nuances...



Le long texte de préface d'Emanuele Trevi est très bien écrit, mais difficilement lisible en numérique sur tablette car écrit très petit. Il en est de même pour le texte de clôture, qu'Alain Duault consacre aux "hommes de la Callas".



L'album se lit plutôt rapidement, mais il ne m'a pas vraiment conquise... Même si les anecdotes sont intéressantes, j'ai trouvé que le sujet était traité trop en surface par rapport à mes attentes. Et je n'ai malheureusement pas réellement apprécié les dessins.



#LaCallasetPasoliniunamourimpossible #NetGalleyFrance
Commenter  J’apprécie          230
La maison Usher (BD)

Je trouve les dessins extraordinaires, tellement réalistes qu'ils m'ont entrainée dans un tourbillon d'angoisse et de suspense ! Et les couleurs, parfois voilées, donnent encore plus de consistance à l'ambiance morbide et remplie de terreur et de folie !



C'est plus une bande dessinée “d'après” la nouvelle de Edgar Allan Poe qu'une adaptation, les différences sont trop grandes pour cela mais j'ai apprécié ce que Jean Dufaux a concocté et qui, pour moi, ne trahi en rien l'ambiance propre de ses écrits.



Ces ajouts et digressions rendent plus moderne ce conte de folie et de mort et j'ai vraiment aimé me plonger dans chaque détail ! Edgar Poe présent comme maître du jeu est intéressant avec ses doutes et hésitations.



L'ajout de la nouvelle à la fin est une bonne idée pour celles et ceux qui ne l'ont jamais lue.



#LaMaisonUsher #NetGalleyFrance
Lien : https://www.instagram.com/p/..
Commenter  J’apprécie          232
La maison Usher (BD)

Voici mon retour de lecture sur la bande dessinée La maison Usher, adaptée de l'œuvre d'Edgar Allan Poe.

Je ne connais pas du tout cet auteur, sauf de nom. J'avoue n'avoir jamais entendu parler de La maison Usher, puisque je n'ai même pas entendu parler de la série qui passe sur Netflix. Je l'ai découvert en lisant une chronique sur cette bd :)

Si j'ai été tenté par cette bande dessinée, c'est grâce à la couverture, très intrigante et parfaite en cette période d'Halloween :)

« Comment deviner ce qu'elle recèle, cache, vit. Tout voyageur préfère passer son chemin devant la maison Usher.. »

Ainsi débute ce récit d'horreur gothique revisité où nous nous invitons parmi la famille Usher et dans une maison.. spéciale..

Je ne peux pas vous dire si ça ressemble à l'œuvre originale, mais j'ai beaucoup aimé ma lecture.

Déjà, j'ai tout de suite accroché avec l'ambiance assez sombre.. voir carrément lugubre par moment.

Les dessins sont superbes et la colorisation est noire à souhait. Pas trop non plus car malgré tout j'ai trouvé l'ensemble assez lumineux, bien dosé.

J'ai apprécié les personnages, même si le personnage principal m'a laissé un peu perplexe par moment car il est difficile à cerner.

Quand à cette famille Usher, qu'en dire.. Pour en savoir plus, je vous invite à découvrir cette bande dessinée :)

Dans l'ensemble j'ai aimé ma lecture, cette maison très mystérieuse qui regorge d'étranges secrets..

Pas un coup de cœur mais une bonne surprise que je note quatre étoiles :)







Commenter  J’apprécie          230
Croisade - Cycle 2, tome 8 : Le dernier sou..

Mais c’était appeler le diable pour secourir Dieu.

-

Ce tome est le dernier du second cycle de la série Croisade. Il fait à suite Croisade - Cycle 2, tome 7 : Le maître des sables (2013) qu’il faut avoir lu avant. Il a été réalisé par Jean Dufaux pour le scénario, et par Philippe Xavier pour les dessins. Les couleurs ont été réalisées par Jean-Jacques Chagnaud. Il compte cinquante-trois planches de bande dessinée.



Ils trouvèrent le corps de messire d’Aubois au petit matin. Le corps transpercé, son sang bu par le sable. Un croisé vient rendre compte à messire d’Aost : d’après les traces, ils devaient être quatre ou cinq, venant de l’est, de Hiérus Halem. Comme semble l’indiquer les lances sarrasines. Curieux de les avoir laissées auprès de leur victime. Le crime est signé comme s’ils le revendiquaient. Un autre croisé intervient : la mort d’un chrétien reste une réjouissance pour un Sarrasin. Ils doivent s’enorgueillir de leur acte. Sire d’Aost s’étonne que le maître des sables ne tienne pas mieux ses hommes, car il sait que ce meurtre risque de remettre en question la paix établie entre leurs deux communautés. Il prend là un risque. Reste le plus difficile : apprendre à dame Sybille qu’elle vient de perdre son époux bien-aimé.



À la forteresse des croisés, Guy de Lusignan en côte de maille frappe à la porte de la jeune veuve et entre. Sybille d’Aubois indique qu’elle veut qu’on la laisse, elle veut être seule. Guy de Lusignan entre quand même et lui tient ce langage. Si elle désirait être seule, il aurait fallu qu’elle ferme sa porte. Il ne lui avait pas encore présenté ses condoléances. Il voit qu’elle souffre d’un chagrin bien profond, chagrin qui le surprend. Il est rare de voir une femme mariée pleurer ainsi son époux défunt. D’habitude, c’est plutôt un soulagement. Surtout lorsque l’épouse est aussi belle, aussi désirable. Oui, il ose, car il ne veut point la décevoir. Il estime qu’il y a eu assez temps perdu avec ce mari débile dont elle s’amusait. Ce que réclame le corps de Sybille, c’est la force, c’est la laideur d’un Lusignan. Il la renverse sur le lit et ils font l’amour. De l’autre côté de la porte, Renaud de Châtillon a parfaitement compris ce qui se passe. Il décide de s’éloigner, tout en se disant que la force de Lusignan n’est plus à prouver, mais que sa sensualité le pousse aux excès et qu’elle pourrait lui nuire plus tôt que prévu, ce qui l’arrange. D’Aost est revenu à la forteresse et il rend compte à Renaud de Châtillon : tous ses chevaliers sont outrés par le meurtre de messire d’Aubois et ils veulent se rendre séance tenante à Hierus Halem pour demander des explications au maître des sables. Il croit qu’il vaut mieux que de Châtillon se mette à leur tête afin d’éviter tout débordement. Les deux hommes se rendent à la fenêtre et voient les croisés armés s’exhortant à se rendre à Hiérus Halem. Dans la ville sainte, accompagné par le soldat Gollo, le sultan Ab’dul Razim se rend dans les appartements du vizir Zalkan pour exiger des explications. Ce dernier indique qu’il n’a fait qu’obéir aux ordres du mufti d’Alkar.



Ultime tome de ce second cycle qui fut également le dernier. Le lecteur retrouve avec grand plaisir la narration visuelle : claire, efficace, avec un savant dosage de densité d’éléments entre ceux minutieusement détourés, ceux esquissés et ceux apportés par la couleur. Le spectacle est au rendez-vous : ces pauvres croisés en lourde cotte de maille en plein désert, le bel aménagement de la chambre de Sybille d’Aubois (tapisserie figurative au mur, objets sur la tête de lit ouvragée, coussins brodés, coffre en bois avec des armatures métalliques, etc.), grande case de la hauteur de la page montrant la tour et les remparts fortifiés avec les croisés en arme brandissant leurs étendards, grand divan avec des broderies dans la pièce à vivre du vizir, grand portail en bois pour le palais du vizir (avec sa tête clouée dessus), vastes couloirs souterrains menant à la cellule du mufti d’Alkar, splendide vue générale de Hiérus Halem dans une case s’étalant sur les deux pages en vis-à-vis (planches 12 & 13), les arches du pont en pierre permettant d’accéder à la porte d’entrée de la cité, murs en pierre des geôles de la forteresse, architecture inoubliable du Djebel Tarr (inspirée par celle de l’église Saint-Georges de Lalibela en Éthiopie), etc. Chaque fois qu’il tourne une page, le lecteur découvre un ou plusieurs décors mémorables. Il n’est pas près d’oublier ce sphinx immense dans une pièce souterraine.



Comme dans le tome précédent, l’artiste dose avec élégance et une incroyable justesse le niveau de détails de chaque élément qu’il représente. Il peut descendre jusqu’à la représentation de chaque ornement doré sur un mur, comme il peut s’arrêter à donner l’impression donné par des motifs en haut relief sur un parement sans pour autant en détourer le tracé exact. Comme dans chaque tome de cette série, il bénéficie de la complémentarité de la mise en couleurs : là aussi un savant dosage entre approche naturaliste, installation d’une ambiance par une palette avec un ton majoritaire, éléments visuels supplémentaires apportés par les couleurs (texture du sol, nuages, etc.), jeu sur le contraste entre les différents éléments détourés pour qu’ils ressortent bien les uns par rapport aux autres, et rehausse de la profondeur de champ, de la distinction entre les différents plans. Le lecteur éprouve un grand plaisir à retrouver les personnages : l’armoire à glace doublée d’une montagne de muscle qu’est Guy de Lusignan sans oublier son atroce cicatrice lui défigurant la moitié du visage, la beauté parfaite de Sybille d’Aubois, le visage de Renaud de Châtillon marqué par le poids des responsabilités, la beauté plus sèche et plus altière du sultan Ab’dul Razim, le mufti d’Alkar à la constitution plus chétive, l’allure traditionnelle du héros pour Gauthier de Flandres, l’apparence passe-partout d’Osarias fidèle et discret compagnon du héros, la dégaine pouilleuse des flagellants, l’innocence de Nabhu la petite sœur de Lhianes, l’étrange consistance de la peau du visage d’Ottar Benk, etc.



Le lecteur ressent dès le début que le scénariste souhaite intégrer de nombreux éléments à son intrigue, ce qui donne un récit à la fois dense et rapide. Dufaux fait preuve d’une confiance totale en son artiste et son coloriste pour réussir tout type de scène : examen d’une scène d’assassinat, coucherie, manifestation de colère de toute une troupe de croisés, scène de rue dans Hiérus Halem, acrobaties dans une cité rupestre, propagation d’une entité spectrale nuageuse, et aussi des séquences reposant sur le jeu des acteurs pour l’aveu d’échec du mufti d’Alkar qui en assume la responsabilité de façon dramatique, échange tendu à haut risque entre le sultan Ab’duk Razim et Renaud de Châtillon en présence de leur armée respective, explication de la situation par le flagellant appelé Ultime Blessure, annonce de décisions entre Syria d’Arcos et le sultan, etc. Sans oublier les différents voyages à travers des étendues désertiques. Les fils de l’intrigue sont tellement bien intriqués, que le scénariste peut se permettre de ne faire apparaître son personnage principal qu’en planche vingt, sans même que son lecteur ne s’en aperçoive. Sachant qu’il s’agit du dernier tome de la série, l’horizon d’attente de celui-ci comprend la résolution des principaux mystères et des principaux conflits. Le scénariste ramène ses principaux personnages à Hiérus Halem, et le lecteur sait ce qu’il advient d’eux. Il délivre la dose d’actions attendues : exécution sommaire, chevauchée sur Hiérus Halem, infiltration dans le Djebel Tar, découverte d’une statue monumentale de sphinx, fuite éperdue pour échapper au Simoun Dja, et bien sûr une confrontation avec le Qua’dj. Contrat rempli.



D’un certain côté, le lecteur peut être surpris que X3 brille par son absence, mais finalement comme dans la plupart des tomes. D’un autre côté, le thème de la tentation court tout du long de ce tome : celle de puissance de Guy de Lusignan, celle mystique du mufti d’Alkar, celle temporelle du vizir, celle de faire plier les lois naturelles pour Ottar Benk, celle affective de Syria d’Arcos. Le lecteur constate que le scénariste a choisi de s’en tenir à une résolution morale pour le devenir de ses personnages, ceux ayant succombé à la tentation connaissant une fin prématurée, sauf peut-être pour Sybille de Lusignac. Les deux dernières pages apportent une conclusion claire sur le thème de la croisade en lui-même : La Croix et le Croissant repartirent en guerre. Il n’est pas donné de fin à notre histoire car elle parle de la folie des hommes… qui est éternelle. Et ainsi au soir des batailles vaines, passe toujours la lumière des martyrs. Sur son passage, crient les armures et les os. Comme s’ils répondaient à son appel : je cherche des martyrs. La guerre sainte. Encore. Et toujours.



Dans ce dernier tome, le lecteur retrouve le niveau de qualité des précédents : une narration visuelle alliant efficacité et spectacle, clarté et détails, avec un dosage admirable. Le scénariste mène à bien ses différents fils narratifs de manière satisfaisante, concluant sur la pérennité de la guerre pour ce second cycle, à l’instar de la conclusion sur le pillage des ressources pour le premier cycle. Sous couvert de la Croisade, se joue la tentation des hommes, le risque de se fourvoyer dans un comportement ou une voie dictée par la vanité d’une sorte ou d’une autre. Ces deux créateurs ont également collaboré pour réaliser la série Conquistador en 4 tomes.
Commenter  J’apprécie          230
Croisade - Cycle 2, tome 7 : Le maître des sa..

On ne conquiert pas le sable.

-

Ce tome fait suite à Croisade - Cycle 2, tome 6 : Sybille, jadis (2011) qu’il faut avoir lu avant. Les quatre premiers tomes forment le cycle appelé Hiérus Halem. La parution de celui-ci date de 2013, et c’est le troisième du second cycle appelé Nomade, qui compte également quatre albums. Il a été réalisé par Jean Dufaux pour le scénario, et par Philippe Xavier pour les dessins. Les couleurs ont été réalisées par Jean-Jacques Chagnaud. Il compte cinquante-deux planches de bande dessinée.



La petite troupe de Sarrazins n’était plus qu’à une journée de marche de Hiérus Halem. La ville sainte. Ils s’étaient arrêtés pour la nuit et commençaient à croire au succès de leur mission. Toutes les précautions semblaient prises. Du moins, Sheber, le chef de l’expédition voulut s’en assurer. Il fait le tour des sentinelles. À la première, il demande comment va le prisonnier. Réponse : le philtre agit toujours, mais il a commencé à bouger. Sheber s’en étonne : déjà, c’est plutôt que prévu, tant pis ! Ils repartiront avant l’aube. Cela va leur gagner quelques heures. Et il s’éloigna, plutôt rassuré. Il pouvait encore croire en sa chance. Ce qu’il ignorait, c’étaient les ombres qui avançaient lentement vers la palmeraie. Et soudain tout alla très vite, et la chance le quitta à jamais. Sheber n’eut même pas le temps de combattre. En quelques instants, le campement fut aux mains des chrétiens qui avaient massacré tous les sarrazins avec des flèches et à l’épée. Ils cherchaient quelque chose de précis.



Dans une tente à l’écart, les chrétiens découvrent le prisonnier qu’ils cherchent : un individu entravé et masqué. Le chef exige de voir son visage. C’est bien le maître des flagellants. Ce dernier ouvre la bouche et une nuée noire meurtrière s’en échappe : le Simoun Dja ! Jusqu’à son dernier souffle, alors même que sa tête roulait au sol, il a craché une fumée noire s’élevant au ciel. Un peu plus tard, dans une citadelle forteresse des croisés, Renaud de Châtillon écoute ses commandants, son conseiller spirituel et Gauthier de Flandres. La rumeur disait donc vrai : les flagellants sont atteints d’une maladie mortelle. Maladie qui se répand comme la pestilence et qui emprunte ses sortilèges au fléau du Simoun Dja, ce vent du désert qui désosse les plus braves. Gauthier de Flandres ajoute : Le seul à pouvoir répandre cette peste, à commander au Simoun Dja, est un monstre, une âme tellement noire et vile que les infidèles lui prêtent un pouvoir ancestral, plus vieux, plus puissant que toutes les légendes, aussi anciennes soient-elles. Jurand de Poméranie souhaite savoir qui a commandé cette mission. Guy de Lusignan, comte de Jaffa, l’homme le plus laide de la Terre, fait son entrée dans la pièce et indique que c’est lui qui l’a commandée.



Fin du tome six, Gauthier de Flandres rejoignit la caravane de Renaud de Châtillon qui partait pour la ville sainte. La ville où reposait le vénéré X3. La ville où le Qua’dj rampait dans les ténèbres. La ville où les nomades doivent mettre un genou devant la croix. De manière inattendue, ce tome commence tout autrement : une attaque de croisés sur un groupe de musulmans. Finalement il n’est pas donné à Gauthier de Flandres de rejoindre la ville sainte, et il reste un nomade, conformément au titre de ce cycle. Il se retrouve une fois encore un acteur dans cette guerre de religion, un Français en pays arabe, un individu devenu athée au milieu de croyants, un nomade sans foi, mais respectueux des lois, et un amoureux transi. Il dispose même de son fidèle compagnon, personnage peu développé mais toujours présent à ses côtés, car immortel. Tellement présent qu’il a déjà observé Gauthier en train de faire l’amour avec une femme. Il se retrouve une fois encore en position de personnage principal et de héros : conseillant les puissants pour établir la vérité, se portant volontaire pour une mission à haut risque, tenant tête aux puissants malgré le risque pour sa personne, se faisant violemment tabasser (deux fois même), voyant deux compagnons tomber au combat, devant se tenir face à la femme qu’il aime, mais qui vit avec un autre. Peu de choses lui sont épargnées, ce qui ne l’empêche pas de continuer, d’aller de l’avant, de se lancer dans de nouvelles explorations. Le lecteur est de tout cœur avec lui.



L’intrigue semble prendre un chemin de traverse, s’éloignant une fois encore de Hiérus Halem. Pour autant, elle fournit également l’occasion de revenir vers des personnages récurrents de la série comme Syria d’Arcos et Ab’dul Razim, ou encore le mufti d’Alkar, de faire connaissance avec Guy de Lusignan annoncé dans le tome précédent, et avec le vizir Zalkan, et de s’enfoncer encore un peu plus dans sa mythologie avec les flagellants que le lecteur avait vu passer dans le tome deux, proches de la porte de Samarande, se préparant à fêter le Kum Dirvha. La guerre de religion entre les Sarrazins et les croisés français reste au cœur de la dynamique du récit. Gauthier de Flandres reste une quantité inconnue et incontrôlable parce qu’il s’est affranchi de l’Église constituée, trop conscient de l’instrumentalisation de la Foi pour servir une soif de conquête, l’ego de conquérants, d’un côté comme de l’autre. La libération du Simoun Dja dans la première séquence montre que n’importe quel croyant peut être infecté par une interprétation déviante de la Foi, l‘amenant à commettre des actes allant contre la morale chrétienne. La seconde séquence montre un individu physiquement marqué par la guerre, avec une blessure continuant à suppurer, faisant en sorte d’imposer sa volonté par la force, une autre déviance par rapport à la parole sainte. Puis le vizir de Hiérus Halem choisit de répondre à l’attaque par une exécution publique : un retour en arrière à la loi du talion. Gauthier de Flandres se retrouve alors en position d’aller débusquer le Qua’dj parmi les flagellants, c’est-à-dire trouver la racine du Mal, l’entité qui corrompt l’âme des hommes. Un fois parmi cette communauté, il doit faire face à une autre forme d’interprétation délirante du Credo, un autre fanatisme, cette fois-ci de nature mystique. De son côté, Syria d’Arcos va elle aussi chercher une aide auprès d’un mystique, qui lui aussi en profite pour manipuler son interlocutrice afin de mettre la main sur un objet de pouvoir pour avancer dans sa propre quête mystique, là encore avec une intention de domination.



Les dessins semblent avoir évolué, intégrant à la fois l’efficacité narrative des premiers tomes, et une représentation avec des traits de contour plus délicats issue du tome précédent. Ainsi la première case présente la vision d’une oasis dans une case de la largeur de la page : des traits fins pour délimiter des formes rendant plus compte de l’impression produite par chaque élément, arbres, roches, sable, que d’une description fine qui permettrait par exemple d’identifier l’essence des arbres. La case est admirablement complétée par la mise en couleur qui vient se faire détacher chaque plan par rapport aux autres, rehausser le relief de chaque élément, installer l’ambiance lumineuse de la nuit bleutée. Le lecteur retrouve la délicatesse et l’attention aux détails dans des éléments spécifiques ou dans des compositions mémorables : la finesse d’une cotte de mailles, la texture de la fumée noire du Simoun Dja, la beauté délicate du visage de Sybille d’Aubois, la magnifique vue en élévation du jardin intérieur de la demeure du diplomate Armand de Gésard (le bassin, la forme des massifs avec leur bordure végétale), les broderies de la magnifique robe du sultan Ab’dul Razim, les chaines et les bracelets au métal corrodé dans la geôle, l’étonnante formation rocheuse appelée Les portes de la sainte foi, les tentures avec les superbes calligraphies arabes dans l’église délabrée d’Entéaclon, la cire des cierges, Hiérus Halen dans le lointain avec ses fortifications, et l’architecture très particulière du Jebel Tarr, la cité des flagellants.



L’histoire apparaît avant tout comme une aventure, avec ce héros libre et indépendant, des passages spectaculaires : l’attaque du camp dans l’oasis, la révélation de l’apparence de Guy de Lusignan qui évoque celle d’Akhabah le maître des Machines, la tête coupée du diplomate Armand de Gésard, la pluie de flèches aux portes de la sainte foi, les rites de la communauté de frère Entéaclon, etc. Dans le même temps, le récit s’avère riche en questionnements sur la Foi, sur les différentes formes de fanatisme plus ou moins prononcé, sur les motivations du personnage principal, entre quête spirituelle personnelle et sens de l’honneur, sur l’investissement de l’individu dans un système de croyances, le pouvoir que ce système peut donner à certains, la légitimation qu’ils en tirent, le fonctionnement qui en découle pour une communauté, ou pour un peuple. Chaque chef promeut une idéologie spirituelle avec des conséquences temporelles, qui s’avèrent aussi contraignantes pour lui que profitables. Pauvre Osarias, ressuscité à chaque mort, obligé d’être le témoin des événements, souffrant tout autant que les autres, mais avec un libre arbitre quasi inexistant.



En entamant ce tome, le lecteur commence par se demander ce qu’il est advenu de l’intention de rallier Hiérus Halem par les croisés menés par Renaud de Châtillon. En cours de route, il continue à se dire qu’il aimerait bien savoir ce qui a contrarié ce plan, tout en appréciant que la direction de l’intrigue correspond au thème principal de ce cycle, le nomadisme de son personnage principal. L’artiste et le coloriste réalisent une narration visuelle encore un peu plus personnelle, alliant efficacité emportant la conviction et sens du détail bien placé, avec une élégance dans son exécution. Le lecteur se rend compte qu’il accompagne Gauthier de Flandres dans une quête spirituelle adulte, sondant la façon dont chaque individu vit les préceptes de la Foi, sans en oublier les dérives.
Commenter  J’apprécie          230
Croisade - Cycle 1, tome 3 : Le maître des ma..

Il est dit qu’en cet instant, Dieu détourna sa face du monde.

-

Ce tome fait suite à Croisade - Cycle 1, tome 2 : Le Qua'dj (2008) qu’il faut avoir lu avant. La première édition date de 2009. Il a été réalisé par Jean Dufaux pour le scénario, et par Philippe Xavier pour les dessins. Les couleurs ont été réalisées par Jean-Jacques Chagnaud. Il compte cinquante-deux planches de bande dessinée. Il s’ouvre avec un texte du scénariste intitulé : Croisade, histoire et mythe, deux pages écrites par le scénariste en 2009.



Dans les cavernes sous Samarande, Gauthier de Flandres continue de progresser, accompagné par Osarias. Ils recherchent le Aa, un monstre de la nuit, de leurs peurs, et du sang de Gauthier. Ce dernier emporte avec lui, son épée, et le portrait de l’oubliée. Il avait donc une chance de vaincre Aa. Il fallait cependant se rendre à l’évidence : le monstre n’était pas seul. Devant eux se tient un squelette debout, avec des lambeaux de vêtements et une lance dans sa main : une des victimes de Aa. Il ne les tue pas toutes. Il tue, ou contamine. Certaines de victimes doivent lui ressembler à présent. Elles n’ont certes pas sa force, mais elles demeurent néanmoins redoutables. À la lueur de leur torche, les deux guerriers se rendent compte qu’ils sont encerclés par une armée de plusieurs dizaines de morts vivants qui se rapprochent lentement d’eux. Dos à dos, ils se lancent dans le combat : Gauthier en effectuant de grands moulinets avec son épée, Osarias avec sa torche. La légende dit que le combat mené par Gauthier et Osarias dura des heures. Dit-elle vrai ? Le narrateur ne saurait le dire. Ce qui fut certain, c’est que la défaite se trouvait au bout tant l’ennemi était nombreux. Gauthier se tient bientôt au sommet d’un tas de squelettes sans vie, et Osarias finit par être blessé par les ongles de l’un d’eux.



Alors que les deux combattants vont succomber dans les minutes qui suivent, une voix retentit intimant aux agresseurs de s’arrêter car Gauthier est à lui. Nakash, déjà fortement infecté, se tient l’épée à la main, et continue : ils doivent s’en aller, il s’occupe de Gauthier. À l’attention de Gauthier, il explique que le Aa l’a reçu parmi les siens. C’est un honneur : toute une vie prend alors une autre dimension, et la mort n’est plus à craindre. Il demande : Gauthier craint-il la mort ? La réponse s’avère cinglante : Gauthier préfère la mort à ce que son ami est devenu. Il jette alors ses dernières forces dans cette rencontre qui l’oppose à une ombre, l’ombre d’un homme qui fut son ami. Sans prévenir, Nakash lui demande de le tuer. Pendant quelques secondes, Nakash baisse sa garde. Le coup donné par Gauthier fut rude : il transperce Gauthier de son épée. En plein cœur. Nakash tombe à genou et remercie son ami avec son dernier souffle. Aa fait son apparition au sommet d’un rocher. Il invective Gauthier qui vient de tuer son seul ami. Personne ne prend Aa en pitié. Gauthier lui rétorque que Aa n’a pas eu pitié de tous ces corps au sol. Aa explique : ce n’est pas sa faute, car il a toujours faim, personne ne parle à Aa, personne ne connaît son nom.



La plongée dans cette croisade imaginaire continue. Le lecteur prend plaisir à découvrir l’introduction du scénariste qui rappelle le principe de sa série et explique ses intentions, ou plutôt la vision globale qu’il en a, y compris les éléments qui ne sont pas explicites. En particulier il aborde la composante des contes, des enchantements et des malédictions, fidèle en cela aux nuits racontées par Shéhérazade, et quelques notions d’histoire. Une de ses sources d’inspiration fut la troisième croisade (cinq années de guerres ininterrompues) : une préparation longue et difficile, des problèmes de trésorerie, de logistique aussi entre les différentes armées, des méfiances, des coups bas entre futurs alliés, autant d’éléments très éloignés de la Foi. En face, Saladin règne en maître sur le Croissant et le Sable, et il refuse de détruire l’église du Saint Sépulcre. Côté européen : Philippe Auguste, Richard Cœur de Lion, puis Barberousse. Ces faits ne sont pas racontés dans la série, mais il est possible d’en sentir leur influence sur l’état d’esprit qu’ils génèrent : la Croix et le Croissant restent toujours d’admirables alibis. En outre, le scénariste a construit une trame narrative facile d’accès tout en se développant sur la base de quatre fils différents dans ce tome : Gauthier avec ses deux compagnons dans les souterrains de Samarande pour se confronter au Aa, Ab’dul Razim et Syria d’Arcos à Hierus Halem, Robert de Tarente et l’armée chrétienne dans son château, et enfin Ottar Benk dans son palais. Le lecteur identifie chaque personnage au premier coup d’œil et se rappelle instantanément sa situation, son histoire personnelle, ses motivations et sa place sur l’échiquier.



Cette fois-ci, les auteurs ont décidé de mettre la séquence en quadruple page vers la fin du tome. Le lecteur procède alors au dépliage des deux pages en vis-à-vis, lui permettant d’admirer cette scène en quatre pages côte à côte : une crucifixion avec une case de la hauteur de la page en début de la première et en fin de la quatrième, et entre, quatre cases en largeur l’une au-dessus de l’autre. Effet choc garanti. Toutefois, son horizon d’attente ne se limite pas à ce moment spectaculaire, et ces pages dépliées. Comme précédemment, il fait le constat du travail de Jean-Jacques Chagnaud qui vient compléter par les couleurs des cases qui auraient sinon paru un peu vide. Il marie avec toujours autant de pertinence les teintes chaudes du soleil et du désert, ou d’une torche et de sa lumière, avec celles plus grises et froides des cavernes et de l’ombre. Il parvient à rendre sinistre la lumière irradiant d’Elysande (la Lumière des Martyrs), ou celle qui apparaît lors du duel entre Aa et Gauthier. De la même manière, il parvient à rendre particulièrement sinistre la lumière orangée du coucher de soleil, ou très douce celle brunâtre de ces gigantesques cavernes souterraines de Samarande. Le lecteur voit également que le coloriste se montre très précis et méticuleux lorsqu’il s’agit d’une surface très effilée ou minuscule comme les décorations brodées d’un vêtement ou les ferrures décorative d’une porte. Il sait conserver le juste équilibre entre l’apport d’informations visuelles supplémentaires dans les dessins, et les cases qui doivent restées dépouillées pour faire effet : un savant dosage exécuté avec habileté.



Le lecteur sait également qu’il va retrouver une narration visuelle avec une apparence de surface évoquant une réalisation rapide : des cases sans décors, certains décors comme réalisés en vitesse, des gros plans sur les visages qui occupent de fait toute la surface de la case, certaines cases qui reposent beaucoup sur les effets spéciaux de la mise en couleur, des formes de détails simplifiées ou génériques. Dans le même temps, il constate qu’il ralentit sa lecture très régulièrement pour savourer une case plus dense en informations visuelles ou une séquence impressionnante : les statues géantes des huit chevaliers, l’apparition de la Lumières des Martyrs, la vue en légère surélévation du palais d’Ab’dul Razim avec la ville derrière, la vue en plongée sur la pièce qui lui sert de bureau avec les tapis, les étagères, les décorations calligraphiées, la croix finement ouvragée au sommet du bâton du moine Jurand de Poméranie, le prédicateur aux sept plaies, la décoration intérieure de la chambre de Syria d’Arcos dans le palais, l’aménagement du jardin du même palais, le tombeau sur lequel reposent les ossements d’Ada de Flandres, le trône d’Ottar Benk et ses décorations, l’armure finement ouvragée du maître des Machines. À l’évidence, l’artiste dose la densité d’informations visuelles en fonction de l’effet qu’il souhaite obtenir sur le lecteur : modulation de la vitesse de sa lecture, établissement d’un lieu ou d’un personnage dans le menu détail, focalisation sur la tension entre individus, etc.



De la même manière, le scénariste dose savamment ses effets : entre scènes d’actions et révélations, entre avancée de l’intrigue et explications. Comme dans les tomes précédent, libre au lecteur de choisir sa façon d’appréhender le récit : au premier degré comme une aventure, des chevaliers affrontant avec plus ou moins de succès les ennemis, les tentations, les exigences du pouvoir, celles de la morale et de l’honneur, ou bien comme un miroir déformant des croisades avec leurs enjeux guerriers qui finissent par faire oublier la motivation religieuse, des tourments mystiques, des manifestations incarnées de croyances culturelles. Dans le premier cas, il constate que la guerre génère des conflits qui dressent les hommes les uns contre les autres, quelle que soit la force de leur volonté. Dans la deuxième optique, il glisse entre une restitution métaphorique des croisades, des incohérences historiques qui empêchent de raccorder la fiction à la réalité historique, des phénomènes de résonnance troublants, en fonction de leur bien-fondé ou de l’interprétation imposée par le scénariste. Pour autant, les auteurs savent conférer une dimension mystique et mythique à leur vision des croisades.



Chaque personnage s’enfonce encore plus dans son destin qu’il ne maîtrise pas, étant le jeu des forces des conflits, des croyances, des chocs culturels, et de son histoire personnelle. Sous des dehors qui peuvent sembler parfois un peu désinvoltes, l’artiste et le coloriste réalisent une narration visuelle pesée et envoûtante, emmenant le lecteur dans un monde oscillant subtilement entre réalité et conte, en cohérence totale avec le scénario. Une fois encore, le scénariste semble avoir conçu le fonctionnement de son récit en fonction de l’artiste, tout en développant des thèmes personnels. À la simple lecture de la bande dessinée, le lecteur peut s’interroger sur les notions d’Histoire de Dufaux. Avec l’introduction, il découvre son intérêt et son investissement dans l’histoire des croisades, et il perçoit tout le travail de conception qui ne fait qu’affleurer de ci de là dans le récit. Une plongée très troublante dans une croisade en forme de conte, qui en respecte l’esprit.
Commenter  J’apprécie          230




Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Jean Dufaux Voir plus

Quiz Voir plus

Murena, Premier Cycle : Le Cycle de la Mère

Les auteurs, Jean Dufaux et Philippe Delaby, sont...

Belges
Français
Suisses
Italiens

12 questions
26 lecteurs ont répondu
Thème : Murena - Cycle 1 : Le Cycle de la Mère de Jean DufauxCréer un quiz sur cet auteur

{* *}