Citations de Jean Raspail (296)
« Les collaborateurs de l'ennemi se sont emparés de vos cervelles d'oiseau. Ne les écoutez plus. Apprenez à les reconnaître et à les chasser de vous-mêmes, si vous en possédez encore la force. Le monstre est là, échoué sur nos côtes mais bien vivant. On vous adjure, et tout à l'heure encore le pape d'une chrétienté malade, d'ouvrir largement vos portes. Moi, je vous dis, je vous supplie, fermez-les, fermez-les vite, s'il en est encore temps ! Soyez durs, insensibles faites taire votre cœur mou.
![](/couv/cvt_La-misericorde_9097.jpg)
Même dans nos ministères les plus ingrats, dit Mgr Anselmos, nous trouvons des récompenses, une joie plus forte que toute la peine, celle qui fait qu'on se couche, le soir, en se disant que, Dieu aidant, on n'est pas complètement inutile. J'entrevois la mienne. Qu'elle est la vôtre, mon ami ?
Le curé sourit franchement, la bouche largement ouverte, les yeux brillants, témoignant d'une animation soudaine qui surprenait chez un homme aussi triste. Avec sa longue figure bizarrement éclairée, il ressemblait à une sorte de Christ égrillard.
– Que oui, monseigneur ! La mienne, c'est le samedi matin que je la trouve. Un cochon de chemin, pourtant ! Et les deux fermes sont tellement pauvres que j'y apporte un sandwich avec moi. Là, il y a quatre gosses blonds, des garçons pas trop bêtes. C'est même étonnant, chez ces sauvages ! Je leur apprends à lire et écrire. Personne ne peut le faire, si ce n'est moi. Les parents sont illettrés, l'école est trop loin. Ils travaillent bien. Ils aiment cela. Je crois qu'ils m'aiment bien aussi. Chaque samedi matin, je les retrouve toujours au même endroit, quel que soit le temps, assis sur un rocher, avant le dernier tournant du chemin. Ils m'attendent. Depuis un ans, ils n'ont jamais manqué une leçon. Et moi non plus.
Il riait. Puis il pleura, deux larmes uniques sur ses joues creuses…
![](/couv/cvt_LAnneau-du-pecheur_3623.jpg)
C'est difficile d'obtenir une soupe et du pain, un soir de Noël, dans une ville. L'homme avait déjà essuyé plusieurs refus dans les cafés de la place d'Armes décorés de guirlandes électriques. Il s'asseyait à une table à l'écart, la plus discrète, la plus isolée, posait son havresac à ses pieds, et au serveur qui se présentait, demandait : « Une soupe et du pain, s'il vous plaît », en ouvrant la paume de sa main droite sur une unique pièce de dix francs. Il y avait du pain, mais en sandwich seulement, et en tout cas rien pour dix francs. L'homme insistait d'une voix douce. il souhaitait manger chaud. La nuit serait longue. Un café peut-être ? Ça ne nourrit pas. Alors un croque-monsieur ? Un hot dog ? Avec dix francs ? Le serveur haussait les épaules. Ou bien filait vers la caisse glisser quelques mots à une grosse dame aux cheveux bleus et aux ongles violets qui jetait un regard dans sa direction et hochait négativement la tête, l'air outré. le garçon revenait : « On ne sert pas les... » Qu'avait-il voulu dire ?
Dieu qui voit l'île du haut du ciel sait que le moment approche. Son regard transperce les nuées, puis les nuages noirs et furieux poussés par un vent de tempête, les voiles opaques de neige et de grêle qui ensevelissent tout ce canton de la terre. Il est trois heures de l'après-midi. La nuit va tomber. Un petit canot se glisse avec peine au plus profond d'un long canal aux parois verticales et glacées. A son bord un homme seul, presque nu, le visage ruisselant, courbé sur le banc de nage, les poings aux avirons. Il n'y a pas une autre âme vivante à des dizaines de lieues à la ronde.
« Apprenez, mon jeune ami, et retenez une fois pour toute, qu’il n’existe pas de Canadiens français. Il n’y a que des Canadiens, point à la ligne, et c’est nous ! Les autres, ce sont les Anglais, établis par la force chez nous dans un pays qui fonctionnait très bien sans eux depuis cent cinquante ans, un pays déjà exploré, reconnu, administré, dans lequel ils n’ont eu que la peine de s’installer. Ça n’en fait pas pour autant des Canadiens. »
Il la prit un moment dans ses bras, promena ses lèvres sur son visage en lui murmurant des mots simples, où il était dit que l'amour reçu ne valait que par l'amour donné.
Car ce n'est pas une tempête, c'est la vie qui triomphante. Il n'y a plus de tiers monde, voilà un mot que vous aviez inventé pour garder vos distances. Il y a le monde tout court, et ce monde-là sera submergé par la vie.
![](/couv/cvt_Moi-Antoine-de-Tounens-roi-de-Patagonie_7128.jpg)
La plus jeunes des femmes leva la tête vers moi. Elle avait les cheveux plaqués sur le visage par la pluie qui s'était mise à tomber à torrents. J'aperçus un sein brun à travers un trou de la peau d'animal qui lui servait de vêtement. Inutile de lui demander son nom. Je le connaissais. Elle s'appelait Véronique, ma reine de la pluie. Accroupie au fond de la barque non pontée, l'autre femme, une vieille, écopait avec un récipient de bois. Les hommes et l'enfant avaient empoigné des avirons. Entre le navire et le canot, la distance se creusa rapidement. Je fis un geste de la main, en adieu. La jeune femme qui me regardait baissa aussitôt la tête. J'étais le roi de ces pauvres gens, mais dix mille ans nous séparaient. Sur l'autre rive de ce fossé de cent siècles, les derniers Alakalufs nomades, mes sujets du bout du monde, s'enfuyaient encore plus loin, volontairement, dans le passé. Et moi, l'âme navrée, je m'enfonçais comme un noyé dans mon royaume d'illusion. Transi, mouillé jusqu'à l'os, je regagnai la passerelle couverte. Trois hommes... une vieille femme... Véronique, ma reine... un enfant, et l'arche du déluge : en mon royaume, province de la mort...
![](https://images-na.ssl-images-amazon.com/images/I/41GDA2HQ1AL._SX95_.jpg)
Au temps de ma jeunesse, tant de pays, sur divers continents, s'étaient enfoncés de cette façon dans la nuit aveuglante des systèmes régénérateurs, chacun y devenant à la fois dictateur et esclave, double nature de l'homme nouveau. Cela n'avait pas toujours été sans mal. On avait vu des nations vêtues de noir s'amputer, pour aller plus vite, d'un tiers de leur population, membre pourri et sacrifié au sauvetage du corps pur. D'autres pays procédaient différemment, sous des drapeaux et des idéologies d'apparence quelquefois contraire, mais avec une seule méthode éprouvée : autopersuasion par contagion. Tels étaient le poids et la force de l'irradiant cerveau collectif qu'il devenait humainement impossible de penser autrement. Et si certains rechignaient à s'y faire, d'autres se chargeaient de leur arracher le cœur pour leur ouvrir les yeux, choisis, ou plutôt volontaires spontanés, parmi les proches, les parents, les amis, les voisins, les confrères, les collègues, les chefs ou les subordonnés, implacables légions. Il en sortait de partout, jusque dans chaque famille, du fond même des lits conjugaux, du tabernacle des églises ou de la tablée quotidienne des petits bistrots de l'amitié. Plus n'était besoin de prisons, d'asiles de redressement, de camps de régénération ou de stimulation collective. A la fin, chacun se jugeait soi-même selon le code unique sans plus solliciter la vigilance des autres, se déclarait coupable et s'enfermait dans sa propre prison intérieure, le cœur et l'âme transformés en cachot nu et lisse d'où le prisonnier volontaire sortait définitivement métamorphosé. Ainsi avaient péri, de nation en nation, le goût de la singularité, la soif des différences fondamentales et jusqu'à la merveilleuse haine qu'engendraient naguère nos bienfaisantes inégalités divines. Quelles que fussent sa race, sa culture et ses origines, le même type d'homme peuplait désormais les deux tiers de la planète et le plus effrayant, c'est qu'il semblait satisfait !
Construits plus récemment, la plupart des magasins, les hôtels, les faux pubs à néon, les crêperies tenues par des Parisiens, les friteries, les bars étaient fermés. La vie de vacances n'est qu'artifice. Chacun s'y leurre sans se douter que le néant recouvre la plus grande partie de l'année le théâtre des illusions d'été et que les foules en congé d'un mois ne font que se croiser dans des tombeaux et déambuler dans des nécropoles. Il n'en reste personne. Personne n'est venu. C'est bien ainsi.
Être blanc, à mon sens, ce n’est pas une couleur de peau. Mais un état d’esprit.
« Il y avait de la grandeur à servir parmi les derniers aux arrière-gardes d’un monde fini.»
« Ils avaient cru tuer l’espérance, ils en avaient vidé leur âme comme on expulse un air vicié pour respirer enfin plus à l’aise, sans passé, sans avenir, sans mémoire, et voilà que l’espérance les avait ignoblement rattrapés, qu’elle était venue se rappeler à eux sous la forme de cette malheureuse fleur qui pourtant expirait sous leurs yeux. »
“[…],mais surtout l’extrême perfection du silence qui avait précédé l’apparition des trois chars du peloton von Pikkendorff […].” page 10
“J’aurai dû souvent me conduire à l’opposé de mes fiertés et comme je n’avais pas voulu en changer pour me conserver une flatteuse image de moi-même, j’oubliais.” page 12
“Je n’en bouge plus. Ce village sera défendu. Voilà tout ce qui reste de la France et de mon régiment. Nous sauvons l’honneur, monsieur le maire, ce que vous appelez les apparences.” page 172
La mort de Louis XVI n’avait pas d’autre sens. Il fallait tuer le roi pour rompre le pacte multi-séculaire avec le sacré.
Il ne s’agit pas de droit divin, expression qui a d’ailleurs toujours été mal comprise, mais bien évidemment de grâce divine, celle qui accompagne toute fonction relevant du sacré. Si l’on sait lire l’histoire de nos rois, elle est présente de règne en règne et les plus funestes de ces règnes (en réalité infiniment peu) ne le furent que par refus de la grâce et l’affaiblissement du sacré. Sans le sacré, pas de rois. Et puisque les rois ont fait la France…
Sur cette immense prairie, deux mille tepees étaient dressés pour tous les Crows ( indiens) et leurs invités. A perte de vue des toits blancs coniques. La ville de Crow Agency était déserte.Toutes les familles, de la vieille dame au dernier-né, s‘étaient transportées sous les tepees. Elles allaient y vivre pendant dix jours et dix nuits, à l‘indienne. Toute la diaspora Crow était présente aussi:elle venait retremper son âme..Comprenons-nous bien. Les Crows sont comme vous et moi. Ils ont des métiers, des maisons, des autos, des télévisions et des machines à laver. Mais ils ont surtout un passé. Ils s‘y retrouvent intacts., Peaux Rouges plus que jamais. Dix jours par an. C‘est peu. Non c‘est énorme.! Nous autres, Blancs occidentaux, nous n‘avons pas dix jours, pas un jour, pas une minute,, nous n‘avons plus de passé. Telle est la leçon.
Plus loin, au nord, on distinguait nettement les huit rivières successives, s'intercalant entre les lettres d'une inscription qui précisait en anglais : Terres inhabitées.
![](/couv/cvt_Qui-se-souvient-des-hommes_6271.jpg)
Car il faut bien comprendre ce qu’ils ressentent, l’ampleur de leur déséquilibre psychique face à ces apparitions d’outre-monde. Les Kaweskars ne se connaissent pas de dieux. Ayayema, Kawtcho, Mwono, les puissances de l’épouvante, créent la mort, et non la vie. La vie n’a pas été créée. Elle est. Il n’y a pas eu de Créateur. Celui-ci ne saurait donc s’incarner sous quelque forme vivante, ou humaine, que ce soit. L’au-delà ? Un désert, d’où rien ne peut surgir. Devant l’écrasante supériorité de ceux qui viennent et qui sont créatures humaines – en l’absence de tout recours divin –, devant l’ensemble de prodiges qui accompagnent la navigation de ces canots géants dans le détroit, ils mesurent d’un coup leur faiblesse. Leur inanité. Leur néant. Leur solitude. Leur tragique infériorité. Jusqu’à ce jour, ils n’en avaient pas conscience. Ils étaient leur unique référence. C’est aujourd’hui qu’ils les découvrent, dès l’instant où ils ne sont plus seuls sur cette terre. D’autres sont venus. En même temps, un infranchissable fossé s’est creusé, qui ira sans cesse s’élargissant. D’un côté ceux qui peuvent tout, qui sont mouvement, changement, jamais semblables, toujours nouveaux. De l’autre ceux qui ne sont rien, passé et avenir confondus dans la même immobilité, mais dévorés de curiosité, avec une volonté désespérée de comparer, une attirance irraisonnée mêlée de peur et d’envie, quelquefois jusqu’à l’affrontement. Ils ne se rejoindront jamais. Chaque fois que cela deviendra possible, ou sur le point de se réaliser, alors les Kaweskars fuiront. Pour oublier leur solitude en se retrouvant seuls. Laissant derrière eux des statues de sel, morts-vivants foudroyés de s’être retournés et d’avoir contemplé les autres…
Nul ne saurait renoncer à sa dignité d'homme au prix d'un acquiescement au racisme.
Quel était le sens caché de la vie monastique ? Des émigrés de l’intérieur ? Peler sa pomme sous le crucifix, dans la quiétude d’un monastère, avant de s’en aller chanter complies puis de se coucher dans sa cellule, un sourire immatériel aux lèvres, n’était-ce pas une sorte de trahison à l’égard de ceux qui guerroyaient, comme lui, aux arrières gardes de la Chrétienté visible ?