Citations de Jean Ray (215)
Tous les morts dans leur suaire humide,s'avançaient en une silencieuse théorie dans le couloir.Plusieurs d'entre eux étaient tout proches.Tom vit leurs mains livides et décharnées jaillir des linceuls et se tendre vers lui comme des griffes.
Les hommes avaient de vilains visages basanés,leurs barbes étaient noires comme du jais,des lueurs inquiétantes palpitaient au fond de leurs yeux sombres.Le visage des femmes était véritables mines de goules et de furies.dur et cruel,quelques-unes ayant dû recourir aux bons offices du fard et des couleurs artificielles pour masquer de
-- La lumière change!
En effet, le phare du cintre vient de virer au violet. Il rutile comme une énorme améthyste. Des reflets de couchant envahissent la salle circulaire. Le cœur battant à tout rompre, nous suivons du regard la lente giration de la clarté violine le long des hublots.
Le faisceau glisse... Il dépasse la première porte, la seconde, et la troisième vient de s'effacer...
Un chasseur ne se risque jamais le long de la grande fondrière de Fenn, ai-je dit. Pourquoi ? – Faut croire qu’il y a du vilain – du reste si M. le Coroner veut se donner la peine de faire des recherches il verra qu’il y a déjà eu des disparitions dans ces parages.
Un jour il paria qu’il rongerait le bois d’un tonnelet de whisky jusqu’à ce que la liqueur en sortit. Il se cassa cinq dents, mais le whisky coula. Il se mit alors à vider le tonnelet, mais il mourut du delirium avant la dernière goutte.
[...] ... - "Qui est Maguth ?
- Maguth ?" s'étonna le prêtre. "Que voulez-vous dire ?
- Rien. Je vous répète : qui est Maguth ?"
Brunn dut avouer son ignorance ; pourtant, au bout de quelques moments de réflexion, il admit que ce nom, tout en ne lui étant pas familier, ne lui était pas inconnu. Il demanda un peu de temps pour consulter ses livres et descendit la colline, perplexe et pensif.
Mais, le même jour, il revint, fort excité.
- "C'est vraiment par hasard, Herr Dunkelwitz," dit-il, que j'ai ouvert le livre interdit qui a nom l'Heptaméron Magique et dont la lecture est redoutable aux esprits non avertis.
"Maguth s'y trouve mentionné parmi les anges de la conjuration du jeudi, dits "anges de l'air", qui ne se trouvent pas au-delà du cinquième ciel. Des démonographes, et non des moindres, entre autres Stein, tout en ne le rangeant pas parmi les esprits déchus, le disent terrible et aussi bien familier de l'Enfer, et de la Terre que des premiers jours célestes.
- Par conséquent, un démon," dit Herr Dunkelwitz.
Brunn nia d'un lent et hésitant mouvement du chef.
- "Cela, on ne pourrait l'affirmer sans verser dans une erreur dangereuse, mais je me hâte d'ajouter qu'il est peut-être plus terrible qu'un pur esprit infernal.
- Continuez," invita le châtelain.
- "Même l'Heptaméron se montre discret à son égard. Voici d'ailleurs les quelques lignes qu'il lui consacre : "Maguth, ange du jeudi, ange de l'air, habitant du feu, se complaît à de longs et parfois effrayants séjours terrestres. Il apparaît alors sous un corps sanguin et bilieux, d'une taille moyenne, aux mouvements horribles et épouvantables. Ses desseins, à l'encontre des autres esprits du jeudi, sont toujours inconnus. Une de ses autres formes particulières est un habit couleur d'azur."
- Ah !" fit Dunkelwitz. "Voyez donc, Monsieur le chapelain." ... [...]
[...] ... Mes regards avaient été attirés par une lourde statue verdâtre, d'une taille double d'un homme ordinaire ; le personnage tenait un sablier monstrueux et s'accoudait à une haute dalle funéraire.
- "Tu n'est pas beau," dis-je, "mais tu es grand et fort et tu dois avoir du poids."
Je ne sais quel cataclysme ou quel sournois travail des intempéries avait mutilé le visage du symbolique gardien de mausolée, mais c'était vraiment du vilain ouvrage, car la face sombre, mangée de vert-de-gris, ricanait hideusement.
Sur la dalle, je lus un nom : La Famille Pebblestone.
- "Les Pebblestones devaient être des gens à la bourse dorée, pour s'offrir un pareil toutou d'Outre-Tombe," me dis-je ; et je m'assis sur la dalle, pour fumer une pipe, car l'air était particulièrement froid et humide.
Devant moi, barrant la pelouse, se trouvait une véritable haie de stèles et de fûts tronqués ; au-delà, je voyais une sorte de large névé dans lequel je crus reconnaître un champ de tombes d'enfants.
- "C'est meublé comme pas un !" répétai-je ; et je me mis à fumer avec grand plaisir.
A ce moment, je me sentis frôler le dos. Je me retournai et je constatai avec un peu d'étonnement que la statue de bronze se trouvait plus près de moi que je ne l'avais pensé.
De plus je vis que l'homme de bronze serrait une formidable faux dans la main, alors que je ne lui avais vu tenir qu'un sablier.
Je me souvins alors que la faux accompagne toujours l'horloge à sable et je m'accusai d'être mauvais observateur. Je lui tournai le dos et découvris un nouveau sujet d'étonnement.
La haie de stèles et de fûts tronqués s'était sensiblement déplacée vers ma droite et se dressait entre moi et la grille. Quant au névé des enfants, il semblait ondoyer en une mer lente et livide et gagner, lui aussi, l'issue du cimetière.
Je me levai et constatai avec un peu d'effroi qu'en faisant ce mouvement, j'avais dangereusement frôlé la faux de fer.
- "Diable," me dis-je, en voyant que le tranchant de cet engin était diantrement net, "on ne devrait pas laisser de pareils joujoux aux mains de bonshommes, même s'ils sont en bronze."
Je me dirigeai vers la sortie mais à présent je devais me rendre compte que ma vision ne me leurrait en rien : stèles et fûts se dressaient sur mon chemin de retour. Quant au cimetière des enfants, il semblait le plus acharné à me barrer la retraite : il avançait visiblement, dans un mouvement de reptation de plus en plus accéléré.
Je pris le pas de course et j'arrivai à la grille au moment où un bout de colonne de marbre rouge se jetait devant moi, comme un gros python acéphale. Je l'évitai d'une largeur de main et gagnai la grille ; elle claqua derrière moi avec un bruit féroce et, en me retournant, j'eus l'étrange vision du colosse de bronze, agrippé d'une main aux barreaux et brandissant sa faux, avec une rage hideuse à voir. ... [...]
Ces monstres minuscules avaient dévoré le mort, ils avaient mangé son cœur et son sang, et, dans chaque parcelle de son cadavre, ils avaient mangé sa haine, sa haine d'avoir été assassiné, sa haine d'avoir été frustré de son cher argent.
Une grande tendresse, née d'une grande pitié, peut d'un trait de lumière effacer tout à jamais un passé de boue...
On ne se sauve pas pour rien.
On ne s’effraie d’une chose que lorsque notre intelligence a décidé qu’elle est effrayante.
La crainte superstitieuse que les vivants ont des morts, est héréditaire et incurable. Il ne faut pas en être plus honteux que du fait d’avoir hérité, par exemple, l’inaptitude aux mathématiques ou la tendance à mentir.
Le roman noir connaît une vogue nouvelle. Dans ce genre de fiction, les sentiments de terreur et d’angoisse se mêlent à ceux de l’infini et du monde invisible, au goût de l’aventure, au prestige du médiévisme…
Comment y vécurent--ils ? N'oublions pas que les grands profondeurs peuvent parfaitement entretenir une faune et une flore, bien que fort spéciazles.
Sans doute nombre d'entre-eux périrent-ils, mais un groupe demeura néamoins, s'acharnant sur les arcanes de la mystérieuse science macrobiotique.