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Citations de Jérôme Ferrari (631)


... il était tout entier concentré sur l'effondrement de son propre corps que l'Afrique contaminait lentement de sa pourriture vivace, il regardait la tombe de sa femme sur laquelle poussaient des plantes qu'il tranchait à grands coups de machette rageurs, et il savait qu'il la rejoindrait bientôt car le démon de son ulcère, nourri d' humidité torride, le torturait avec une vigueur inégalée comme si son intuition démoniaque lui permettait de sentir qu'à l'extérieur, dans la moiteur de l'air corrompu, des alliés sans nombre se tenaient à l'affût pour l'aider à parachever sa lente entreprise de démolition et Marcel gardait les yeux grands ouverts sur la nuit, il entendait le cri des proies, il entendait les corps de sommeilleux égarés glisser sur le sable tandis que les crocodiles les traînaient lentement vers leurs charniers aquatiques, il entendait le brusque claquement des mâchoires qui soulevaient des gerbes de boue et de sang et, dans son propre corps bouleversé, il sentait les organes s'ébranler lourdement, en se frottant les uns aux autres, pour entamer une lente rotation sur l'orbite du démon qui dressait la main au fond de son ventre, immobile comme un soleil noir, des fleurs poussaient la pointe de leurs bourgeons dans les alvéoles de ses bronches, leurs racines en filaments couraient dans ses veines jusqu'aux extrémités de ses doigts, des guerres terribles se livraient dans le royaume barbare qu'était devenu son corps, avec leurs cris de victoire sauvages, leurs vaincus massacrés, tout un peuple d'assassins, et Marcel scrutait ses vomissements, ses urines, ses selles, avec la peur panique d'y découvrir des grappes dorées de larves, d'araignées, de crabes ou de couleuvres, et il attendait de mourir seul, transformé en pourriture avant même de mourir.
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Elle apprit à développer elle-même ses négatifs dans les effluves acides des produits chimiques et du vin rosé que son père achetait en gros à la coopérative avant de le mettre lui-même en bouteilles.
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Marcel est seul, et l'heure de la retraite vient lui confirmer ce qu'il avait peut-être toujours su, il ne s'est rien passé, les lignes de fuite sont des cercles secrets dont la trajectoire se referme inexorablement et qui le ramènent vers le village détesté de son enfance (... ) A présent qu'il a porté les siens en terre, l'un après l'autre, la mission harassante qu'il a accompli doit échoir à un autre, et il attend que sa santé toujours chancelante et inaltérable soit finalement vaincue car, dans l'ordre fixé par l'état civil, son tour est maintenant venu de marcher seul au tombeau.

(p.148)
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Mais vient le moment redoutable où il est impossible de se tenir plus longtemps à l'abri du rituel, il faut prononcer devant l'assemblée et devant le défunt les mots maladroits qu'on a choisis dans la solitude , dont on ne sait jamais s'ils seront trop mélodramatiques ou, au contraire trop désinvoltes (...) (p. 93)
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C’est une aube étincelante dont la lumière brutale éblouit la mémoire des hommes, et leurs souvenirs douloureux sont confiés au reflux des ténèbres qui se dissipent en les emportant avec elles.
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Et ce soir-là, à table, elle ne pensait pas à lui en évoquant la richesse exceptionnelle d'un site laissé à l'abandon depuis des années, les trophées, la cuirasse ceinte du long manteau de bronze, les têtes de Gorgone disparues au fronton des fontaines de marbre, les colonnades des basiliques, et elle parlait de la gentillesse de ses collègues algériens dont elle veillait à ne pas écorcher les noms, Meziane Karadja, Lydia Dahmani, Souad Bouziane, Massinissa Guermat, de leur dévouement, du talent et de la foi avec lesquels ils faisaient surgir de cet amas de pierres muettes, pour les enfants des écoles primaires, une cité pleine de vie et, sous les yeux des enfants, l'herbe jaune se couvrait de dallages et de mosaïques, le vieux roi numide passait sur son grand cheval mélancolique en rêvant au baiser perdu de Sophonisbe et, des siècles plus tard, au bout de la longue nuit païenne, les fidèles ressuscités se pressaient les uns contre les autres et contre les chancels, en attendant que s'élevât parmi eux, dans la nef lumineuse, la voix de l'évêque qui les aimait...
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Elle ne rêvait plus de produire autre chose que des images tout aussi éphémères que le papier journal sur lequel elles étaient quotidiennement imprimées et qui, chaque soir, s'il ne servait pas à allumer les feux de cheminée, finissait dans une poubelle avec les épluchures de légumes, le marc de café et les mégots.
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Au quatrième ou cinquième verre, Antonia V. découvre les vertus linguistiques de la šljivovica : les souvenirs de ses cours d'anglais qu'elle croyait disparus pour toujours lui reviennent en mémoire et, de l'opacité des rumeurs qui l'entourent, se détachent de plus en plus de phrases intelligibles.
Page 167
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Avant d'être appelé au sacerdoce, il vivait en concubinage avec la mère de Simon, Damienne T., une veuve de dix ans son aînée. Il lui était particulièrement douloureux de penser que le premier effet de sa vocation avait été d'infliger la blessure d'un abandon définitif à cette femme qu'il avait déjà tant fait souffrir en l'aimant si mal et si peu, comme si la grâce ne pouvait être obtenue qu'au prix exorbitant d'un péché indélébile. (p.34)
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Quand on l'extirpa du ventre de sa mère, Marcel demeura immobile et silencieux pendant de longues secondes avant de pousser brièvement un faible cri et il fallait s'approcher de ses lèvres pour sentir la chaleur d'une respiration minuscule qui ne laissait sur les miroirs aucune trace de condensation. Ses parents le firent baptiser sur l'heure. Ils s'assirent près de son berceau en posant sur lui un regard plein de nostalgie, comme s'ils l'avaient déjà perdu, et c'est ainsi qu'ils le regardèrent pendant toute son enfance.
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Le démiurge n'est pas le Dieu créateur. Il ne sait même pas qu'il construit un monde, il fait une oeuvre d'homme, pierre après pierre, et bientôt, sa création lui échappe et le dépasse et s'il ne la détruit pas, c'est elle qui le détruit.
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Elle lui parle des photos qu'elle a prises. Du choc qu'elles vont certainement provoquer si elles sont publiées. Il essaye de la détromper gentiment. Aucune photo, aucun article n'a jusqu'ici provoqué aucun choc si ce n'est peut-être le choc inutile et éphémère de l'horreur ou de la compassion. Les gens ne veulent pas voir ça et s'ils le voient, ils préfèrent l'oublier. Ce n'est pas qu'ils soient méchants, égoïstes ou indifférents. Pas seulement, du moins. Mais c'est impossible de regarder ces choses en sachant qu'on ne peut strictement rien y changer. On n'a pas le droit d'attendre ça d'eux. La seule chose qui est en leur pouvoir, c'est détourner le regard. Ils s'indignent. Et puis ils détournent le regard.
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... il ne pouvait pas s'avancer dans le grand hall de la Sorbonne sans se sentir empli de la fierté craintive qui signale la présence des dieux. Il emmenait avec lui sa mère illettrée, ses frères cultivateurs ou bergers, tous ses ancêtres prisonniers de la nuit païenne de la Barbaggia (*) qui tressaillaient de joie au fond de leurs tombeaux. Il croyait à l'éternité des choses éternelles, à leur noblesse inaltérable, inscrite au ciel haut et pur. Et il cessa d'y croire ...

(*) Région de la Sardaigne
(p.60 : un berger à la Sorbonne)

... il était absolument manifeste que l'Université n'était pour lui qu'une étape nécessaire mais insignifiante sur un chemin qui devait le mener vers la consécration des plateaux de télévision ou il avilirait publiquement , en compagnie de ses semblables, le nom de la philosophie, sous l'oeil attendri de journalistes incultes et ravis, car le journalisme et le commerce tenaient maintenant lieu de pensée...

(p.61 : le jeune normalien prof.d'éthique, Protagoras cynique et ambitieux, scandalisant l'étudiant idéaliste)

Un livre comme une malle emplie de perles et de diamants ...
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A table, près de Jeanne-Marie, Marcel mangeait en fermant les yeux pour rejoindre Jean-Baptiste sur des océans fabuleux, là où glissaient les jonques des pirates, dans des villes païennes pleines de chants, de fumée et de cris, et dans des forêts parfumées peuplées d'animaux sauvages et d'indigènes redoutables qui regarderaient son frère avec respect et terreur comme s'il était l'Archange invincible, le destructeur des fléaux, à nouveau dévoué au salut des hommes, et, au catéchisme, il écoutait sans rien dire les mensonges de l'évangéliste car il savait ce qu'était une apocalypse et il savait qu'à la fin du monde le ciel ne s'ouvrait pas, qu'il n'y avait ni cavaliers ni trompettes ni nombre de la bête, aucun monstre, mais seulement le silence, si bien qu'on pouvait croire qu'il ne s'était rien passé.
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Ce monde là ne perdurait qu'ainsi, à mi-chemin de l'existence et du néant, et Matthieu l'y maintenait soigneusement , dans un réseau complexe d'actes inaccomplis, de désir, de répulsion et de chair impalpable, sans savoir que, des années plus tard, la chute du monde qu'il allait bientôt choisir de faire exister le ramènerait vers Judith comme vers un foyer perdu, et qu'il se reprocherait alors de s'être si cruellement trompé de destin.

(p.53)
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Elle est venu photographier la guerre, garder la trace de ce qui se passe ici. Elle est aussi venue pour vivre une autre vie que la sienne.
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Toutes ces vieilles bigotes n’avaient au fond pas renoncé au paganisme, elles croyaient que Dieu et les forces surnaturelles devaient être ménagés pour écarter les seuls malheurs de la vie terrestre et, de tous ces malheurs, la mort était précisément celui dont on ne pouvait être ni sauvés ni consolés et c’était pour cela qu’elles la souhaitaient à leurs ennemis. P 92
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Il faut vivre et se hâter d'oublier, il faut laisser la lumière estomper le contour des tombeaux.
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Epigraphe
Le maître dont l’oracle est à Delphes ne dit rien, ne cache rien – mais il fait signe.
HÉRACLITE,
fragment 93.

Et Il m’a dit : Entre la parole et le silence, il y a un isthme où se trouvent la tombe de la raison et les tombes des choses.
NIFFARI,
Les Haltes.

Incipit
Vous aviez vingt-trois ans et c’est là, sur cet îlot désolé où ne pousse aucune fleur, qu’il vous fut donné pour la première fois de regarder par-dessus l’épaule de Dieu. Il n’y eut pas de miracle, bien sûr, ni même, en vérité, rien qui ressemblât de près ou de loin à l’épaule de Dieu, mais pour rendre compte de ce qui s’est passé cette nuit-là, nous n’avons le choix, nul ne le sait mieux que vous, qu’entre une métaphore et le silence. Pour vous, ce fut d’abord le silence, et l’éblouissement d’un vertige plus précieux que le bonheur.
Vous ne pouviez pas dormir.
Vous avez attendu, assis tout en haut d’un piton rocheux, que le soleil se lève sur la mer du Nord.
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Aurélie rappela Matthieu qui fut soulagé et lui reprocha presque d'avoir dressé un tableau apocalyptique d'une situation parfaitement maîtrisée. Elle ne se donna pas la peine de répondre.
- Alors, tu arrives quand ?
Matthieu lui fit remarquer qu'il n'y avait plus d'urgence et qu'il était très occupé par les préparatifs de la saison et puis s'il débarquait comme ca, brutalement, ca risquait d'inquiéter son père, pour rien, il croirait peut-être à une visite d'adieux, il fallait ménager son moral et Aurélie fut incapable de se contrôler plus longtemps, elle lui dit qu'il n'était qu'un petit con répugnant d'égoïsme, un petit con aveugle qui espérait au fond de lui que son aveuglement finirait par lui valoir l'absolution, mais que jamais il ne serait absous de ce qu'il était en train de faire, et s'il devait l'être, ce ne serait pas par elle, elle n'était pas leur mère qui persistait à voir en lui un chérubin qu'il fallait préserver coûte que coûte d'une douloureuse confrontation avec les horreurs de l'existence, comme si c'était lui qui était au fond le plus à plaindre, comme si sa sensibilité à fleur de peau, l'exquise sensibilité qui était apparemment son privilège exclusif, le dispensait d'accomplir ses devoirs les plus fondamentaux, les plus sacrés, elle ne voulait même pas lui parler d'amour et de compassion, c'étaient des mots qu'il était incapable de comprendre ...

(pp.119-120)
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