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Jean-Baptiste Coursaud (Traducteur)
EAN : 9782267049589
380 pages
Christian Bourgois Editeur (28/03/2024)
4.33/5   3 notes
Résumé :
À l’approche de Noël, Asle se rend à Bjørgvin, une ville côtière de la Norvège, pour préparer sa prochaine exposition. La veille, il a retrouvé son homonyme – son sosie, son double – qui a échappé de peu à la mort. Sous la neige qui ne cesse de tomber, Asle prend le volant et se souvient de leurs jeunes années
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Suite de la septologie éthérée, hypnotique et profondément mystique de Jon Fosse, toujours en une seule phrase et une infinité de virgules…

Après l'extraordinaire « L'autre nom », regroupant les tomes 1 et 2 de la septologie de l'auteur norvégien Prix Nobel de littérature 2023, voici les tomes 3 à 5 regroupés dans un nouveau livre « Je est un autre », toujours publié chez Bourgois, toujours aussi surprenant et singulier, trois tomes pour trois jours de plus puisque chaque partie correspond à une journée dans ce récit qui démarre un dimanche et doit donc ainsi s'achever un samedi.
Chaque journée commence toujours avec ce face à face du peintre avec une de ses toiles composée de deux traits, un marron (couleur de la fange, de la trivialité) et un violet (couleur de la spiritualité) qui se croisent dans le milieu et finit par des prières au rosaire. D'une croix à l'autre, de la Croix de Saint André à celle du Christ, début et fin de chaque journée, de chaque tome…


Et il ne se passe rien. Oui j'ai bien dit rien. Enfin presque rien. Dans les deux premiers tomes, on y voyait Asle, peintre solitaire un brin misanthrope, quitter son petit village pour aller faire ses courses dans la ville voisine de taille moyenne, Bjørgvin, et rendre visite à son homonyme, Asle, peintre également et qui lui ressemble étrangement, sauf que cet autre est tombé dans l'alcoolisme et la précarité. Comme un reflet de lui-même en une version sombre, une version alcoolique et urbaine de lui-même. Asle « voit » son double même lorsqu'ils sont éloignés, mu par un sentiment de culpabilité omniprésent. Comme il le pressentait, il l'a d'ailleurs découvert étendu dehors sur la neige et l'a conduit à l'hôpital, passant ensuite la nuit à l'hôtel. Dans ce livre, Asle se rend de nouveau à Bjørgvin, pour livrer ses toiles au galeriste Beyer avant l'exposition de fin d'année puis Asle rentre chez lui et partage un repas avec son voisin, Åsleik. Et voilà. Rien vous dis-je. Et pourtant, il y a tout.

Tout et rien. Tout dans rien. Dans ces petits riens, il y a cette façon d'être au monde, de savoir regarder, de prendre le temps de contempler, aujourd'hui et maintenant, en étant ainsi profondément ancré au présent, tout en ne cessant de faire des retours en arrière. le récit, flux de pensée branché directement au cerveau de ce narrateur à l'hiver de sa vie, ne cesse ainsi de faire des va et vient, en un mouvement perpétuel à la fois de rassemblement et de fragmentation du passé constitutif de toute sa vie. Si les tomes 1 et 2 évoquaient beaucoup l'enfance du narrateur, ces tomes parlent de l'adolescence et de sa période étudiante, puis de sa rencontre avec sa future femme, Ales, morte au moment de la narration mais toujours bien présente à ses côtés.

Ces flash-back qui émanent sans arrêt, particulièrement lorsqu'il roule ou lorsqu'il regarde le paysage par sa fenêtre, dans sa maison avec son chien sur les genoux, sont l'occasion d'interroger profondément ses choix, ses chemins pris en matière de peinture et de foi.

Concernant la peinture, le jeune Asle a renoncé à « peindre des cabanes et des granges au soleil, avec des hampes et des drapeaux norvégiens qui flottent au vent », comme il l'a fait dès son jeune âge pour le plus grand plaisir des habitants de son village natal. Il leur peignait en effet maisons, corps de ferme, toiles réalistes qu'ils pouvaient ensuite accrochés à leurs murs. Désormais, il prendra pour modèle « les images qu'il a dans la tête », non pas pour tenter de les reproduire fidèlement mais de façon à pouvoir les extérioriser, à les enlever de sa tête, à les « dé-peindre » et retrouver ainsi le chemin de la paix. S'en suit de multiples et profondes interrogations de ce qui est bon et beau en art, est-ce ce qui plait à la majorité des gens qui ne connaissent pas forcément grand-chose à la peinture ? Est-ce ce qui permet de s'approcher le plus de l'intimité du peintre, de son âme, de cet indicible ?

Jon Fosse parle-t-il de lui ? Je le pense très sincèrement notamment lorsqu'il parle de sa croyance en Dieu. Il s'est converti au catholicisme en 2013 et cette façon de parler du jeune Asle rejetant la religion et du vieux Asle profondément croyant est le trajet de Fosse en matière de foi me semble-t-il. Nous avons l'impression que l'auteur fait le point sur les fondements de sa croyance. Pour le narrateur, pour Jon Fosse j'en suis donc persuadée, cette présence à la fois extérieure et intime, c'est justement Dieu. Sa façon de naviguer ainsi entre le passé et le présent est rendue possible car Dieu unifie les différents temps, comme il unifie les différentes personnes de sorte que « Je » pourrait être un autre. Asle aurait pu être l'autre Asle (pour moi il s'agit du même personnage à quelques coups du destin près), Ales sa femme décédée, sa véritable âme-soeur, a le même nom si on intervertit les lettres, et elle est toujours présente, lui parlant dans le silence. La soeur de son ami, Asleik, se nomme Guro mais celle-ci ressemble à une autre Guro qui a eu une relation avec Asle (lequel d'ailleurs)… « Je » peut être un autre sur un plan mystique.

« …c'est quand on comprend qu'on ne peut pas comprendre Dieu qu'on le comprend… »

Alors oui, vous l'avez sans doute compris, la plume est éminemment singulière. Il faut savoir lâcher prise, accepter, et alors la fluidité survient avec facilité et bonheur, avec le naturel propre aux grands textes. Il faut savoir accepter l'absence de points tout d'abord, les répétitions fréquentes rendant le récit hypnotiques ensuite.
Il faut surtout aimer les flux de conscience et ici tout particulièrement car les états de conscience se suivent sans transition, le souvenir surgissant tout d'un coup dans le présent, la pensée en chevauchant une autre qui avait cours, l'autre Asle éclipsant parfois sans crier gare notre Asle à nous, le passage du Je au Il permettant de comprendre ces passages spatio-temporels incessants.
Un parti-pris de l'écriture qui vient épouser les questions philosophiques et mystiques que Fosse posent et auxquelles il tente de répondre. Finalement, avec cette plume, n'est-ce pas l'écriture elle-même qui parle encore le mieux ce que l'auteur tente de mettre à jour, les mystères qu'il tente de percer ? Comme le peintre du livre qui tente de faire apparaitre l'intime dans un projet plus vaste que le peintre, via non des reproductions fidèles et stéréotypés, mais au moyen d'une peinture de l'intime, cette écriture ne tente-t-elle pas de traduire la part la plus intime du narrateur, et par là même de l'auteur. Une sorte d'écriture automatique qui permet de faire émerger une image intérieure et intime qui n'existe pas sinon ? Cette plume ne se met-elle pas au service de la croyance de l'auteur, puisqu'elle ose, au moyen d'une absence de ponctuation et d'un flux de conscience perpétuel, comme le projet divin, unifier les temps, unifier les personnages ?

« …se considérer comme catholique n'est pas seulement une question de foi, oui, mais une manière d'exister dans la vie et dans le monde qui n'est pas sans rappeler celle d'être artiste, puisque être artiste peintre est aussi une façon de vivre, une manière d'exister dans le monde, et pour moi ces deux manières d'exister dans le monde vont très bien ensemble, dans le sens où elles génèrent toutes les deux une distance par rapport au monde et pointent vers quelque chose de différent, vers quelque chose qui est dans le monde, quelque chose d'immanent, comme ils disent, et vers quelque chose qui est loin du monde, quelque chose de transcendant, comme ils disent, et c'est à peine compréhensible, je pense… ».


Je ne saurais expliquer précisément pourquoi cette écriture me fascine et m'émerveille. le fait est qu'elle me parle comme peu d'écritures savent le faire. Comme si ma propre intimité vibrait à l'unisson. Il y a une atmosphère, certes sombre, amplifiée par un paysage norvégien humide et froid, venté et enneigé, mais à la fois lumineuse. Tel un tableau de Soulages. D'ailleurs Asle le dit de sa peinture : « …dans le noir, oui, je dois voir les images dans le noir pour voir si elles brillent, pour les rendre plus lumineuses encore, ou meilleures, ou plus justes, ou quel que soit le mot qu'il faille employer, l'image doit en tout cas avoir une obscurité lumineuse, je pense ». C'est cela, ce livre, cette écriture, a un côté hypnotique qui me fait du bien avec cette alliance du rien et du tout, du détail trivial et des questions existentielles, du marron et du violet, tout en jetant une lumière singulière sur ma propre vie, obscure et floue quand je pense à ses desseins. Jon Fosse m'aide à y projeter une lumière de façon à aboutir à une « obscurité lumineuse »…Un auteur qui devient mon auteur favori sans aucun doute avec son réalisme mystique.

« …l'obscurité renferme un silence dans lequel résonne sans bruit la voix de Dieu…


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critiques presse (1)
LaTribuneDeGeneve
25 avril 2024
Âpre et fascinant.
Lire la critique sur le site : LaTribuneDeGeneve
Citations et extraits (3) Ajouter une citation
(...) Asle regarde la toile blanche, et il pense que non, non ça ne peut plus continuer, il n'en peut plus, il pense, maintenant ça suffit, il pense, plus question de peindre avec des photos comme modèles, plus question de peindre des cabanes et des granges au soleil, avec des hampes et des drapeaux norvégiens qui flottent au vent, avec des bouleaux qui viennent d'éclore, avec un Fjord bleu tout calme et scintillant, plus question de peindre autre chose que ses images, les siennes à lui, parce que sa tête est pleine d'images, elle en est tellement pleine que c'en est un fléau, oui, car les images se fixent en permanence dans sa tête, non pas comme une action ou un agissement, mais comme une sorte de photographie, prise tel jour, ici et maintenant, si bien qu'il peut en quelque sorte faire défiler les images dans sa tête, les unes après les autres, comme s'il avait un album photo dans sa tête où les images les plus étranges se fixeraient, les bottes noires du Grand-Père sous la pluie, tel jour, ici et maintenant, ou le Père passant une main dans ses cheveux, tel jour, ici et maintenant, ou la lumière tombant de son ciel sur le Fjord, tel jour, ici et maintenant, et à présent une succession d'images de la Sœur morte vient de se fixer dans la tête d'Asle et défile comme une série de diapositives, l'une à la suite de l'autre, et il porte ses mains à ses yeux, il les presse contre ses yeux, mais les images ne disparaissent pas, elles redoublent d'intensité, et il retire ses mains de ses yeux, et dorénavant, il pense, dorénavant, au lieu de peindre des images avec des photos comme modèles, des images de maisons et de propriétés, il va peindre les images qu'il a dans la tête, et il ne va pas les peindre telles qu'il les voit dans sa tête, parce que c'est une souffrance, une douleur, liée à chaque image, il pense, même si c'est aussi une sorte de paix, oui, une paix aussi, oui, il va dé-peindre toutes les images qu'il a emmagasinées dans sa tête, pour autant que ce soit possible, afin qu'il ne reste que la paix...
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Et je me vois debout face à l'image avec ses deux traits, un marron et un violet, qui se croisent dans le milieu, et je pense qu'il fait tellement froid dans la Grande Pièce, et il est trop tôt pour se lever quelle que soit l'heure qu'il est, alors pourquoi je me suis levé ? je pense, et j'éteins la lumière dans la Grande Pièce, et je retourne dans la chambre, et j'éteins la lumière dans la chambre, et je me rallonge dans le lit, je me pelotonne dans la couette, et Brage se couche contre moi, et je pense que j'ai un peu dormi cette nuit, quoique pas beaucoup, et on est aujourd'hui mercredi, et ce doit être tôt le matin, à moins que ce soit toujours la nuit ? je pense, et il faisait tellement froid dans la Grande Pièce que je ne voulais pas me lever, je pense, et je caresse le dos de Brage, et je plonge mes yeux dans l'obscurité, et je vois Asle assis sur la balançoire dans la cour chez lui, et il ne se balance pas, il reste assis sans bouger, ...
(Incipit)
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(...) Asle dit qu'il n'a pas beaucoup lu, jute les lectures obligatoires à l'école, et Sigve dit qu'il a alors raté beaucoup de choses mais qu'il va pouvoir lui emprunter quelques livres, il devra les lire et là il comprendra ce qu'il veut dire, dit Sigve, mais après il devra les lui rendre car ce sont deux de ses livres préférés, dit Sigve, et il se lève, et il se met à farfouiller dans sa bibliothèque
Je ne trouve jamais le livre que je cherche, il dit
et Asle tire sur sa cigarette, et il boit une gorgée de bière
Tiens, en voilà au moins un, ce sont des textes narratifs de Samuel Beckett, enfin, narratifs, si on veut, il dit
et Sigve tend le livre à Asle
Tu as entendu parler de lui ? dit Sigve
Non dit Asle
et Sigve continue à chercher
Oui, celui-là aussi il est bien, ce sont des poèmes de Georg Trakl, un Autrichien, donc il écrivait en allemand, il dit, mais ces poèmes sont des traductions libres, ca va de soi, il dit (...)
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