La première page est un ancrage passionnée dans cette volonté de faire découvrir cet homme qui, connu sous la joute de son éclat, de sa destinée finale, de cette forme de piédestal communautaire, de cette force volontaire de son rôle, de son nom, de sa stature, de sa représentation,
Joseph Andras entremêle une passion dévorante, voir subliminale, comme si, il devenait à travers sa prose, cette personne qu'il façonne dans ce roman, à travers son parcourt Parisien, déambulant dans ces rues où il fut présent à cette époque des années folles, à la sortie de la Grande Guerre, dans une France vainqueur, une France en reconstruction , une France colonisatrice, elle est cette puissance arrogante, amnésique de la détresse des peuples qu'elle asservit,
Joseph Andras vous propulse dans un roman aux couleurs multiples, une trinité schizophrénique colore le style, celle du narrateur, du personnage et de la fusion des deux, le temps est déchiré entre ce présent des années 1918 et notre époque, une juxtaposition de ces deux époques et des lieux fusionnent un roman riche de références intimes de la mémoire de l'auteur et celles glanées au fil des recherches sur Hô Chi Minh, plutôt sur Nguyen Ai Quôc, ce prête nom,
Joseph Andras c'est donné cette ligne de conduite de ce militant Parisien.
J'ai lu son premier roman
de nos frères blessés édité en 2016, ce témoignage sur Fernand Iveton, jeune européen communiste, ouvrier indépendantisme prenant fait et cause pour les Algériens face au despotisme colonialisme Français, dénonçant les inégalités, l'injustice, le racisme lâche de la colonisation de l'Algérie, une lecture forte, une ressemblance avec ce jeune Nguyen, faisant parti du Groupe des patriotes annamites surnommé les cinq Dragons, ce militant des revendications du peuple Annamite, venant à Versailles pour les présenter aux représentants des pays réunis pour le Traité, relayés dans le journal l'Humanité, présentant ces huit réformes, puis ensuite adressées à la presse française, et douze mille exemplaires donnés à des militants divers comme la CGT, la SFIO, en Irlande accouche ce mot, inconnu et obscur à ces yeux, Révolution, dans ce pays où il apprend que les blancs tués des blancs. A travers ces deux personnes,
Joseph Andras exprime la révolte qui l'anime à travers eux. Nous allons suivre dans Paris, la route de notre personnage à travers le narrateur, comme un pèlerinage, cette déambulation Parisienne retrace le parcours assez peu facile à retrouver de Hô Chi Minh sous le nom de Nguyen, laissant
Joseph Andras jalonner des faits marquants inscrits dans sa mémoire qu'il distille au fil de sa balade à travers les lieux, Paris révèle ces faits divers, ces anecdotes, ces vies qui l'ont traversées et ces fantômes du passé. Il y a comme une quête d'un Paris fantôme, celui caché où le regard est aveugle, le narrateur de son oeil affuté, caresse les passants, les aspirant à son émotion, tous ses sens affutent sa vision, Paris n'oublie pas ses origines, le monstre vampirise cette ville monarchique des arts, souvenirs Haussmanniens dans son architecture.
Au début du roman, une carte de Paris simple, laissant apparaitre tous les arrondissements et la seine qui découpe la ville en deux, puis en pointillé le parcours de Nguyen dans ces années 20, celui qu'emprunte
Joseph Andras dans sa flânerie. La tâche pour découvrir les lieux d'habitations, les dates et cette intimité qui l'anime fut assez rude mais aidé par les services secrets Français le surveillant, les archives nationales d'outre-mer ont conservé un dossier au nom de « Nguyen Ai Quoc », avec beaucoup d'humour,
Joseph Andras loue la Police de prêter mainforte aux historiens, déjà l'ambassade Française avait prié les autorités Britanniques de le surveiller dès juin 1915, Raymond Poincaré « se souciait en personne du trouble-fête », « agitateur révolutionnaire » le désignait sur les rapports de police.
Joseph Andras s'aida de certaines biographies d' Hô Chi Minh, de certains témoignages, qu'ils citent à la fin de son livre, nous apprenons l'origine du titre du roman
Au loin le ciel du sud, tiré d'un poème d' Hô Chi Minh, écrit en Chine dans les années 1940, il dévoile une partie de ce poème qui englobe le vers du titre.
Beaucoup de références s'échappent de certains lieux qu'a côtoyé Nguyen sous les pas de
Joseph Andras dans cet itinéraire en mémoire à ce jeune homme de 29 ans, son âge est un chiffre variable d'une naissance dictée par le Parti, des discordes existent, ainsi sur sa taille, il y a beaucoup de zones d'ombres qui accompagnent la vie de Nguyen, cet homme aux multiples noms qu'il porta dans sa vie, plus de cent soixante-quinze répertoriés par la Presse du Parti en 2015. le jeu de piste débute dans la rue Charonne, au détour d'un article paru en 1970, dans l'Humanité, sous la plume de Michèle Zecchini, responsable de la SFIO, les dates sont incertaines, c'est un vacillement, ces recherches sont presque une cause perdue comme le dit le narrateur à la fin de sa première page « tu n'y trouveras rien. », au fil du roman ce pèlerinage devient plutôt comme un herbier, « trouver, prélever, nommer. », puis
Joseph Andras découvre une plaque au 9 de la rue Villa Compoint, témoignant d'avoir vécu pendant deux ans à cette adresse, enfin cet « homme insaisissable », devient réel par cette marque gravée au mur par cette plaque libérant les fantômes, validant cette démarche presque folle de réveiller ce spectre évanescent, « Tu n'as donc pas totalement perdu la raison : ton fantôme fut. ». Au cours de ce roman
Joseph Andras hésite, balbutie, découvre, dévie de sa ligne de conduite, déçu des mots violents prononcés par Nguyen sous le nom Hô Chi Minh, vingt ans plus tard, devenu dépositaire du parti de son pays, lors d'un entretient, ce mot « briser » ce verbe n'oublie pas le quatrième point, et ce sang fratricide qui nomme ainsi pour ces mots prononcés, « exterminer politiquement ». Dans la douleur du sang,
Joseph Andras laisse ses émotions le gagner, la dualité de son personnage brise en quelque sorte cette ligne qu'il ne voulait pas franchir, visiter le côté obscur de cet anonyme Parisien,
Boris Souvarine le décrit comme « insignifiant », voir « pas le moindre intérêt », il a eu de nombreux surnoms lors de son périple Parisien, « l'homme aux sandales de caoutchouc », « l'homme de l'ombre et de la grève », « le balayeur et le stratège », « le paria au front si haut », le rebelle et le révolutionnaire l'habite « clopin-clopant » ,
Joseph Andras se nourrit de ce militant, celui qui cherche à sauver son Indochine au prise à la colonie Française, son peuple est sous l'emprise de l'alcool et l'opiacé, la guillotine est l'acte finale de cette répression, demandant au congrès de Tours en 1920 cette aide pour son pays, « Camarades, sauvez-nous ! »
Dans les dédales de ce parcours, les gilets jaunes embrasent les rues, le massacre de Charonne murmure son horreur, de ces neufs morts, puis les attentats du 13 novembre 2015 pleurent ces 19 morts au nom d'un Dieu et d'un pays la Syrie, s'ensuit le sang des barricades de cette troisième république, le sang coule la misère de l'humanité qui se brise en elle, rode au 129, l'hommage d'
Alain Geismar au militant Maoïste, Pierre Overnay tué par un vigile Renault en 1972, ce tourbillon envahit
Joseph Andras vers ce suicide à la roulette russe de
Vladimir Maïakovski et de sa muse
Lili Brik,
Louise Michel s'invite dans une conférence, une lecture qui remue le passé, Ulysse , le poème de benjamin Fondane s'éveille pendant ce parcours, c'est une mélodie qui sommeille dans les souvenirs de ce voyage où Joseph laisse sortir ses émotions littéraires face à cette quête introspective.
J'ai beaucoup aimé me perdre dans ce roman, riche en références, il y a comme des rhizomes qui viennent germer de toutes parts, j'ai arpenté ce livre comme si c'était une montagne, j'étais de première corvée, à pouvoir parcourir cette prose intime, brutale, poétique, polyphonique et mystérieuse, j'ai suivi les sentiers ouverts par l'auteur, mais ses chemins de traverses, je me suis balader dans ces rues Parisiennes comme un aveugle qui découvre à travers les yeux de
Joseph Andras, l'histoire qu'elle recèle. Une fraicheur clos ce roman, une légèreté de la nature qui entoure
Joseph Andras, ce paysage lui inspirant un dernier vers pour l'homme aux sandales de caoutchouc, cette rose qui fera gueuler l'arbitraire d'un prisonnier.