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EAN : 9782021545791
288 pages
Seuil (05/01/2024)
3.72/5   55 notes
Résumé :
Printemps 2024. Line, hôtesse de l’air, se trouve à Tokyo au moment où le Japon célèbre les cerisiers en fleurs. Cette nuit-là survient le Big One, séisme majeur que tous redoutaient. La terre avale la jeune femme. Puis la recrache des jours plus tard.

Miraculée, elle rentre à Paris, vacillante. De ce qu’elle a vécu, elle ne garde aucun souvenir. Commence alors le délicat travail de la reconstruction et de la mémoire. Comment revenir d’un tel voyage ?... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (43) Voir plus Ajouter une critique
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sur 55 notes
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Re-naissance…

Connaissez-vous Namazu ? La légende japonaise dit qu'il s'agit d'un monstre, d'un poisson-chat géant qui vivrait dans les profondeurs de la Terre. le Japon, qui repose sur son échine, redoute ses réveils : d'un mouvement brusque ou d'un simple frétillement de sa queue, Namazu peut ébranler l'archipel. La légende dit que les séismes naissent de ses colères.

Namazu a du se mettre dans une colère noire ce printemps-là, bondissant, anéantissant la ville de Tokyo, un séisme, le séisme de l'hanami, d'une magnitude jamais atteinte, 9,5 sur l'échelle de Richter. Engloutissant parmi les décombres, avalant en son antre, Line, jeune hôtesse de l'air française qui se trouvait en escale dans cette ville si belle au printemps avec ses cerisiers en fleurs. Elle va passer huit jours et huit nuits sous les décombres, dans un tout petit réduit et devra sa survie à la présence d'une autre femme, Saki. Toutes deux ne vont pas cesser de parler, de raconter leur vie, en se tenant les mains, dans le noir total, et de taper à tour de rôle sur la tôle pour se faire entendre des sauveteurs éventuels. Endurant la faim, la soif, l'engourdissement, l'angoisse. Jusqu'au silence.

« Elle avait allumé la lampe du téléphone, le faisceau avait balayé l'obscurité, révélant l'endroit où elles se trouvaient : un renfoncement, clos, constitué de parois fragmentées, imbriquées, grossièrement les unes dans les autres. Devant elles, de longues fissures, de la poussière, du sable, des murs si près de leurs visages qu'il aurait mieux valu ne pas les avoir vus, ne pas y penser, pour pouvoir continuer à respirer. Elle étaient prises au piège dans un enchevêtrement de béton où brillaient des éclats de verre ».

Line sera une miraculée. Retrouvée saine et sauve, du moins en apparence, très affaiblie mais sans blessure grave, le retour à Paris auprès de son compagnon, Thomas, ne sera cependant pas si simple. En réalité traumatisée, les vraies fissures se situant ailleurs que sur son corps, ne se souvenant pas vraiment de ce qui s'est passé, mais revivant par flashs intermittents la tragédie, cet accident a ouvert en elles de profondes lézardes creusant leurs sillons en des zones invisibles, des fissures pour certaines remontant à l'adolescence.
« Les grandes catastrophes recélaient presque toujours des histoires de survies extraordinaires. Mais après ? Qu'y avait-il après le miracle ? ».

En elle, c'est un champ dévasté à l'image de la ville de Tokyo. Pour pouvoir se reconstruire, elle décide de fuir, un peu à l'image de ces évaporés du Japon les johatsu qui, par honte suite à un licenciement, à une rupture, à un échec, décident de fuir, de s'en aller, en ne prévenant personne.
Sa destination, hypnotique, sera la petite île française où a grandi Saki, sa compagne d'infortune avec laquelle elle a partagé cette longue nuit sous terre, dont elle n'a aucune nouvelle depuis qu'elle a été sauvée. Elle retrouve sa maison d'enfance qu'elle lui avait tant décrite et elle fait la connaissance de l'occupante actuelle de la maison, une vieille femme prénommée Rose.
Sur cette île atlantique battue par les vents, à l'air chargée d'embruns, commence alors sa reconstruction progressive. Combattant ses fantômes, laissant l'ancienne Line au fin fond des décombres, nous allons assister à sa lente et délicate renaissance. Cette nouvelle Line née d'un séisme, « mouvement de bascule qui avait modifié la configuration initiale de son monde ». Une histoire, au coeur du chaos, qui a ouvert un chemin de lumière, envers et malgré tout, un ondoiement tenace et sauvage de la liane, du lierre et de l'eau sous la robe de Line.

J'ai particulièrement aimé l'écriture de ce livre, délicatement poétique. J'ai aimé sa façon de narrer l'île et ses paysages sans cesse mouvants à l'horizon infini, au ciel si vaste. C'est un tel contraste avec le réduit dans lequel nous vivons l'enfermement de Line. Nous avons d'autant plus l'impression de respirer avec elle. Autant j'ai lu presque en avalant ma salive son enfermement, autant j'ai eu la sensation de mieux respirer une fois la jeune femme sur l'île. du noir d'un côté, une luminosité sans fin de l'autre. Tels les yeux de Rose, des yeux vairons. Notons également des descriptions très belles de Tokyo avant et après le séisme.

« On raconta que, lors du séisme, une pluie de pétales avait recouvert Tokyo. Les secousses avaient eu lieu pendant la pleine floraison des cerisiers. Lorsque la terre trembla, que les sols se fragmentèrent, se déchirèrent comme des nappes de papier, les fleurs furent arrachées et soulevées par le vent, retombant n milliers de corolles roses et blanches sur la ville, se mêlant à la poussière et aux gravats ».

J'ai été moins sensible, paradoxalement, aux petits poèmes clôturant certains des chapitres, sortes de haïku, qui n'apportent pas grand-chose, je trouve, car l'écriture de Caroline Caugant se suffit à elle-même et n'a pas besoin de ses ajouts quelques peu surfaits. Certains des personnages secondaires ne sont pas très approfondis non plus notamment le compagnon de Line, Thomas. Mais ces petits bémols mis à part, j'ai pris vraiment plaisir à lire ce livre.


Oui, une belle surprise que ce livre de Caroline Caugant reçu en masse critique privilégiée. Je l'avais commencé avec un peu de scepticisme, pressentant, à tort, une histoire emplie de poncifs sur les notions parfois galvaudées de résilience et de reconstruction, une forme de liste à la Prévert des conséquences multiples des grands traumatismes. Une approche simpliste du syndrome post-traumatique. La peur aussi de voir dans le personnage de Line l'archétype de la victime devant se reconstruire à la psychologie brossée en gros traits brouillon. Ce fut en réalité une lecture agréable, délicate, gracieuse, poétique.

Les scènes d'enfermement, pour moi qui suis claustrophobe, furent éprouvantes à imaginer mais il me semble justement n'avoir jamais lu de roman dans lequel une personne se trouve ainsi piégée des heures et des jours durant dans un réduit minuscule, dans le noir absolu. J'avais été marquée en revanche par un film assez proche dans la thématique de l'enfermement et du piège, le film réalisé par Danny Boyle, 127 heures, qui relate l'histoire vraie d'un alpiniste d'une vingtaine d'années victime d'un accident en avril 2003 dans le grand Canyon, un gros monceau de pierre lui ayant roulé sur le bras dans une des gorges du canyon, bras dont il devra se séparer s'il veut pouvoir repartir et vivre. Et notre homme de se couper le bras avec son couteau suisse…
Comme souligné précédemment, par ailleurs le contraste entre cet enfermement dans une cage de béton et la reconstruction sur l'île, procédé pourtant classique tant l'opposition est évidente, m'a apporté beaucoup de plaisir. Les récits maritimes ont vraiment cette faculté d'apaiser de par leur paysage à la fois immuable et changeant. Suivant le continuel mouvement des marées, les nuages, la lumière, le vent, la densité de l'air se modifient sans cesse. « Quelque chose – une couleur, une voile, la force du vent ou la forme d'un nuage – venait toujours s'immiscer dans le décor pour le bouleverser ». Pour moi il n'y a pas meilleur endroit pour se reconstruire et renaitre, repartir de zéro.


Au final, Insula a été une belle surprise, un bien agréable moment de lecture, au fur et à mesure des pages tournées avec une crainte initiale qui a été peu à peu balayée. le ton est juste, l'écriture délicate, les petites touches sur la mythologie japonaise très plaisantes. Il faut le lire davantage comme un conte que comme un roman réaliste, le conte du soi fragmenté puis réinventé…
Aussi je remercie chaleureusement pour leur confiance Babélio et les éditions du Seuil.



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Le namazu est une sorte de poisson-chat géant de la mythologie japonaise qui vit dans la vase des entrailles de la terre et sur le dos duquel se trouvent toutes les îles du Japon. Il arrive que le namazu échappe à la surveillance du dieu, Takemikazuchi se mette à bouger dans tous les sens et soit à l'origine de violents séismes.
Depuis sa naissance, Line a toujours voulu voler. Elle a d'abord fait de la danse mais un accident de moto a mis fin à ses aspirations. Alors elle est devenue hôtesse de l'air et a parcouru le monde jusqu'au jour où, lors d'une escale à Tokyo, l'énorme monstre l'engloutisse dans les profondeurs de la terre.
Line est une survivante à cette catastrophe. Mais, clouée au sol, elle va devenir un fantôme qui va errer dans les rues de Paris, dans ses souvenirs, à la recherche de Saki, la jeune femme qui a partagé les heures interminables qu'elle a passé dans ce gouffre obscur avant d'être libérée.
La quête de Line va s'arrêter dans une petite île, ou Insula en latin.
Elle va retrouver les traces de Saki, la jeune femme qui a passé son enfance dans cette île et qui va lui parler des jôhatsus, ces "évaporés", personnes qui vont disparaître soudainement de la vie, des déserteurs, des fugueurs, comme les appelle le père de Saki, qui, lui-même deviendra un jôhatsu...
Caroline Caugant nous offre un récit plein de délicatesse et de poésie, empreint d'une douleur sourde, intime. Lecture très agréable, rapide, grâce à laquelle on apprend quelques touches de la mythologie japonaise très liée aux risques presque quotidiens que sont les séismes dans les îles du Japon.
Merci à Babelio et aux éditions du Seuil de m'avoir permis cette agréable rencontre.
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Line est hôtesse de l'air. Au printemps 2024, Tokyo, où elle se trouve en escale, vit le Big One, ce tremblement de terre que tout le monde attend et redoute. Ensevelie sous les décombres, elle survivra dix jours sous terre avant d'être découverte et sauvée. Insula raconte son retour et l'impact de cet événement sur son existence parisienne.

D'une composition plutôt réussie, dans un entrelacs de courts chapitres dont certains se terminent assez maladroitement ai-je trouvé - ce sera un de mes rares bémols - par quelques vers façon vrai faux haïku, jaillissent d'autres personnages, d'autres temporalités que les secousses auront fait remonter à la surface. D'autres lieux venus absorber, tamiser, apaiser. La progression au fil de ces chapitres permettra d'accompagner Line dans les semaines et les mois qui suivront la catastrophe. A Paris d'abord avec son compagnon. Ailleurs ensuite dans une quête nous valant un joli récit de rencontres, de retrouvailles et de retour au calme.

Il fallait un aplomb et un sens de la subtilité bien affirmés pour écrire Insula. Partir sur une veine à peine dystopique déjoue le piège d'un récit potentiellement dégoulinant d'autobiographique puisque l'événement déclencheur n'a effectivement pas (encore ?) eu lieu quand on lit le roman. Reste que tout péril n'est pas écarté. Il faut encore faire avec un personnage qui a beaucoup d'une caricature : une petite fille qui voulait être danseuse jusqu'à ce que la vie la fasse hôtesse de l'air. Des airs de rebelle parisienne dans un cadre aseptisé, une vie de princesse fêlée. Il faut aussi composer avec la façon dont seront évoqués ces jours sous terre. C'est la substance même du roman, ce qui le nourrit, ce dont il procède. Et pourtant, il ne s'agit pas de faire du spectaculaire, du gore ou du trop factuel car tout le reste du propos serait alors impossible à tenir.

Oui, il faut un sens certain de la mesure et de la nuance.
La place qu'occupe le Japon, la quête d'identité, le retour sur soi m'ont bien sûr rappelé La patience des traces mais j'ai trouvé ici un dispositif bien moins démonstratif que celui mis en place par Jeanne Benameur. Certes, les personnages ont en commun de relever d'une forme d'archétype mais Insula se fait beaucoup plus épuré dans le traitement de la quête. Seuls deux ou trois personnages et une île suffisent à travailler la matière du souvenir, à faire affleurer les récits qui doivent, une fois qu'ils auront joué leur rôle d'éclaireur, retourner à leur place enfouie.

Je n'ai trouvé assénée aucune théorie psychologisante sur le trauma, aucune propension à faire de la bonne santé mentale l'étalon d'une nécessaire performance. Pas plus que je n'ai lu le recours abusif à une symbolique écrasante. La dimension mythique des récits est bien présente, les fonctions symboliques et les résonnances du mot « île » aussi mais comme soutiens et non comme exhibition d'un savoir pédant. C'est un livre qui sait faire discret ses fondements référentiels.

Alors, si on accepte des personnages relevant davantage du conte que du réalisme, Insula peut être salué comme un habile travail d'écriture dont la justesse m'a surprise, une réussite sur le plan littéraire. Je remercie Babelio et les éditions du Seuil pour cette jolie découverte.
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Tout d'abord, merci aux éditions du Seuil et à Nathan de Babelio, pour ce livre, dont je ne connaissais pas l'autrice. Une découverte mitigée, j'ai du mal à savoir si j'aime ou non. C'est certain, j'ai préféré la deuxième partie.

« 1855, Edo. 1923, Tokyo. 1995, Kobe. 2011, Fukushima. Il y a les mots des survivants, qui racontent la même histoire : le grondement extraordinaire de la terre, la manière dont celle-ci hurle avant d'avaler les hommes. Certains parlent d'un cri de colère, d'une rage immense laminant les sols, d'autres évoquent une souffrance, déchirante, celle d'un monstre à l'agonie. »

Printemps 2024. En dehors de ses plannings de vol, Line, hôtesse de l'air, était de réserve six fois par an : pendant quatre jours, elle devait se tenir prête à remplacer tout membre d'équipage défaillant. Elle ne savait jamais si elle volerait, ni vers quelle destination. Un matin, elle fut déclenchée sur Tokyo. A son arrivée, elle décida de visiter la ville, elle avait entendu parler d'une coutume populaire au temple Senso-ji et décida de voir ce que l'avenir lui réservait.

« Tokyo au printemps
La saison de l'hanami
La beauté éphémère des fleurs des cerisiers

Sous la voûte du ciel
La grande lanterne rouge
A l'entrée du temple Senso-ji

Puis les cris
Les pulsations de la terre
La pluie de verre et d'acier »

Line venait de quitter le temple, lorsque les téléphones étaient devenus fous autour d'elle et s'étaient mis à sonner « Jishin desu ! Jishin desu ! ». Un mugissement était venu du dessous, comme si une créature se faufilait sous leurs pieds en raclant la voûte du sol. le cri d'une bête, d'un dieu trahi qui gueulait sa fureur. Puis les immeubles s'étaient mis à bouger, à se tordre, aussi facilement que des roseaux pris dans des bourrasques. Les façades s'étaient déchirées comme du carton. Les morceaux de verre avaient volé. Les rues s'enfonçaient, se hérissaient sous une pression monumentale. Et le hurlement de la terre couvrait cette folie. Un tremblement de terre sans précédent eut lieu. Line se retrouvera sous terre, dans un boyau étroit durant huit jours, en compagnie de Saki. Elles se raconteront leur vie, pour passer le temps, en espérant qu'on les retrouverait et qu'elles s'en sortiraient vivantes. « Tap tap tap »

A son retour Line, souffre de stress aigu, de détresse émotionnelle, d'un sentiment de confusion, le moindre bruit la fait sursauter, des vagues de panique la laisse sans force, les images la hante. La compagnie, juge qu'elle est maintenant inapte et elle sera suspendue des plannings de vol. Elle refuse d'être accompagnée par un psychologue. Elle pense pouvoir se remettre seule, il lui faut du temps et panser ses blessures.

Un jour, elle disparait sans un mot et part se réfugier à Insula, une petite île, où elle peut replonger dans ses souvenirs, sa jeunesse. Elle retrouvera les traces de Saki, qui a vécu sur cette île, jusqu'à ses quatorze ans, J'ai bien aimé la partie qui concerne cette dernière, elle nous dévoilera ce qui la perturbe : le départ du Japon, l'exil sur l'île française, le déracinement, ses peines, sa vie sur cette île assez particulière, loin de tout, surtout en tant que hafu, une métisse qui ne sera jamais vraiment acceptée. Saki était une enfant d'ici et d'ailleurs, écartelée entre deux îles, deux océans, deux continents.

J'ai moins aimé les retours sur le passé de Line, la fin me laisse un peu dubitative, j'aurais aimé en savoir un peu plus.

J'ai aimé cette phrase : « L'espoir n'a pas de fin », prononcée par la mère de Saki, je trouve qu'elle est tellement vraie.

Bonne lecture et bonne fin d'année à tous.
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Voler encore et toujours.

Printemps 2024. Line, hôtesse de l'air, est au mauvais moment au mauvais endroit. Elle se trouve à Tokyo lorsque le Big One se déclenche. Avalée par la terre, celle-ci fini par la recracher huit jours plus tard. Traumatisée, Line va entamer un long et douloureux chemin vers sa renaissance.

Au moment où j'écris ces lignes un séisme de magnitude 7,5 sur l'échelle de Richter vient de secouer le Japon. Fort heureusement les dégâts ne sont que matériels et l'alerte tsunami a été levée (Edit du 2/01: Il y a eu des victimes malheureusement). La réalité n'a heureusement pas rejoint la fiction.

Caroline Caugant place son récit dans une légère anticipation où cette fois-ci le Big One, un séisme de magnitude 9,5, détruit Tokyo au printemps 2024 et fait de nombreuses victimes. Line est l'une d'entre elles. Huit jours vont s'écouler avant la délivrance. Huit jours d'horreur. Huit jours dans le noir, le silence, rayée du monde extérieur.

Physiquement en vie, Line est intérieurement morte. Traumatisée, amnésique puis hantée par les réminiscences de plus en plus fréquentes de l'enfer. L'héroïne disparaît peu à peu du monde. Comment revivre quand la mort nous a effleurée ?

Line s'accroche à une main amie. Celle de Saki. Prisonnière comme elle de ce linceul de verre et de beton, elle est celle qui a permis à Line de revenir à la vie. Line se rend ainsi sur l'île de l'Atlantique où a vécu Saki, pour comprendre, pour renaître.

Cette histoire se lit très agréablement grâce à la plume sensible et poétique de Caroline Caugant. le récit est aussi délicat que le sujet est difficile. le lecteur ressent une immense empathie pour ces deux femmes liées malgré elles par l'indicible.

En somme, ce roman montre un beau chemin de renaissance.

Je remercie les éditions Seuil et Babelio pour l'envoi de ce roman.

MASSE CRITIQUE PRIVILÉGIÉE

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critiques presse (1)
Actualitte
10 janvier 2024
"Insula" sillonne [...] les émotions, où la névrose post-traumatique prend place brutalement. La preuve que dès lors où les caractères « de l’air » effleurent la terre, ils se brûlent.
Lire la critique sur le site : Actualitte
Citations et extraits (17) Voir plus Ajouter une citation
(Les premières pages du livre)
Automne 2024
Des îles apparaissent après les séismes. L’océan Pacifique, la mer Rouge ou la mer d’Arabie ont un jour vu naître ces jeunes terres. En 2013, l’une d’elles a émergé au large de la côte de Gwadar, au sud-ouest du Pakistan. Les Pakistanais l’ont surnommée la montagne du séisme. La poussière du tremblement de terre se dissipant, la silhouette haute, impressionnante, est apparue au-dessus de la mer d’Arabie. Un lieu nouveau, vierge, était né.
L’île était un amas de sédiments et de roche, poussé vers la surface par la puissance sismique. Dans les mois, les années qui suivirent, ce volcan de boue, précaire, se désagrégea. À l’échelle de l’humanité, l’île disparut aussi soudainement qu’elle était née. Ce miracle contenait son propre effacement.

Lorsqu’elle pense à l’île de Gwadar, Line imagine une courbe lente, sinusoïdale se dessinant sur le ciel blanc, une terre neuve promettant moissons et floraisons avant de s’effondrer sur elle-même. Elle aime se raconter cette histoire, penser qu’une vie aurait pu y naître.

1855, Edo. 1923, Tokyo. 1995, Kobe. 2011, Fukushima.
Il y a les mots des survivants, qui racontent la même histoire : le grondement extraordinaire de la terre, la manière dont celle-ci hurle avant d’avaler les hommes. Certains parlent d’un cri de colère, d’une rage immense laminant les sols, d’autres évoquent une souffrance, déchirante, celle d’un monstre à l’agonie.
Et il y a les images, gravées dans les mémoires : la foule brûlée vive dans les grands incendies de Tokyo, les corps soulevés par les tornades de feu sur le site du Hifukushô, les chevelures des femmes s’enflammant comme des torches, les geishas et les courtisanes flottant dans leurs vêtements pourpres à la surface de l’étang du parc de Yoshiwara. La terre se soulevant sur la côte Pacifique du Tōhoku, déclenchant une vague gigantesque au large de l’île de Honshū et provoquant l’accident nucléaire de Fukushima. On raconte que l’énergie libérée par le séisme fut telle que l’axe de rotation de la Terre se déplaça de plusieurs centimètres. Les côtes, les collines, les reliefs se transformèrent, forçant les hommes à revoir les cartes de la région.

Et il existe tant d’autres séismes – tant d’autres pertes – dont on ne parlera jamais car ils n’ont pas eu la force des géants.

Bien sûr, dans tous ces détails sordides, dans tous ces témoignages, Line n’a trouvé aucune réponse. Aucune de ces histoires ne ressemble à la sienne. Aucune n’a le pouvoir de la consoler. Toutes finissent par se confondre dans son esprit.
La Line d’aujourd’hui – celle qu’on déterre et qu’on ramène à la vie – est née d’un séisme. Elle incarne un miracle. Comme ces légendes, au cœur des catastrophes, qui échappent au désastre – fantômes sortant des décombres, bébés aux sourires immaculés extraits de l’enfer, arbres centenaires et vieux temples épargnés par les secousses meurtrières. Ces histoires, on les murmure comme des contestations ; elles désobéissent aux lois d’un monde dévasté.
Au cœur du chaos, elles ouvrent des chemins de lumière.

Ce qui est arrivé à Line aurait pu faire partie de ces récits extraordinaires chuchotés près des tombes : car, contre toute attente, elle en a réchappé. La miraculée de Tokyo, transfigurée, retrouvant la lumière, c’est ainsi qu’elle aurait pu être représentée dans une version idéale des choses. Mais cette image aurait été si éloignée de la réalité de son retour ; un poème mensonger, irrecevable. Aussi fragile et trompeur que l’île de Gwadar.

Tous ont cru à ce mirage. Mais les répliques furent brutales, incessantes. Depuis des mois, le séisme a continué d’opérer à distance. Et le corps est comme la terre. Soumis à une pression persistante, insistante, il finit par lâcher. Lorsque le seuil de rupture est atteint, c’est une déchirure, foudroyante, libérant une énergie fantôme accumulée depuis un temps infini. Le corps n’oublie pas.
Le corps de Line avait gardé, intact, caché quelque part dans une zone inaccessible ce que le choc avait effacé de sa mémoire. Puis un jour, les souvenirs de Tokyo sont remontés avec une telle clarté, une telle intensité, qu’ils l’ont submergée. Alors elle a fui.
Elle est partie là où l’appelait sa mémoire.

PREMIÈRE PARTIE
LA MIRACULÉE
1. Printemps 2024
« Allô ? Thomas ? Je pars… Je suis déclenchée. »
Derrière la voix de Line résonnent les bruits familiers de l’aéroport. À l’autre bout du fil, Thomas l’imagine arpenter l’une des allées qui précèdent les sas de sécurité – veste bleu marine, talons carrés, collants de contention sous sa jupe droite, chignon serré, peau fardée et lèvres rouges, et, autour de son cou, le foulard bleu et blanc, aux couleurs de la Compagnie.
« Tu pars où ? »
Il attrape nerveusement sa tasse, renverse du café sur l’une de ses copies.
« Tokyo. Je rentrerai vendredi matin. »
Il y a de la lassitude dans sa voix. Une très légère inflexion qu’une oreille distraite n’aurait pas perçue. Mais lui l’a entendue. Il en connaît toutes les intonations. Chaque variation. Il sait déchiffrer ses temps de pause, ses respirations lentes ou altérées, plus sûrement que les expressions de son visage – son regard triche parfois, maquille ses intentions. S’il la connaît si bien, c’est peut-être parce que la voix de Line est la toute première chose qu’il a saisie d’elle, un matin, dans un Boeing 777 en partance pour Montréal, cinq ans auparavant.

Le visage blême, tendu sur son siège, Thomas luttait contre l’envie d’enjamber son voisin et d’aller trouver les membres de l’équipage pour leur expliquer qu’un événement de dernière minute l’empêchait de prendre cet avion. Il avait avalé un anxiolytique trente minutes avant l’embarquement, avait baissé le volet du hublot et attendait le décollage imminent. En général, il évitait les voyages lointains, mais cette fois il n’avait pu s’y soustraire.
Une voix féminine avait résonné dans l’habitacle, listant les consignes de sécurité pendant qu’un steward les mimait dans l’allée étroite. Lorsque celui-ci avait enfilé le gilet de sauvetage, Thomas avait fermé les yeux et s’était concentré sur la voix. Grave, enveloppante, elle tressautait légèrement à la fin des mots, au niveau de la dernière syllabe. Elle semblait danser.
Lorsqu’il lui avait avoué plus tard qu’il était d’abord tombé amoureux de sa voix, Line lui avait répondu que l’amour tenait finalement à si peu : ce jour-là, la vidéo des consignes de sécurité était en panne et l’équipage avait dû opter pour la vieille méthode du Public Address.

Il l’avait rencontrée au milieu du vol, alors que la plupart des passagers étaient endormis. Recroquevillé depuis des heures sur son siège, il avait fini par se lever, avait déplié son grand corps et fait quelques pas dans l’allée pour se dégourdir les jambes. Il était remonté jusqu’au galley et avait demandé un verre de whisky à l’hôtesse.
« Vous devriez prendre de l’eau », lui avait-elle suggéré.
Il avait reconnu sa voix, l’accent tonique sur la dernière syllabe.
Line était presque aussi grande que lui, ses cheveux bruns, tirant vers le roux, solidement noués, sa peau parsemée de taches de son. Celles-ci transparaissaient comme de petits îlots bruns sous la couche de fond de teint. Au milieu de son visage pâle, ses yeux gris tirant vers le vert avaient la couleur des lacs en hiver. Dans son regard, on pouvait lire un mélange d’entêtement et de force tranquille. Elle avait levé le menton en lui tendant un verre d’eau.
Des années plus tard, Thomas repenserait à ce tout premier regard de Line, qui racontait déjà ce qu’elle était – une âme sereine, solide. Et il s’interrogerait : où se logent nos fêlures ? Sous quels remparts intimes se cachent-elles, trompant notre vigilance ? Où se trouvait la faille dans le corps de Line ?

Six mois après leur rencontre, ils s’étaient installés dans l’appartement de la rue Taine, et depuis, Thomas vivait au rythme de ses vols long-courriers. Elle partait quatre fois par mois et couvrait toutes les destinations internationales, au-delà de l’Europe. Parfois elle lui racontait : Le Cap, à la pointe de l’Afrique du Sud, où se rejoignent les océans Indien et Atlantique, New York et son énergie électrique, la douceur de vivre des Antilles, Rio et la vue sur le Pão de Açúcar…
Avant chacun de ses départs, il la regardait se connecter sur l’intranet de la Compagnie pour connaître les détails de son vol : spécificités de l’avion, liste de l’équipage et heure du briefing. Il écoutait ses récits, comprenant peu à peu ce que son rôle impliquait – la vigilance, le sang-froid, la patience face aux exigences des passagers, la capacité à sourire en toutes circonstances, l’aptitude à réagir vite et bien s’il le fallait. Il avait été étonné d’apprendre qu’ils étaient des milliers d’hôtesses et de stewards à faire partie de la Compagnie et qu’il était extrêmement rare que Line vole deux fois avec la même personne. Chaque départ signifiait de nouveaux visages. Au fil de ces rencontres fugitives, ils finissaient par former une grande famille. C’est ainsi que Line parlait des membres d’équipage avec lesquels elle partageait des nuits et des jours entiers dans les espaces confinés des avions, puis dans des escales lointaines. La plupart de ses émerveillements et insomnies, elle les partageait avec d’autres.
« Lorsque je vole, je remonte le temps », lui avait-elle dit un matin, aux aurores, en ramassant ses cheveux et en piquant dedans des épingles qu’elle perdait ensuite aux quatre coins de l’appartement. Tout en épuisant son corps, les décalages horaires l’exaltaient encore. Elle aimait ce jeu perpétuel avec le temps. Line portait toujours deux montres à son poignet, celle marquant l’heure française et l’autre, qu’elle réglait sur chacune de ses escales.
Il s’était habitué à ses départs, avait appris à étouffer sa jalousie ; mais ce qui n’avait jamais changé, c’était la peur.
Thomas était incapable de monter dans l’un de ces grands oiseaux métalliques. Il aurait pu ac
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Line et Thomas vivaient dans cette dictature du bonheur, factice, teintée de menace, où chacun était tenu de saisir les clefs qui lui étaient offertes et de se prendre en main. Mais dans ce monde qui aimait tant discourir sur la force des résilients, quelle place y avait-il pour les immobilisés, les démissionnaires? Avaient-ils réellement le droit d'échouer? Où commençait la honte?
p 118
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La seule personne dont elle avait besoin, la seule à qui elle pourrait parler, c’était Saki. Car elles avaient partagé ça, cette longue nuit sous terre.
Line le savait maintenant, elle était revenue de Tokyo uniquement parce qu'elles étaient deux. Deux âmes affrontant la folie qui guettait, refusant de s’incliner, se tenant la main, et dialoguant pour ne pas sombrer. Ensemble elles pourraient se souvenir. Et guérir. p. 145
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« Tu as eu de la chance lui répèterait-on, et ces mots lui rappelleraient la dette qu’elle avait envers les disparus. Depuis son retour, elle cherchait un sens à ça – à cette chance… Elle se répétait qu’il existait, quelque part, une raison expliquant qu’elle ait été épargnée. Mais elle avait beau s’interroger, aucune réponse ne venait. Pourquoi moi ? » (page 54)
« A quel moment, les êtres s’effaçaient-ils ? A quel moment quittaient-ils réellement l’histoire ? Était-ce simplement une question de présence au monde, de mouvement, de corps ? » (page 64)
« Miracle ultime. Bonheur inespéré. Mais qu’advenait-il de Lazare après sa résurrection ? Qu’advenait-il de ceux qui revenaient d’entre les morts ? » (page 65)
« Les grandes catastrophes recélaient presque toujours des histoires de survies extraordinaires. Mais après ? qu’y avait-il après le miracle ? » (page 116)
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Et le corps est comme la terre. Soumis à une pression persistante, insistante, il finit par lâcher. Lorsque le seuil de rupture est atteint, c'est une déchirure, foudroyante, libérant une énergie fantôme accumulée depuis un temps infini. Le corps n'oublie pas.
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Vidéo de Caroline Caugant
Qui sont les représentants en librairie ? Ces hommes et ces femmes de l'ombre, qui sillonnent les routes de France dans des voitures chargées de livres pour faire le lien entre les maisons d'édition et les librairies ? Elisabeth Segard, journaliste à Livres Hebdo, est allée à leur rencontre pour brosser le portrait robot de l'une des professions les plus discrètes et les plus influentes de la chaîne du livre. Dans la deuxième partie de l'épisode, Lauren Malka nous emmène au coeur de la Goutte d'or, à Paris, pour y découvrir la Régulière, une librairie-café présentée par sa fondatrice Alice et par l'écrivaine Chloé Delaume, au micro de Lauren, comme “une véritable oasis de culture”.Enfin, la clique critique de Livres Hebdo se réunit pour vous parler non seulement de ses coups de coeur de février, mais aussi de ce que ces livres dessinent dans le paysage éditorial de ce début d'année. Entre essais, BD et romans, les genres sont variés : Histoire de Jérusalem, de Vincent Lemire et Christophe Gaultier, publié aux Arènes ; Littérature et révolution, de Joseph Andras et Kaoutar Harchi, publié aux éditions Divergences ; Insula, de Caroline Caugant, publié au Seuil ; Les yeux de Mona, de Thomas Schlesser, publié chez Albin Michel ; Rousse, de Denis Infante, publié chez Tistram ; Abrégé de littérature-molotov, de Macko Dràgàn, publié chez Terres de feu. Un podcast réalisé en partenariat avec les éditions DUNOD, l'éditeur de la transmission de tous les savoirs.Enregistrement : janvier 2024 Réalisation : Lauren Malka Musique originale : Ferdinand Bayard Voix des intertitres : Antoine KerninonProduction : Livres Hebdo
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Les écrivains et le suicide

En 1941, cette immense écrivaine, pensant devenir folle, va se jeter dans une rivière les poches pleine de pierres. Avant de mourir, elle écrit à son mari une lettre où elle dit prendre la meilleure décision qui soit.

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