Le précédent livre, A la folie, était le récit documentaire de l’immersion de Joy Sorman dans un hôpital psychiatrique.
Si son ambition est ici de continuer son exploration au coeur de nos institutions, elle s’éclipse derrière un personnage fictif afin de créer une trame romanesque et gagner un peu de liberté d’expression.
Bart, un cinquantenaire plutôt insignifiant, décide de quitter son appartement et sa vie pour se cacher dans une tanière peu commune. Il investit les couloirs du palais de justice de Paris. Toute la journée, il va suivre des procès dans les différentes chambres du palais. Le soir venu, lorsque les portes se ferment, Bart s’installe dans le faux plafond des sanitaires afin d’y passer la nuit.
Pourquoi ? Qui est cet homme dans son costume étriqué ? Nous ne l’apprendrons qu’au fil des pages.
De jour en jour, Bart assiste à tout type de procès.
Des comparutions immédiates pour faits de rue plus ou moins graves, mais aussi des histoires de terrorisme, de violences conjugales ou d’inceste.
Bart a l’impression que la justice est bâclée, qu’elle est une justice d’urgence et d’abattage. Et surtout que, contrairement aux maximes qui illustrent les murs du palais, elle est profondément injuste.
Les accusés, sans travail, sans papiers, ceux qui s’expriment mal ou comprennent peu les belles phrases des juges sont davantage sanctionnés que ceux bien habillés, au niveau culturel plus élevé.
La justice ne peut corriger l’injustice liée à la naissance.
Bart s’étonne aussi de l’attribution des peines. Comme si les juges suivaient bêtement une grille sans aucune once d’aménité. Ils appliquent la loi plus que la justice.
Ces procès sont des tranches de vie, étalées devant les juges. Bart se sent proche d’eux. Il ne comprend pas ce besoin de vengeance de la société qui pousse les juges à prononcer des peines. Pourquoi cette obsession carcérale ?
Mais Bart ne s’impose-t-il pas une privation de liberté ? Nous suivons son évolution dans les couloirs, comment il se nourrit, se lave, tente de rester présentable sans éveiller les soupçons des gardes.
Joy Sorman a judicieusement choisi le prénom de son personnage. Elle s’inspire de Bartleby, le personnage d’Herman Melville. Cet être lisse n’existe que par ses gestes, ses mots mais dont on ne saisit jamais l’intériorité. Il incarne la résistance passive. Bart est en ce palais une présence qui reçoit les émotions des accusés. En répétant cette phrase culte, « je préfèrerais ne pas… », il s’insère sans violence au coeur du processus judiciaire.
Joy Sorman passe du temps au cœur des institutions qu’elle décrit dans ses livres. Sa longue immersion donne de la véracité à ses récits. Elle sait aussi s’intéresser aux lieux parfois méconnus des lecteurs bien qu’ils soient essentiels au fonctionnement de notre société. Son regard, sensible et engagé, nous donne une base de réflexion essentielle. Les réponses ne sont pas toujours simples mais le constat est implacable.
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