J'ai lu ce premier roman dans le cadre du challenge SFFF 2022, en tant que recommandation du mois de mai placé sous le signe des monstres et de la métamorphose. Encouragé par les retours plus qu’élogieux sur nos réseaux, j’ai fini par craquer pour la version numérique, et je ne suis absolument pas déçu du voyage : il s’agit même d’un coup de cœur !
Depuis plusieurs années, Nath a appris à vivre avec le loup qui partage son corps, qui guide son instinct et qui se réveille inéluctablement à chaque pleine lune. Sa vie dans l’univers sombre et violent des docks est rythmée par les combats clandestins qui lui assurent un revenu et ses relations avec les membres du principal gang du quartier, dont fait partie son meilleur ami Val, le seul humain au courant de sa condition. À plusieurs kilomètres, dans une zone plus résidentielle de la ville, se dresse une maison blanche que Nath a hérité de sa tante avant de la céder à la meute de Marc, que le jeune homme fréquente lorsqu’il ressent le besoin d’être parmi ses congénères lupins. Lors d’une de ses visites habituelles, l’Alpha confie justement à Nath une tâche très importante. Durant l’absence de la meute pour une mission de ravitaillement, il doit rester à la maison pour s’occuper de leur nouveau protégé, un enfant sans nom et très mal en point, qui refuse de s’alimenter, qui ne parle pas et qui reste confiné dans une petite pièce servant d’atelier de peinture. Au fil des jours, Nath parvient à initier un début d’interaction avec ce garçon brisé, et se donne pour objectif de l’aider à se reconstruire. Une décision qui va bouleverser son existence…
Comme dans beaucoup de romans SFFF actuels, le roman adopte des points de vue multiples, avec plusieurs narrateurs différents (ici au nombre de trois). Cependant, le récit se démarque immédiatement par l’utilisation audacieuse de la deuxième personne du singulier. Avec ce procédé peu usité en littérature, l’autrice réussit à nous immerger, en tant que lecteur, au plus près des pensées des personnages, comme si l’on était à l’intérieur de leur tête. C’est assez troublant, et je n’avais jamais lu un roman écrit de cette manière, mais j’ai adoré ressentir cette impression qu’un lien fort et intime me reliait à Nath, Val et Calame.
Le thème du lien est justement au cœur du roman, comme suggéré dans son titre. Aussi, la communication en est un élément clé, et intervient sous différentes formes : discours, langue des signes, langage corporel, expression artistique, odeurs, etc. J’ai trouvé que cette pluralité qu’avaient les personnages pour exprimer leurs émotions et leurs opinions, ou plus simplement pour se parler, contribuait à leur donner une vraie personnalité, en écho avec leur vécu. En ce qui concerne les « loups », ils adoptent des comportements sociaux propres à leur espèce, avec une hiérarchie bien définie : les termes « Alpha », « Beta » et « Omega » apparaissent régulièrement, et ont une grande importance dans le récit. On sent que l’autrice s’est vraiment documentée sur le sujet, tant les interactions entre les membres de la meute ou des congénères plus solitaires sont claires et naturelles.
Fondamentalement, il ne se passe pas grand chose entre le début et la fin du roman, et la dimension fantastique reste assez en retrait, mais tout l’intérêt réside ailleurs. Ce qui m’a plu, c’est d’assister au plus près à la lente évolution du lien entre les personnages principaux, qui s’apprivoisent petit à petit, chacun à leur manière et avec leur propre sensibilité, pour former un groupe qui leur correspond vraiment. On apprend, bien sûr, des éléments sur le passé des uns et des autres, ce qui permet de mieux comprendre leur état d’esprit, mais par petites touches et sans rentrer dans de longues digressions qui écarteraient le lecteur de ce qui compte vraiment ici : les émotions et les sensations, décrites crûment ou pudiquement selon le narrateur et la situation. Et si l’accent est mis sur l’acceptation de l’autre, la dénonciation du rejet sous toutes ses formes a bien entendu sa place, que ce soit entre loups, entre humains, ou bien entre les deux espèces qui se confrontent régulièrement pour survivre. Il y a quelques scènes d’affrontements ou d’interrogatoires particulièrement violentes, qui justifient les trigger warnings figurant au début de l’ouvrage, qui n’est clairement pas destiné à un lectorat trop jeune.
J’ai été passionné par cette lecture, du début à la fin. Le style de l’autrice, sensible et réaliste, sert à merveille le récit de la constitution de cette meute dysfonctionnelle, dans laquelle la diversité s’exprime à tous les niveaux. Une chose est sûre : je vais guetter de très près ses prochaines publications !
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