Citations de Larry Tremblay (217)
Ce n’est pas toujours drôle un être humain. J’aime bien gratter, creuser. Le titre indique qu’on travaille dans les valeurs morales, entre le bien et le mal, et le plaisir qu’on a à faire du mal. La question du mal, elle traverse toute mon œuvre. Ça me hante, parce que c’est une des plus grandes questions de la philosophie.
Je te parle de la pureté du cœur. Une force qu’on ne peut pas expliquer, qui se retrouve en chacun de nous mais que très peu d’entre nous utilisent. Un amour détaché de tout désir : c’est ça, pour moi, la pureté du cœur. (p. 65)
Avez-vous maintenant réalisé ce que vous avez accompli ? Vous avez trouvé un chemin pour vous rendre jusqu'à cette drôle de ville. Vous êtes les seuls à l'avoir fait. Tous ceux qui ont tenté de le faire ont été déchiquetés par les mines. Dans quelques jours, l'un d'entre vous retournera là-bas. Toi Aziz, ou toi Ahmed. Votre père décidera. Et celui qui aura été choisi portera une ceinture d'explosifs. Il descendra jusqu'à cette drôle de ville et la fera disparaître à jamais.
La rue est trompeuse. Elle transforme chacun de nous en passant interchangeable.
Notre époque trouve sa seule efficacité réelle dans la bêtise.
— Oui, Aziz va mourir, je le sais comme toi. Je t’ai rapporté ce que le médecin m’a expliqué. Ce ne serait pas un sacrifice s’il portait la ceinture. Ce serait une offense. Et ça se retournerait contre nous. Et puis Aziz, dans son état, ne pourrait pas réussir. Il est trop faible. Non, Tamara, ça ne peut pas être Aziz. On n’envoie pas un enfant malade à la guerre. On ne sacrifie pas ce qui déjà est sacrifié. Essaie de le formuler avec tes mots, Tamara, tu arriveras comme moi à la même conclusion. C’est Amed qui partira.
Tamara pleurait et faisait non de la tête, incapable de parler.
L’art fait reculer le beau
jusqu’à l’impensable
au-delà un arrière-goût d’enfance
cette enfance de l’atome
privée de traces
privée de commencement
Abolir la distance
entre cerveau et organe sexuel
voilà ce qu’est peindre
S’approcher trop près du blanc
se faire attraper par son hélice
ressortir éclaboussures de l’autre côté
ego arraché
Mes tentatives effrénées m’intoxiquaient. Je découvrais avec toi la gravité du mot peintre. Je ne tachais plus la toile de mes velléités, je la fécondais de mon désir de te transpercer avec mes yeux. […] J’avais trouvé le corps premier, le modèle qui recelait la vérité espérée.
Ton corps me suffisait à peindre l'univers"
"J'ai aimé ta fureur. Et j'ai été effrayé par la tendresse qui a envahit ton corps endormi"
"Et j'aimais cette usure qui sortait de ta bouche, j'aimais tes lèvres qui la rendait visible"
"Un impossible cri noir"
"L'abandon de ta peau se métamorphosait en l'errance de ta chair"
"Pour moi, il n'y a toujours eu qu'une seule chose à peindre : le corps et son cri."
Un enfant paralysé par la peur vient de s’emparer de l’homme adulte qu’il est.
Pour moi, il n'y a toujours eu qu'une seule chose à peindre : le corps et son cri. Et si la sainteté et le tragique avaient la chance de se marier, c'était assurément au sein de la figure humaine. L'art abstrait l'avait évincée de la toile, remplacée par des paysages de points, de lignes, de taches, l'avait déconstruite pour signifier l'insignifiance de toute vérité humaine, voire son inexistence absolue. Il n'y avait que du vent dans cet art aseptisé. Pour peindre des crucifiés ou me hisser moi-même en haut d'une croix, je n'avais pas besoin de croire. N'importe qui pouvait se retrouver dans cette position. Et toi, le voyou, le voleur, le petit boxeur, au moment où dans ma nuit tu avais fait intrusion, j'étais enfin prêt à accepter les bassesses, les joies, les blessures nécessaires pour peindre le corps que tu m'offrais et son cri que j'aspirais à étaler à la grandeur de ma toile. L'amour avait déjà commis tous les crimes. Un défi pour moi d'en imaginer de nouveaux.
(pp. 110-111)
La vie est un rêve. C'est le réveil qui nous tue.
Qui pense de nos jours ? Qui s’accorde quelques minutes dans une journée pour réellement le faire ? Que s’est-il passé pour que penser, cet acte foudroyant, demande à présent un effort colossal ?
Le parfum des fleurs est leur sang, lui avait dit un jour Shahina. Les fleurs sont courageuses et généreuses. Elles répandent leur sang sans se soucier de leur vie. Voilà pourquoi elles se fanent si vite, épuisées d’avoir offert leur beauté à qui veut bien la voir.
CES MOTS-LÀ :
bout de la langue
plaine en sang
dents de fer
contrebande
paquet de poison
éternité sombre
fiestas hilares
asphyxie
paysage désolant
jet de bave
note larguée
symphonie misérable
gueules cassées
yeux durs
billes sans larmes
les mots tombent sur la terre
la transforment en boue
les mots entrent dans ses entrailles
lui volent sa pesanteur
je sens les phrases
grouiller sous mes bottes
j’agrandis ma bouche
avec la barre d’un cri
je dégueule plus fort
mot crasse
mot orage
salive acide
syllabes meurtrières
barbelés de cris
mot génocidaire
mot pétrole
mot diamant de sang
combien d’autres fois
faut-il coudre nos bouches
charniers où notre langue
se décompose ?
que neige-t-il dans nos phrases ?
Le décor. Cette lumière qui traverse le sable. C'est comme s'il pleuvait à l'envers.
Tu es Amed et tu es Aziz. Tu es les deux. Ne cherche plus ton frère parce qu'il est dans ton cœur.
Tamara se demandait si la lune avait connu le désir de la mort, celui de disparaître à jamais de la face de la nuit et de laisser les hommes orphelins de sa lumière. Sa pauvre lumière empruntée à celle du soleil.