Citations de Léonor de Recondo (1070)
Doménikos , je t'adore, parce que tes toiles me semblaient parfaitement anachroniques quand, jeune fille, je les regardais à Madrid au Musée du Prado.Je ne comprenais pas de quelle époque tu étais.Je te trouvais bizarre, étrange, beau certes, mais sans adjectif adéquat. Je vérifiais plusieurs fois: 1600, vraiment ?
J'avais l'impression que quelqu'un s'était trompé dans l'accrochage.
Ton style ne correspondait pas à celui des autres peintres exposés.Tu aurais dû être dans la salle des Goya.Ton coup de pinceau, ton expressivité me semblaient si proches de moi dans le temps.Tes tableaux auraient dû être accrochés à côté de ceux d'Egon Schiele, mais aussi de ceux de la période bleue de Picasso. L'artiste espagnol ne s'est jamais caché de la profonde influence que tu avais eue sur son travail.
( p.127)
Elle se souvient du jour où son père Isidore, lui avait dit : Maman est partie. Une phrase simple, sujet, verbe, participe passé. Une phrase tout à fait intelligible. Magdalena la comprenait mas la trouvait trop courte. Il manquait au moins un complément de lieu…
Il la serre une fois encore, puis remet sa casquette, et repart rapidement. De la vie, on ne garde que quelques étreintes fugaces et la lumière d'un paysage.
Combien de temps faut-il pour être soi-même ?
Aïta reste de longs moments près d'eux. Il a toujours un petit bout d'argile dans les mains qu'il malaxe, qu'il observe, qu'il presse entre ses doigts . Il n'a utilisé le tour qu'une seule fois, pour faire un bol très simple, très sobre. Il n'en avait jamais fait de similaire avant. Le bol sèche et va certainement se fendre.
Aïta m'a dit que ce n'était pas un bol pour boire , mais un récipient à rêves, où ce ne sont pas les lèvres qui se posent mais les yeux qui se perdent.
Quand on a vécu dans sa chair ce qu'il y a de plus obscur, on comprend combien il faut choyer la lumière, aussi éphémère soit-elle.
Les notes qui me viennent dans la tête ce sont des mots.
Je ne veux plus aucune trace, plus rien de tangible. Que s'efface cette mémoire d'encre. Les mots m'ont accompagnée jusqu'ici, mais maintenant ils me tiennent prisonnière. Prisonnière de leurs griffes, de mes sentiments partagés entre la joie, l'amour, mais aussi l'angoisse et la mort. Les écrire les rend vivants, alors qu'ils disparaissent pour me laisser vivre l'âme légère à l'ombre du tilleul !
« revenir à toi
à ta lumière
effacer ces journées
rongées par ton absence »
Charles Juliet, Affûts
Les voir si amoureusement embrassés, alors qu’il est debout derrière la barrière de bois, le ramène à sa propre solitude, et à sa laideur qui les fait se sentir si seul. L’inadéquation fondamentale entre l’image qu’il a de son âme et son apparence le pousse à vouloir modeler le corps des autres, à s’approprier leur beauté.
Michelangelo est fasciné par ce besoin pressant qu'ont les autres de s'exprimer, de dire. Il ne le ressent jamais et garde pour lui ses sentiments, ne formulant que l'indispensable.
Je te tiens la main pour que tu sentes ma présence, main minuscule qui s'agrippe à un doigt à la naissance, paume relâchée, abandonnée pendant le passage de la vie à la mort.
Je te vois assis sur le banc en marbre, le ciel sous les pieds. Tu regardes la vallée. Je m’approche lentement, la montée m’a fatigué. Tu as le dos courbé. Ça fait combien de temps qu’on ne s’est pas vus, Ernesto? Des décennies, dans les années cinquante sûrement, j’avais vingt ans, et toi, trente de plus.
Aujourd’hui, je savais que je te trouverais là. Il faut qu’on se raconte, toi, moi, les autres. Sinon, on se taira et on regardera le paysage longtemps, à s’en remplir les yeux. On se dira : tu te souviens ? Et on se souviendra de tout, Ernesto, très précisément de chaque détail.
Peut-être qu’on posera des mots dessus. Il paraît que ça allège. On deviendra, alors, si légers qu’il n’y aura plus de banc, plus rien, juste le ciel et tous les détails qu’on y trouvera. On se regardera et on rira des rides, des cheveux blancs, des dents qui manquent. On s’observera du coin de l’œil, la pupille vive comme au premier jour, et on pensera aux femmes qu’on a aimées, à leurs corps, à leurs seins chauds et fragiles dans nos paumes, à leurs ventres tendus, à nos bouches
sur leurs lèvres. On y pensera comme si c’était hier, et nos mains nues se souviendront. Je te vois de dos, Ernesto, je m’approche lentement.
Je vois la forêt et le bois, je sens la chaleur de l’été. On lancera les phrases à la montagne. Tu me parleras de ton suicide et des toros. Je te parlerai de mes enfants morts, et puis j’ouvrirai la boîte que j’ai avec moi et je te montrerai le violon. Il n’y aura personne pour le faire sonner, mais ça n’a plus d’importance. J’ai tellement imaginé, rêvé ce son, qu’en ouvrant l’étui tu l’entendras un peu, et moi, je l’entendrai parfaitement.
La musique se faufile dans le fil du bois, attend, se cache, puis s’endort. Léonor viendra la réveiller un jour. Mais aujourd’hui, ce qui compte, c’est qu’on se retrouve, toi et moi.
Ça dégoulinait et c'était du poison. Ça imprégnait toute la pièce, ma peau, ma respiration. J'avais l'impression d'être dans une cellule. Névrose obsessionnelle ! Tu te tends compte, Cynthia ? Ça m'a sauté à la gorge. Comment peut on réduire quelqu'un à deux mots ? C'est là que j'ai réalisé que tout le monde croyait que j'étais malade.
P125
Il préfère se concentrer sur ce qu'il ressent quand il ferme les yeux, le soir, sur cette douceur à l'intérieur [de sa femme], si loin de la rugosité de sa barbe, de ses genoux anguleux, de ses mollets remontés par les heures cyclistes. Cet intérieur courbe, fait de velours et de nectar, glissant, dérapant.
(p. 86-87)
Devenir femme ne déplace pas l'objet de mon désir. Il ne le remplace pas non plus.
Il pense à sa propre mere qui , forte de l'intelligence et des succes de ses huit autres fils , le regardait , lui le neuvieme, lui le dernier, en lui disant d'un air à la fois désemparé et complice :" toi , tu as mis tes pensées dans tes mains."
Elle ne se trompait pas. Aïta ne peut avoir un avis sur les choses qu'après les avoir touchées. Et tout ce qui a trait aux idées ne l'intéresse pas.Il laisse volontiers aux oncles la manipulation des concepts. Ce qu'il aime ? c'est contempler la nature s'épanouir, s 'agenouiller chaque jour le long des allées et voir un bourgeon , une pousse vert tendre pointer vers le ciel.
[ 1699 ]
Chacun à Venise avait des proches contaminés par la peste. Comment oublier la danse incessante des corps déformés et des cercueils ?
Sur la lagune, les morts et les naissances rivalisaient en nombre. Sur la lagune, on s'aimait avant de mourir, on priait avant de se désoler ; on luttait comme on pouvait contre l'inéluctable.
(p. 18-19)
Il s'asseyait près de l'arbre, et nous l'encerclions pour qu'il nous raconte le chemin qu'il faisait avec les bêtes avant l'été, et celui de l'automne, en sens inverse.Il nous expliquait comme les sonnailles marquaient le rythme de la marche.La course rapide des brebis au début, et le calme que les bêtes trouvaient au fur et à mesure de la transhumance. (..)
Il nous parlait du frais du soir, des étoiles, comme il se sentait à la fois seul et entièrement habité par la montagne qui l'entourait. Nous buvions ses paroles, chacun de nous se retrouvait en lui.Nous rêvions aussi de nous fondre dans ce paysage qui était notre territoire. Mais la guerre s'en est mêlée, le territoire perdit son intégrité, et le rêve se désintégra.
( p.120)
𝑺𝒐𝒍 𝒅'𝒖𝒏𝒂 𝒑𝒊𝒆𝒕𝒓𝒂 𝒗𝒊𝒗𝒂
𝑳'𝒂𝒓𝒕𝒆 𝒗𝒖𝒐𝒍 𝒄𝒉𝒆 𝒒𝒖𝒊 𝒗𝒊𝒗𝒂
𝑨𝒍 𝒑𝒂𝒓 𝒅𝒆𝒈𝒍𝒊 𝒂𝒏𝒏𝒊 𝒊𝒍 𝒗𝒐𝒍𝒕𝒐 𝒅𝒊 𝒄𝒐𝒔𝒕𝒆𝒊
Dans une pierre vive
L'art veut que pour toujours
Y vive le visage de l'aimée.
MICHELANGELO BUONARROTI
𝘔𝘢𝘥𝘳𝘪𝘨𝘢𝘭 𝘢̀ 𝘝𝘪𝘵𝘵𝘰𝘳𝘪𝘢 𝘊𝘰𝘭𝘰𝘯𝘯𝘢, ca. 1540-45