Monique Wittig compare constamment la situation des femmes à celle des serfs, des peuples colonisés et des personnes esclavagisées. Il y a également une comparaison qui est faite avec la Shoah. Elle parle de la bourgeoisie comme s’il n’y avait pas de bourgeoises, des hommes blancs comme s’il n’y avait pas de femmes blanches. Elle ignore complètement en quoi la fabrique du féminin est aussi une fabrique coloniale. La « femme », ce mythe qu’elle dénonce avec ardeur, est aussi une entreprise coloniale réussie et de laquelle elle tire un profit en tant que femme blanche, qu’elle le veuille ou non.
Elle s’oppose à la domination des hommes, mais désire l’universel comme seuls le revendiquent ces mêmes hommes qu’elle condamne, incapable de se situer elle-même sur l’axe des privilèges et des dominants. Elle parle des lesbiennes comme de personne s’élevant au-dessus des catégories sexuelles, car elles n’appartiendraient aux hommes sur aucun plan (que ce soit économiquement, politiquement ou idéologiquement). Or, les lesbiennes ont aussi des pères et des patrons, ce qui rend cette idée pour le moins curieuse. Je sais fort bien que la phrase « Les lesbiennes ne sont pas des femmes » est tout sauf une insulte. Je le comprends parfaitement et l’intention de Wittig en disant cela est limpide... C’est simplement que, pour que ce soit absolument vrai, il faudrait que les femmes vivent en dehors du capitalisme et du patriarcat, ce qui n’a aucun sens. De plus, lorsqu’elle déclare que « le régime politique de l’hétérosexualité représente toutes les cultures et toutes les politiques », elle ne prend pas conscience de l’importance des sociétés précoloniales qui ne connaissaient pas ou alors très peu les violences sexistes et sexuelles.
Enfin, elle parle de l’écriture féminine en ignorant le fait que le français a subi un processus de masculinisation et que ce qu’elle perçoit comme la féminisation condamnable de la langue française n’est en fait que la dé-masculinisation de celle-ci…
N.B. La préface de Louise Turcotte parle en termes désuets et peu renseignés des personnes trans et de leurs activismes (ça ne dure qu’une demi-page, mais ça peut tout de même être blessant à lire).
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"Les Guérillères" de Monique Wittig est un roman unique en son genre. Publié en 1969, il s'agit d'une épopée féministe qui raconte l'histoire d'un groupe de femmes en guerre contre un système patriarcal oppressif.
Le roman est écrit dans un style poétique et incantatoire. Wittig utilise un langage subversif et invente un pronom neutre, "elles", pour désigner les femmes. Ce choix linguistique radical vise à déconstruire les structures patriarcales du langage et à créer un nouvel espace de liberté pour les femmes.
L'histoire se déroule dans un univers symbolique et onirique. Le camp des guerrières est une oasis de liberté et de sororité, où les femmes vivent en harmonie avec la nature. Elles s'entraînent au combat, chantent des poèmes et célèbrent leur puissance collective.
"Les Guérillères" est un livre révolutionnaire qui a marqué l'histoire du féminisme. Il propose une vision radicale de la libération des femmes et appelle à la destruction du système patriarcal.
En conclusion, "Les Guérillères" est un livre important et audacieux qui continue d'inspirer les féministes aujourd'hui. Il est un classique de la littérature française et un incontournable pour quiconque s'intéresse aux questions de genre et de pouvoir.
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Je recommande ce livre à toutes les lesbiennes, à toutes les femmes et personne non-binaires intéressées par la critique (et le renversement) du système hétéropatriarcal.
Les + : les constats faits par Monique Wittig sont très intéressants, voire époustouflants quand on a peu conscience des rapports de domination au sein des rapports hétéros. Elle offre un point de vue révolutionnaire, littéralement. C'est une œuvre brillante et qui s'inscrit dans une conception radicale (pour ne pas dire marxiste) de l'homosexualité.
Les - : Wittig a par moments des réflexions assez archaïques et racistes, lorsqu'elle compare l'hétérosexualité à l'esclavage. Je ne sais pas si c'est par manque de connaissance des conditions de vie infâmes des personnes mises en esclavage qu'elle ose cette comparaison. Néanmoins, je ne peux mettre 5 étoiles, c'est trop dérangeant étant donné qu'elle répète plusieurs fois la comparaison.
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Vraiment pas facile d’accès. Heureusement que le livre est découpé en chapitres / thèmes courts . Je pense qu’il faut être familier avec l’écriture de Monique Wittig avant de se lancer dans cet essai qui développe des concepts intellectuels assez compliqués.
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Un texte assez beau sur le plan poétique avec une écriture originale dans la forme. Les guérillères est je pense volontairement flou, mais s'en dégage une épopée féministe qui appelle à la révolte et à l'anéantissement complet de la culture patriarcale existante pour reconstruire un culture matriarcale. Je n'ai malheureusement pas été emportée par la forme (et pourtant en général j'aime bien les trucs perchés), et je n'ai pas non plus été convaincue par le fonds. J'ai été déçue par la violence extrême. Même si au milieu il y a des fleurs, les guerillères recréent finalement une société avec les mêmes traits masculins: force, puissance, glorification du sexe. Pour moi le féminisme ce n'est pas seulement avoir des femmes fortes, c'est surtout donner une place, une reconnaissance, et du pouvoir à celles qui ne le sont pas: à la mère qui élève ses enfants, à l'aide-soignante, à la femme de ménage. Le passage par la révolte collective est peut-être nécessaire, mais si par là on laisse tomber les valeurs de dévouement, d'altruisme, d'aide, qui sont traditionnellement des valeurs féminines, on n'aura rien gagné. Car une société où les femmes auraient le pouvoir mais l'exerceraient de la même manière que les hommes ne serait pas différente des sociétés qui l'ont précédée. Celà dit les Guérillères comportent quelques pages d'envolée épiques qui valent le coup, mais je ne suis pas sûre qu'il faille chercher là un pamphlet féministe.
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J'ai lu Les Guérillères il y a plusieurs années déjà et j'avais trouvé L'opoponax en bouquinerie avec beaucoup de joie avant de le poser dans ma PAL où il s'est noyé depuis. Je me suis enfin décidée à me lancer dans cette lecture après avoir entendu la série radio consacrée à Monique Wittig sur France Culture cet été. Le moins qu'on puisse dire c'est que j'ai moins accroché qu'avec Les Guérillères, et sans doute j'aurais eu encore plus de difficulté à entrer dans cette lecture si je n'avais pas eu en tête les analyses entendues tout récemment.
Comme souvent avec les partis pris expérimentaux, le principe me séduit mais l'œuvre en elle-même a du mal à garder mon attention pendant plus d'une vingtaine de pages. C'est un texte écrit à hauteur d'enfant, dans une langue purement descriptive. On saute d'une scène à l'autre sans transition. C'est un peu comme écouter un enfant qu'on est venu·e chercher à l'école et qui nous raconte sa journée sur le chemin du retour - et oui, c'est charmant et doux. L'autre aspect qui a été abondamment commenté et qui reste troublant à la lecture c'est l'usage du pronom "on" dans lequel se mélangent la narratrice, ses camarades, dans un flou sans genre et sans nombre qui colle bien au monde de l'enfance.
Outre le côté expérimental ça reste un texte très beau. Les aventures des enfants dans la campagne, leurs bagarres et les noms de fleurs et d'arbres qui parsèment le récit m'ont beaucoup touchée. Sans avoir grandi exactement dans les mêmes conditions, c'est un roman qui m'a rendue nostalgique de l'enfance. Il m'a aussi fait penser à mes grands-parents, dont l'expérience est probablement plus proche de celle de l'autrice.
La reconnaissance attribuée à ce texte est totalement justifiée et j'aurais adoré travailler dessus pendant mes études. Je n'ai toutefois pas trop culpabilisé en sautant des passages entiers, dans la mesure où une fois que le concept est compris, une bonne part du roman m'a paru répétitive. Si je devais le relire autrement, je pense que je le lirais davantage comme je lis des poèmes que comme un roman : quelques pages avant de dormir, sans essayer de le lire d'une traite et d'y chercher du sens.
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Une communauté de femmes vit libre, autonome, heureuse. Leur sexualité est puissante, joyeuse et confiante. Utérus, vagin, vulve, nymphe et clitoris sont fêtés comme les merveilles qu'elles sont. « Elles disent qu'elles exposent leurs sexes afin que le soleil s'y réfléchisse comme dans un miroir. Elles disent qu'elles retiennent son éclat. » (p. 24) Ces femmes s'instruisent en lisant des féminaires et en se racontant de mythiques histoires de résistance et de libération. « Elles parlent ensemble du danger qu'elles ont été pour ce pouvoir, elles racontent comment on les a brûlées sur des bûchers pour les empêcher à l'avenir de s'assembler. » (p. 123) Hélas, une fois encore, elles doivent s'armer pour se défendre des hommes qui voudraient les asservir, les dominer, les contenir et les soumettre à leurs désirs et leurs règles.
Dans cette utopie où les femmes sont des amazones d'un nouveau temps, Monique Wittig en appelle à la sororité et à l'alliance des femmes dans un monde où jamais leurs droits et leur liberté ne sont définitivement acquis. Ce texte est un incontournable de la pensée féministe et il était temps que je le lise. L'amie qui me l'a offert y a ajouté un très beau message. À mon tour, je veux le faire circuler et ne jamais cesser de dire haut et fort les noms des femmes, qu'elles soient illustres ou anonymes.
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Un chant d’amour bègue au corps lesbien pétri et léché en toutes ses parties disloquées qui semblent s’assembler et se recomposer en un tout adoré par un désir aveugle, omnipotent et dirigé hors de toute autre chose qui trouve d’ordinaire à le déranger.
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J'ai l'impression d'avoir lu une pensée, d'être comme une déesse qui observe la force et la combativité d'un groupe de femmes, elle nous met dans cette situation je trouve. Elle nous fait les respecter et les admirer, les comprendre, même si elles ne sont pas parfaites.
C'est beau, vraiment.
En revanche ça part en vrille a un moment, on sent bien que c'est une militante féministe lesbienne qui a vraiment pris part aux combats, elle est pas tendre.
Mais ça marche, parce qu'elle a une écriture hyper poétique.
Bref, pas simple à lire mais je le recommande chaudement quand même.
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« On dit, je suis l'Opoponax. »
Et on ne sait pas ce qu'est un Opoponax. On se lance dans cette lecture à l'aveugle, sans savoir, et on se prend une claque. Des vagues d'enfance, qui ne sont pas la nôtre, viennent s'écraser dans nos souvenirs. Des souvenirs d'une petite fille qui n'est pas nous, à une époque que l'on a pas connue, mais des souvenirs qui sont ceux de toutes les petites filles, de tous les petits garçons, à l'âge où l'on n'est même pas encore vraiment ni une petite fille ni un petit garçon.
On découvre une écriture d'une furieuse modernité, un exercice littéraire phénoménal et on s'étonne de ne le découvrir qu'aujourd'hui.
On parvient à avancer dans le récit initialement décousu, sans que ne soient utilisés les outils de la temporalité, on revit les sentiments exacts de l'enfance, exacts parce qu'ils sont amenés tels qu'ils ont été vécus, lorsqu'on ne savait ni les identifier ni les nommer. Lorsque les choses se présentaient telles quelles et que l'on n'avait pas d'autre choix que de les décrire de la manière la plus purement objective.
On revoit les petites choses, les bonshommes en mie de pain, les trajets sur la route de l'école, ces flashs qui nous reviennent parfois sans raison, une leçon de l'école élémentaire, une petite soeur qui ramasse des cailloux, les nattes d'une camarade, les jeux dans la cour. Les rires, la cruauté, l'insouciance sont vécus de plein fouet mais ne sont pas encore identifiés comme tels. La saveur des fleurs de sureau aspirées dans un rayon de soleil est décrite avec la même objectivité que le décès d'un camarade d'école, pourtant on sent le malaise ressenti, on sent cette terrible gêne de l'enfance qui ne parvient pas encore à verbaliser la tristesse. On sent ce malaise, qui imprègne certains souvenirs. On sent l'opoponax.
On finit par penser que « on », c'est la restitution parfaite de l'enfance, qu'il n'y a que « on » pour faire ressentir à des adultes les sentiments que toutes les petites filles, tous les petits garçons, n'ont jamais été en mesure d'exprimer. Cette manière absolue, objective et directe de vivre les choses. Cet indéfini propre à chacun de nous.
« On », c'est Catherine Legrand, c'est Valérie Borge, c'est Mademoiselle et c'est Reine Dieu, c'est Vincent Parme, Véronique Legrand et Pascale Fromentin.
Et puis soudain, on se rend-compte que le récit avance, sans qu'on en soit prévenus, mais soudain, on apprend le latin, les jeux dans la cour ne sont plus les mêmes. On découvre la poésie, on aime Baudelaire. "On dit tellement je l'aimais qu'en elle encor je vis." Les phrases se font plus longues, on perçoit la présence d'un malaise sournois. On pressent toujours l'opoponax, mais on ignore toujours ce qu'est un opoponax. On surprend la lumière du duvet blond sur la nuque de la fille assise devant nous, la beauté d'une chevelure en mouvement. On découvre la grâce. On est l'opoponax.
L'opoponax, c'est l'enfance la plus absolue, qui passe sans qu'on le remarque. L'opoponax, c'est la meilleure restitution de ce monde jamais opérée en littérature. Et puis l'opoponax, ce sont ces 1000 petites choses naïves qui font la beauté de l'enfance, jusqu'à la découverte de la beauté elle-même. L'opoponax, c'est lorsque l'on est pas préparé à avoir le souffle coupé par le ravissement.
L'opoponax, c'est une sublime claque de délicatesse.
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Toute la lutte féministe ici écrite, poetisé : des guérillères, "ELLES", qui veulent écrire LEUR histoire, une histoire du point de vue des femmes, longtemps oubliée, effacée, écrire leurs rites et religions loin du patriarcat, pour s'approprier leur corps, leur nature sauvage et libre, s'extraire de la possession. Se défendre des attaques. Et accueillir avec amour les hommes qui veulent rejoindre la lutte...
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Un hommage à la féminité à la fois érotique, noir et à la dimension presque spirituelle.
J’ai eu beaucoup de mal avec la forme et l’écriture alors que les mots étaient puissants.
Je ne saurais dire si j’ai aimé ou non, c’est une expérience étrange.
À lire pour l’ambition de Wittig.
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Comment est-il possible que L'Opoponax de Monique Wittig, pourtant couronné du prix Médicis en 1964, soit ensuite passé totalement sous les radars de la littérature française ? Comment est-il possible qu'aucun extrait, aucune mention de ce titre n'ait jamais croisé mon chemin d'ex-étudiante de Lettres et future ex-prof de français, alors même que le nom de son auteure ne nous est, par ailleurs, et ce n'est que justice, pas inconnu – seulement depuis une période récente, certes –, alors que Marguerite Duras, l'idole de nos vingt ans, l'avait finement postfacé ? Lesbienne féministe, devancière et radicale, Wittig a subi l'anathème pour ses idées, et, par ricochet, ce magnifique récit, universel et poétique, connut le purgatoire (l'édition brochée est épuisée !).
Sortez ce texte de l'oubli aujourd'hui : gageons qu'il va vous ramener à votre enfance mieux qu'une madeleine, qu'il deviendra, pour certains, votre livre culte, votre livre de chevet. Pour peu que vous ayez passé la première page et compris le principe – on passe sans transition ni contextualisation d'une scène à une autre – vous deviendrez le corps-même de l'écriture, physiquement revenu à votre hauteur d'enfant, projeté derrière le pupitre à encrier que vous n'avez peut-être pourtant jamais connu. La magie de cette écriture de soi, écriture de l'intime qui ne dit jamais « je », c'est qu'elle restitue cette atemporalité de l'enfance, qu'elle fût vécue dans les années 40, 80 ou 2000, qu'elle se passât en Alsace, en Haute-Marne ou à Paris : la campagne, le village, sont ceux d'avant la ville, d'avant l'âge adulte. Peut-être ceux de votre mère, ou ceux de votre fils. On est Catherine Legrand. On est Catherine Legrand et Véronique Legrand, la petite soeur, qui elle aussi devient mythique. On est les enfants de l'école de campagne. Les filles de l'école de filles. Dans cet âge d'or de l'enfance, on est sauvage, comme les animaux qu'on recueille, on se bat avec la rage de tout son corps contre les garçons. On apprend la mort. On apprend aussi que les enfants d'aujourd'hui ne sont pas plus durs que ceux d'hier.
Le style de L'Opoponax nous habite. Cette déferlante d'évocations, aussi rudes que méticuleuses, sa mélodie vous reviendra le soir avant de dormir. Nous sommes les yeux de l'enfant qui ne sait pas tout nommer et utilise des périphrases objectives, nous sommes dans le pronom « on » de cette marmaille encore ni fille, ni garçon – à nous d'en échafauder notre interprétation. On se dit : Oui, c'est vrai, j'ai fait ça. Et puis, une description de ciels, une énumération de noms de fleurs des champs, décrochent le lecteur du temps révolu pour le transporter dans le monde poétique de la beauté. Cela pourrait sembler répétitif et circulaire, cependant le récit évolue. On est au collège, peut-être. La littérature apparaît. Elle est sondée, incantatoire. Et, ressort de ce récit sans schéma narratif, l'opoponax du titre surgit avant la fin, conviant le lyrisme sous les traits facétieux de l'élément perturbateur, pour éclore enfin dans la beauté de l'expression du sentiment amoureux des premières fois.
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Comment est-il possible que L’Opoponax de Monique Wittig, pourtant couronné du prix Médicis en 1964, soit ensuite passé totalement sous les radars de la littérature française ? Comment est-il possible qu’aucun extrait, aucune mention de ce titre n’ait jamais croisé mon chemin d’ex-étudiante de Lettres et future ex-prof de français, alors même que le nom de son auteure ne nous est, par ailleurs, et ce n’est que justice, pas inconnu – seulement depuis une période récente, certes –, alors que Marguerite Duras, l’idole de nos vingt ans, l’avait finement postfacé ? Lesbienne féministe, devancière et radicale, Wittig a subi l’anathème pour ses idées, et, par ricochet, ce magnifique récit, universel et poétique, connut le purgatoire (l’édition brochée est épuisée !).
Sortez ce texte de l’oubli aujourd’hui : gageons qu’il va vous ramener à votre enfance mieux qu’une madeleine, qu’il deviendra, pour certains, votre livre culte, votre livre de chevet. Pour peu que vous ayez passé la première page et compris le principe – on passe sans transition ni contextualisation d’une scène à une autre – vous deviendrez le corps-même de l’écriture, physiquement revenu à votre hauteur d’enfant, projeté derrière le pupitre à encrier que vous n’avez peut-être pourtant jamais connu. La magie de cette écriture de soi, écriture de l’intime qui ne dit jamais « je », c’est qu’elle restitue cette atemporalité de l’enfance, qu’elle fût vécue dans les années 40, 80 ou 2000, qu’elle se passât en Alsace, en Haute-Marne ou à Paris : la campagne, le village, sont ceux d’avant la ville, d’avant l’âge adulte. Peut-être ceux de votre mère, ou ceux de votre fils. On est Catherine Legrand. On est Catherine Legrand et Véronique Legrand, la petite sœur, qui elle aussi devient mythique. On est les enfants de l’école de campagne. Les filles de l’école de filles. Dans cet âge d’or de l’enfance, on est sauvage, comme les animaux qu’on recueille, on se bat avec la rage de tout son corps contre les garçons. On apprend la mort. On apprend aussi que les enfants d’aujourd’hui ne sont pas plus durs que ceux d’hier.
Le style de L’Opoponax nous habite. Cette déferlante d’évocations, aussi rudes que méticuleuses, sa mélodie vous reviendra le soir avant de dormir. Nous sommes les yeux de l’enfant qui ne sait pas tout nommer et utilise des périphrases objectives, nous sommes dans le pronom « on » de cette marmaille encore ni fille, ni garçon – à nous d’en échafauder notre interprétation. On se dit : Oui, c’est vrai, j’ai fait ça. Et puis, une description de ciels, une énumération de noms de fleurs des champs, décrochent le lecteur du temps révolu pour le transporter dans le monde poétique de la beauté. Cela pourrait sembler répétitif et circulaire, cependant le récit évolue. On est au collège, peut-être. La littérature apparaît. Elle est sondée, incantatoire. Et, ressort de ce récit sans schéma narratif, l’opoponax du titre surgit avant la fin, conviant le lyrisme sous les traits facétieux de l’élément perturbateur, pour éclore enfin dans la beauté de l’expression du sentiment amoureux des premières fois.
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Une lecture éprouvante! Dans ce texte, la narratrice décrit tout à la troisième personne du singulier: on fait ceci, on fait cela, Catherine Legrand fait ci et ça; c'est assez insupportable. On peut dire qu'en effet c'est un tour de force d'écrire tout un livre avec ce style mais tout de même pourquoi infliger ça au lecteur?! Sur 50, 100 pages d'accord mais là sur 250 pages c'est extrêmement pénible. Ce style descriptif, objectif, annihile toute émotion. La succession de phrases courtes construites de la même façon donne l'impression de ne pas pouvoir reprendre son souffle. L'auteur retranscrit bien l'enfance, ses jeux et ses cruautés mais cela aurait été tellement mieux avec une narration "normale" et moins répétitive. J'ai vraiment eu beaucoup de mal à aller jusqu'au bout... Dire que ce texte a reçu le prix Medicis me dépasse d'autant qu'on rapproche souvent Monique Wittig de Violette Leduc qui elle n'a jamais reçu aucun prix et à part leur homosexualité il n'y a absolument aucun point commun en terme d'écriture. Bref, je n'adhère pas!
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La Pensée straight est un ouvrage fondamental, fondateur. Avec cet essai, Monique Wittig déconstruit la norme culturelle hétérosexuelle qui s’est imposée sous le prétexte de la naturalité et qui oblitère tout débat et toute possibilité de sortir des rapports dominants/dominés. C'est un essai de pensée critique radical et rigoureux qui invite à sortir de la prétendue universalité du système androcentré patriarcal, capitaliste, raciste et validiste.
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