Dans L'usage de la parole, Nathalie Sarraute renoue avec la forme courte de son premier roman Tropismes. Mais comme chez beaucoup d'écrivains du XVIIIe (je pense à Sterne ou à Diderot), l'auteur se met en scène, tel un présentateur, pour lier toutes ces situations autonomes où les mots, les paroles, déclenchent de petits drames, engendrent émotions et réactions, découvrent toutes les violences psychiques contenues dans l'anodin et le banal. Sarraute, par ses adresses permanentes au lecteur, ses interpellations, crée un effet de loupe sur ces instants fugaces que nous ne pouvons percevoir clairement dans la réalité.
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Elle est là, encore une expression-titre dans l'œuvre de Sarraute. Expression qui déclenche les mouvements tropismiques chers à l'auteur du Planétarium. Ce qui est là est une idée, idée qui ne semble pas coller avec celle d'un personnage qui est convaincu de détenir la vérité. Mais quel est le là ? Où se situe-t-il ? Chez un autre personnage au départ, puis, ce personnage étant parti, cette idée rebelle est partout, telle une obsession, hantant la pensée du "petit dictateur". Obsession d'autant plus grande que le personnage n'a seulement connaissance que de l'existence de cette idée et ne connaît rien de sa définition puisqu'elle n'a jamais été citée par le contradicteur. Sujet anodin en apparence, mais pouvant porter à de sombres conséquences.
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Tout débute de manière assez habituelle dans ce roman-poème. Habitude sarrautienne bien entendu, puisque le lecteur ne peut s'accrocher à aucun personnage, à aucune intrigue. Mais nous avons tout de même une scène familiale, des enfants autour de leur grand-mère. Elle est l'objet de toutes les attentions lorsque soudainement cela bascule quand elle est désignée comme "mignonne". On est alors transporté dans un autre lieu où l'on écoute d'autres voix. On explore alors des situations troubles où ce qui est au centre des tropismes est l'assignation à un caractère ou à une étiquette par des mots, des adjectifs, forcément réducteurs, comme dans l'expression-titre "disent les imbéciles". Sujet passionnant et toujours parsemé de drôleries, mais qui nécessite une lecture attentive et soutenue.
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De nombreuses oeuvres de Sarraute ont pour point de départ des déclenchements tropismiques un positionnement esthétique, l'affirmation d'un goût artistique et la volonté de son partage. Dans "C'est beau", l'oeuvre d'art, source de débats et d'épanchements entre un couple et leur fils, devient une abstraction, s'effaçant au profit des tensions et pulsions qu 'elle engendre chez chacun d'eux. Dans cette pièce, on s'interroge sur la banalité d'une expression comme "c'est beau" ou "c'est chouette" et l'insatisfaction qui s'en dégage par son caractère inévitablement réducteur. C'est tout le projet sarrautien condensé dans cette courte pièce : donner vie à des réalités changeantes, mouvantes et infinies en jouant avec les contraintes et les limites d'une langue.
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Avec les tropismes, Nathalie Sarraute avait trouvé son filon. Sans dévier de sa ligne, elle a creusé toujours plus avant pour nous offrir une littérature poétique, émouvante et sensible, mais aussi très drôle. Et une lecture chronologique de son œuvre met au jour cette exploration toujours plus poussée de vibrations, d'émotions, de commotions, d'excitations intérieures, qui s'affranchissent progressivement de tout personnage et de toute intrigue. Dans "Vous les entendez ?", le temps est étiré à l'extrême et la voix narrative, navigant continuellement d'un vieux père à ses enfants, permet de s'attacher véritablement à ce qui vit et transpire chez chacun plutôt qu'à une fausse et réductrice caractérisation. Ainsi, le vieil atrabilaire est aussi le père aimant et aimé, et les jeunes impertinents d'attendrissants rejetons.
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Troisième pièce écrite par Nathalie Sarraute, encore une fois pour une diffusion radiophonique, avant d'être mise en scène au théâtre par Claude Régy en 1973, "Isma" met encore en valeur la force comique des dialogues sarrautiens. Mais cet humour laisse voir aussi la cruauté d'un groupe de personnages à l'encontre d'un couple absent. Conséquence d'une sensation indéfinissable mais dérangeante perçue en leur présence et que chaque membre va tenter, avec plus ou moins de réussite et de ridicule, d'identifier.
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Nathalie Sarraute explore toujours plus avant le monde des sensations dans cet étonnant roman, où un écrivain avance entre la vie d'une écriture authentique et sincère, préservée des influences extérieures, et son opposée, une morte, guidée par les stéréotypes et l'académisme, percluse de clichés et d'images figées.
Bien que le lecteur mal exercé puisse se sentir désorienté par une composition éclatée et avare en points d'appuis, il ne pourra que se réjouir de lire et relire une œuvre vivante, belle et souvent drôle.
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Cette courte pièce serait comme le deuxième volet d'un diptyque avec Le Silence. Après les tourments engendrés par le mutisme d'un personnage dans la première pièce, les protagonistes du Mensonge sont confrontés à l'intransigeance de Pierre (eh oui! Nathalie Sarraute a donné des prénoms à ses personnages!) qui ne peut souffrir le moindre tort fait à la vérité. Une pièce tout aussi drôle que la précédente.
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Cette première pièce de Sarraute écrite pour la radio est une drôle de petite pépite. Contrairement à ce qu'affirment beaucoup de lecteurs, Le Silence n'a rien de psychologique, comme toute l'œuvre de Sarraute d'ailleurs. Les personnages ne parlent pas de leurs angoisses et de leurs émotions, mais ils agissent et parlent à partir de ces angoisses et de ces émotions, ce qui est bien différent. Cette pièce est ainsi comme une petite peinture de notre irrépressible besoin de contact et de sociabilité, besoin qui nous plonge dans des béances insondables lorsqu'il est contrarié par un inexplicable silence.
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Oui, bien sûr, il y a des gens qui parlent, qui se disputent à propos d'un roman. Un roman que l'on admire à sa sortie, que l'on encense même, le plus grand livre de ces quinze dernières années... pour mieux le faire tomber de son piédestal quelque temps après. Peu importe que ce soient les mêmes qui soufflent le chaud et le froid, peu importe le sujet.
Comme dans toute l'oeuvre de Sarraute, l'essentiel est ailleurs. On revient toujours à ces tropismes. Ces mouvements intérieurs, ces sensations qui affleurent et qu'il est très difficile de définir. Tout ce qui vit en chacun lorsqu'on se parle, qu'on se regarde, qu'on se croise. Mouvements, sensations qui, lorsqu'il s'agit de débattre de la valeur d'un livre, débordent, jaillissent et frétillent dans un formidable élan de vie.
Commenter  J’apprécie         30 ![Le Planétarium par Sarraute Le Planétarium](/couv/cvt_Le-Planetarium_7522.jpg)
Le Planétarium est le premier roman de Sarraute n'employant plus la voix d'un unique narrateur-personnage. Comme son titre l'indique, on se trouve plongé dans un univers de voix fragmenté, univers forcément factice, Sarraute ne trichant pas avec son lecteur. Mais à lire les quelques critiques, on sent que le lecteur aime quand on se joue de lui, et souhaite voir une lanterne quand on lui tend une vessie sous les yeux.
Cette ouverture narrative entraîne donc des erreurs de sens chez le lecteur et des retours en arrière pour retrouver le bon chemin: "Ah! Mais ce n'est pas Alain qui parle? C'est Germaine..." Je comprends que cela agace beaucoup de monde, mais c'est pourtant ce que la littérature devrait toujours offrir: la liberté de construire ses propres chemins de lecture et de sens et faire le choix de l'activité du lecteur plutôt que la passivité. En parodiant une image sarrautienne, je n'aime pas les auteurs qui, du haut de leur notoriété, serrant notre nuque d'une main ferme, nous imposent leur "vérité".
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Paul Valéry et l'enfant d'éléphant paraît dans les Temps modernes en 1947. Nathalie Sarraute n'a aucune notoriété à ce moment là, mais cela ne l'empêche pas de se moquer de l'œuvre et de la posture de Paul Valéry, ainsi que de ses nombreux thuriféraires, avec beaucoup d'humour et d'ironie. Si cette petite critique du monde des lettres est donc très drôle, elle permet de comprendre aussi la conception très nette que Nathalie Sarraute a de la littérature, conception qui se confirme dans l'autre essai bien postérieur, Flaubert le précurseur, où le psychisme, les mouvements intérieurs qui constituent notre rapport au réel, doit être la matière première du roman.
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Portrait d'un inconnu, composé pendant la Seconde Guerre mondiale et publié en 1947, scrute encore les nouveaux paysages littéraires explorés par le recueil Tropismes.
Un narrateur confronté à ces mouvements intérieurs, ces vagues émanations molles et gluantes qui affleurent et se dégagent des personnages dans chaque situation d'échange, cherche à extraire et décrire ceux et celles entraperçus chez un vieux bourgeois, veuf et avare, et chez sa fille. Le roman avance et recule au gré des découvertes, des enthousiasmes et des déceptions du narrateur dans son travail de composition, lui qui ne peut se borner à écrire, en plein XXe siècle, comme Balzac ou Tolstoï. Et cette exploration ouvre une brèche dans le temps, à la manière de Proust, comme une expansion des sensations de vie par la littérature.
Commenter  J’apprécie         120 ![Le Silence par Sarraute Le Silence](/couv/cvt_Le-Silence_9087.jpg)
Mon erreur, ma "faute", encore que provincial et "confiné", je bénéficie d'amples circonstances atténuantes, c'est de n'avoir pas vu jouer la pièce avant de la lire.
Car ladite pièce fut écrite pour la radio avant que le théâtre et Jean-Louis Barrault s'en emparent.
Car ladite pièce reposait sur des "voix", non pas celles de Jeanne, encore que... mais vous l'aurez compris, sur ces sons et ces mots émis par des cordes vocales.
Point d'incarnation(s), point de visages, point de regards... juste des voix... !
De quoi dérouter n'importe quel spectateur en quête de personnages.
Donc, ce soir, on improvise... ont dû se dire les premiers d'entre ceux qui ont assisté à la première.
Ce que j'ai ressenti à la lecture de cette oeuvre de Nathalie Sarraute, c'est ce que j'appellerais le syndrome de l'ascenseur... vous savez cette gêne, ce mal- être bien connu , bien décrit et pas trop mal analysé par les psys, de ces inconnus qui se retrouvent enserrés dans un espace confiné et étroit pour un temps qui, à leurs yeux, n'en finit pas, et ne savent plus quoi faire d'eux-mêmes. Tous les codes sociaux sont alors, le temps de quelques étages, bousculés.
On ne sait plus où poser ses yeux, la pensée et le corps semblent tout ensemble être inhibés.
Tel est un peu le thème de ces sept voix, non incarnées... juste sexuées. Il y a deux hommes "H1 et H2", et trois femmes " F1, F2 et F3" qui se retrouvent face à un homme silencieux ( lui a un prénom ) Jean-Pierre, dont le silence va agir un peu comme agit celui du psy en face duquel vous vous trouvez... et auquel vous passez des banalités des débuts aux spasmes vomis par votre inconscient au fur et à mesure que les séances avancent.
Ce silence que ces six personnages ne savent pas interpréter, va générer chez chacun d'entre eux un mal-être ( pensez à l'ascenseur et à la séance du psy ) qu'ils vont traduire par des mots réactions qui vont aller de l'insignifiant au douloureusement signifié.
Thème très intéressant s'il en est, et dont j'espérais davantage que ce que j'en ai retiré.
Une fois encore, je n'impute pas la faute à l'auteure, mais au fait de ne pas m'y être pris comme je l'ai mentionné précédemment : 1) Aller voir la pièce au théâtre - 2) Lire la pièce.
Au final, j'ai ressenti ce qu'un critique en a dit lors de sa création : " C'est mince, intelligent, subtil, ravissant et un peu ennuyeux."
PS : théâtre psychologique... à relire !
Commenter  J’apprécie         370 ![Lettres d'Amérique: (1964) par Sarraute Lettres d'Amérique: (1964)](https://images-eu.ssl-images-amazon.com/images/I/41EacQrKZeL._SX95_.jpg)
Ces Lettres montrent une Amérique en pleine révolution culturelle et l'accueil triomphal reçu là-bas par la nouvelle littérature française. Olivier Wagner a établi et annoté, ainsi qu'excellemment préfacé, cet ensemble de lettres de Nathalie Sarraute qui offrent un aperçu inédit de la personnalité d'une des écrivaines majeures du XXe siècle. Lauréate du Prix international de littérature en 1964, elle a connu le rare honneur d'être publiée de son vivant dans la Bibliothèque de la Pléiade. Ce recueil contient vingt-quatre lettres rédigées entre le 1er février et le 14 mars 1964 au cours d'une tournée de conférences aux Etats-Unis (New York, Harvard, Boston, Madison, Chicago, San Francisco, Los Angeles, Dallas, La Nouvelle-Orléans, Washington) dans un style heurté, presque télégraphique. Elles constituent en outre un témoignage remarquable de la profonde communion intellectuelle et sentimentale du couple constitué depuis 1925 par Nathalie et Raymond Sarraute.
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Bonheur que de lire Sarraute dont j’aime l’écriture. Peut être sur le fond celui-ci est il’plus aigu qu’Enfance mais tout de même
Commenter  J’apprécie         10 ![Pour un oui ou pour un non par Sarraute Pour un oui ou pour un non](/couv/cvt_Pour-un-oui-ou-pour-un-non_3463.jpg)
La pièce est dans un premier temps enregistrée et diffusée par Radio France en décembre 1981, avant d'être publiée au début de 1982. Elle sera créée sur scène pour la première fois à New York, en 1985 dans une mise en scène de Simone Benmussa, qui assurera également la première mise en scène française en 1986, sur la petite scène du théâtre du Rond-Point. C'est la dernière pièce écrite par Nathalie Sarraute, et celle qui est la plus jouée, en France et à l'étranger. C'est la seule qu'il m'ait été donné de voir sur une scène, au Lucernaire il y 7-8 ans.
Deux hommes, H1 et H2, amis de longue date. H1 vient voir H2 et lui demander pourquoi il semble l'éviter. Après de grandes réticences, ce dernier évoque un incident mineur, dans lequel H1 aurait fait preuve de condescendance à son encontre. H1 proteste, des voisins appelés pour juger le différent ne comprennent pas où est le problème, mais petit à petit, le ressenti mineur fait ressurgir d'autres événements microscopiques mais qui ont laissé des traces, chacun des deux hommes au final en veut à l'autre, sans pouvoir donner, pour étayer leur antagonisme, que des petits faits d'une grande banalité, sans rien de vraiment grave à chaque fois, et qui sont extrêmement subjectifs à évaluer. Mais qui au final font apparaître une vision de l'existence, des valeurs, qui ne sont pas les mêmes, et qui rendent l'autre odieux.
C'est vraiment une pièce très réussie, peut-être la plus aboutie de Nathalie Sarraute, ce qui fait regretter qu'elle soit la dernière, parce qu'au final, malgré la paradoxe du tropisme, si difficile en théorie à faire apparaître sur scène, cela marche très bien ici. La parole oblige à traquer le presque invisible au quotidien, ce qui fait réagir instinctivement sans forcément mettre des mots dessus : le dialogue théâtral permet une analyse du phénomène. Ce qui paraît aller de soi, ce qui est le comportement « normal » dans une société, est en réalité une convention, une norme imposée subtilement, et intégrée de manière inconsciente : le bonheur, la réussite, la pertinence même de ces catégories, est discutée dans la pièce. Sans en avoir l'air, à partir de quelques micro-événements quotidiens, comme tout le monde en vit l'auteur analyse le phénomène. Ce qu'on appelle amitié, ce qui lie ou sépare les individus, est aussi examiné. Au terme du processus, exprimer leurs ressentis, aller traquer au plus profond l'authenticité subjective d'une interaction, met en évidence l'incompatibilité des deux « amis » : ce qui rendait leur relation supportable, était que chacun garde pour soi l'agacement vis-à-vis de l'autre, et un sentiment de supériorité lié à l'incompréhension supposée de celui d'en face. Dire met en lumière la faille qui les sépare, sans aucun moyen de la réduire. C'est un constat d'incompatibilité définitive.
C'est à la fois très riche et complexe, sans empêcher une grande efficacité dramatique. La pièce est magistralement construite, avec une progression au niveau du dévoilement de la thématique, tout en étant très drôle. Une grande réussite.
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