AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782070374359
149 pages
Gallimard (11/02/1983)
3.63/5   43 notes
Résumé :
Dans cet ouvrage, Nathalie Sarraute a repris, en la développant, la forme poétique de ses premiers textes brefs, Tropismes. Chacun de ces textes a été suscité par certaines paroles qui lui ont paru particulièrement riches en potentialités insoupçonnées. Insoupçonnées, soit parce que l'impact de ces paroles reste méconnu, soit parce qu'il est enseveli sous un amoncellement de représentations convenues, comme lorsqu'elles touchent aux thèmes éternels de l'amour et de ... >Voir plus
Que lire après L'Usage de la paroleVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique

Une quarantaine d'années après Tropismes, Nathalie Sarraute poursuit sa réflexion et apporte des réponses là où elle nous avait laissés avec nos interrogations sur le lien entre ces fameux tropismes et le langage. Elle les situaient à la limite de la conscience, en amont du langage, à la base de l'ensemble des comportements humains, des actions, des sentiments.
Dans l'usage de la parole, elle reprend le procédé des très courts textes, au nombre de dix ici, indépendants les uns des autres. Petits exercices de style, les saynètes, toujours empreintes de poésie et d'une légère irréalité, sont inspirées, pour chacune d'entre elles, par des expressions toutes faites, des locutions, des bouts de phrases extraits de la langue courante, "Et pourquoi pas", "Ne me parlez pas de ça", "Eh bien quoi, c'est un dingue"...
Dans chaque texte, Nathalie Sarraute s'emploie de manière magistrale, en alliant concision, précision et étrangeté, à décortiquer, démonter des situations, comme un horloger le ferait avec une pendule. Des personnages, souvent des silhouettes anonymes, des poupées découpées dans le carton par des enfants selon les pointillés, se rencontrent, dans la rue, au café, échangent des paroles. Les mots prennent vie et indépendance; ils s'autonomisent au regard des locuteurs et de ceux qui les reçoivent. Ils viennent se ficher dans un coin de leur cerveau, déclenchant des réactions inattendues.
L'effet est saisissant, les personnages s'estompant derrière les mots.
Avec une démarche quasi scientifique, l'autrice dissèque les mécanismes de la conversation, les silences, les relances, les attentes à l'égard de l'interlocuteur, les méprises, les déceptions, et c'est là qu'elle fait le lien entre les tropismes et le langage, par l'intermédiaire de ce qu'on pourrait dénommer psychologie.
Et soudain la conversation dérape, les mots sont vides de sens, ou bien comme elle le dit, ils n'ont plus de terrain d'atterrissage.
Parfois, les paroles ont des espaces vides en elles, des espaces vides qui ont plus de poids que n'en ont les paroles.
Les mots peuvent être porteurs de halo de lumière ; ils transcendent les êtres qu'ils touchent, comme le mot amour. Ils servent de révélateurs, et comme sur une image photographique, ils font apparaître l'autre. N'est-ce pas le travail de l'écrivain qui est décrit de cette manière ?
Hormis le premier texte consacré aux derniers mots de Tchekhov sur son lit de mort, Ich sterbe, "je meurs" en allemand, la tonalité générale est plutôt alerte, légère, ludique. Nous sommes dans le registre des jeux de mots que Nathalie Sarraute souhaite partager avec ses lecteurs. Elles les interpellent, les associent, les intègrent au raisonnement.
Dix petits bijoux littéraires à lire et relire, pour en retirer toute la sève et l'intelligence. Un cinq étoiles bien mérité.



Commenter  J’apprécie          345
Dans L'usage de la parole, Nathalie Sarraute renoue avec la forme courte de son premier roman Tropismes. Mais comme chez beaucoup d'écrivains du XVIIIe (je pense à Sterne ou à Diderot), l'auteur se met en scène, tel un présentateur, pour lier toutes ces situations autonomes où les mots, les paroles, déclenchent de petits drames, engendrent émotions et réactions, découvrent toutes les violences psychiques contenues dans l'anodin et le banal. Sarraute, par ses adresses permanentes au lecteur, ses interpellations, crée un effet de loupe sur ces instants fugaces que nous ne pouvons percevoir clairement dans la réalité.
Commenter  J’apprécie          00

Citations et extraits (4) Ajouter une citation
Sur cet être les paroles chargées de sens, lourdes d'idées n'ont plus prise... elles ne prennent plus. Nul lieu où se poser, plus de terrain d'atterrissage... comme dans l'apesanteur elles flottent, volettent... son regard de fauve, de maniaque les observe, il les attrape, les presse, les écrase, leur sens gicle, s'éparpille, et il écoute ravi le bruit que font en tombant, renvoyées par lui là-bas, leurs enveloppes flasques... les paroles que lui-même produit ne sont que des simulacres, il les emplit de faux-semblants, de faux-fuyants, il en fait des attrapes, il s'en sert pour faire des niches, des farces, de bonnes blagues, quand il a la chance de trouver devant lui quelqu'un comme celui-ci, qui s'y prête bien, qui "marche" à tous les coups.
Il serait rassurant de découvrir, dissimulée, quelque part en lui, une idée, une croyance qu'au moyen de ces subterfuges et de ces jeux il chercherait à protéger, à défendre... une conduite propre aux êtres humains et connue sous le nom de " mauvaise foi ".
Mais il n'y a ici, c'est évident, aucune foi, mauvaise ou bonne, aucune foi d'aucune sorte.
Commenter  J’apprécie          194
Ich sterbe. Qu'est-ce que c'est ? Ce sont des mots allemands. Ils signifient je meurs. Mais d'où, mais pourquoi tout à coup ? Vous allez voir, prenez patience. Ils viennent de loin, ils reviennent (comme on dit : « cela me revient ») du début de ce siècle, d'une ville d'eau allemande. Mais en réalité ils viennent d'encore beaucoup plus loin... Mais ne nous hâtons pas, allons au plus près d'abord. Donc au début de ce siècle - en 1904, pour être plus exact - dans une chambre d'hôtel d'une ville d'eaux allemande s'est dressé sur son lit un homme mourant. Il était russe. Vous connaissez son nom : Tchekhov, Anton Tchekhov. C'était un écrivain de grande réputation, mais cela importe peu en l'occurrence, vous pouvez être certains qu'il n'a pas songé à nous laisser un mot célèbre de mourant. Non, pas lui, sûrement pas, ce n'était pas du tout son genre. Sa réputation n'a pas ici d'autre importance que celle d'avoir permis que ces mots ne se perdent pas, comme ils se seraient perdus s'ils avaient été prononcés par n'importe qui, un mourant quelconque. Mais à cela se borne son importance. Quelque chose d'autre aussi importe. Tchekhov, vous le savez, était médecin. Il était tuberculeux Et il était venu là, dans cette ville d'eaux, pour se soigner, mais en réalité, comme il l'avait confié à des amis avec cette ironie appliquée à lui-même, cette féroce modestie, cette humilité que nous lui connaissons, pour « crever ». « Je pars crever là-bas », leur avait-il dit. Donc il était médecin, et au dernier moment, ayant auprès de son lit sa femme d'un côté et de l'autre un médecin allemand, il s'est dressé, il s'est assis, et il a dit, pas en russe, pas dans sa propre langue, mais dans la langue de l'autre, la langue allemande, il a dit à voix haute et en articulant bien « Ich sterbe ». et il est retombé, mort.

Et voilà que ces mots prononcés sur ce lit, dans cette chambre d'hôtel, il y a déjà trois quarts de siècle, viennent ... poussés par quel vent ... se poser ici, une petite braise qui noircit, brûle la page blanche ... Ich sterbe.

2000 - [Folio n° 1435, p. 11/12]
Commenter  J’apprécie          62
"Si tu continues, Armand, ton père va préférer ta soeur"...Je n'y avais pas fait attention, vous ne me croirez pas, mais je n'avais pas remarqué : "Si tu continues... va préférer..." obnubilé que j'étais par les seuls mots qui ressortaient : "Ton père" "Ta soeur"... je ne voyais qu'eux. J'aurais pu aussi bien, j'aurais dû, comment n'y ai-je pas penser, je suis si loin de vous parfois, ce qui s'appelle sur une autre planète...j'aurais dû vous proposer : "Tu sais, Armand, ton père ira chercher ta soeur au train du soir." "Tu sais, Armand, ton père va accompagner ta soeur chez le médecin." Ou bien n'importe quoi où seuls les mots "Ton père. Ta soeur" ressortent... Mais j'ai dans mon inconscience, ma folie, pris cette phrase qui s'était un jour présentée à moi. Elle me paraissait parfaitement satisfaisante... "Si tu continues, Armand, ton père va préférer ta soeur." Oui, je le vois maintenant, c'est "Si tu continues" et "va préférer" qui s'avancent au premier plan... "Ton père. Ta soeur" s'enfoncent. Comme dans ces dessins où l'on voit tantôt les losanges noirs, tantôt les losanges blancs... Il suffit que notre regard arrive à faire une certaine gymnastique.
Commenter  J’apprécie          110
Voici deux autres interlocuteurs quelconques, qui échangent des propos comme tous ceux qu'on échange… ils discutent d’événements, ils émettent des opinions… Rien de plus banal… Mais il faut encore un peu de patience.
Celui qui parle vient, comme cela se fait dans une conversation, d'évoquer… mettons, un fait et d'en tirer des conséquences, de faire part d'un raisonnement… Sur quel ton ? Oui, le ton c'est bien vrai, a une grande importance. « C'est le ton qui fait la musique », · disait un vieux dicton… Mais il n'y a rien de particulier à relever dans son ton. C'est un ton sérieux, qui marque la réflexion, qui' porte la trace de la conviction, le ton de quelqu'un. qui s'adressant à quelqu’un d'autre pense que ce qu'il vient de dire mérite une réponse. Il se tait donc pour la laisser venir et avec confiance il l’attend.
Et elle ne vient pas ? Mais si, on est entre gens qui connaissent les règles de la conversation. Elle vient. Et l’intérêt est dans la réponse ? Oui, l’intérêt commence là.
Commenter  J’apprécie          20

Lire un extrait
Videos de Nathalie Sarraute (21) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Nathalie Sarraute
Retrouvez les derniers épisodes de la cinquième saison de la P'tite Librairie sur la plateforme france.tv : https://www.france.tv/france-5/la-p-tite-librairie/
N'oubliez pas de vous abonner et d'activer les notifications pour ne rater aucune des vidéos de la P'tite Librairie.
Quand on s'interdit les facilités et les conventions en usage dans le roman, et qu'on poursuit dans une voie purement littéraire, à l'exemple du nouveau roman, quel est le thème qu'aucun écrivain d'avant-garde ne songerait jamais à aborder ?
« Enfance » de Nathalie Sarraute, c'est à lire en poche chez Folio.
+ Lire la suite
autres livres classés : nouveau romanVoir plus
Les plus populaires : Littérature française Voir plus


Lecteurs (137) Voir plus



Quiz Voir plus

Nathalie Sarraute et son œuvre

Dans quel pays est née Nathalie Sarraute ?

France
Royaume-Uni
Pologne
Russie

10 questions
40 lecteurs ont répondu
Thème : Nathalie SarrauteCréer un quiz sur ce livre

{* *}