Lettre 57
le 19 août 1960
Ma chère, ma bonne Nelly,
Reçois un merci, un merci de tout coeur pour ta lettre !
C’est toujours aussi difficile pour toi et pourtant, bien chère, tu trouves des paroles – non, des cadeaux-paroles – pour nous !
Nelly, chère ! Je vois, le filet est encore là, il ne se laisse pas éloigner en un tour de main...Et pourtant il est à éloigner, il peut et doit être éloigné pour tous ceux dont tu te sais proche, pour cette proximité, pour ta vivante proximité ! Tu as tes mains, tu as les mains de tes poèmes, as les mains de Gudrun – ajoute-leur les nôtres, je t’en prie ! Ajoute tout ce qui autrement est encore main et secourable et aimerait rester main et secourable à travers toi, à travers ton être-là, ton être-là et-chez-toi et-chez-toi-à-l’air-libre, prends cela, je t’en prie, laisse-le être là, par ce pouvoir-être-vers-toi-aujourd’hui-et-demain-et-longtemps !
Je pense à toi Nelly, toujours, nous pensons, toujours, à toi et à ce qui est vivant à travers toi ! Te rappelles-tu encore, lorsque nous parlions une deuxième fois de Dieu, dans notre maison qui est la tienne, celle qui t’attend, te rappelles-tu encore ce reflet d’or qui était sur le mur? C’est toi, c’est ta proximité qui rendent de telles choses visibles ; elles ont besoin de toi au nom également de ceux dont tu te sais et te sens si proche, elles ont besoin de ton être-ici-et-parmi-des-êtres-d’humanité ; elles auront besoin de toi encore longtemps, elles cherchent ton regard – : ce regard, envoie-le de nouveau dans ce qui est ouverture, donne-lui tes paroles vraies, tes paroles libératrices, confie-nous à ce regard, nous tes compagnons de vie, tes accompagnateurs de vie, donne-nous d’être, nous les êtres libres, les êtres les plus libres de tous, d’être-les-debout-avec-toi-dans-la-lumière !
Regarde, Nelly : le filet est enlevé ! Regarde, Nelly, elle est là la main de Gudrun, elle a aidé, elle aide ! Regarde, d’autres mains encore aident ! Regarde : la tienne aide aussi ! Regarde : il se fait clair, tu respires, tu respires librement. Tu nous restes, je sais, tu nous restes, nous le savons, tu es, avec tout ce qui t’es proche, et aussi tout ce qui de si loin t’est proche, là et ici et chez toi et chez nous !
Ton Paul reconnaissant, ton Paul
qui t’est reconnaissant du
plus profond du coeur !
Traduction de Mireille Gansel | pp. 56-57.
De Nelly Sachs à Paul Celan, Stockholm, 2 Juillet 1960 (lettre 46)
Celui-ci se dresse –
Silence silence silence –
plus rien le soleil n’inscrit
et une couronne de sommeil grandit
autour de lui
qui s’étendit vers les hauteurs
plus haut
jusqu’à la fin.
Sommeil grandit bien en sabliance
silence silence silence –
Lui ô Lui
garde son sable
inéveillé -
le cosmos prend son souffle
de lui
qui répand ses vrilles
divinement faucillées –
Humainement dessiné
le sable dort
legs de l’amour –
Silence silence silence –
quand celui-ci s’étend plus loin
le bourgeon s’anime dans le sel.
Pour Paul
de Nelly
- - -
Von Nelly Sachs an Paul Celan, Stockholm, 2.7.1960 (Brief 46)
Einer steht –
Schweigen Schweigen Schweigen –
nichts schreibt mehr die Sonne ein
und ein Kranz des Schlafes wächst
um ihn
der sich hoch gereckt
höher
bis ans Ende.
Schlaf wächst schon in Sandigkeit
Schweigen Schweigen Schweigen –
Er o Er
läßt seinen Sand
ungeweckt –
Weltall nimmt den Atem ab
ihm
der seine Gewinde
Gottgesichelt fallen läßt –
Menschgezeichnet
schläft der Sand
Hinterlassenschaft der Liebe –
Schweigen Schweigen Schweigen –
wenn der eine fort sich reckt
setzt die Knospe an im Salz.
Für Paul!
von Nelly
in Paul Celan / Nelly Sachs : Briefwechsel, Suhrkamp 1993.
Traduit de l’allemand par Jean-René Lassalle.
Samedi 19 septembre 2020 / 14 h
De Virginia Woolf à Emily Brontë...
Marie Cosnay est écrivaine, traductrice de textes antiques. Elle a récemment publié IF (L'Ogre, 2020), Les Enfants de l'Aurore (Fayard, 2019), Voir Venir. Écrire l'hospitalité avec Mathieu Potte-Bonneville (Stock, 2019), Vie de HB (Nous, 2016), Jours de répit à Baigorri (Créaphis, 2017) et Éléphantesque (Cheyne, 2018). Les Éditions de l'Ogre ont également publié Cordelia la Guerre (2015) Aquerò (2017) et épopée (2018). Marie Cosnay a reçu le Prix Nelly Sachs et le Prix Bernard Hoepffner pour sa traduction remarquée des Métamorphoses d'Ovide (L'Ogre, 2017).
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