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Critiques de Paul Veyne (150)
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Quand notre monde est devenu chrétien (312-394)

Ce livre d'un incroyant qui s'interroge est rafraichissant par le recul pris par l'auteur quand aux opinions courantes. Son avis très pragmatique, toujours solidement étayé et respectueux d'autres opinions possibles est une intéressante vision de la naissance du monde chrétien.
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Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes?

C'est un petit bouquin passionnant mais difficile parce que le sujet examiné réellement peut échapper au lecteur et devenir confus.

Les grecs ont-ils cru à leurs mythes ? C'est le sujet et si on prend la question au sens littéral on considèrera que le titre borne clairement la question.

Le problème c'est que ce questionnement est infiniment plus vaste qu'il en a l'air. le texte de l'essai de Veynes est aussi très ancré dans l'univers hellénique donc toute conclusion sera fortement subordonnée à ce contexte hellénique.

Dans notre univers largement désacralisé on ne se rend pas compte que énormément de portes ouvertes sont en fait pour nous autres fermées, quant on s'essaye à penser aux effets pratiques du numineux sur les individus, les milieux sociaux et sur les sociétés en général.

La Grèce est un univers profondément religieux ,activement ritualiste, et foncièrement pluraliste avec une liberté importante mais bornée par des règles subtiles.

Le mythe y est au centre de la vie individuelle ,sociale et politique et il s'exprime socialement dans des rituels exigeants et nécessaires. Les mythes sont aussi très inspirants au niveau des individus et des mentalités collectives. le mythe est aussi au centre de l'éducation ,de la poétique et de l'allégorique..

Il est un récit sensible conservé dans des sanctuaires qui sont affiliés à une tradition particulière et qui le conserve et le donne .Les versions sont souvent variées et la lecture et la compréhension du mythe grec est naturellement plural. Il est véridique .il a une portée « historielle » et symbolique .Il est donc bizarrement toujours vrai en fonction du contexte psycho-social et à plusieurs échelles (sourires).

Dans un univers religieux le numineux est tangible , autant qu'une pierre ou que le soleil ,car il est un consensus qui un tel un mortier imprègne toute la société et il fonde et exprime véritablement le réel. La croyance est un bonheur, un prétexte ou/et , un ciment.

La vie politique ,la guerre ,la médecine, les relations internationales ,la vie ,la mort des individus et des groupes sont reliés à une religiosité qui est connectée directement aux mythes qui sont inspirants et répétés réactualisé ,dans des rituels très contraignants à l'efficience notable.

On peut aussi à tort s'imaginer que le verbe croire renvoie à une réalité simple. Or non, la croyance est un espace qui par nature se complait dans la contradiction. La source du mythe actif socialement et de la croyance ,est donc contextuelle ,plurielle et multifactorielle. A ce titre le mythe est au-delà du vrai ou du faux et même hors du champs de la vérité mais non de celui du véritable. le mythe est un savoir qui me fait penser à la psychologie différentielle . Il est insaisissable, relatif et il est soluble dans des contextes différents ,concomitants , contradictoires ou non mais toujours vrai (sourire) .Il est aussi dans une temporalité subjective et littéralement dans un espace /temps variable et différent de celui du monde profane et de tout qu'il contient.

L'auteur examine aussi dans ce travail dense une forme d'incroyance particulière au monde grec. Les mythes étaient de manière admises des tautologies à interroger de manières différentielles en fonction de la variabilité et de la relativité de ce qui est réputé vrai et de ce qui est observable ou non .

En histoire les mythes et leurs contextes sont des sources historiques et donc l'auteur questionne cette matière complexe, riche en contradictions et aux ambigüités liées à la langue et aux formulations .

Bref un livre complexe et un cran au-dessus de la vulgarisation je trouve.

Je conclue en faisant référence à un évènement que Veyne n'exploite pas.

N'oubliez pas que Socrate est mort car accusé d'avoir mis en cause l'existence des dieux (Ce dont il semble s'être défendu cf. Platon) .Voilà , à bon entendeur salut !

Ps : Je vous recommande la lecture de : ,Les grecs et l'irrationnel, de E.R. Doddes

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Palmyre, l'irremplacable trésor

Je dédie ce commentaire à la mémoire Khaled Al Assad l'ancien conservateur du site de Palmyre qui fut assassiné le 18 aout 2015 par des intégristes de Daesh . Que sa mémoire soit fameuse et universelle ,de même que celle de ceux qui participèrent au prix de leur vie ,à ce sauvetage et dont l'histoire n'a malheureusement pas mémorisé les noms .

Ce monsieur parmi quelques autres , a personnellement enterré et fait enterré des vestiges inestimables pour les préserver de la folie meurtrière absolue qui a ravagé ce site extraordinaire et fauché la vie de bien des habitants de cette ville.

Mer Al Assad a néanmoins remporté une grande victoire posthume éclatante car vous pouvez désormais visiter Palmyre à son apogée, virtuellement et de manière vraiment gratifiante.

S'intéresser à Palmyre revient à s'intéresser à un point d'orgue de l'antiquité gréco-romaine et proche orientale.

L'histoire de cette cité et celle de sa culture spécifique renseigne sur l'univers linguistique ,religieux ,social ou politique du monde araméen. Et conséquemment sur l'univers antique sémite nord occidental qui comprend les peuples originellement araméens , hébreux, édomites ,phéniciens ,nabatéens,cananeens,ou ougaritique.

Palmyre démontre que le commerce international était très abouti dans cette antiquité aux marges du désert arabique et reliée au golfe persique (et donc à L'inde) comme à la méditerranée et à l'Égypte.

Comme les Nabatéens du Néguev ,les habitants de Palmyre étaient exposés à un stress hydrique phénoménal et autour de Palmyre se trouvent deux sites clefs qui permirent à cette citée de triompher durablement de la sècheresse chronique.

Un réseaux de collecte d'eau du type nabatéen a été reconstitué a Timna ,près d'Elath dans le Néguev en Israël. Ce réseau efficace, collecte l'eau des pluies saisonnières des pentes et des Nahal b et même il collecte partiellement la rosée .De manières incroyables, ces réseaux fonctionnent sur la base de la gravité comme ceux de Palmyre. Et ils débouchent sur des réservoirs.

L'histoire de Palmyre permet aussi de saisir le fonctionnement et la réalité juridique et sociale du statut de colonie romaine, car ce statut fut conféré à cette citée par l'empire. Il fut pratiqué de manière ambiguë du fait de la préservation exigente de la culture araméenne de cette ville-état qui intégra le grec utilement mais avec une claire marginalisation dans la pratique.

Palmyre a fourni du personnel politique à l'empire d'orient , peu certes , mais incontestablement . La ville a fait la place à de nombreuses cultures parmi celles qui l'environnaient mais sans se diluer dans son environnement. Palmyre fut très peu soluble malgré son apparence architecturale qui est aussi somptueuse que trompeuse.

L'épisode politique de conquête de Zénobie et l'avènement de son état résume bien cette spécificité durable de cette cité qui constitua alors une grande province syrienne et araméenne ,au bord de la sécession avec Rome Cette province débordait sur la Turquie contemporaine et même sur l'Egypte romaine de manière éphémère .Ce fut un épisode fulgurant et assez bref qui nous transporte au milieux du troisième siècle de l'ère commune dans un contexte complexe.

Palmyre, d'hier et d'aujourd'hui, vous l'aurez compris, a décidément beaucoup de choses à nous dire sur le passé et sur le présent.

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Et dans l'éternité je ne m'ennuierai pas : Souv..

P. Veyne, sur un ton qui reste toujours intéressant, nous raconte, mêlant approche chronologique et approche thématique, sa vie, sa carrière, ses combats. Il ne cherche pas à cacher ses petitesses ni ses grandeurs et ce livre fournit un témoignage souvent rapide mais intéressant concernant le regard d'un enfant sur l'Occupation, Michel Foucault, René Char, mai 68 (Veyne a souvent développé ces points ailleurs). Peut-être vaut-il mieux s'intéresser un minimum au monde antique pour apprécier complètement les pages qu'il consacre à ses recherches et à sa carrière.
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Palmyre, l'irremplacable trésor

Un petit livre instructif sur ce site que je ne connaissais pas , détruit par Daech en août 2015. La livre est dédié à Khaled al-Assaad, archéologue, directeur général des Antiquités de Palmyre de 1963 à 2003, assassiné pour « s’être intéressé aux idoles » le 18 août 2015 après avoir été supplicié, torturé et finalement décapité.



L’historien Paul Veyne, choqué par les évènements, essaie de nous esquisser un portrait de ce que fut Palmyre. On y découvre une ville très ancienne, une ville d’échanges, de marchands, une ville vivante, présentée en petits chapitres. Un des chapitres nous retrace la saga de Zénobie, la reine rebelle. En 1980, le site fut classé au patrimoine mondiale de l’Unesco.



Bien que petit, le livre est agrémenté de plusieurs photos. Nous pouvons admirer les temples du site (dédiés au dieu Bêl, protecteur de la ville), le théâtre, des bustes (funéraires ?) finement travaillés et une magnifique mosaïque de femme.

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Et dans l'éternité je ne m'ennuierai pas : Souv..

Intéressante (auto)biographie intellectuelle d'un historien se situant un peu dans l'historiographie de son temps et posant un regard assez lucide sur les heureux aléas de sa carrière (on dirait aujourd'hui de son parcours).



Moins convaincant : des passages plus personnels relevant de la fausse modestie, de la vanité, des traits de caractère peu enviables, ou des réflexions pouvant gêner la pudeur du lecteur - en dépit du plus grand relativisme en la matière, merci Veyne et Foucault, qui pourrait ôter sa valeur à une telle observation.



Enfin, on regrettera le style parfois pénible de ce texte : des répétitions, mais surtout, malgré les compétences grammaticales académiques de l'auteur, un emploi des temps verbaux fort instable : on relèvera par exemple l'absence dommageable, dans un récit rétrospectif, du futur dans le passé (ces formes en -rais), rendant plus léger qu'original le savant personnage-narrateur.
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Quand notre monde est devenu chrétien (312-394)

En retrouvant ce livre de Paul Veyne lu il y a une quinzaine d'années dans sa publication par les Éditions Albin Michel, j'aperçois un constellation d'etoiles, ici et là, plus que des lignes de texte soulignées.

Ai-je fait d'elles, alors, en les traçant vivement et attentivement des "astérisques du berger" pour retrouver, dans un hypothétique futur, ce qu'elles annonçaient ?...

En consultant de nouveau ces extraits de texte mis en évidence par une pointe de crayon aiguisée, j'exulte ! Car c'est souvent dans ses notes de bas de page, dans son glossaire ou entre parenthèses qu'une oeuvre cache ses trésors de finesse.

Le livre de Paul Veyne sur le commencement du devenir chrétien du monde n'échappe pas à cette règle ( lui qui les aimait aussi peu que les idées générales auxquelles il ne croyait pas) . Au milieu d'une nature foisonnante faite de bons grains et d'ivraie il a posé de savoureux "oeufs de Pâques" ( qui se sont peut-être imposés !)

Il ne faut surtout pas les chercher. On les trouve ! On voit même à travers eux en découvrant, soudainement, notre nature de voyant extra-lucide.

Leur jaune a la couleur de ce "soleil invincible" qui a précédé l'éclosion du Christianisme.

Il faut savoir le regarder en face.

En prenant nulle part ailleurs que dans sa lumière les précautions pour nos yeux.

Voir qu'il a survécu à tous éclats de sang et que... il ne s'ennuit pas dans l'Éternité.

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Le pain et le cirque

Le Pain et le Cirque, le plus remarquable peut-être de tous les livres sur le monde romain, par un des plus grands latinistes du monde de l’antiquité classique romaine.

Pour comprendre le fonctionnement de la plebs romana et le pouvoir des empereurs, au fil des plusieurs décennies et l’ascendant et le rôle qu’avaient les jeux du cirque sur les cerveaux d’une époque déjà lointaine mais qui n’est pas aussi différente de la nôtre, quoi qu’on puisse en penser.

La Bible pour tous les étudiants en Fac de lettres classiques et pour les amoureux de l’Histoire, des Hommes et de la Vie.
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Palmyre, l'irremplacable trésor

Aujourd’hui je vous emmène dans la cité de Palmyre à l’époque où elle était resplendissante. L’auteur qui a étudié l’Antiquité gréco-romaine a écrit cet essai suite à la destruction de la cité par les terroristes de Daesh et surtout par l’obscurantisme. J’ai apprécié cette immersion dans l’Antiquité surtout que je ne connaissais rien à celle-ci. J’ai beaucoup aimé! L’auteur ne parle que très peu de la destruction de 2015 , mais tout au long de ma lecture je n’ai pas cessé de penser à cette destruction totale.
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Foucault, sa pensée, sa personne

De Foucault, je ne connais quasiment rien. Un nom dans l’histoire contemporaine des idées. Une réputation exécrable d’homme impossible qui aurait poussé la liberté de sa pensée jusqu’à des confins bien trop dangereux pour le commun des mortels. Une image ? Un fond fumeux, au sens propre du terme, en noir et blanc sur lequel se déploieraient quelques-uns de ceux qui ont pensé la deuxième partie du 20e siècle : Deleuze, Bourdieu, Lacan et Foucault donc. J’ai bien conscience en énumérant seulement ces noms d’ouvrir déjà de picrocholines querelles sur l’ordre dans lequel j’ose les avancer, les relations que suppose leur juxtaposition dans ma phrase, la scandaleuse omission d’illustres autres (Sartre ? Kristeva ? Sollers ?...). Je faisais mes premiers pas quand ces esprits brillants causaient structuralisme, plis, désir et jouissance, j’assume donc de ne rien y connaitre et que mon regard soit déjà empreint du dévoiement de celle qui n’y était pas. Ca vaut bien toutes les autres raisons qui pourront conduire à ne pas dire le vrai de cette époque pourrait-on penser en suivant Foucault. Mais n’anticipons pas.

Au-delà de l’anecdotique réputation de l’homme, de Foucault je ne connais donc rien. Surnageaient à peine dans mon souvenir quelques bribes d’émissions à la radio à son sujet comme autant d’invitations à aller chercher plus loin. J’avais notamment en tête cette proposition que le pouvoir est partout, qu’il jaillit des institutions et que les discours, d’où qu’ils viennent, s’inscrivent dans un cadre injonctif visant à réduire la liberté de chaque sujet. Cette audacieuse vision de la folie comme une construction sociale. Et cette grille de lecture qui enferme le sujet moderne dans la prison d’un regard qui surveille et punit. Autant de fulgurances qui ont laissé leur marque indélébile dans mon esprit.

Aussi, lorsque je suis tombée sur le Foucault de Paul Veyne, son propos (et le confort rassurant de son format léger) m’a tout de suite accrochée. Par un historien, ami proche, « Le portrait inattendu » d’un homme très connu mais très mal compris, voilà qui promettait une introduction peut-être plus aisée que l’écoute des conférences de Foucault au collège de France. Une sorte de Foucault pour les nuls fait avec intelligence et amour.

C’est effectivement ce que j’y ai trouvé. Et bien au-delà. Dans un style toujours abordable, même quand il tutoie des sommets métaphysiques, avec une forme d’allant relevant davantage de la discussion informelle que de l’essai pontifiant, Paul Veyne évoque différents aspects de la pensée de Foucault et pose pour son lecteur quelques jalons.

J’ai eu l’impression de rentrer à la maison. D’être enfin dans le confort stimulant de ce qui doit être, exactement. De ne découvrir, merveilleusement exprimées, que des réflexions que je faisais miennes au point qu’elles me paraissent, malgré leur toute récente irruption sous mes yeux, tout à fait familières. C’est peut-être que, malgré l’absence de contact direct avec la pensée de Foucault, j’ai lu, entendu, des discours qui s’en revendiquaient. C’est peut-être qu’aussi décrié et incompris qu’il ait paru être de son vivant (au-delà d’un indéniable succès médiatique, ses cours au Collège de France accueillant d’assidus auditeurs au point qu’ils débordent dans les allées, rajoutent des sièges, finissent par se glisser dans les marches, de requérir d’autres lieux adjacents avec des écrans déportés, Foucault, cette rock star), il a tellement influencé la réflexion des historiens, philosophes, sociologues qui lui ont succédé que les enjeux majeurs de sa pensée ont été portés à ma connaissance sans que je les aie identifiés clairement comme procédant de lui. Ou peut-être encore existe-t-il des affinités intellectuelles particulières avec tel ou tel qui rendent à leur discours l’évidence d’un écho à notre propre élaboration.

Quoiqu’il en soit, en m’emmenant de l’impossible universel (tout est singulier, toute analogie, catégorisation supra ou comparaison entre deux éléments ne fait que nier leur existence autonome et souligner le biais que représente le cadrage historique de celui qui regard et compare) à la nécessaire historicisation de tout discours, Paul Veyne m’a enchantée. Et m’a fait rire aussi. Pour expliciter le fait qu’une réalité dépende de celui qui l’appréhende, il prend l’exemple de l’herbe et la considère non pas « l’Herbe en soi », ce que nous ne pourrons jamais connaitre et qui n’a donc aucun sens, mais l’herbe du bovin « tiges vertes et élancées qui sortent de terre », l’herbe du promeneur ou l’herbe du botaniste. Et de conclure « le discours des botanistes qui croient « tout savoir » sur l’herbe ne répond pas au discours que tient l’herbivore. » Certes !

C’est drôle et confondant de vérité lorsqu’on ne parle plus seulement « herbe » mais « sexualité », « pouvoir » ou quelque notion que ce soit. On ne peut jamais atteindre ce que serait ces réalités en dehors de la gangue du discours qui les tient. Et ce n’est pas que ces notions existeraient - ou non, là n’est pas la question - dans un monde fantasmé ou inaccessible. C’est que toute appréhension du réel ne peut passer que par la structure d’un discours. Et qu’il faudrait la transcendance d’une existence divine pour appréhender autrement les choses, ce qui ne peut être le propos d’une réflexion humaine. Ca, c’est fait, ai-je eu envie de conclure, satisfaite de ce non-lieu.

A ce compte, aucun concept globalisant, aucune idéologie n’oblige l’homme sans recours. Il lui appartient d’exercer sa liberté de pensée pour mettre au jour les racines idéologiques de ces raisonnements, ramener à des causalités historiques et à des nécessités de maintien de pouvoir bien spécifiques la raison d’advenue de tel événement. Nous sommes seuls et ce pourrait être désolant, aride, si nous n’étions pas soutenus par notre capacité pensante et la formidable liberté que cela nous laisse.

Il ne s’agit pas pour autant de nier l’existence d’idéologies, d’institutions, de récits structurant. La vérité historique de leur existence. Simplement de déconstruire les raisons de leur présence dans nos discours, de contextualiser les nécessités qui les font perdurer, de remonter le fil généalogique en étudiant ce qui a été auparavant et, dans le jeu qu’occasionne cette mise à distance, de laisser s’exercer une liberté réformatrice, quand bien même elle provienne d’un sujet lui aussi conditionné par les éléments saillants de son époque. On retrouve toutes les réflexions des sociologues sur les relations entre individu et société. « Le sujet n’est pas souverain mais fils de son temps. » (p. 154)

Malgré une petite incursion chez Heidegger et dans les débuts du christianisme dont j’ai moins goûté la nécessité, j’ai pris un plaisir formidable à la lecture de ce livre, me suis trouvée requinquée, confortée dans l’aride définition que j’avais d’un homme sans transcendance, fait de seuls discours, ne tenant sa moralité qu’à une exigence toute personnelle. C’est rude mais ça colle suffisamment à l’époque pour me paraître vrai (restons foucaldiens y compris dans notre manière de déconstruire nos enthousiasmes) et à ce titre, ça me semble beaucoup plus rassurant que n’importe quelle billevesée dogmatique.

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Et dans l'éternité je ne m'ennuierai pas : Souv..

J'ai toujours apprécié les récits de vie, qu'il s'agisse de biographie ou d'autobiographie. Il n'y a pas de vie humaine qui ne puisse égaler voire dépasser la fiction dans son originalité et parfois sa démesure. Toute vie est un roman pourrait-on dire. La fiction et le réel sont des miroirs qui reflètent souvent la même image, soit parce que cette image est réelle soit parce qu'elle aurait pu l'être. Quoi qu'il en soit, une autobiographie est toujours enrichissante à lire lorsque les propos de son auteur sont sincères. Mais comment attribuer à un récit le label de la sincérité ? On peut envisager un critère, si l'auteur qui raconte sa vie ne se trouve aucun défaut et déroule une histoire sans aspérités, sans épreuves, sans conflits intérieurs, on peut penser qu'une partie au moins des faits est passée sous silence. A contrario lorsque l'auteur qui raconte sa vie déclare d'emblée qu'il n'est pas un bon écrivain, qu'il n'est pas un bon professeur, qu'il a été ingrat envers ses bienfaiteurs, qu'il a soutenu des politiques qu'il réprouve aujourd'hui, et que de plus il fait des confidences intimes sur sa vie sans occulter les épreuves qu'il l'on marqué dans sa chair, dans ce cas on peut supposer qu'il est sincère. Surtout lorsqu'il s'agit d'un personnage de la stature de Paul Veyne, professeur au collège de France, spécialiste mondialement reconnu de l'antiquité grecque et romaine. C'est ce qui fait de son récit un livre à la fois émouvant et réjouissant, car il montre que la passion et la force de vie permettent de surmonter bien des épreuves.



Voici comment Paul Veyne, grand historien de la Rome antique nous raconte comment est née sa vocation : « J'étais élève à l'école primaire de Cavaillon et je me promenais sur la colline herbeuse qui domine la bourgade, quand une pointe d'amphore romaine qui gisait à terre m'est tombée par hasard sous les yeux… Ce fut un choc… ». Voilà qui illustre ce que disait Pascal à propos du choix d'un métier : « La chose la plus importante à toute la vie est le choix du métier, le hasard en dispose. »



Je crois vraiment que notre société aurait beaucoup à gagner si notre système éducatif permettait à chacun de choisir le métier qui lui convient le plus sans s'en remettre au hasard. Mais parfois il y a des coups de dés favorables, c'est le hasard qui a permis à Paul Veyne de découvrir très tôt sa vocation.



L'auteur nous entraîne dans les méandres de sa vie, il nous parle de sa famille, de ses études, de ses échecs et de ses réussites, de son goût pour l'alpinisme, de sa mémoire exceptionnelle qui lui permet de retenir à première lecture un sonnet qui lui a plu. Il nous parle de ses épouses et des personnalités qu'il a eu le privilège de côtoyer, René Char, Michel Foucault, Raymond Aron, Paul Jenkins.



Ce qui se dégage de son livre est la force de vie qui anime l'auteur et sa passion pour l'antiquité, les textes anciens et le déchiffrement des épigraphes. Une vie guidée par un besoin d'indépendance et de liberté intellectuelle. Il n'est pas croyant, mais crois en revanche à une sorte d'immortalité de l'âme. Si bien que « dans l'éternité je ne m'ennuierai pas » dit-il page 117. « Je ne ressusciterai évidemment pas sous forme de fourmi, de lion ni d'ange, mais je serai au sein de l'Âme universelle. Je ne crois pas que nos pensées et nos souvenirs soient produits par les interconnexions de nos neurones : la petite télévision personnelle, plus ou moins puissante selon les espèces animales que chacun de nous a dans sa boîte crânienne est un récepteur et non un émetteur. Eh bien oui, j'ai envie de le croire : le cerveau ne sécrète pas la pensée, il la capte, plus ou moins amplement et correctement ».



Vaste programme de réflexion.



— « Et dans l'éternité je ne m'ennuierai pas — souvenirs », Paul Veyne, le livre de poche (2022), 279 pages.
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Et dans l'éternité je ne m'ennuierai pas : Souv..

C'est l'itinéraire d'un pur intellectuel avec ses questionnements (politique, religion, philosophie...) mais écrit simplement il le dit dès le début:

"Ce livre n'est pas de l'autofiction et n'a aucune ambition littéraire, c'est un document social et humain à l'usage des curieux, tout ce que je raconte sera exact."

Ce livre raconte comment une passion de l'enfance construit toute une vie, toute une carrière, brillante par ailleurs

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Quand notre monde est devenu chrétien (312-394)

Un ouvrage accessible à tous et enrichissant.

Je recommande à ceux qui hésitent, de regarder le documentaire 8/12 de la série "L'Apocalypse" sur Arte, "La conversion de Constantin".

Paul Veyne y intervient dans son style tout à fait original. S'il vous convainc, n'hésitez plus à vous procurer ce livre.
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Quand notre monde est devenu chrétien (312-394)

Le christianisme aurait pu disparaître, sinon conserver son statut de secte persécutée aux pratiques proscrites par l'État, si la volonté d'un seul homme n'était pas entrée dans le cours de l'Histoire. C'est ce que Paul Veyne réussit à nous faire comprendre au fil de ce livre qui se veut historique et philosophique.

L'historien raconte les relations entre chrétiens et païens qui, grâce à une forme de tolérance de Constantin, pouvaient contribuer ensemble au développement de la vie politique en évitant les sujets religieux. Paul Veyne démontre pourquoi, selon lui et plusieurs experts, Constantin ne s'est pas converti à des fins idéologiques, mais bien parce qu'il croyait sincèrement aux vertus du christianisme. Sans forcer ses sujets à se convertir, la démarche entamée par Constantin contribuera à la conversion de millions de personnes et sera poursuivie par ses successeurs à quelques exceptions près.

Un livre agréable à lire et qui soulève plusieurs questions sur le rapport au christianisme et notre monde actuel.



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Foucault, sa pensée, sa personne

Un témoignage vivant, à défaut d'être toujours convaincant.
Lien : http://www.nonfiction.fr/art..
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Et dans l'éternité je ne m'ennuierai pas : Souv..

Que voilà un livre étrange mais très intéressant. Car il traite d'une vie bien remplie, d'un homme qui a su par ses études atteindre un niveau intellectuel élevé.

Ce grand historien de l'époque romaine a eu parcours de haute valeur (Normale Sup., une chaire au Collège de France)

C'est l'histoire d'une vie, la sienne, hors norme ; l'auteur la regarde avec une sorte de détachement.

Ce sont les souvenirs d'un homme très cultivé, celle d'un homme qui s'est toujours démarqué.

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Foucault, sa pensée, sa personne

Michel Foucault (1926-1984) fut l'un des plus célèbres penseurs français du XXème siècle. Il a brillé comme une étoile filante solitaire, avec une triste fin (il est décédé prématurément des suites du SIDA). On ne sait pas bien comment le cataloguer: philosophe, historien, voire anthropologue ? On ne peut pas non plus le rattacher à un courant bien particulier; il veillait à préserver son indépendance. Contrairement à beaucoup d'intellectuels de son époque, il se déclarait « absolument » sceptique. Sa créativité était telle qu'il ne se crispait jamais dans une volonté de cohérence systématique: il disait à ses interlocuteurs « Ne revenez donc pas sans cesse à des choses que j'ai dites autrefois ! Quand je les prononce, elles sont déjà oubliées »...



Son apport le plus décisif, ce fut d'inventer l'histoire des mentalités, des sentiments, des comportements, des corps, etc… Son travail reposait sur une masse de faits documentés très précisément et ne s'appuyait jamais sur des généralités ou sur des présupposés liés à l'esprit contemporain. Cette oeuvre n'a pas obtenu immédiatement la faveur de ses collègues historiens (qui se sentaient très bousculés dans leurs conceptions). Mais maintenant, il est considéré comme un grand maître dans son domaine.



Il y a pas mal d'années, Didier Eribon avait publié un livre remarquable, consacré à la vie et à l'oeuvre de Michel Foucault. le présent livre n'est pas moins intéressant, car il est signé par l'un des plus grands historiens français, Paul Veyne - qui fut également son ami. L'auteur réalise ici une analyse fine et précise de la personnalité et surtout du travail immense du philosophe-historien. Certes, un certain nombre d'idées soulevées me sont passées au-dessus de ma tête, car c'est parfois un peu trop ardu. Mais de cette lecture, j'ai pu tirer quelques idées claires que j'essaierai de ne pas oublier.
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Mon musée imaginaire

Quel voyage,

un festival pour les yeux tant le choix et la reproduction des tableaux est magnifique ;

une joie pour l'esprit tant les mots de Paul Veyne ne font qu'un avec les œuvres ;



« Choisir, c’est renoncer », affirmait André Gide. C’est bien ce qu’a fait Paul Veyne en choisissant 276 tableaux alors dans son cas « Choisir, c’est trier » parmi la masse d'œuvres d'art que nous ont laissé ou léguée les artistes italiens, « Choisir, c’est sélectionner » un thème qu’il soit mythologique, historique, religieux ou autre, « Choisir, c’est retenir » un peintre plutôt qu’un autre, « Choisir, c’est définir » un parti pris visuel, « Choisir, c’est hiérarchiser » et donc éliminer…



Mais c'est une réussite tant les choix de l'auteur sont judicieux

La raison en est simple : lorsqu'on regarde un tableau, lorsqu'on le goûte, l'esprit est entièrement mobilisé : en une fraction de seconde il a convoqué, pour une confrontation inconsciente des formes et couleurs, le souvenir de cent tableaux qu'on a déjà vus.

Si l'on en a vu : tout tient à cela. Seul cet appel inconscient à d'autres tableaux permet de comprendre une fois pour toutes que le rectangle de toile peinte qu'on a devant les yeux appartient à une catégorie très particulière d'objets, dont la confrontation donne la clé.



L'humaniste Leon Battista Alberti qui a théorisé la perspective centrale dans le "De pictural" en 1436 et a corroboré l’idée selon laquelle le tableau est une fenêtre sur le monde. La formule est célèbre. Elle sera reprise par Léonard de Vinci. Le tableau est une fenêtre.



Désormais on ne voit plus les peintures du même œil que nos écrans, on jette sur elles un regard qui est, sans qu'on le sache, approprié et éduqué, on les lit. On en aperçoit alors la beauté et on a du plaisir à la sentir. Le plaisir, c'est important, il n'y a pas que le désir, la fameuse libido, sur terre ! De même, un mélomane a du plaisir dès que s'élève de la musique.



Paul Veyne nous donne de quoi les lire, il communique avec nous : toute belle peinture qui s'ouvre à nous étant entourée d'une aura affective qui nous parvient. Comme la beauté musicale, la beauté picturale est pétrie d'affects, tendresse, pathétique, grâce, violence, religiosité, solennité, majesté, élégance, sensualité, fantaisie, pittoresque, voire humour ; le calme aussi peut devenir un affect. Plus que la parole et comme la musique, l'œil est le plus court chemin d'un homme à un autre.



Le but recherché dans cet ouvrage n'est pas d'apprendre l'histoire des arts, mais de sentir la beauté des œuvres. Non, la Beauté n'est pas l'objet d'une révélation mystique immédiate ! Elle suppose d'abord un peu de patience ; comprendre la peinture s'apprend au fil du temps, comme on apprend la langue d'un pays étranger au contact des habitants. Quant à la grammaire picturale, elle est également enseignée par l'usage : quand on regarde un tableau, on voit du même coup comment c'est peint (avec ou sans sfumato, ton local, modelé dans les ombres, etc.). Peu importent ces termes grammaticaux : la beauté n'est pas une affaire de technique correcte, de connaissance de l'anatomie artistique, de conquête de la perspective, de la "ressemblance" et de la "réalité" à partir des années 1300.



Paul Veyne en ouvre des fenêtres sur l'histoire de la peinture italienne, l'histoire de l'art, l'histoire de la Renaissance et nous emmène pour un voyage sur plusieurs siècles, en de multiples lieux, comme autant de fenêtres sur le monde, alors ne boudons pas notre plaisir :



Tout d'abord embarquement pour le XIIIe avec pour œuvre emblématique Le Christ Pantocrator de l'église Saint sauveur in Chora Istanbul (dont Metin Arditi parle dans son dictionnaire amoureux d'Istanbul). Car elle aura une influence sur l'art et l'Italie nous offrira déjà de belles peintures s'en inspirant.

Continuons vers Assise : François d'Assise, provoquera un ébranlement religieux, au début du XIIIe siècle, en fondant un nouvel ordre monastique, celui des franciscains, ordre mendiant et prédicateur dont les couvents et les églises se multiplièrent bientôt dans toute I'Europe. Sa répercussion sur l’art sera la double basilique d'Assise, dont la construction fut terminée vers 1250, et vouée à saint François qui y a son tombeau. Un cycle de fresques illustrant la vie du saint décore tant l'église inférieure (vers 1330) que l'église supérieure (vers 1290). Plusieurs artistes, ou leurs élèves, plusieurs équipes de peintres y ont travaillé simultanément, mais quels sont-ils ? On en a discuté sans fin, mais certaines de ces peintures, tant en haut qu'en bas, sont certainement de la main de Giotto. Chiara Frugoni en a livré un magistral ouvrage où elle passe au crible ces fresques et leurs messages



Moins de cent ans après la mort de Giotto (1337), éclatait à Florence, en 1427, sous les yeux d'un nombreux public d'artistes et de Florentins, le génie original d’un jeune homme, Masaccio, qui devait mourir l'année d'après. Au siècle suivant, Michel-Ange étudiera ses figures, pour leur monumentalité sculpturale. Ce qui se comprend, si l'on compare l'Adam et l'Ève de Masaccio à ceux de celui qui avait été son maitre et employeur, le gracieux Masolino.



Puis vient, L 'Angelico qui était le prieur du couvent dominicain de San Marco à Florence. Mais avant tout, c'est un grand artiste, le meilleur coloriste de son époque. Dessinateur adroit, bon narrateur, ce peintre d'images pieuses ignore le pathos et l'emphase. Plutôt que d'exprimer des émotions, cet artiste se soucie d'abord d'individualiser les visages, dont aucun ne ressemble à l'autre. Peinture claire, aérienne, au suave coloris gothique. Même dans ses prédelles le miniaturiste qu'avait été l'Angelico ne fait pas petit.



Piero Della Francesca C'est un des grands noms de la peinture universelle. À une puissance souveraine, une hauteur d'accent et une candeur épique, Piero joint une simplicité rustique, une écriture très personnelle et une intelligence picturale très réfléchie.



Chez lui est réalisée une synthèse de la forme "ressemblante"(naturalisme), de la couleur et de l'espace "ressemblant" (perspective). Cette convention (qui est étrangère à tous les autres arts du monde, même à celui de l'Antiquité gréco-romaine, qui ignorait la perspective) s'imposera pendant cinq siècles à l'art occidental des Temps modernes Le mérite de Piero est ailleurs : dans la sublimité intemporelle de son imagerie que l’on admire plus au Sud en l’Église San Francesco à Arezzo



Le Quattrocento, ce sont les années 1400, notre XVe siècle ; c'est la première des deux Renaissances, que nous goûtons autant que la seconde, celle de Raphaël et des grands Vénitiens. Il en est ainsi depuis plus d'un siècle et demi, depuis que des peintres allemands, les Nazaréens, et anglais, les Préraphaélites, artistes mineurs mais âmes sensibles, mirent à l'honneur les peintres antérieurs à Raphaël, tenus jusqu'alors pour des "Primitifs" qui ne connaissaient pas encore les règles de la vraie peinture : en 1860, Burckhardt consacre une seule ligne, dédaigneuse, au Printemps de Botticelli (né en 1445). Ce qu'ont aimé les Préraphaélites chez leurs "Primitifs", c'était la féminité suave et nerveuse des rêveries florentines, c'était la piété de Fra Angelico (mort en 1455), piété "maladroite" et donc naïve, touchante et sincère. Seulement il se trouve que le Quattrocento est bien d'autres choses encore.



Mais il est temps de faire place aux "GÉANTS" : 



BOTTICELLI est le symbole de la Renaissance italienne, ce n'est plus Raphaël (et peut-être n'avons-nous pas tort), La Naissance de Vénus et le Printemps sont Ie "clou" de la Galerie des Offices à Florence. Et pourtant cet enchanteur n'eut aucune complaisance démagogique, aucun égocentrisme non plus ; ce fut un idéaliste, un rêveur, ses déesses nues sont pures comme des saintes. Ne méconnaissons pas pour autant la grandeur de l'artiste, ses lignes enveloppantes, la vie violente des nudités, ces flammes humaines, dans la Calomnie, la chorégraphie de ses voiles ondulants, le rythme infaillible qui unifie toutes les figures de la composition dans le Printemps.



DE VINCI, Comme chacun l'a appris à l'école, cet esprit universel, qui fut ingénieur civil et militaire, géologue, peintre, sculpteur, etc., serait un des pionniers de notre modernité scientifique et technicienne. Grand savant ? Autodidacte de génie ? On ne sait pas trop, mais est-ce bien le problème ? En réalité, comme l'a montré Eugenio Garin, Léonard, ce "mage" (comme l'appelle Vasari), fut l'enfant d'une époque où ce que nous appelons science et technique se confondaient avec la magie, la tradition "hermétique". Léonard a construit, sur le papier, des mécanismes ingénieux (comme les mécaniciens grecs en construisaient déjà), mais, pour citer Frances Yates, à ses yeux la mécanique était un des chapitres de la magie et la magie comportait un volet mécanique. Léonard n'est pas le premier des Modernes, mais un des derniers Mages.



MICHEL-ANGE Buonarroti est un des plus grands sculpteurs que la Terre ait portés. En donnerons-nous comme preuve sa magistrale Pietà, à Saint-Pierre de Rome, dont l'humanité fait monter les larmes aux yeux ?

À San Lorenzo de Florence ? Michel-Ange fut aussi architecte, et Saint-Pierre de Rome aurait été un vrai chef-d’œuvre si le plan central qu'il avait conçu pour cette basilique avait été finalement retenu.

Mais c'est du gigantesque plafond peint de la Sixtine, peuplé de 300 figures, qu'il s'agit ici. Or Michel-Ange pratique une peinture de sculpteur en rondebosse ; il nous enfonce son pointeau dans le dos : c'est sa célèbre terribilità. Il s'intéresse surtout au corps humain isolé. La composition, où plusieurs corps sont réunis, a souvent été pour lui une pierre d'achoppement ; il en est venu à bout, est-il besoin de le dire, au plafond de la Sixtine et aussi dans le Jugement dernier du mur de fond.



En revanche, ses fresques de la chapelle Pauline déçoivent, malgré le tour de force qu'est le visage de saint Paul, bouleversé par le coup de foudre qu'est sa conversion. Michel-Ange est lui-même quand il peint les Sibylles et les Ignudi de la Sixtine, ces dessins de sculpteur colorés, ces rondes-bosses peintes dans les attitudes les plus diverses. Quand il avait tiré du marbre l'admirable Pietà de Saint-Pierre de Rome, il avait créé la plus émouvante image qui puisse être d'un désespoir maternel. En revanche, son tableau de la Sainte Famille, aux Offices, ne laisse pas d'embarrasser : à quoi bon la gymnastique savante et froide par laquelle Marie Et Joseph se repassent inutilement l'Enfant par-dessus l'épaule ? On a découvert avec surprise quel coloriste inattendu fut ce sculpteur ; depuis le nettoyage de ces fresques enfumées, les couleurs originales de Michel-Ange ont reparu, ont surpris et parfois déplu : des teintes claires, acides, parfois arbitraires, sont déjà la palette des futurs peintres "maniéristes".



Baudelaire qui est aussi le poète de l'idéal, « c'est-à-dire de l'aspiration vers la perfection, vers le monde des Idées où toute contrainte est effacée » évoque lui-même le sculpteur :

"Ou bien toi, grande Nuit, fille de Michel-Ange,

Qui tords paisiblement, dans une pose étrange,

Tes appas façonnés aux bouches des Titans." 



RAPHAËL qui jusque vers 1870, a passé pour être la peinture même. Puis des artistes anglais (et, avant eux, des peintres allemands) exaltèrent, comme modèles de la vraie peinture, les "préraphaélites", c'est-à-dire le Quattrocento. Devant le Printemps ou la Naissance de Vénus, quel visiteur ne serait spontanément de leur avis ? Au XXe siècle, nous nous sommes passionnés aussi pour Piero, le Tintoret, le Caravage. Cessant d'"aller de soi pour tout visiteur, qui n'a plus besoin de guide devant ses œuvres", comme l'écrivait Burckhardt, Raphaël est devenu pour nous un artiste difficile, et nous ne l'aimons plus guère ; il y a trop de Vierges à l'Enfant chez lui, de même qu'il y a trop de chasses au tigre chez Delacroix et trop de pommes chez Cézanne. Ces Vierges sont des enfants placides dont l'âme endormie n'a pas vécu. Pourtant il reste sa clarté, son élégance, sa suavité sans la moindre mièvrerie, sa puissance aussi bien (Madone de Dresde, Libération de saint Pierre)... Mais nous lui en voulons d'avoir incarné l'idéal d'un moment de la culture, d'avoir été "l'interprète des aspirations humanistes vers une fusion des sagesses et des formes de beauté" (A. Chastel) ; "il n'est pas purement peintre, ce n'est qu'un illustrateur d'idéaux de vie", en conclut Roberto Longhi. Lorsqu'on s'apprête à parler de Raphaël en bien, il faut se défendre contre le soupçon d'aimer secrètement la peinture académique.



Partons pour Venise rencontrer Giorgione qui reste le peintre le plus mystérieux et légendaire de toute la peinture italienne. Ce Vénitien est mort de la peste en 1510, à l'âge de trente-trois ans, regretté de tous, après avoir vécu, dit-on, d'amour et de musique. Sa poésie est insurpassable parce qu'elle est insaisissable, le "vrai" sujet du tableau nous restant souvent inconnu ; Giorgione élimine ainsi le prosaïsme du récit, de l'anecdote. Dans la Tempesta, il ne reste que le mystère visible : un paysage nocturne, la rencontre improbable entre deux êtres inconnus dont les destinées n'ont rien de commun et un éclair qui scelle pour toujours cet instant Le peintre évite, chaque fois qu'il le peut, de trancher entre la réalité et le rêve, ou entre "maintenant" et "toujours". Que font ensemble les trois mages (ou astronomes, ou philosophes) qui sont réunis et qui s'ignorent ? Vivent-ils le même instant ou sont-ils tels qu'en eux-mêmes l'éternité les a changés ? Dans le Concert champêtre du Louvre, tableau aussi célèbre et mystérieux que le Printemps de Botticelli, où finit la réalité vêtue, où commence la nudité rêvée ? Qu'importe, puisque sont réunies ici la beauté nue, la nature, la musique et la confidence, avec les courbes amples des corps féminins et le bouillonnement rouge des vêtements : ce lyrisme n'est-il pas suffisant ? C'est pourquoi on ne peut croire que le Concert soit de Titien plutôt que de Giorgione, comme les experts inclinent de temps à autre à le penser : tout grand qu'il est, Titien est trop rationnel pour maintenir l'équivoque entre la réalité et la rêverie ; chez lui le rêve aurait trouvé refuge dans l'allégorie.



Et si nous poursuivions vers Parme ? 

Raphaël ne connaît qu'un rival au monde, c'est le Corrège, écrivait Stendhal dans ses Promenades dans Roma Le "doux Corrège"...



La grâce, la vénusté, la sensualité de ses tableaux de chevalet lui attiraient toutes les sympathies, cependant que ses fresques suscitaient l'admiration. Car, dans deux églises de Parme, ce virtuose a couvert d'immenses compositions l'intrados des coupoles ; c'est un foisonnement vertigineux de lumineuses figures aériennes aux raccourcis étourdissants, où il lui arrive aussi de faire preuve de grandeur. Car, outre la leçon de Léonard et celle de Raphaël, il avait assimilé celle de Michel-Ange. Mais aucune reproduction d'ensemble ou de détail de ce décor plafonnant ne donnerait de plaisir au lecteur ; il faudrait se trouver dans l'église même, sous la coupole, et en éprouver le volume, la hauteur, la verticalité, la courbure de la voûte où s'incurvent les raccourcis...



Si l'on vivait cent vingt ans, on préférerait Titien à tout. Ce n'est pas l'homme des jeunes gens, écrivait Delacroix dans son Journal (5janvier 1857). Titien est le peintre des peintres et le portraitiste des rois et empereurs de son temps, François Ier, Philippe II et Charles Quint ; ce dernier ramassa même le pinceau que l'artiste avait laissé tomber par mégarde. Car Titien est infaillible, peu d'œuvres aussi étendues et aussi variées que la sienne sont d'une qualité aussi élevée et aussi égale. Par ailleurs ce peintre aux nus sensuels, à la peinture religieuse pathétique, est d'une impersonnalité supérieure ; aux antipodes de Giorgione qui fut son maître, on ne le "sent" pas dans son œuvre. On ne sait jamais ce qu'il pense et sa supériorité est trop réelle pour qu'il aille "en penser quelque chose". 



Tintoret est un peintre moderne sous des habits classiques ou maniéristes, c'est déjà un Delacroix, disait Hans Tietze C'est un de nos peintres préférés, comme le Caravage, Rembrandt, Goya ou le Greco (qui a pris son élan à partir du Tintoret). Nous les mettons tous dans le même sac : ce sont des peintres visionnaires ou au moins dramatiques. En effet le Tintoret a apporté à Venise ce qui manquait chez Titien et plus encore chez Véronèse : le sens du drame. C'est un grand maître, original, pathétique, spectaculaire. Mais avouons qu'il est trop fougueux ou pressé pour pas plus inégal que d'autres peintres.



Vient enfin Michelangelo Merisi da Caravaggio 

De 1600 à 1610, le Caravage crée la surprise, s'impose auprès des connaisseurs et ne ressemble à personne : est-il seulement italien, ce peintre qui ignore la grâce, l'élégance et même le glamour ? Il avait mieux à faire. On ne saurait rompre davantage avec la tradition que l'a fait ce grand maître, pour bâtir une œuvre aussi solide que la sienne. La rupture du Caravage avec l'imagerie religieuse traditionnelle, son réalisme et ses études de lumière évoquent Rembrandt. Certes, le Tintoret avait déjà rompu avec l'imagerie embellie de I'Histoire sainte, avec ses costumes de théâtre, dans l'esprit de la Contre Réforme catholique qui, en concurrence avec le protestantisme, faisait tout pour faire reprendre le catholicisme au sérieux Mais une gosse différence met à part le Caravage : on ne peut savoir si "sa peinture d'un univers muet et d'une matière opaque" est celle d'un croyant, écrit Bonnefoy ; "voici dissociés, pour la première fois dans la peinture la représentation de l'objet et la recherche d'un idéal" , le Caravage "est neutre, il ne juge pas", ajoute le poète. Il n'est pas le peintre naturaliste qu'on disait autrefois, il ne détaille pas les rides ni les poils de barbe : il fait voir des scènes sublimes ou terribles, nais il les place dans un monde qui n'est ni beau ni laid, ni rassurant par des détails minutieux auxquels on est tenté de s'accrocher ; le monde du Caravage est global et banal, si bien que ce monde nous donne le même vertige métaphysique que celui que nos yeux voient : d'où sort cette réalité qui s'impose à nous, mais qui ne repose sur rien et où tout n'est ne sera jamais que faits-divers, y compris l'Évangile, y compris la pire atrocité, y compris notre propre mort ?



Finissons à Venise en cette fin de XVIIIe siècle avec les Vedutisti sont des peintres du XVIIIe siècle qui peignaient des "vues" (vedute) d'une cité, Rome ou Venise, de ses monuments, places et tous lieux remarquables. Ils pour clientèle des Romains ou des Vénitiens amoureux de leur cité ou de leur quartier, et surtout de riches touristes, souvent anglais, qui emportaient ainsi de Venise des images exactes, qui pouvaient être aussi d'une réelle qualité picturale et dignes d'un amateur éclairé.Et là on pense bien sur à Canaletto



En conclusion, ce livre nous rappelle que la peinture nous apporte les affects ou effets dont elle est pétrie, émotion, gaieté, religiosité, élégance, violence, grâce...

Elle peut servir aussi de simple illustration pour notre dévotion, notre curiosité, notre libido, etc Mais elle offre avant tout un plaisir omniprésent : elle est un exploit humain qu'on a plaisir à voir, celui d'imiter un objet (extérieur ou intérieur, réel ou imaginaire, mais spatial en tout cas, serait-il non figuratif). Elle est ce tour de force plaisant par lui-même qu'est l'imitation reconnue comme telle et qui ne fait pas illusion sur le caractère fictif de son objet.

Kant l'a bien dit ou résumé : une chose nous plaît, nous la jugeons belle, mais sans savoir pourquoi.

En tout cas, ce livre est une merveille,

Paul Veyne nous livre ici son musée imaginaire,

Personnellement j'y trouve mon musée idéal
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Quand notre monde est devenu chrétien (312-394)

J'aime bien la 4e de couverture :

"C'est le livre de bonne foi d'un incroyant qui cherche à comprendre comment le christianisme, ce chef-d’œuvre de création religieuse, a pu, entre l'an 300 et l'an 400, s'imposer à tout l'Occident. (...).

Et conclut ainsi :

"Un livre érudit et impertinent."

Bref, tout est dit. Et donne envie de le lire.
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Et dans l'éternité je ne m'ennuierai pas : Souv..

Modeste grandeur ?

Une relativement brève autobiographie d'un de nos grands historiens spécialiste de l'Antiquité, mais tourné vers bien d'autres sujets (art, poésie, réflexion sur l'histoire, combat contre le négationnisme...). Son livre dégage l'impression d'un homme modeste, à la vie privée toutefois complexe et parfois douloureuse, qui a traversé l'histoire d'un XXème siècle par bien des aspects (liens avec le communisme, Algérie, engagements divers...), mais c'est aussi l'itinéraire classique d'un provincial arrivé au plus sommet d'une carrière universitaire. On croisera ici de nombreux intellectuels de premier plan (Aron, Foucault), le tout raconté de manière simple et détachée, avec la distance d'un homme dont le métier est justement d'analyser et de replacer les événements dans leur contexte.

En somme un livre très intéressant et d'un abord très facile.
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