De Foucault, je ne connais quasiment rien. Un nom dans l'histoire contemporaine des idées. Une réputation exécrable d'homme impossible qui aurait poussé la liberté de sa pensée jusqu'à des confins bien trop dangereux pour le commun des mortels. Une image ? Un fond fumeux, au sens propre du terme, en noir et blanc sur lequel se déploieraient quelques-uns de ceux qui ont pensé la deuxième partie du 20e siècle : Deleuze, Bourdieu,
Lacan et Foucault donc. J'ai bien conscience en énumérant seulement ces noms d'ouvrir déjà de picrocholines querelles sur l'ordre dans lequel j'ose les avancer, les relations que suppose leur juxtaposition dans ma phrase, la scandaleuse omission d'illustres autres (
Sartre ? Kristeva ?
Sollers ?...). Je faisais mes premiers pas quand ces esprits brillants causaient structuralisme, plis,
désir et jouissance, j'assume donc de ne rien y connaitre et que mon regard soit déjà empreint du dévoiement de celle qui n'y était pas. Ca vaut bien toutes les autres raisons qui pourront conduire à ne pas dire le vrai de cette époque pourrait-on penser en suivant Foucault. Mais n'anticipons pas.
Au-delà de l'anecdotique réputation de l'homme, de Foucault je ne connais donc rien. Surnageaient à peine dans mon souvenir quelques bribes d'émissions à la radio à son sujet comme autant d'invitations à aller chercher plus loin. J'avais notamment en tête cette proposition que le pouvoir est partout, qu'il jaillit des institutions et que les discours, d'où qu'ils viennent, s'inscrivent dans un cadre injonctif visant à réduire la liberté de chaque sujet. Cette audacieuse vision de la folie comme une construction sociale. Et cette grille de lecture qui enferme le sujet moderne dans la prison d'un regard qui surveille et punit. Autant de fulgurances qui ont laissé leur marque indélébile dans mon esprit.
Aussi, lorsque je suis tombée sur le Foucault de
Paul Veyne, son propos (et le confort rassurant de son format léger) m'a tout de suite accrochée. Par un historien, ami proche, « le portrait inattendu » d'un homme très connu mais très mal compris, voilà qui promettait une introduction peut-être plus aisée que l'écoute des conférences de Foucault au collège de France. Une sorte de Foucault pour les nuls fait avec intelligence et amour.
C'est effectivement ce que j'y ai trouvé. Et bien au-delà. Dans un style toujours abordable, même quand il tutoie des sommets métaphysiques, avec une forme d'allant relevant davantage de la discussion informelle que de l'essai pontifiant,
Paul Veyne évoque différents aspects de la pensée de Foucault et pose pour son lecteur quelques jalons.
J'ai eu l'impression de rentrer à la maison. D'être enfin dans le confort stimulant de ce qui doit être, exactement. de ne découvrir, merveilleusement exprimées, que des réflexions que je faisais miennes au point qu'elles me paraissent, malgré leur toute récente irruption sous mes yeux, tout à fait familières. C'est peut-être que, malgré l'absence de contact direct avec la pensée de Foucault, j'ai lu, entendu, des discours qui s'en revendiquaient. C'est peut-être qu'aussi décrié et incompris qu'il ait paru être de son vivant (au-delà d'un indéniable succès médiatique, ses cours au
Collège de France accueillant d'assidus auditeurs au point qu'ils débordent dans les allées, rajoutent des sièges, finissent par se glisser dans les marches, de requérir d'autres lieux adjacents avec des écrans déportés, Foucault, cette rock star), il a tellement influencé la réflexion des historiens, philosophes, sociologues qui lui ont succédé que les enjeux majeurs de sa pensée ont été portés à ma connaissance sans que je les aie identifiés clairement comme procédant de lui. Ou peut-être encore existe-t-il des affinités intellectuelles particulières avec tel ou tel qui rendent à leur discours l'évidence d'un écho à notre propre élaboration.
Quoiqu'il en soit, en m'emmenant de l'impossible universel (tout est singulier, toute analogie, catégorisation supra ou comparaison entre deux éléments ne fait que nier leur existence autonome et souligner le biais que représente le cadrage historique de celui qui regard et compare) à la nécessaire historicisation de tout discours,
Paul Veyne m'a enchantée. Et m'a fait rire aussi. Pour expliciter le fait qu'une réalité dépende de celui qui l'appréhende, il prend l'exemple de l'herbe et la considère non pas « l'Herbe en soi », ce que nous ne pourrons jamais connaitre et qui n'a donc aucun sens, mais l'herbe du bovin « tiges vertes et élancées qui sortent de terre », l'herbe du promeneur ou l'herbe du botaniste. Et de conclure « le discours des botanistes qui croient « tout savoir » sur l'herbe ne répond pas au discours que tient l'herbivore. » Certes !
C'est drôle et confondant de vérité lorsqu'on ne parle plus seulement « herbe » mais « sexualité », « pouvoir » ou quelque notion que ce soit. On ne peut jamais atteindre ce que serait ces réalités en dehors de la gangue du discours qui les tient. Et ce n'est pas que ces notions existeraient - ou non, là n'est pas la question - dans un monde fantasmé ou inaccessible. C'est que toute appréhension du réel ne peut passer que par la structure d'un discours. Et qu'il faudrait la transcendance d'une existence divine pour appréhender autrement les choses, ce qui ne peut être le propos d'une réflexion humaine. Ca, c'est fait, ai-je eu envie de conclure, satisfaite de ce non-lieu.
A ce compte, aucun concept globalisant, aucune idéologie n'oblige l'homme sans recours. Il lui appartient d'exercer sa liberté de pensée pour mettre au jour les racines idéologiques de ces raisonnements, ramener à des causalités historiques et à des nécessités de maintien de pouvoir bien spécifiques la raison d'advenue de tel événement. Nous sommes seuls et ce pourrait être désolant, aride, si nous n'étions pas soutenus par notre capacité pensante et la formidable liberté que cela nous laisse.
Il ne s'agit pas pour autant de nier l'existence d'idéologies, d'institutions, de récits structurant. La vérité historique de leur existence. Simplement de déconstruire les raisons de leur présence dans nos discours, de contextualiser les nécessités qui les font perdurer, de remonter le fil généalogique en étudiant ce qui a été auparavant et, dans le jeu qu'occasionne cette mise à distance, de laisser s'exercer une liberté réformatrice, quand bien même elle provienne d'un sujet lui aussi conditionné par les éléments saillants de son époque. On retrouve toutes les réflexions des sociologues sur les relations entre individu et société. « le sujet n'est pas souverain mais fils de son temps. » (p. 154)
Malgré une petite incursion chez Heidegger et dans les débuts du christianisme dont j'ai moins goûté la nécessité, j'ai pris un plaisir formidable à la lecture de ce livre, me suis trouvée requinquée, confortée dans l'aride définition que j'avais d'un homme sans transcendance, fait de seuls discours, ne tenant sa moralité qu'à une exigence toute personnelle. C'est rude mais ça colle suffisamment à l'époque pour me paraître vrai (restons foucaldiens y compris dans notre manière de déconstruire nos enthousiasmes) et à ce titre, ça me semble beaucoup plus rassurant que n'importe quelle billevesée dogmatique.