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Critiques de Philippe Descola (49)
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Par-delà nature et culture

Repartant d'une des intuitions phares de Foucault dans "Les mots et les choses", à savoir que la Culture, et partant l'Homme, était une invention récente du monde occidental, Philippe Descola, anthropologue de son état, se lance dans une folle aventure : démontrer que le dualisme entre Nature et Culture non seulement est une convention, un filtre pour comprendre les choses, mais surtout qu'il ne concerne pas beaucoup de collectifs à travers le globe.



Très longtemps l'ethnographie s'est construite autour de ce modèle pratique : la nature, sauvage, d'un coté, et l'homme de l'autre qui soit savait s'en accommoder, soit essayait de la dompter et d'y appliquer ses schèmes culturels. Matière vs Société. S'appuyant sur les trois années passées chez les Jivaros, puis étendant ses recherches à des dizaines de collectifs à travers le monde, Descola en est arrivé à une conclusion inverse : la plupart des hommes n'ont pas eu besoin du concept de Nature pour comprendre et maîtriser le monde qui les entoure.



Dès lors, le principe qui va guider Descola dans son enquête est à la fois simple et efficace : remarquant que deux catégories semblent être le fondement de tout sentiment d'identité (l'intériorité et la physicalité), il distribue autour de ces deux pôles les quatre façons de concevoir l'ordonnancement du monde, et la distribution en son sein entre humains et non-humains. Résumons : il y a ceux pour qui les intériorités sont identiques mais les corps différents (animisme), ceux pour qui les corps sont identiques mais les intériorités différentes (naturalisme, ou autrement dit nous-autres occidentaux modernes), ceux pour qui intériorité et physicalité sont identiques (totémisme) et enfin ceux pour qui intériorité et physicalité sont différentes (analogisme). De ces quatre façons de concevoir la réalité, Descola passe ensuite aux six façons d'établir des liens entre soi et les autres.



Le coup de force de Descola est de ne pas s'enferrer dans une démarche structuraliste, s'il classe ainsi les ontologies, c'est surtout pour faire saillir l'évidence : il n'y a pas de schème vainqueur, pas de réalité ultime, tout n'est que découpage subjectif et inconscient du Réel. Une vision "historiciste" des choses est pour lui une impasse : les sociétés "primitives" ne sont pas des collectifs en train d'évoluer vers plus de modernité, ce sont des sociétés qui ne structurent pas le monde de la même façon que nous.



"Par delà nature et culture" a beau être un pavé de 600 pages, il se lit avec un double plaisir : Descola est un pédagogue hors pair, et un conteur des plus agréable. Il allie merveilleusement bien l'analyse conceptuelle et les exemples ethnographiques variés, avec une facilité et un humour étonnants : son objet n'est pas d'empiler de froides théories abstraites mais de nous montrer le monde comme il le voit : un merveilleux tissu chatoyant et bariolé. On referme le livre plus intelligent, plus exigeant, plus respectueux, en un mot plus humain.
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Les formes du visible

Heureusement qu'il y a eu la conclusion ! Ca, c'est ce que je me suis dit en refermant les Formes du visible après une longue traversée où j'ai parfois (souvent) coulé.



Reprenons. Dans la saison précédente, avec par delà Nature et culture, Descola propose de ramener les représentations du monde des humains à quatre ontologies réparties sur une matrice faisant varier la ressemblance ou la différence des physicalités d'une part et des intériorités d'autre part.



Toutes les intériorités sont des esprits dans des corps tous différents : vous êtes animistes. Vous savez que l'esprit d'un jaguar, qui se pense comme se pense un homme, peut prendre les habits d'un autre corps, se déployer dans la danse ou le mouvement imprimé à un masque.



Toutes les intériorités sont de même nature et les corps aussi : vous êtes totémistes. Par des signes marquant la trace du passage des êtres du Rêve, vous signifiez aussi la topographie d'un lieu, l'appartenance d'un groupe à un espace. Vous déployez sur un même support les différentes vues, interne et externe, latérale et frontale d'un animal et du clan auquel il appartient et cet objet n'est pas une représentation, il est, grâce à vos bons soins réguliers, la réactivation régénératrice de cet être dans le monde.



Tous les corps sont différents, tous les esprits aussi et vous galérez à mettre du sens dans ce grand bazar, vous êtes analogistes. Vous reproduisez la prolifération des objets, tentez des relations entre eux : un éléphant fait de multiples animaux, une chimère ou la carte du ciel sur la plante de votre pied.



Et si pour vous tout ce qui existe est fait de cette même matière moléculaire et putrescible quand elle est vivante tandis que seuls les humains sont capables d'avoir une conscience d'eux-mêmes les plaçant comme hors du reste du monde, bingo, vous êtes (nous sommes) naturalistes.



Inutile de dire que je schématise, que je simplifie, que je caricature à gros traits en ne résumant qu'en quelques lignes la prolifération des illustrations que donne Descola, la contradiction interne entre celles-ci parfois aussi (au moins m'a-t-il paru). Mais voilà, grosso modo l'idée : il existe différentes façons de se représenter le monde et à chacune correspondrait une manière de le figurer. C'est en tout cas ce que j'ai compris de la thèse.



Le problème c'est que justement, la prolifération des exemples m'a empêché de garder cette ligne claire en tête. J'ai pourtant fait une lecture attentive, crayon à papier en main. Mais le style plein de circonvolutions élégantes, de circonstancielles modalisantes, de reformulations brillantes m'a égarée tout autant que mon absence de connaissance des sujets évoqués.



Hormis peut-être celles des européens de ces quatre derniers siècles, j'en sais trop peu sur les moeurs des autres humains pour apprécier l'opportunité de choisir tel masque, telle statue d'ancêtre ou telle roche comme représentatifs d'un rapport de figuration entre eux et une réalité autre, la mise en évidence « pour certains et dans certaines circonstances, [de] l'identité entre un prototype et son imitation ».



Ce n'est pas que faire confiance par défaut à l'auteur m'ait posé problème, après tout, c'est si souvent le cas qu'on s'informe selon une source et qu'on revienne ensuite sur ce qu'on a appris grâce à sa confrontation avec d'autres lectures. C'est plutôt que j'avais perdu tous mes repères. Ceux concernant le champ d'étude puisque je suis assez ignare en la matière donc, ceux relatifs à ce qu'on cherchait à prouver exactement et ceux, enfin, de la place que prenait telle description dans l'arsenal discursif.



Autrement dit : Pourquoi cet exemple et pas un autre, pour prouver quoi, et on en est où de la démonstration ? Vous avouerez que, même pour quelqu'un de bonne volonté, ça commence à faire beaucoup.



Lassée de chercher, j'ai décidé assez vite de me laisser perdre et de prendre cette lecture pour une promenade. Quitte à se faire balader, autant le faire avec bonne volonté. J'ai alors goûté le pittoresque des vues, admiré l'infinie variété des façons de faire, renoncé à faire coïncider clairement un système de représentation du monde à un système de figuration. C'était, ma foi, plutôt agréable mais un peu long. Cette impression, pour le coup, d'être dans un grand dispositif analogique dont je ne saisissais pas la trame sous-jacentes.



Et puis, cela ne faisait-il pas de moi un touriste présomptueux espérant apprécier ces oeuvres par la seule fascination qu'elles exercent sur moi sans faire jamais l'effort de comprendre les circonstances dans lesquelles elles livrent leur agentivité, l'utilité et le rôle que leur donnaient ceux qui les avaient créées ? C'est bien la peine, tiens ! Bon, l'option balade en bermuda, banane et gros objectif sur le ventre parait elle aussi bien à côté de la plaque. Mais dans quelle étagère !?



J'ai trouvé tout de même quelques précisions (ou nouveaux champs de perplexité) sur les questions que j'avais laissées en suspens depuis Par-delà nature et culture à propos de la répartition géographique et chronologique des ontologies notamment. Dans une « variation 2, jouer sur tous les tableaux », Descola écrit : « Tous humain, en effet, et a fortiori tout imagier, porte en lui à titre de potentialités généralement inaccomplies l'ensemble de l'imaginaire ontologique dont chaque mode de figuration ne représente qu'une variante. » Allons bon ! Ce que je pensais avoir compris être un mode de regarder le monde constitutif d'une ère et d'une culture est en fait l'expression partielle d'une capacité bien plus large que nous avons tous quelle que soit notre histoire culturelle ? Est-ce qu'on ouvre le débat inné / acquis ici ? A quel endroit, moment de l'histoire d'un individu se place exactement la spécificité de chacun des regards ontologiques ?



A un autre endroit (p. 610), Descola indique que l'analogisme est, sur le plan logique et non chronologique, l'articulation entre le totémisme et le naturalisme. Oui. Mais quelle place donner à cette articulation logique dans le développement géographique et surtout historique de ces grandes ontologies ?



Quand il parle de la peinture de l'intériorité, comme celle qui émane d'un portrait du 17e siècle par exemple, Descola revient, afin d'en comparer les fonctions et circonstances d'utilisation, aux fresques romaines trouvées à Pompéi. Il montre que ces dernières ne sont que celles d'archétypes et non d'individus singularisés dans la conscience d'eux-mêmes que la peinture signifierait. Outre que les illustrations de l'ouvrage ne me font pas partager son analyse (mais qui suis-je pour… ?), je ne vois alors pas de différences formelles entre ces deux types d'images qui appartiennent pourtant à deux ontologies différentes, non ?



Et comment expliquer le chevauchement de l'analogisme médiéval au naturalisme ? Parfois, Descola écrit que les images préfigurent ce que les discours savants mettront au jour ensuite. Mais les deux partent pourtant d'un même moment où les sujets sont parvenus à une même conception collective de la représentation du monde et d'eux-mêmes. Alors pourquoi ces décalages ?



Je me trouve tatillonne. Pourquoi ne puis-je pas apprécier ce joli voyage en terre d'images, tous les noms exotiques et moeurs fabuleuses qu'il contient ? Pourquoi ne me laisserais-je pas bercer par ces belles phrases cadencées et par cette fougue attachante à convaincre ? C'est un travail phénoménal, fruit d'une culture extraordinaire.



Et moi, je cherche à éprouver la solidité des murs qui le structurent. Et je me retrouve, au lieu de fondations profondes et de pans de pierres, avec une toile dense mais élastique et parfois superposée dont la cartographie est tout sauf évidente et la capacité à englober puissamment l'ensemble des représentations pas encore totalement avérée, à mes yeux au moins.



Il faudra que je laisse les choses reposer et murir. Je suis quasi sûre que j'en tirerai davantage que ce que je crois avoir trouvé aujourd'hui. Ne serait-ce que cette possibilité, même si elle n'est pas toujours parfaitement adéquate, immanquablement évidente, de poser une grille ontologique sur les modes de représentation du monde et de soi.



Reste que pour le moment, je ressors de cette lecture plutôt rincée !



Alors, heureusement, il y a eu la conclusion qui a ramassé en quelques dizaines de pages (oui, quand même) l'ensemble du propos. Qui ne m'en a pas paru plus évident dans son développement, certes, mais dont la maitrise par son auteur a semblé au moins garanti : si je n'avais pas compris où et pourquoi nous étions partis, lui paraissait le savoir et en être satisfait. C'est déjà ça !

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Par-delà nature et culture

J'avais déjà de gros doutes. Les paysages d'openfields à perte de vue, les publicités pour papier toilette, assurances habitation et saucisses qui vantent le « petit coin de nature », la jungle de Kipling, les Rêveries du promeneur solitaire et tant d'autres lectures m'avaient, par leur accumulation contradictoire et improbable décillée depuis longtemps : la Nature romantique, indomptable, hostile, nourricière, maternelle n'existe pas. Ça n'a pas empêché mes neurones de frétiller d'extase à la démonstration impeccable de son caractère contingent.



Aussi étrange que cela m'apparaisse maintenant, car c'est inextricablement lié, je n'avais en revanche pas réalisé que la Culture non plus n'existait pas. Enfin, c'est-à-dire que les cultures existent, évidemment, mais qu'à partir du moment où un des termes d'un dualisme s'effondre, l'autre a sérieusement du plomb dans l'aile. Et si la Nature est une construction, alors l'absolu de la Culture qui lui répond vacille également. Et boum badaboum fait le mur en carton-pâte qui s'effondre dans ma représentation du monde. Et spaaatchiiii fait le bouquet de lumière qui inonde mon cerveau d'un insigne contentement.

Foucault, que cite Descola pour rappeler qu'il a démontré l'historicité de la notion même d' « homme » et sa nouveauté éclatante puisqu'elle ne date que du 17e siècle – l'homme est une invention conceptuelle ! Oh oui ! Encore ! C'est bon ! – Foucault donc, Lahire dans un autre genre moins ambitieux mais convaincant aussi, sont des esprits capables de m'accoucher de ce genre de révélations fracassantes, de faire enfin la clarté sur une représentation qui m'avait toujours intuitivement paru bancale sans que je m'attache à démontrer pourquoi. Mais jusqu'à présent, ces estimables compagnons m'avaient laissée là, en carafe avec un monde heureusement déconstruit, fait seulement de social contingent, sans aucune structure pour suppléer à leur tabula rasa. Heureusement, il y a Descola.



Puisque le dualisme Nature / Culture a fait pchitt ou a tout du moins été réduit à un contexte historico-culturel d'émergence, il est loisible de faire un pas de côté et d'interroger d'autres ontologies, d'autres manières de concevoir le rapport au monde. C'est là que l'anthropologie entre en jeu.

De manière tout à fait didactique et ordonnée, Descola prend le temps de nous expliquer par le menu, nombreux exemples ethnologiques à l'appui, la manière dont peuvent s'organiser ce qu'il ramène à quatre ontologies. Pour structurer les points de variation à partir desquels ces conceptions se déclinent, il pose deux prémisses. D'une part l'existence universelle d'un « je » tant par sa capacité intrinsèque à se ressentir peu ou prou comme une instance délimitée et séparée d'un autre que par la posture énonciatrice qui veuille qu'on dise, dans n'importe quelle langue, « je » face à un « tu ». C'est ce qu'il appelle l'intériorité. D'autre part, les attributs physiques, corporels, sensoriels qui constituent l'existence de ce qui est au monde : humains, animaux, plantes ou montagne. C'est la physicalité.



A partir de ces deux dimensions des existants, intériorité et physicalité, se déclinent quatre variations combinatoires selon que l'une et ou l'autre soit conçue comme universelle ou spécifique à chaque existant.

L'animisme postule que toutes les intériorités sont celles d'humains, que l'on soit guépard, rocher ou acacia, on a tous en nous un esprit qui se pense humain, tandis que les physicalités divergent : plumes, fourrures, oeil de lynx ou sang de manioc, comme autant de manières d'être un corps dans le partage universel d'une intériorité commune.

Le naturalisme, en faveur dans notre monde occidental, suppose autant d'intériorités qu'il y a de cultures humaines, relègue le reste des existants à leur sort de « nature » sans réflexivité et partant sans statut de sujet. Les physicalités en revanche sont communes à tous, ce sont celles des molécules et des atomes, d'une même obéissance aux lois de la nature. Qu'on les classe ensuite en une taxinomie toujours recommencée ne fait que rendre hommage aux lois communes qui les régissent.

Le totémisme fait fluctuer physicalités et intériorités dans un mouvement qui brasse ces deux repères et les fait valser au rythme du Rêve.

L'analogisme enfin, c'est le monde des correspondances : chaque entité est différente de l'autre mais reliée de façon métonymique comme la partie signifiante d'un grand tout englobant l'intégralité du monde. C'est l'ontologie qui permet de lire votre avenir dans la course des étoiles ou les lignes d'une main, qui fait signe de tel augure, telle réminiscence. Rien n'est étranger à ce tout (ou alors on l'absorbe ou on le détruit) : physicalités éparses pour intériorités constituant un grand tout.

Ces quatre ontologies ne sont pas absolument hermétiques les unes aux autres et l'analogique a caractérisé nos temps antiques, médiévaux, cédant peu à peu le pas au naturalisme moderne. La question des glissements, de la nécessaire dimension diachronique d'une étude tant d'une ontologie à une autre qu'au sein d'un même système est d'ailleurs très succinctement posée dans Par-delà nature et culture mais peut-on vraiment le reprocher à un pavé qui fait déjà ses 700 pages bien comptées ?



Une fois cette première couche appliquée, le travail n'est pas terminé. Il faut encore supposer « des structures cognitives, émotionnelles et sensori-motrices qui canalisent la production d'inférences automatiques, orientent l'action pratique et organisent l'expression de la pensée et des affects selon des trames relativement stéréotypées ». Autrement dit, des schèmes. Ce que, pour simplifier, on pourrait, bien que cela dépasse l'application à de seules classes et innerve de manière bien plus profonde les manières d'être, appeler avec Bourdieu habitus. Descola a l'amabilité de les restreindre à six qu'il subdivise encore en deux. D'un côté ceux qui envisagent une relation d'égal entre ceux qu'ils relient (le don, l'échange et la prédation), de l'autre ceux qui obligent, soumettent l'une des parties à une forme de subordination (la production, la transmission et la protection).



Avec ces 24 fuseaux (quatre ontologies et six schèmes relationnels), vous pouvez restituer la dentelle de toutes les manières d'être au monde. Dans la pratique, vous n'épinglerez pas un spécimen par combinatoires car certaines relèvent, de l'aveu même de Descola, de la science-fiction. N'empêche, des réducteurs de tête jivaro, animistes prédateurs aux Rock cree, les modes d'appréhension du monde et de soi déclinent la partition conceptuelle que propose Descola. Et c'est confondant d'entrevoir ainsi la place prépondérante que prennent les schémas de pensée, la force de leur imposition sur la vision que tout existant qui dit je a du monde.



Malgré quelques descriptions ethnologiques qui me parlaient si peu et servaient un point si mineur de la démonstration que je les ai trouvées trop longues, malgré un vocabulaire à la précision redoutable, empruntant beaucoup à la philosophie de la logique, au droit parfois, malgré aussi l'envergure de ce gros bouquin, j'ai trouvé cette lecture passionnante. Tant parce qu'elle promet un désencombrement idéologique tout à fait salutaire que parce qu'elle tire toutes les conséquences de la méthode qu'elle se propose d'appliquer.



Dans la continuité de Lévi-Strauss, Descola ne nous laisse pas en rase campagne (si l'on peut dire…) et édifie les structures nécessaires à la mise en ordre d'une pensée sur le monde. Sa proposition reposant sur l'observation et la conceptualisation propres à l'anthropologie a essentiellement le mérite de désoccidentaliser la perspective et, par là-même, de désengluer nos chaînes prédictives. Puisque d'autres ontologies, d'autres schèmes de relation existent, nul n'est besoin de se fourvoyer plus avant dans une supposée inexorabilité de nos destins. Il ne s'agit pas de se rêver animistes, d'imaginer transformer l'idéologie capitaliste postmoderne en totémisme. Mais de considérer que si l'Europe a pu passer de l'analogisme au naturalisme en quelques siècles, si des collectifs ont pu migrer d'un schème majeur de don vers celui de l'échange, si d'autres ontologies président le rapport au monde à d'autres endroits du globe, alors l'espace pour une mutation de nos manières de pensée existe. La liberté de faire autrement.



Pour finir, en offrande sans contrepartie, pour les courageux amis qui m'auront suivi jusqu'ici et auront trouvé aride cette recension sans la moindre bestiole, en voici une charmante ribambelle tirée de ma lecture : paca, agouti, acouchi, cabiai, pécari, tapir, oiseau-trompette, caribou, chimpanzé, et last but not least, cochon d'inde.



Et pour ceux qui préfèrent songer plutôt qu'organiser, cette édifiante définition de la confiance : « Faire confiance à une personne, (…) c'est agir vis-à-vis d'elle dans l'anticipation qu'elle se comportera à mon égard dans la même disposition d'esprit favorable qui est la mienne, et cela aussi longtemps que je ne ferai rien pour brider son autonomie, c'est-à-dire sa capacité à agir autrement ; c'est donc une situation de dépendance librement consentie et qui donne tout son prix au choix d'autrui d'adopter à mon égard la même attitude que celle que j'adopte à son endroit. En somme, toute tentative d'imposer une réponse, d'énoncer les conditions ou les obligations que l'autre est tenu de suivre, représenterait une trahison de la confiance et une négation de la relation. » A l'endroit de son totem, de l'esprit maître du gibier ou d'un ami, quel magnifique fondement !

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Le sport est-il un jeu ?

Le sport est-il un jeu ? La question – avec quelques autres – est posée à l’anthropologue Philippe Descola qui compare le modèle moderne que l’Occident a imposé au reste du monde, reposant exclusivement sur la compétition avec celui des sociétés amérindiennes.

(...)



En quelques lignes et exemple à l’appui, Philippe Descola démontre que la compétition n’est pas inhérente au sport mais qu’au contraire ce principe a été imposé très récemment par l’Occident au reste du monde. Cet ouvrage s’avère cependant quelque peu décevant car, au lieu d’approfondir cette question fort intéressante, l’auteur, répondant aux questions de son interlocuteur, se disperse ensuite en égrenant une série de réflexions sur l’irruption du capital financier dans le sport, la symbolique de la mêlée, le triomphe de la consommation avec la transformation de la plupart des espaces en « lieux de dilection pour citadins », notamment pour la pratique sportive (« D’une certaine manière, l’Europe est devenue une sorte de Disneyland »), les humains augmentés, etc.



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La composition des mondes

« L’anthropologue est un « badaud professionnel », au sens où il transforme en un mode de connaissance une curiosité spontanée pour le spectacle du monde et pour l’observation de ses congénères qui est ancrée dans sa personnalité bien avant qu’il ne songe à embrasser ce métier. » Dans cette synthèse en forme d’entretiens, Philippe Descola revient sur son parcours et ses travaux, en particulier sur son étude de nos façon d’habiter une planète remplie de « non-humains », plante, animaux ou esprits et développe une critique inventive du modèle occidental.

(...)

Texte du immense portée philosophie et politique, qui bouscule nos conception d’habiter le monde.



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Par-delà nature et culture

Il est des lectures qui renversent plus ou moins abruptement la perspective. Il en est d'autres, plus rares j'en ai le sentiment, qui décalent la perspective.

Renverser la perspective est prendre un point de vue déjà objectivé. La déplacer est prendre un point de vue insoupçonné.

L'ouvrage de Philippe Descola dégage ainsi quatre ontologies (totémisme, naturalisme, analogisme, animisme) mises en place comme autant de manières d'appréhender le monde de la chaîne continue des êtres à la dichotomie naturaliste. C'est cette dernière qui, selon lui, a produit et est nourrie par la démarche scientifique en occident.

Il en ressort une critique assez vive de l'émergence des ethnosciences qui se proposeraient de mettre en perspective ce qu'il y a de théorie et de pratique scientifiques chez des populations pour lesquelles les relations entre nature et culture ne fonctionnent pas selon les mêmes principes.
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Par-delà nature et culture

Le problème est que les quatre ontologies sont décrites à partir de l'une d'elles, qui organise tout le livre, comme l'auteur le reconnaît expressément (ex p.337) : le naturalisme. En conséquence, pour théoriser le dépassement de la nature et de la culture, il faut bien en avoir d'abord intégré la distinction, et si elle est contingente à l' « Europe », c'est de cette contingence que l'on repart pour décrire les autres contingences, annexées. Descola part en effet, par exemple, de l'individu et de la dualité entre l'intériorité et la physicalité (cf. âme et corps) pour théoriser les autres ontologies... qui prétendûment ne connaissent pas "consciemment" cette distinction. Les voilà qui les connaissent maintenant pour se connaître elles-mêmes : on ne change pas dans cet ouvrage de paradigme de pensée, on applique celui que l'on connaît au reste du monde. Et donc les théorisations de l'animisme, du totémisme et de l'analogisme dépendent elles-mêmes du naturalisme. Où l'on ne voit pas bien ce que l'on a dépassé puisque le principe et les méthodes du dépassement des concepts sont exactement les mêmes que ceux qui en ont théorisé la distinction... J'aurais aimé un même paradigme du point de vue de l'animisme, du totémisme ou de l'analogisme (bien que l'analogisme paraisse proche des ontologies distinctes de Strawson par ex, et l'animisme de l'intellect unique d'Averroès).



Autre chose, j'ai décroché en vérité à la fin de la première partie où les tentatives d'expliquer la spécificité de la distinction nature-culture en "Europe" (et donc également aux Etats-Unis-Canada) mènent à pointer la "révolution néolithique"... centrée donc en Mésopotamie (Irak). De là, on passe à un "néolithique européen" [sic]. Le reste m'a paru encore plus "abstrait" : il s'agit de prétendre que tout vient De Grèce (d'Homère à Aristote), "puis" du Christianisme (la Genèse). Comment passe-t-on du néolithique mésopotamien à Homère ? Comment passe-t-on de changements comportementaux (double domestication des plantes et des animaux) à l'analyse de textes écrits ? La Genèse n'est-elle pas antérieure à Aristote ? et même si elle pénètre à Athènes après la philosophie, c'est d'abord en Mésopotamie la Genèse qui y est exprimée, puis la philosophie d'Aristote. Si bien qu'avec la révolution néolithique pour socle commun, on n'a décidément aucun élément de compréhension de la contingence de la distinction entre nature et culture à Paris plutôt qu'à Babylone. Et on ne peut que remarquer que tout est encore européano-centré parce qu'assembler Jérusalem, Athènes et Rome (qui rejette la silva et le monde barbare hors de la cité) paraît suivre avec une très grande rigueur les sources théoriques de la notion d' « Europe ».



Il reste donc un texte très européanocentré, qui ne permet pas de changer de mode de pensée, mais de poursuivre celui que l'on prétend à l'oeuvre (la modernité) qui tolère et se divertit de modes de pensée différents, mais pensés à partir de ses propres concepts. A mon avis, c'est cela l'européanocentrisme : donner au monde des concepts d'explication de ses modes spécifiques de penser à partir d'une pensée prétendûment européenne - et ne pas envisager d'autres méthodes pour exprimer l'universalité. L'excipit le dit clairement : il faut des « modes de conciliation et [des] types de pression capables de conduire à une universalité nouvelle, à la fois ouverte à toutes les composantes du monde et respectueuse de certains de leurs particularismes » au risque d'abandonner « au cosmos une nature devenue orpheline de ses rapporteurs parce qu'ils n'avaient pas su lui concéder de véritables moyens d'expression ». Si la nature est orpheline, c'est qu'elle n'a plus son tuteur : l'homme. La distinction n'est pas dépassée, il s'agit seulement d'être un peu plus « tolérant ». Si bien qu'à mon avis, cet ouvrage n'a aucune chance de donner des moyens de penser un dépassement de la distinction entre nature et culture et encore moins d'inventer une nouvelle universalité : son auteur n'a pas conscience qu'il est entièrement emprunté dans celle qu'il prétend dépasser.



Reste que les paradigmes proposés pourront servir aux auteurs de romans (c'est expressément proposé dans la conclusion) puisque ce sont des systèmes de cohérence qui sont décrits. Reste aussi que c'est, du moins au début, car après, c'est plus techniques et embarrassant, formidablement bien écrit et qu'on se laisse emporter comme une plume d'un bout à l'autre du monde par la littérarité des phrases et leurs mouvements de mots.
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Les Lances du crépuscule

Entre 1976 et 1979, Philippe Descola et sa femme, tous deux anthropologues, vivent en immersion chez les Jivaros Achuar, en Equateur. Protégés par leur réputation usurpée de féroces réducteurs de têtes, pratique dont leur culture orale ne porte plus les traces, les Achuar sont restés dans une certaine mesure un isolat. Ce livre relate de façon méthodique tous les aspects de la culture achuar : culture matérielle, architecture, chasse, entretien du jardin par les femmes, culture immatérielle et spirituelle également. Les Achuars ont ceci d'intéressant qu'ils vivent en habitat dispersé et que chaque cellule familiale vit en autarcie pour la grande majorité de sa subsistance. Aux hommes la chasse des pécaris, des singes laineux et autres mammifères ; aux femmes la culture du manioc et le secret des plantes. Les Achuars ne connaissent pas de chef : certains chasseurs retirent quelque prestige de leur habileté à quérir le gibier et de leur éloquence. Leur charisme leur permettra occasionnellement de fédérer autour d'eux quelques guerriers pour mener une action de vendetta contre un autre groupe, mais il n'existe aucune relation de type féodal chez les Achuar.

Pour avoir lu d'autres récits de l'exceptionnelle collection Terre Humaine, je n'ai pas retrouvé chez Descola le parfum d'aventure que l'on trouve chez Jean Malaurie dans Les Derniers rois de Thulé ou chez Wilfred Thesiger dans le Désert des Déserts. Certains passages sont un peu ardus, et l'on se perd rapidement dans les liens de parenté qui unissent les Jivaros, qui n'ont rien à voir avec les nôtres, mais les derniers chapitres relatifs aux pratiques chamaniques nous transportent dans un univers où la césure nature / culture si enracinée dans nos sociétés disparaît, l'être humain fait partie d'une chaîne dans laquelle il ne forme qu'un élément parmi les autres, ni plus important, ni moins important que les autres, et ce paradigme a quelque chose d'apaisant et de réconfortant.
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On ne dissout pas un soulèvement : 40 voix po..

Un abécédaire pour expliciter les bases du mouvement "Les soulèvements de la Terre".



40 textes variés se succèdent, de la cantine collective à la (dé)colonisation, des atteintes à la Terre aux réponses que nous pouvons y apporter.



Les enjeux sont importants, économiques et surtout sociétaux.



Après l'effondrement attendu d'un système capitaliste qui ne profite qu'à quelques-uns tout en détruisant la planète, quelques pistes pour tenter de reconstruire ensemble des alternatives.



Elles passent par les valeurs du collectif et la diversification des luttes.





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Diversités des natures, diversités des cultures

Texte d'une conférence de Philippe Descola, destinée au jeune public mais pas uniquement ! La place qu'une société attribue à ce qu'elle nomme et définit comme être humain n'est pas universelle. Cette vision séparatiste entre "culture" et " nature", que nous avons établi, a engagé un processus d'appropriation , d'exploitation et de destruction du monde auquel nous appartenons. Dissociant l'homme de la nature nous nous sommes autorisés à nous placer arbitrairement au dessus des autres règnes. Philippe Descola nous explique le champ des investigations des anthropologues, ethnologues, ethnographes. Il nous explique la vision d'autres mondes, peuples, civilisations. Visions totalement différentes du monde occidentales. Visions d'altérité qui engendrent protection et respect du monde qui les entourent et les accueillent. Magnifique texte. Clair, précis. Et qui éveillera, nous l'espérons, chez le jeune public, bien des vocations !

Astrid Shriqui Garain
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Une écologie des relations

Comprendre celleux qui nous constituent, celleux qui nous entourent, comprendre les architectures mentales et sociales, les réseaux semblables ou différents qui animent, agissent, nourrissent nos relations au.x monde.s . Philippe Descola dans cet essai nous rappelle ses chemins parcourus, les fruits précieux de ses rencontres, de ses recherches. Une ouverture vers le monde dans sa totalité, une cartographie spacio-temporelle très intéressante de "l'écologie des relations" qui animent notre Terre.

Astrid Shriqui Garain

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Par-delà nature et culture

Il est deux sortes d'érudition : celle qui se partage et qui rend le lecteur plus intelligent, et celle qui écrase et fait que le lecteur n'arrive pas à comprendre et en ressort sans bénéfice. Descola fait partie de la seconde : dans un langage inaccessible, il manipule des concepts savants, dans lesquels le non initié se perd, même avec le dictionnaire à proximité.

C'est ennuyeux, sur-developpé, anti-pedagogique, au contraire de beaucoup de scientifiques qui savent raconter une histoire et se mettre à la portée du lecteur (Héritier, Levy-Strauss, Diamond pour l'anthropologie).

La thèse : une culture (la nôtre) qui se considère détachée de son environnement tout en le dominant, s'est construite avec les philosophes grecs, et a abouti à ce que nous sommes. Elle s'est construite contre de la plupart des peuples de chasseurs cueilleurs et de leurs descendants vivants encore dans des forêts reculées. Ces peuples animistes, considérent que tous les êtres vivants partagent leur intériorité, mais sont physiquement différents (je ne suis même pas sûr d'avoir compris). J'ai rapidement pris les diagonales pour éviter la noyade dans les très longs développements, les innombrables références et citations (690 pages au total), avant de déclarer forfait. Abandon par jet de l'éponge au 4eme chapitre !
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Par-delà nature et culture

"Habiter le monde et lui donner un sens", c'est ce que fait chaque société, chaque "collectif".



Philippe Descola, ethnologue, part d'abord d'un constat, celui que notre manière de voir le monde, divisé entre nature et culture, n'a rien d'universel au sein des sociétés humaines. Que l'anthropologie, qui "étudie les phénomènes sociaux et _culturels_", part donc de présupposés marqués par une vision du monde qui n'est pas universelle, mais ethnocentrique, qui l'empêchent d'appréhender pleinement les autres manières. Et que c'est probablement le cas de tous les sciences humaines.



Il essaie d'analyser les rapports de l'homme au monde en se basant sur deux mécanismes, l'identification et la relation, il dégage d'abord quatre modes de rapports au monde, quatre orientations cosmologiques, basés sur des modes d'identification physiques et spirituels entre humain et non humain.



* le NATURALISME, c'est notre civilisation moderne, nos religions et notre science, qui font le pari que les humains et les non humains obéissent aux même lois physiques mais que les humains s'en distinguent radicalement par leur esprit, leur culture (leur âme).



* L'ANIMISME, exact opposé, fait l'hypothèse que les intériorités des non humains sont équivalentes à celles des humains, mais qu'ils en diffèrent par le physique. En effet, c'est très très exotique.



* le TOTEMISME met l'accent sur l'identité à la fois physique et spirituelle entre humains et non humains en des groupes d'appartenance. Exotique aussi.



* Enfin, l'ANALOGISME disjoint totalement les humains et les autres éléments du monde mais les relie par des relations de correspondance. Ca nous est plus familier, car l'astrologie par exemple, ou certaines philosophies orientales sont basées sur ce genre d'approche du réel.



A partir de cette classification, Descola étudie la manière dont les groupes peuvent se singulariser, et aussi les relations possibles qui peuvent s'établir entre humains et non humains. Des considérations passionnantes sur une multitude de sujets et de sociétés, sur le cannibalisme, par exemple, ou la domestication.



Evidemment, c'est hyper résumé car c'est un livre bien épais, érudit, riche, et passionnant de bout en bout, bien qu'un petit peu ardu à lire (du moins pour moi). Une plongée dans l'altérité, un ouvroir, une aide inestimable pour penser hors de ses barreaux, ou au moins prendre conscience de ces barreaux. Descola s'essaie sans trop d'illusion à cet exercice, et malgré une ironie discrète, n'émet pas de jugement de valeur.



Derrière tout ça, je pense, il y a évidemment un enjeu : celui de notre biosphère, où ce que nous appelons la "nature". Changer notre mode d'identification au non humain serait bien peut-être un besoin urgent. Mais aussi autour de nous, les objets "animés" technologiques vont peut-être prendre une part de plus en plus importante.



Prochaine lecture : "Ecrivains, savants et philosophes font le tour du monde", de Michel Serres.
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Par-delà nature et culture

Avec "Par-delà nature et culture" on sort de la fiction pour se plonger dans une problématique toute humaine : la dichotomie qui existe ou non, selon les civilisations considérées, entre nature et culture.

D'aucuns prétendent que la "culture" est l'apanage de l'homme. Ce terme il est vrai est une invention humaine. Mais certaines civilisations qui d'ailleurs ne se réclament pas comme telles, ne conçoivent pas de distinction entre eux-mêmes, ce qu'ils représentent et leur environnement. Philippe Descola décortique, dissèque puis catégorise la perception de quatre conceptions cosmologiques : l'animisme, le totémisme, l'analogisme et enfin le naturalisme.

Un ouvrage passionnant autant qu'éclairant. Je connais à présent mon obédience.
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Comment vivre ensemble quand on ne vit pas ..

Cet opuscule, rédigé par un collectif d'anthropologues français et paru en 2016, résulte d'un projet éducatif dans un lycée d'Aubervilliers, en banlieue parisienne. Il recense vingt questions délicates auxquelles les auteurs apportent des réponses claires. On démarre par la définition du rôle des anthropologues, puis on continue avec les mythes et religions, avec l'intégration individuelle dans une culture différente, et on finit sur les valeurs portées par notre République.

Evidemment, les auteurs prennent des positions qui sont nettement en opposition à la xénophobie et en faveur de l'accueil des cultures différentes dans notre pays. Ils se présentent comme des scientifiques, qui savent de quoi ils parlent. Mais ils se veulent, aussi, des acteurs qui cherchent à promouvoir le vivre-ensemble dans une France qui parait de plus en plus divisée. Peut-on croire que ce type d'action saura apaiser les réactions de rejet (réciproque) et les peurs qui se répandent en France ?

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Par-delà nature et culture

De la non séparation entre nature et culture envisagée à la racine.



Si l'on parvient à comprendre que la nature est un être cultivé, qu'elle est son propre jardinier, alors on ne cultivera plus la nature de façon séparée, mais comme membres de sa culture. Nos jardins seront ses nouveaux jardins, nos cultures ses propres développements culturels. Nous pouvons certainement embellir et adoucir la nature : elle porte en elle la pédagogie pour y parvenir.



"Depuis des millénaires, en effet, les Amérindiens modifient la composition de la forêt. Ils l'ont transformée en macro-jardin, en plantant un peu partout des espèces utiles aux humains."



"Les femmes Achuar traitent les plantes comme si c'étaient des enfants. Et les chasseurs traitent les animaux comme si c'étaient leurs beaux-frères."



"Voir les Achuar traiter les plantes et les animaux comme des personnes m'a bouleversé : ce que j'ai d'abord considéré comme une croyance était en réalité une manière d'être au monde, qui se combinait avec des savoir-faire techniques, agronomique, botanique, éthologique très élaborés."

"Il n'y a pas de chef, pas d'Etat, pas de spécialistes des rituels. Chacun est capable de parler avec les non-humains, il n'existe ni divinité, ni culte particulier. Ces groupes ne possèdent en fait aucun des organes permettant de structurer « normalement » les sociétés. Qu'est-ce qui les fait donc tenir ensemble ? Leur lien avec la nature ! Le fait que leur vie sociale s'étend bien au-delà de la communauté des humains compense l'absence d'institutions sociales."



"Une bonne politique écologique se pratique d'abord à l'échelle locale – celle du quartier, du village, de collectivités qui décident de maîtriser la gestion des ressources communes, l'eau, l'air, l'énergie. C'est l'encouragement de ces politiques qui permettra d'aller vers un mieux vivre moins destructeur pour l'environnement.



Reste que, jusqu'à maintenant, dans les rapports entre humains et non-humains, ce sont toujours les humains qui produisent les normes. Nous aurons accompli un grand pas le jour où nous donnerons des droits non plus seulement aux humains mais à des écosystèmes, c'est-à-dire à des collectifs incluant humains et non-humains, donc à des rapports et plus seulement à des êtres."



"Donner un statut juridique à la dynamique d'un écosystème ferait que les humains ne « posséderaient » plus la nature, ils seraient possédés par elle."









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Par-delà nature et culture

Un ouvrage, une recherche qui nous fait réfléchir à notre perception du monde, à notre représentation de la nature et de la culture.



J'ai apprécié constater que les différences sont assez significatives selon la civilisation étudiée, mais aussi, je pense que c'est également le cas dans le temps, même si cet aspect est moins approfondi... Le Moyen Âge, par exemple, ne pensait pas ce rapport dans les mêmes termes que nous le pensons aujourd'hui.



Cela donne de nouvelles perspectives à de nombreuses recherches dans des disciplines diverses et variées.

Simplement un immense merci à Philippe Descola pour cette réflexion enrichissante.
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Une écologie des relations

Si l'on parvient à comprendre que la nature est un être cultivé, qu'elle est son propre jardinier, alors on ne cultivera plus la nature de façon séparée, mais comme membres de sa culture.

Nos jardins seront ses nouveaux jardins, nos cultures ses propres développements culturels.

Nous pourrons l’embellir et l’adoucir parce qu’elle porte elle-même en germe la pédagogie pour y parvenir.

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Les grandes civilisations

Ce livre est particulièrement intéressant car il touche avec une pointe de savoir d'illustres professeurs du Collège de France sur les grandes civilisations du passé: les mythes de l'Eden, l'Egypte, Rome, la Chine, La Gaule de Vercingétorix, les civilisations amérindiennes et l'Orient arabe.

Ils nous font réfléchir sur divers aspects et quelles empreintes nous ont laissé ces civilisations; un exemple, connaissiez-vous le sens profane du mot paradis? Moi pas.

"Un paradis au sens propre est un jardin oriental pour palais de princes"; et si on va plus loin, le terme grec est un mot d'origine iranienne qui signifie "espace muré". Ou bien l'origine de l'écriture chinoise est divinatoire, le livre des mutations (Yi King), c'est à partir de la combinaison de deux traits (les fameux ying/yang) que se construisent les idéogrammes.

Une foule de détails aussi passionnants les uns des autres afin de reconstruire le mouvement des civilisations.
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Les formes du visible

Aujourd’hui je vais évoquer Les formes du visible essai érudit et impressionnant de Philippe Descola. Le sous-titre est Une anthropologie de la figuration. Il est l’auteur notamment de Par-delà nature et culture et Les lances du crépuscule.

Les formes du visible est un ouvrage complexe dont la lecture demande concentration et attention. Il s’agit d’un pavé de sept cent pages accompagnées de cent cinquante illustrations. Le propos de Philippe Descola en théoricien est de porter un regard particulier sur la figuration à travers l’étude de différentes cultures et époques. La promenade déambulatoire à travers le temps et l’espace est étayée sur des œuvres (considérées selon les cas comme des œuvres d’art ou des représentations vernaculaires) qui vont des peintures rupestres aux masques, des tableaux classiques aux costumes coutumiers. Dans ces pages le lecteur passe de l’Alaska à l’Amérique latine, de l’Europe médiévale à l’Australie avec l’anthropologue comme guide pédagogue. Il est beaucoup question d’ontologie, le mot ne doit pas effrayer, d’autres termes abscons parsèment l’ouvrage. Les formes du visible est la résultante de nombreuses années d’étude et de recherche. La curiosité et l’intelligence de l’auteur sont mises à profit pour élaborer ces mises en perspectives souvent renversantes qui bousculent certains préceptes d’histoire de l’art sur la figuration (la perspective, la signification, l’héraldique). Descola regarde et analyse la façon dont les cultures produisent des images, il interroge le sens de ces représentations, l’importance de la médiation entre différents mondes. Le regard anthropologique appliqué à l’art est fascinant. Quatre concepts sont mis en exergue : animisme, totémisme, naturalisme et analogisme. Descola montre comment les trois premiers sont associés à des aires géographiques spécifiques tandis que le dernier a davantage une vocation universaliste. Il explore la figuration du monde par les hommes des différentes sociétés et tisse des liens entre des masques, des vêtements, des tatouages ou des tableaux. La démarche est passionnante même si la complexité de la pensée rend parfois l’ouvrage austère et aride. Les illustrations sont d’indispensables bouffées d’air frais et les explications afférentes sont toujours intelligentes et pertinentes. Les formes du visible bouscule l’histoire de l’art et déconstruit certains acquis de cette discipline.

Les formes du visible est incontestablement un livre important, une réflexion anthropo-historique sur la représentation à travers les cultures. Les analyses de Descola sont décoiffantes et nécessitent une lecture assidue pour bien en mesurer tous les enjeux.

Voilà, je vous ai donc parlé des Formes du visible de Philippe Descola paru aux éditions du Seuil.


Lien : http://culture-tout-azimut.o..
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