AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Critiques de Philippe Vasset (87)
Classer par:   Titre   Date   Les plus appréciées


Conversations secrètes

J'avais écouté le podcast de radio France, à l'été 2019, je me suis régalée à la lecture de ce récit où Pierre Gastineau et Philippe Vasseur nous racontent, comme de l'intérieur, les spécificités et moments de gloire des principaux services secrets. 



De l'aristocratie britannique où le Premier Ministre est régulièrement informé des affaires en cours, aux multiples services secrets américains qui ont nécessité la mise en place d'un organe de reporting regroupant leurs avis, en passant par la Russie (où le FSB actuel n'a rien à envier à ses prédécesseurs), à la Chine (où tout voyageur hors des frontières est un espion potentiel !), à l'Allemagne qui n'a toujours pas fini d'expier ses errements nazis puis son passé divisé et les abus de l'est), à l'Algérie (qui vit encore aujourd'hui dans l'ombre de la guerre d'indépendance), et pour finir la France, ses barbouzes, ses opérations foireuses et son Bureau des Légendes. 



J'ai apprécié que chaque chapitre s'achève avec des suggestions de livres et de films, et j'ai déjà glissé dans ma liseuses deux ouvrages du John Le Carré russe : Julian Semenov. 



A suivre, donc ! 
Lien : http://les-lectures-de-bill-..
Commenter  J’apprécie          40
Une vie en l'air

Voici sur 186 pages le récit "d'un toxicomane de l'aérotrain" et on le lit sans s'ennuyer, ce qui est paradoxal, car il ne se passe rien.

Est-ce un roman de fiction, un conte, une fable, un récit autobiographique, je n'en sais rien mais j'ai suivi l'auteur sur ses 18 kms de rail de l'aérotrain qui n'a jamais vu le jour. On suit les états d'âme de l'écrivain, ses recherches sur le constructeur, ses interviews des politiques et protagonistes de l'époque, ses essais de fêtes sur ce tronçon, son rêve de l'acheter. Donc rien de palpitant mais on continue la lecture, tenue par l'écriture et la beauté de ces lieux abandonnés qui font souvent fantasmer les randonneurs de sites urbains en friche.
Commenter  J’apprécie          40
Exemplaire de démonstration

Le narrateur est ingénieur dans l’industrie minière en Afrique, domaine où les employés sont rarement d’une moralité irréprochable et dans lequel les disparitions soudaines, voulues ou forcées, sont fréquentes.



En fouillant les affaires de son prédécesseur, victime de cette épidémie de fuite, notre homme découvre une drôle de brochure : un programme informatique, capable de générer des récits, des scénarios de films, séries ou jeux vidéos à la demande. Pour ses concepteurs, le problème est simple : tout a déjà été écrit, les auteurs de génie ont déjà fait le tour de tout ce qui pourrait passionner les hommes. Il ne reste plus qu’à rationaliser cette entreprise en se débarrassant des « artistes » trop instables pour produire des récits s’adaptant parfaitement à la mode du moment.



Le narrateur, abasourdi par une telle découverte, se lance alors à la recherche de cette fameuse entreprise et de son produit miracle dans tous les milieux d’affaire des quatre coins de la planète.







Il me reste tout de même une réflexion assez cynique sur la culture vue comme un bien de consommation comme un autre, avec ses thèmes vendeurs recyclés et répétés jusqu’à plus soif. Avec les annonces enthousiastes des progrès réalisés en intelligence artificielle ces dernières années, nul doute qu’un tel programme intéresse aujourd'hui déjà beaucoup d’éditeurs !
Commenter  J’apprécie          40
La Légende

Revoir les vies de saints, les ajuster au désir de l’époque, en une puissante et dérisoire dérive.



Sur mon blog : https://charybde2.wordpress.com/2016/09/13/note-de-lecture-la-legende-philippe-vasset/


Lien : http://charybde2.wordpress.c..
Commenter  J’apprécie          40
La Légende

C’est en grande partie dans la Villa Médicis que le livre de Philippe Vasset La Légende a été rédigé : lieu idéal pour parler du thème central du roman, décrit en ces termes par l’auteur lui-même : « Je me suis plongé dans le plus grand studio de fiction au monde : le Vatican, et plus particulièrement, l’administration du récit religieux qui s’appelle l’administration pour la cause des saints, bureau au Vatican où les gens passent leur vie à raconter des vies de catholiques illustres. »

C’est effectivement le cas du narrateur, un prêtre défroqué et tourmenté, qui joue les guides pour les congrégations étrangères place Saint Pierre. C’est son mode de survie. Il a visiblement du mal à s’habituer à sa nouvelle existence : « Mal dans ces pantalons qui me serrent, je regrette la caresse de la soutane. Faire mes courses est un supplice : j’achète au hasard et le plus vite possible des ingrédients que je cuisine n’importe comment. Auparavant, je ne m’inquiétais de rien : tous les jours, c’était réfectoire et, une fois par semaine, des sœurs faisaient ma chambre. » Il a même dû changer de nom : reprendre son identité de laïc. Et ça, c’est peut-être le plus dur.

Que s’est-il passé ? Il a été pendant vingt ans « homme de dossiers ». De quels dossiers, me direz-vous ? De quelle mission était-il investi ? Il appartenait à la Congrégation pour la cause des saints et était une sorte de « greffier des vocations extraordinaires » comme le dit l’auteur, évoquant ces « greffiers de sainteté qui sont aussi scénaristes et écrivains ». Or, s’il se devait de raconter la vie des saints, il lui fallait scrupuleusement vérifier, comme un enquêteur, le bien fondé de ce qui est dit à leur sujet, en supprimant si possible les propos trop fantasques, en gommant les outrances : « recadrer, tâcheronner et affadir, tel était mon rôle ».

Mais, le narrateur ne partage visiblement pas cette vision des choses : pour lui, l’histoire des saints est « un outil de conquête des âmes ». Il faut donc frapper les esprits, adapter le propos à l’époque pour remplir de nouveau les églises. De plus, tel un romancier, le narrateur aime raconter : ces vies de saints sont une source inépuisable d’éléments romanesques dont il serait dommage de se priver et, plutôt que de les placer dans l’ombre, il aurait souhaité les mettre sous les projecteurs telles des rock-stars, crier haut et fort leurs actions démesurées et folles en tirant un feu d’artifice… « Au lieu de saisir les saints dans leurs tremblements, j’en faisais des employés modèles et des ouvriers du mois. Je gâchais de la chair à sermon à longueur de semaine, quand j’aurais pu monter de spectaculaires numéros de dévotion ».

Ce qui lui plaisait ? « Les mortifications scandaleuses, les révélations obscures et les miracles invraisemblables ». Ses saints préférés ? « Le saint jongleur Bosco, qui fascinait ses ouailles en marchant sur les mains », « le célèbre Antoine, qui aurait pu prétendre au titre de patron des dompteurs tant il était capable… de dominer les lions qui visitaient sa grotte », Suzanne Foccart, Gianfranco Maria Chiti… La liste n’est évidemment pas exhaustive et de commenter : « il fallait couper les ailes de ces virtuoses et les faire entrer au chausse-pied dans des tabernacles étroits comme des bocaux. » alors qu’il les rêvait « disco, pulp et kitsch ».

Les écrits de Joseph-Antoine Boullan le fascinent car pour cet homme d’Église « la sainteté n’était pas un exemple, mais un scandale, une folie que rien ne justifiait et qui… ne pouvait s’approcher que par la fiction. Et il s’en donnait à cœur joie : ses textes étaient des machines hors de contrôle, des générateurs échevelés de rubans narratifs, d’adverbes et de superlatifs ». C’est donc l’histoire d’un narrateur qui, comme le dit P. Vasset, « tombe dans la soupe de fiction qu’il touille depuis des années ».

Et puis, il y a cette femme, Laure, qu’il rencontre dans un couloir de la Congrégation. Qui est-elle ? Où entraîne-t-elle le narrateur ? Où va-t-elle elle-même, s’offrant telle une sainte, corps et âme, à ceux qui sont là, autour d’elle pour disparaître soudain et réapparaitre ailleurs ?

Qui sont tous ces inconnus qui se donnent à leur passion, se brûlant le corps pour taguer une rame de métro, risquant de mourir à la recherche d’un partenaire éphémère auquel ils s’offriront ?

Aux marges de la ville sont les saints oubliés que le narrateur appelle à lui, citant leurs noms, un à un, comme il invoquait autrefois « l’immense cortège des saints et des archanges », le monde de ceux qui suivent leur vocation et s’abandonnent à elle dans la joie et la souffrance, entièrement, passionnément, jusqu’à l’inconnu.

J’ai découvert un univers fascinant, celui de la vie des saints et de ceux qui ont comme métier de la raconter. Franchement, je n’avais jamais rien lu là-dessus. Le sujet et la façon dont il est traité m’ont passionnée.

Enfin, l’écriture très maîtrisée de l’œuvre, sa dimension poétique et l’humour très présent ont achevé de me séduire.

Une très belle découverte pour cette rentrée littéraire 2016…


Lien : http://lireaulit.blogspot.fr/
Commenter  J’apprécie          40
Journal intime d’une prédatrice

«La glace qui flotte dans vos verres vient de l’Arctique : ce bloc a été détaché d’un iceberg dérivant la semaine dernière en mer de Beaufort, puis acheminé par bateaux jusqu'à New-York.

(Elle s’interrompt, observe l’assistance pour juger l’effet produit et poursuit.)

Mais la fonte des glaces n’a pas pour seul bénéfice de refroidir vos cocktails. Elle peut aussi vous rendre fabuleusement riches, c’est la raison pour laquelle je vous ai conviés ici ce soir.»



La prédatrice est une femme venue de nulle part qui se rêve au sommet : créatrice d’un fond d’investissement, Icecap, celle qu’on surnomme La Reine des glaces veut tirer profit du réchauffement climatique et des ressources naturelles de l’Arctique, pour construire sa fortune, sa puissance et être ainsi l’objet de tous les désirs.



Du tourisme polaire jusqu’aux armements conçus pour les températures extrêmes, la prédatrice fond sur toute opportunité économique en Arctique, nouvel eldorado d’un capitalisme qui s’essouffle, et on n’est ici pas très loin de l’ambiance du ParK (Bruce Bégout).



Comme pour le Journal intime d’un marchand de canons, Philippe Vasset intègre des personnages fictifs dans une réalité très bien documentée. Raconté par un collaborateur toujours dans son ombre, ce journal intime prend par moments des allures de théâtre caricatural, à l’image du fond de teint que La Reine des glaces applique par couches sur son visage pour masquer son vieillissement et ses fragilités. Ce personnage en carton-pâte, qui a égaré en chemin sa part d’humanité, est au final une illustration saisissante d’un capitalisme mondialisé et voyou.

Commenter  J’apprécie          40
Un livre blanc : Récit avec cartes

Mine de rien et sous couvert d'expérience géographico-littéraire, une plongée dans le dur du moderne.



Publié en 2007, ce "livre blanc" de Philippe Vasset marquait un précoce tournant dans son oeuvre, où délaissant doucement les expérimentations formelles de ses débuts, il amorçait le récit contemporain qui l'amènera au "Journal intime d'un marchand de canons" en 2009, puis au "Journal intime d'une prédatrice" en 2010.



"J'ai commencé à m'intéresser aux cartes quand j'ai compris qu'elles n'entretenaient que des rapports très lointains avec le réel. [...] Plutôt que de surcharger le dessin et d'en rompre les proportions avec des symboles compliqués, les cartographes laissent parfois certaines zones vierges. [...] Qu'y a-t-il dans ces lieux théoriquement vides ?"



Philippe Vasset ayant décidé d'y aller voir lui-même, il nous livre les bribes d'un récit de voyage, celui du patient arpentage de ces "zones blanches" de Paris et de la région parisienne, dans lesquelles, pendant plus d'un an, il déploiera force énergie pour s'introduire, bravant chiens, vigiles, végétations ensauvagées et trafiquants éventuels, pour déchiffrer les friches, industrielles ou autres.



Dans l'urbanité rendue à une jungle reflétant largement un devenir social sombre, des moments de poésie font irruption au détour d'une palissade : "De construction récente, le cimetière de Chevilly-Larue a lui-même des allures de terrain vague : les tombes occupent à peine la moitié de sa surface. [...] Il y a de hauts arbres d'essences diverses, notamment fruitiers (j'ai cueilli des pommes et des prunes), des sous-bois, beaucoup d'oiseaux, des clairières couvertes de graminées et des lapins. [...] La tête pleine de trompe-l'œil et d'illusions raffinées, j'ai fini par tomber, au fond du petit bois, sur un abri de bâches translucides perlées d'humidité. Devant l'entrée de la tente fumait un barbecue de fortune où grillaient des épis de maïs."



Ces belles 130 pages sont précieuses, et raviront, comme un écho, les amateurs du François Maspero des "Passagers du Roissy-Express" ou du Ian Sinclair de "London Orbital", ou encore renverront avec grâce aux travaux de reportage inlassable d'Anouche Kunth sur France Culture. Car ce qui frappe aussi tout au long, dans le à-peine-dit de l'auteur, c'est l'omniprésence, croissante, des sans abris...

Commenter  J’apprécie          40
Journal intime d'un marchand de canons

Philippe Vasseur, rédacteur en chef d‘Intelligence online, connaisseur de la réalité du monde, est étonné de l’écart sans cesse grandissant entre le réel globalisé et presque invisible, comme relégué à la périphérie de notre champ de vision, et les fictions faites de matière molle et douceâtre comme prémâchées : romans, sitcoms, films à grand spectacle, journal télévisé, journaux. J’ai ajouté à la liste la presse grand public que je considère aussi éloignée de l’information que les romans ou les films.



Dans ce but est proposé au grand public ce Journal intime d’un marchand de canon qui sera suivi des Journaux intimes des affameurs puis d’un manipulateur… Chaque livre se propose de décrire le fonctionnement d’un pan de l’économie mondialisée habituellement soustraite aux regards. Rien n’y est inventé.



Un stylerapide, efficace, vive rendant la lecture accessible à tous depuis le lecteur curieux n’ayant que le temps de lire quelques livres par an dans les transports en commun.



Sous la plume de Philippe Vasset, un commercial en canon en fin de carrière retrace sa vie, ses affaires, ses meilleurs coups. Lecteurs de thriller et romans, spectateurs de films et séries, vous aurez l’impression de connaître tout cela et vous vous direz : Tout est vrai. Rien n’est inventé. Comme nous le savons sans le savoir : la fiction est une pâle copie du monde réel.
Lien : http://quidhodieagisti.kazeo..
Commenter  J’apprécie          40
A cappella

Fabuleuse et rocambolesque déclaration à la chanteuse aimée, au langage poétique qui se dérobe et à la voix, toujours unique.



Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2023/07/25/note-de-lecture-a-cappella-philippe-vasset/



Amoureux d’une chanteuse, quoi de plus naturel pour un écrivain que de vouloir lui écrire… une chanson ? « A cappella », dixième roman de Philippe Vasset, publié chez Flammarion en janvier 2023, tente le récit de ce pari infiniment plus risqué qu’il n’y paraît, sur le mode de la confidence autobiographique aussi joueuse que songeuse déjà expérimenté avec grand brio par l’auteur dans son « Une vie en l’air » de 2018.



Feignant ostensiblement de naviguer autour du débat « poésie et chanson » qui agita le monde international des lettres (davantage que le vrai-faux marronnier qu’il peut constituer d’ordinaire) lorsque Bob Dylan se vit décerner le prix Nobel de littérature en 2016, Philippe Vasset ressuscite pour nous la dérive psycho-géographique qui hantait « Un livre blanc » (2007) ou « La conjuration » (2013), sous une tout autre forme, désormais encore plus poétique et immatérielle. Le terrain de jeu amoureux est pleinement celui de l’écriture, qui tient ici une place sans doute encore plus centrale, au-delà du paradoxe, que dans « Exemplaire de démonstration » (2003), en un fabuleux retour à la source.



Derrière sa légèreté virevoltante, « A cappella » travaille en profondeur les lignes de force d’un David Toop (à propos d’art sonore même) comme d’un Peter Szendy (à propos d’écoute et d’espionnage), d’une Sandra Moussempès (à propos de voix fantômes) comme d’un Youssoupha (à propos de rap et de Kongo) – ce qui n’est en définitive pas si surprenant pour un auteur qui est aussi journaliste spécialiste de renseignement et d’Afrique. Voix, son et tessiture se retrouvent les jouets d’une nasse lexicale encouragée par Olivier Cadiot et Pierre Alferi, tandis qu’une dream machine géante évoquerait le Thomas Lanfranchi de « une guêpe dans le k-way » et que certaines échappées sur rame lorgneraient du côté d’Anne Savelli et de son « Fenêtres ». Pour un écrivain aussi naturellement féru d’enquête et de mystère, ce chant d’amour en forme d’interrogation décisive sur l’écriture est bien le plus bel hommage qui soit à l’énigme même de la poésie.
Lien : https://charybde2.wordpress...
Commenter  J’apprécie          30
A cappella

Comme c’est en forgeant qu’on devient forgeron, c’est en essayant d’écrire des chansons que le narrateur croit parvenir à ses fins. S’entremêlent alors au fil des pages ses brouillons avortés et le récit du cheminement de pensée qui conduit à ces divers essais. Au fil des pages s’égrène une réflexion à la fois sur l’écriture et ses différents avatars (la chanson, le rap…) mais aussi sur la voix, l’oralité (avec la mention attendue du gueuloir flaubertien). On aime quand le narrateur ponctue son texte de morceaux qu’il écoute, qu’il aime ou qui le frappent au fil de ses pérégrinations (on aimera d’autant plus si on partage ses goûts musicaux, de Daho à Christophe en passant par Bertrand Burgalat). Il y a un côté décousu dans le texte qui n’est pas sans charme, tenant de la rhapsodie ou de l’impromptu, de l’association d’idées pas forcément préméditée. Au fil des pages, le côté universel de la réflexion artistique, plus proche peut-être d’ailleurs du travail de l’artisan remettant sans cesse l’ouvrage sur le métier que de l’image de l’artiste inspiré, se mâtine d’éléments ancrant le texte dans une expérience collective contemporaine. Il y a d’abord en ouverture l’incendie de Notre-Dame, marqueur temporel qui produit sur le narrateur l’impulsion d’un premier essai de couplets. Puis sa description de ses trajets en transports parisiens, du défilement du paysage à la voix indiquant l’approche des stations. Vers le milieu du livre, s’invite un imprévu : le confinement.



Paradoxalement, c’est lors de ce moment d’enfermement obligatoire que l’auteur fait ressortir son goût pour la vadrouille des villes. Bravant les interdictions de sortie, son narrateur se lance dans des expéditions pédestres à travers la capitale où, sa quête lui montant à la tête, il se met à psalmodier voire entonner à tue-tête des chansons dans la ville déserte. Il y a là une forme de poésie toute contemporaine assez réjouissante à la lecture, qui donnerait volontiers l’envie, d’une façon ou d’une autre, de se laisser porter par sa voix.



Plus sur le blog :
Lien : https://lilylit.wordpress.co..
Commenter  J’apprécie          30
Une vie en l'air

L’écriture est un art où les mots ont une source personnelle puisés dans l’abime de son enfance, Philippe Vasset d’un endroit insolite, un lieu gardien d’un passé solitaire jonchant le miracle de l’imagination, d’une prouesse stylistique et narrative d’Une vie en l’air, un sujet étirant sa mémoire se dilatant dans une inextricable biographie où s’illusionne le romanesque créatif de l’auteur. Je suis un lecteur happé par l’intelligence narrative de ce roman, une force structurelle aux fondations de béton d’une lance de lancement creuse les sillons des méandres de la mémoire de notre auteur.

Une vie en l’air vacille les sens de la mémoire de Philippe Vasset, il n’oublie pas cet édifice, ce jouet éveillant les sens de cet enfant qu’il fût. IL narre le compagnon de jeu de ce viaduc en distillant au fil de ce récit les sensations imperceptibles comme si le temps se dilate dans des émotions figées, un kaléidoscope de scènes traverse les années pour dessiner un tableau intemporel. Philippe Vasset semble rechercher une habitation, un lieu, ruisselant sans cesse vers l’aérotrain, ce portail vers la vie, cette vie qui lui est propre.

Philippe Vasset nous présente le projet fou d’un érudit à travers l’édifice qui constelle ses fantasmes. Nous plongeons dans l’aérotrain, avec ces us et ses légendes, son concepteur et certains quidams, d’anecdotes croustillantes, plus ou moins farfelues, laissant le lecteur dans l’expectative et son esprit vagabonder dans une aventure de complots. Comme une enquête, Philippe Vasset explore la genèse du projet, l'ingénieur français Jean Bertin, porteur de l’aérotrain, laissant le vestige d’un projet dans la Beauce comme un mausolée paradant l’énigme d’un vestige lointain que Philippe Vasset aura enfant inventé tant de scénarises différents, de science-fiction, d’Utopie, nourrit de lecture de gare comme Francis Ryck ou Marc Agapit.

Ce roman à la trinité, dans sa composition, est sculpté de musique, comme un écho du passé, Philippe Vasset baigné par l’électro aura cette folie de vouloir créer une rave partie sur l’autel de son enfance, mais l’entreprise trop périlleuse échouera pour laisser notre auteur seul avec sa musique pour une soirée seul, avec cette solitude ancienne de son enfance, de ces errances sur le long de cette arche dominant le paysage.

Cette première partie ancre le narrateur dans cette double vie, entre le viaduc de l’aérotrain, ses expéditions solitaires, le long des rails, ses heures à planer au-dessus de paysage, scrutant l’horizon, regardant la vie des autres s’articuler autour de sa tour, celle de son jardin, ermite de cette peinture en mouvement, qu’il participe lorsqu’il s’échappe de cette structure happant son imagination.

Dans la deuxième partie, des paroles de Dépêche mode, nerver let me down again, Philippe Vasset échappe à son paysage natale pour voguer vers une vie d’adulte, se socialisant, participant à des raves party, voyageant et laissant son eldorado en berne, pour y revenir comme aimanté par ce lieu, spectre d’une vie, venant perturber son esprit. Comme le dit le narrateur, ce lieu est une drogue, l’aspirant à lui, le consume de l’intérieur, pour s’en dégager c’est la fiction, un murmure récité encore et encore.

Dans la douceur d’Etienne Daho, la troisième partie s’ouvre sur la toxicomanie de l’auteur où dans le dédale de ces errances, Philippe Vasset cherche des lieus déserts pour revivre la sensation cette solitude passée, sa drogue, des voies abandonnées, des ponts, viaduc ferroviaires à la personnalité de Dorian Gray. Une vie en l’air se perd dans l’incertitude de l’auteur, recherchant son identité à travers, une quête à la Don Quichotte, une communauté l’absorbant dans sa névrose, comme ce lieu en Belgique, Tour & Taxis , une zone industrielle en friche, qu’une femme Marie veux préserver. Cette anecdote légitime la fois sincère de préservation d’un lieu, comme les Indiens avec les terres sacrés, des ossements de leurs ancêtres. Ce crève-cœur de la construction du raccordement de l’A10 à A6, détruisant une partie de cette arche, laissera notre nostalgique dans un désarroi légitime. Ces rencontres lui ouvrent une perception de mouvement, son portail devient l’antre d’un film où il sera acteur, ce lieu vecteur d’une société de consommation en péril selon le cinéaste.

Trouble de ce roman, c’est la recherche de soi, Philippe Vasset à travers ce vestige d’un échec industriel, essaie d’avoir une réponse à l’identité de son être, celle de l’écriture, avec comme catalyseur ce décor, source d’écriture d’un récit étranger au projet de Jean Bertin. Puis ces autres récits que Philippe Vasset écrira, laissant son arche loin de lui, mais présent.

Ce roman est une longue quête intérieure qui peut se conclure de la sorte par les mots de Philippe Vasset.



« Habiter, comme écrire, c’est travailler une énigme. »

Commenter  J’apprécie          30
Une vie en l'air

Il faut bien avancer dans le neuvième texte de Philippe Vasset avant d'en apprécier la subtilité du titre.

Car ce qui se perçoit d'abord comme le récit d'une fixation née dans l'enfance devient peu à peu l'histoire de la construction d'un échec par l'incapacité à se libérer d'une obsession - jusqu'au sentiment d'avoir foutu sa vie en l'air.

Mais il est tout aussi vrai que Philippe Vasset aura passé sa vie en l'air ; à sept mètres de haut précisément, la hauteur à laquelle culmine le rail de béton de l'aérotrain, sorte de TGV sur coussins d'air dont le développement a été abandonné en 1974. La voie d'expérimentation est une cicatrice de 18 km sur le visage de la Beauce ; construite dans un béton particulièrement résistant, le coût de sa destruction a toujours été rédhibitoire.

Dès l'enfance, cet énigmatique stigmate d'un échec industriel envahit son espace mental et son imaginaire pour de très longues années…

Une vie en l'air est un récit autofictif et introspectif qui gagne en intensité et en intérêt au fil des pages. Le début, entre souvenirs d'enfance et balade documentaire dans l'histoire du grand rail peut laisser dubitatif, même s'il réserve des moments sensibles et passionnants. Puis quelque chose d'intense se noue entre le lecteur et l'auteur, quand celui-ci s'engage dans la narration aux accents "rousseauistes" d'un drame intimiste avec toute la force d'une sincérité maîtrisée, au service du récit. Philippe Vasset personnifie ce rail d'aérotrain et nous livre tout de sa relation passionnelle avec lui, mélange kaléidoscopique de fascination, d'obsession, de rejet, de domination, d'échecs, d'accomplissements, s'étendant sur plusieurs dizaines d'années.

Au final, rarement un auteur n'aura fait aussi bien partager et comprendre à ceux qui le lise les origines et les ressorts de son oeuvre, de sa manière de voir le monde et de son appétit pour les espaces étranges dissimulés dans nos espaces a priori si formatés.

Commenter  J’apprécie          30
Une vie en l'air

Une vie en l'air est un drôle de livre, mais ce fut donc un plaisir quand l'éditeur a accepté de me fournir un exemplaire numérique en service de presse, car j'avais tout de suite eu envie de le lire lorsque j'avais découvert son résumé sur NetGalley.fr :



" C’est une ligne de béton tendue à dix mètres au-dessus de la Beauce, qui barre depuis toujours le paysage de son enfance. Elle devait servir de rampe à un véhicule révolutionnaire, un monorail propulsé à 430 kilomètres à l’heure sur coussins d’air : l’aérotrain, invention futuriste née de l’imagination de l’ingénieur Jean Bertin et conçu pour relier, à très grande vitesse, les centres urbains de la France pompidolienne. Si le projet fou de Bertin a fait long feu, cette ruine du futur, elle, est restée debout, absurde, au milieu des champs.



Enfant, puis adolescent, le narrateur a fait de ce môle abandonné un domaine, passant des heures, des jours entiers à scruter le paysage comme s’il s’agissait d’un diorama, à observer la vie alentour et les allées et venues en contrebas. Jamais il n’est descendu de ce perchoir. Cette existence suspendue s’est poursuivie pendant trente ans, en parallèle à la vie réelle. Le paysage a changé, le rail aérien s’est effondré en plusieurs endroits mais le narrateur a continué d’habiter la jetée, songeant même à l’acquérir, et à en déclarer l’indépendance.



Que faire de la hantise ? Comment vivre habité ? L’écriture peut-elle

ressaisir un lieu, et faire d’une retraite un monument ? "



Il est sans doute difficile d'accrocher de nombreux lecteurs avec un tel pitch, mais j'ai tout de suite été attiré : un livre sur l'Aérotrain et un homme fasciné par cette innovation avortée, cela avait tout pour me plaire !



Il m'est difficile de résumer ce quoi parle ce livre finalement. Il ne s'y passe pas grand chose, hormis le récit de la longue obsession du narrateur (auteur ?) pour la rampe d'essai de l'aérotrain, au pied de laquelle il a passé son enfance et auprès de laquelle, une fois adulte, il revient souvent.



" Mon monument était une ruine du futur, le vestige d’un avenir radieux qui n’avait jamais été. "



Je sais que ce livre ne plaira pas à tout le monde, son thème est sans doute trop spécifique et son récit trop lent et étrange pour conquérir une majorité de lecteurs. En un peu plus de cent-vingt pages, Philippe Vasset parvient cependant à parler joliment de l'obsession d'un homme pour un projet abandonné, mais aussi d'innovation et surtout d'aménagement du territoire.



" Et pourtant : si, à douze ans, j’avais lu Simon du Fleuve plutôt que Comment ça marche ?, je me serais sans doute forgé une vision assez différente de l’aérotrain : en lieu et place de l’appareil rutilant présenté sur les planches de l’encyclopédie pour enfants, j’aurais découvert un bolide dominant une plaine soufflée par l’explosion du capitalisme, un carrosse sur coussin d’air transportant, dans une Beauce jonchée de silos crevés, les maîtres d’un monde dévasté. Enfermés derrière leurs remparts, « ceux des cités » asservissaient les campagnes où vivait Simon et circulaient, lointains, dans un vacarme aéroglissé. Ce futur-là, m’expliquait Florent, c’était celui qui s’esquissait à Bure, dans le Val de Suse et à Notre-Dame-des-Landes : un « pays utile » que la vitesse ampute de ses rebuts, un territoire quadrillé par des bolides avec, dans les trous du maillage, des zones d’enfouissement de déchets, qu’ils soient industriels ou humains. "



Je ne conseillerais pas ce livre à tout le monde, je pense qu'il s'adresse avant tout à ceux qui ont envie de le lire, mais si c'est le cas je vous promets un voyage poétique et onirique dans la Beauce natale du narrateur, à quelques mètres de hauteur, seul sur un rail abandonné.



" Si toutes ces années jetées par-dessus bord doivent servir à quelque chose, c’est à ceci : inscrire l’aérotrain au patrimoine mondial de l’incertitude généralisée, en faire un Monument à la gloire de tous ceux qui préfèrent le tâtonnement à l’installation, tous ceux qui considèrent qu’une place ne se donne pas, mais se prend, tous ceux qui construisent leur lieu et, par touches successives, transforment l’espace autour d’eux, tout ceux qui persévèrent dans le froid et la nuit, tous les furtifs, les discrets et les petits malins, tous ceux qui forent le monde de minuscules galeries et sapent les fondations de ce décor qu’on nous présente comme réel. "
Commenter  J’apprécie          30
La conjuration

C'est un roman qui ne démarre jamais complètement, qui se cherche. On pense à "fight club", à tous ses livres qui dénoncent la société de consommation. Il est clair que l'auteur a bien étudié les lieux déshérités de la région parisienne, et tous ces endroits propices aux fantaisies. Mais le sujet qui nous est annoncé, la création d'une secte, est presque parasitaire au milieu de ces descriptions de supermarchés abandonnés et de bords d'autoroute. Mais l'idée de départ est géniale. À l'arrivée, juste un bon souvenir.
Commenter  J’apprécie          30
Exemplaire de démonstration

Si vous aviez encore des doutes sur le fait que le récit, au sens large (roman, film, télé, journaux, magazines, documentaires, jeux vidéos etc.) est devenu un bien de consommation de masse, cet Exemplaire de démonstration saura vous en convaincre.

ScriptGenerator est un logiciel conçu pour vous aider à optimiser la production de biens culturels en réduisant les coûts. Grâce à sa base de données, il vous fournit de manière automatisée la matière première dont vous avez besoin, en vous débarrassant de cet intermédiaire encombrant qu'est "l'auteur". De la trame du récit aux personnages, de la campagne marketing à la gestion des droits, tout est optimisé grâce à ScriptGenerator pour améliorer vos chances de placer votre produit sur le marché international de la façon la plus compétitive, puis de le décliner sous forme de produits dérivés.

Évidemment une telle entreprise n'est possible que si elle fait l'objet d'un secret absolu. Et pourtant... s'il était possible de remonter la filière, jusqu'aux sources de cette effrayante entreprise de normalisation de la pensée par le capitalisme ?

Un petit roman à la fois savoureux et glaçant, qui atteint parfaitement son objectif : faire réfléchir le lecteur à la place de l'imagination et de la création dans la société de consommation.
Commenter  J’apprécie          30
La conjuration

cette lecture fut surprenante pour moi. Je m'attendais peu ou prou à avoir dans les mains une sorte de manuel pour monter sa secte. Certes il y a un peu de cela avec à la fin une révision de l'ordre cistercien.

Le livre commence par une flânerie dans les zones blanches de Paris, zones soumises à une forte "gentryfication" qu'il est émouvant de parcourir par lecture interposée.

En gros la lecture fut agréable malgré la fin un peu abrupte de l'histoire.



Commenter  J’apprécie          30
La conjuration

Merci pour cette promenade aux relents de dérives situationnistes. Mon cerveau vous remercie Monsieur Vasset pour toute l'inspiration que cette marche a pu générer au cours et à la suite de cette lecture.
Commenter  J’apprécie          30
La conjuration

Je suis ressortie assez dubitative de cette lecture. Ce ne fût pas une mauvaise lecture, ni une bonne.

On suit le narrateur, un homme dont on ne sait au final pas grand chose, dans ses parcours urbains. En effet après être partis quelques années, il revient à Paris et il nous entraîne avec lui dans des lieux auxquels il tient, des lieux qu’il apprécie.

Quand un soir il rencontre André, un écrivain assez fantasque, il se retrouve embarqué (volontairement bien entendu) dans la création d’une secte ! Ni plus, ni moins que ça ! André veut en effet se reconvertir, et fonder une secte lui semble très lucratif. Le narrateur va donc être une sorte de conseiller pour André, il devra chercher un lieu convenable pour leur « entreprise ».



J’ai bien aimé la partie consacré au fondement de la secte, leur recherche tellement « scientifique » et « marketing » qui semble si éloignée mais si proche à la fois de ce qu’est le fait de fonder une religion.

Ils vont vite se rendre compte que ce n’est pas si facile que ça, et que le marché est assez exigeant.

Cette partie là nous amène aussi à suivre le narrateur dans ses explorations et explications sur différents lieux.



Au fil de ses pérégrinations il va rencontrer une jeune femme qui va lui apprendre bien des choses pour pénétrer des lieux a priori difficiles d’accès : elle va lui apprendre à crocheter des serrures, à se fondre dans le décor, à choisir le moment opportun.

Et petit à petit, le narrateur va de plus en plus se rendre marginal et il va rencontrer des gens qui comme lui pénètrent et squattent des lieux qui ne devraient pas l’être.



Il va ainsi devenir petit à petit le leader d’un groupe, de plus en plus important, où chacun veut devenir quasi-invisible pour se fondre dans n’importe quel décor et pénétrer n’importe quel lieu.

Cette partie là par contre m’a beaucoup moins plu… Cela devenait trop invraisemblable, trop exagéré parfois.



Je reconnais néanmoins une réelle poésie et douceur dans l’écriture, et même si le livre n’est pas bien long, on le lit très facilement, parce qu’on est embarqué par le narrateur et on se prend à vouloir découvrir nous aussi les lieux qu’il apprécie.



Dernière chose qui me paraît un peu dommage : la photo de couverture. Pourquoi choisir une photo d’une ville de Russie alors que le livre n’y fait absolument aucune référence, et se passe à Paris ? Je pense que trouver une photo d’un coin de Paris doit être plus que faisable. Ça reste un détail qui n’a pas vraiment entaché ma lecture, mais c’est juste incongru.

Commenter  J’apprécie          30
La conjuration

Retrouver avec Philippe Vasset ces lieux à l'écart, ces failles dans la ville qu'il aime, comme le refus d'entrer dans la vie ou non-vie réglée, salariée. Failles qu'il tente de mettre au service du projet de secte de son éphémère patron.

Un panorama des sectes et autres mouvements assez jubilatoires, et puis, poursuivant, comme naturellement, la fondation de "sa" secte, avec tous les refusants ou refusés des grandes sociétés logées dans les tours et immeubles de bureaux (sur lesquelles il porte un regard spécialement aigu, grâce à sa position de clandestin) ... un groupe qui se coule, invisible à force d'effacement de toute aspérité, et peu à peu de personnalité, de je, de pensée, dans la vie de la ville.
Commenter  J’apprécie          30
La conjuration

Rares interstices urbains, marchandisation cynique du mystique, poésie tribale de la dissolution.



Publié fin août 2013 chez Fayard, le septième ouvrage de Philippe Vasset réussit une brillante synthèse, enlevée, des deux thématiques principales de ses travaux antérieurs : la géographie des espaces vides, abandonnés ou interstitiels dans un tissu urbain et péri-urbain toujours plus dense, toujours plus surchargé de sens devenu vide ("Un livre blanc", 2007 ; et déjà, en fait, "Carte muette", 2004), et la marchandisation désespérée d'activités diverses et improbables ("Journal intime d'un marchand de canons", 2009 ; "Journal intime d'une prédatrice", 2010 ; voire, déjà, "Exemplaire de démonstration", 2003).



Le narrateur, qui est peut-être celui du "Livre blanc" justement, fasciné par les friches industrielles, bâtiments abandonnés, espaces "hors la ville et hors la frénésie", se trouve en voie de paisible clochardisation, moitié par inadaptation au rythme et à la violence d'une civilisation prônant toujours plus sans le dire le lemming habillé Cerruti comme idéal social, moitié par volonté insidieuse de retrait personnel, est enrôlé par une vieille connaissance, écrivain mondain sur le retour, qui cherche à monter, juteux business, une secte, dont la partie "croyances fondamentales" est totalement secondaire, l'habillage mystique important et plutôt facile, mais le choix de lieux de culte, de célébration et de fête hallucinée autrement plus central et délicat, d'où le rôle de l' "expertise" accumulée par le narrateur.



Cette "business research" en amont du projet est ainsi l'occasion d'une savoureuse revue du "marché" de la secte et de la transe mystique, avec cette verve cynique et hautement crédible techniquement qui enchantait déjà le lecteur (lassé des palinodies de tant d'écrivains contemporains prétendant décrire de l'intérieur les pratiques de la grande entreprise ou de la haute finance, mais n'en proposant qu'une vision convenue, tronquée et souvent bien malhabile) du "marchand de canons" (marchandisation de la violence d'État ou de bande organisée, univers de la grande multinationale) ou de la "prédatrice" (marchandisation du réchauffement climatique, univers du fonds géant d'investissement).



Las, tandis que le projet avance doucement, mais patine beaucoup (ce marché n'est finalement pas aussi simple qu'il le paraissait de prime abord, au grand dam de l'écrivain en voie de reconversion et de quête effrénée d'argent facile), le narrateur, à force de fréquenter toujours davantage de lieux urbains propres à des célébrations ésotériques sauvages et rémunératrices pour leurs instigateurs, entre en fascination de plus en plus puissante avec l'occupation "invisible" de locaux d'entreprise réels, et absolument pas abandonnés.



Un glissement progressif d'univers, du "gros" interstice de la friche urbaine au "minuscule" interstice du placard à lessiveuses industrielles, dans lequel le narrateur va progressivement perdre, volontairement, son identité résiduelle, devenant sans le chercher le guide d'une étrange tribu s'agrégeant autour de lui, nouveaux nomades, chasseurs et cueilleurs, hantant les immeubles de bureaux et les appartements bourgeois la nuit, se fondant dans le décor le jour, libres et "nus". De cette errance, l'écriture de Philippe Vasset parvient à extraire à la fois une étonnante crédibilité (sur une pareille prémisse !) et une indéniable poésie.



Une lecture salubrement dérangeante sur le fond, hautement jouissive à chaque page, et nimbée d'une beauté bien mystérieuse.
Commenter  J’apprécie          30




Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Philippe Vasset (216)Voir plus

Quiz Voir plus

L'écume des jours

Qui est le personnage principal?

Colin
Nicolas
Chick
Alise
Isis
Chloé

10 questions
383 lecteurs ont répondu
Thème : L'écume des jours de Boris VianCréer un quiz sur cet auteur

{* *}