Citations de Pierre Bordage (1797)
Dans le silence de la cabine, la course de ma plume prend une résonance inhabituelle, tragique, comme si les mots souffraient d’être débusqués et piégés dans la matière.
Pire que la plus féroce des bêtes sauvages est l'homme qui, sous couvert de religion, exhorte les imbéciles à massacrer, torturer ou exploiter leurs frères humains.
Proverbe horcite de la région de Tchon
" nous n'appartenons plus à l'humanité, mais à une nouvelle espèce constituée de chair et de technologie. Les hommes refuseraient de se reconnaître en nous : ils nous extermineraient comme ils l'ont toujours fait de ceux qui s'engagent dans un nouveau chemin d'évolution. Comme ils l'ont fait des sorciers, des mages, des hérétiques, des prophètes, des précurseurs, des utopistes, des scientifiques libres penseurs, des révoltés, des monstres, des purs... "
"On aurait pu croire que l'arrivée d'entités extraterrestres changerait la donne, avait-il poursuivi. C'est le contraire qui s'est produit : les politiques, les militaires et les scientifiques en vue se sont emparés du phénomène et l'ont circonscrit à leur seule légitimité. Au lieu de reconnaître leur incompétence, l'incompétence humaine en général, ils se sont obstinés dans leur choix pour rester accrochés à leur pouvoir, quitte à envoyer à la mort des millions d'enfants. Voilà pourquoi nous n'avons pas avancé. Leur entêtement conduit l'humanité au desespoir, à l'extinction."
[...] celui qui meurt sans cesser d’être a acquis l’immortalité.
Peut-on tuer un Scaythe d'Hyponéros ? Cette question, les humains furent nombreux à se la poser. En revanche, ils ne furent qu'une poignée à s'y essayer.
Toute chose en ces mondes requiert un témoin pour justifier son existence. L’observé n’existe pas sans l’observateur.
Pibe n'aimait pas le ciel.
Il tombait toujours quelque chose de ce plafond sale et bas, eau, grêle, éclairs, nuées d'insectes, merdes d'oiseaux, missiles longue portée dont les sifflements précédaient de quelque secondes les terribles impacts, averses de bombes larguées par des fantômes d'avions aux bourdonnements ténus, presque abstraits.
L’Église commençait à semer à tous les coins de rues les corps torturés des hérétiques, de ceux dont le seul tort était de croire en d’autres possibles expressions du divin. Elle faisait payer aux autres sa propre terreur et sa propre haine des sens.
Il n'y a souvent que l'espace d'une loi, d'une coutume, d'une époque, entre la haine occasionnelle et la haine ordinaire.
Ne pleurez pas sur les âmes en perdition ! déclama le cardinal kreuzien. Les pleurer, c'est les regretter, les regretter, c'est les rejoindre dans les flammes de la géhenne. Tels sont les commandements du Kreuz.
""une femme aux cheveux d'or quémanda une clope. On la lui accorda après l'avoir nommée Pétasse et lui avoir rappelé que le tabac était formellement interdit dans les lieux publics. On y ajouta des paroles de mépris qui, en définitive, n'avilissaient que ceux qui les prononçaient."
ASSEDIC : pompe d’État, chargé de redistribuer le sang des travailleurs sucé par leurs vampires familiers. Étant donné qu'il est plus facile d'aspirer que de recracher , les ASSEDIC s'ingénient à tendre de multiples pièges administratifs sous les pas de ces bons à rien de mendiants d'ayants droits.
Or l'expérience prouve que le mépris pour ses semblables, même si on ne veut pas les reconnaître comme tels, conduit immanquablement au conflit. Leur pacifisme lui-même a quelque chose d'un déni : se battre prouve au moins qu'on porte un intérêt aux autres, qu'on les juge digne d'être considérés, d'être touchés.
Pourquoi avons-nous perdu notre histoire? Une voix alarmiste me crie que nous sommes en train de nous effacer, victimes d'une malédiction qui nous condamne à l'amnésie.
L'avoir n'est pas l'être, et le savoir n'est pas l'agir.
L'acte d'écriture serait trop douloureux s'il était vain.
Giovani, les autres chefs de groupe et le commissaire principal enfonçaient le clou à chaque réunion, à chaque occasion : on jette l’intuition aux orties, on s’en tient aux faits, aux données scientifiques, et, si l’affaire se révèle compliquée, on compte beaucoup sur les erreurs du meurtrier et un peu sur la chance, ils n’étaient pas des flics de littérature ou de cinéma, des penseurs immobiles qui se frappaient tout à coup la paume en s’exclamant : bon sang, mais c’est bien sûr ! ou des super-héros qui défouraillaient à tout-va en cavalant derrière une bagnole, ils étaient des collecteurs de données, des fourmis qui ramassaient tout ce qu’elles trouvaient et le rapportaient à la fourmilière en espérant qu’on en tirerait quelque chose d’utile, voilà, des fourmis.
Chapitre 6, p54
Léonie, elle, n’avait jamais reçu plus de trois clients par jour, des cinglés qui pouvaient disposer d’elle à leur guise pendant une ou deux heures. Les tarifs allaient de trois cents à mille euros selon les exigences, trois cents pour les fantasmes ordinaires, six cents pour les amateurs de coups ou les adeptes du pipi-caca, mille pour les tarés qui mêlaient leur femme ou leurs amis à leurs ébats. Plusieurs films avaient été réalisés dans la chambre à cauchemars de Léonie. Tante Destinée disait avec son rire d’ogresse que, grâce à elle, la négrillonne du Liberia était devenue une vraie star de cinéma. Elle avait un jour montré à sa nièce aux fesses d’or un petit bout de film tourné quelques jours plus tôt avec une minuscule caméra DV. La honte et la douleur avaient submergé Léonie quand elle s’était vue livrée comme un quartier de viande carbonisé aux assauts conjugués et frénétiques de trois hommes roses et gras. Les porcs.
« Tu as perdu beaucoup de ta valeur maintenant que les nichons et les poils t’ont poussé, avait déclaré tante Destinée. Tu as remboursé ta dette. Enfin, presque. Il va falloir songer à te remplacer. Les Blancs, il leur faut de la fraîcheur, une chatte et un trou du cul bien serrés pour leurs petits engins ! »
Chapitre 1, p12
Le Boucher se tordait de douleur dans la boue sans proférer un seul gémissement. Cornuaud lui avait frappé la gorge de toutes ses forces et avait entendu craquer les cartilages de son larynx. Puis, sans perdre un instant, il avait ramassé son arme gisant dans la boue et l'avait pointée sur les silhouettes figées des autres soldats. Ceux-ci, se rappelant sa férocité sur les champs de bataille, avaient adopté la tactique la plus répandue chez les combattants de la République: la débandade.