Citations de Pierre Corneille (1037)
HORACE :
Quoi ! vous me pleureriez mourant pour mon pays !
Pour un cœur généreux ce trépas a des charmes ;
La gloire qui le suit ne souffre point de larmes,
Et je le recevrais en bénissant mon sort,
Si Rome et tout l’État perdaient moins en ma mort.
CURIACE :
À vos amis pourtant permettez de le craindre ;
Dans un si beau trépas ils sont les seuls à plaindre :
La gloire en est pour vous, et la perte pour eux ;
Il vous fait immortel, et les rend malheureux :
On perd tout quand on perd un ami si fidèle.
Tu m'as commis ton sort, je t'en rendrai bon compte,
Et vivrai sans reproche, ou périrai sans honte.
L'amour est un tyran qui n'épargne personne.
Si l'amour vit d'espoir, il s'éteint avec lui.
Chimène : Ôte-moi cet objet odieux,
Qui reproche ton crime et à vie à mes yeux.
Rodrigue :Regarde-le plutôt pour exciter ta haine,
Pour croître ta colère et pour hâter ma peine.
Chimène : Il est teint de mon sang.
Rodrigue : Plonge-le dans le mien,
Et fais-lui perdre ainsi la teinture du tien.
Chimène : Ah ! quelle cruauté, qui tout en un jour tue
Le père par le fer, la fille par la vue !
Ôte-moi cet objet, je ne le puis souffrir :
Tuveux que je t'écoute, et tu me fais mourir !
Parlez plus sainement de vos maux et des miens :
Chacun voit ceux d’autrui d’un autre œil que les siens.
(Camille, acte III, Scène IV)
Que vouliez-vous qu'il fît contre trois ? - Qu'il mourût ?
Ou qu'un beau désespoir alors le secourût...
La gloire et le plaisir, la honte et les tourments, - Tout doit être commun entre de vrais amants.
LA NOURRICE
Ce cajoleur rusé, qui toujours vous assiège,
A tant fait qu'à la fin vous tombez dans son piège.
CLARICE
Ce cavalier parfait, de qui je tiens le cœur,
A tant fait que du mien il s'est rendu vainqueur.
(Acte II, scène 2)
Invincible héros, c'est à votre secours
Que je dois désormais le bonheur de mes jours.
CRÉUSE (à Égée)
Souvent je ne sais quoi qu'on ne peut exprimer
Nous surprend, nous emporte, et nous force d'aimer;
Et souvent, sans raison, les objets de nos flammes
Frappent nos yeux ensemble et saisissent nos âmes.
Ainsi nous avons vu le souverain des dieux,
Au mépris de Junon, aimer en ces bas lieux,
Vénus quitter son Mars et négliger sa prise,
Tantôt pour Adonis, et tantôt pour Anchise;
Et c'est peut-être encore avec moins de raison
Que, bien que vous m'aimiez, je me donne à Jason.
D'abord dans mon esprit vous eûtes ce partage:
Je vous estimai plus, et l"aimai davantage.
(Acte II, scène 5)
HORACE
Loin de trembler pour Albe, il vous faut plaindre Rome,
Voyant ceux qu'elle oublie, et les trois qu'elle nomme.
C'est un aveuglement pour elle bien fatal,
D'avoir tant à choisir, et de choisir si mal.
Mille de ses enfants beaucoup plus dignes d'elle
Pouvaient bien mieux que nous soutenir sa querelle ;
Mais quoique ce combat me promette un cercueil,
La gloire de ce choix m'enfle d'un juste orgueil ;
Mon esprit en conçoit une mâle assurance :
J'ose espérer beaucoup de mon peu de vaillance ;
Et du sort envieux quels que soient les projets,
Je ne me compte point pour un de vos sujets.
Rome a trop cru de moi ; mais mon âme ravie
Remplira son attente, ou quittera la vie.
Qui veut mourir, ou vaincre, est vaincu rarement :
Ce noble désespoir périt malaisément.
Rome, quoi qu'il en soit, ne sera point sujette,
Que mes derniers soupirs n'assurent ma défaite.
CURIACE
Hélas ! C'est bien ici que je dois être plaint.
Ce que veut mon pays, mon amitié le craint.
Dures extrémités, de voir Albe asservie,
Ou sa victoire au prix d'une si chère vie,
Et que l'unique bien où tendent ses désirs
S'achète seulement par vos derniers soupirs !
Quels voeux puis-je former, et quel bonheur attendre ?
De tous les deux côtés j'ai des pleurs à répandre ;
De tous les deux côtés mes désirs sont trahis.
CLITON
...
Mais pour venir au point que vous voulez savoir,
Êtes-vous libéral? (*)
DORANTE
Je ne suis point avare.
CLITON
C'est un secret d'amour et bien grand et bien rare,
Mais il faut de l'adresse à le bien débiter,
Autrement on s'y perd au lieu d'en profiter.
Tel donne à pleines mains qui n'oblige personne,
La façon de donner vaut mieux que ce qu'on donne:
L'un perd exprès au jeu son présent déguisé,
L'autre oublie un bijou qu'on aurait refusé,
Un lourdaud libéral auprès d'une maîtresse
Semble donner l'aumône alors qu'il fait largesse,
Et d'un tel contretemps (**) il fait tout ce qu'il fait,
Que quand il tâche à plaire, il offense en effet.
(Le Menteur, Acte I, scène 1)
(*): libéral: prodigue, généreux
(**) contretemps: mauvais usage de son temps
PULCHÉRIE : La lâche, il vous flattait lorsqu'il tremblait dans l'âme,
Mais tel est d'un tyran le naturel infâme :
Sa douceur n'a jamais qu'un mouvement contraint ;
S'il ne craint, il opprime ; et s'il n'opprime, il craint.
L'une et l'autre fortune en montre la faiblesse ;
L'une n'est qu'insolence, et l'autre que bassesse.
Acte V, Scène 5.
SABINE:
Trop favorables Dieux, vous m'avez écoutée!
Quels foudres lancez-vous quand vous vous irritez,
Si même vos faveurs ont tant de cruautés?
Et de quelle façon punissez-vous l'offense,
Si vous traitez ainsi les vœux de l'innocence?
ALIDOR : Clarine, je suis tout à vous,
Ma liberté vous rend les armes,
Angélique n'a point de charmes
Pour me défendre de vos coups,
Ce n'est qu'une idole mouvante,
Ses yeux sont sans vigueur, sa bouche sans appas,
Quand je la crus d'esprit je ne la connus pas.
Acte II, Scène 2, (v. 359-365).
TIMAGÈNE : Je l'ai trouvé, seigneur, au bout de cette allée
Où la clarté du ciel semble toujours voilée.
Sur un lit de gazon, de faiblesse étendu,
Il semblait déplorer ce qu'il avait perdu ;
Son âme à ce penser paraissait attachée ;
Immobile et rêveur, en malheureux amant...
Acte V, Scène IV, (1611-1617).
Flatteuse illusion, erreur douce et grossière,
Vain effort de mon âme, impuissante lumière,
De qui le faux brillant prend droit de m’éblouir,
Que tu sais peu durer, et tôt t’évanouir !
Sous moi donc cette troupe s'avance,
Et porte sur le front une mâle assurance.
Nous partîmes cinq cents ; mais par un prompt renfort
Nous nous vîmes trois mille en arrivant au port,
Tant, à nous voir marcher avec un tel visage,
Les plus épouvantés reprenaient de courage !
Rome, l'unique objet de mon ressentiment!
Rome, à qui vient ton bras d'immoler mon amant!
Rome qui t'a vu naître, et que ton coeur adore!
Rome enfin que je hais parce qu'elle t'honore!