Citations de Pierre Drieu La Rochelle (319)
C'était une ivresse triste et délicieuse que d'être allongé sous un lit, dans une pièce silencieuse de la maison, à l'heure où mes parents n'y étaient pas et de m'imaginer dans un tombeau.
L'honneur d'un homme, c'est d'agir.
Donc moi qui n'avais plus déjà ni la guerre ni l'intimité de la Nature ni la jeunesse, je me suis encore privé de Dieu.
Loin de mes lieux familiers, je découvrais la vérité de mon âme. Il m'était donné un sentiment de soulagement, de libération que j'avais jusque-là, sans le savoir, attendu parmi les miens. J'aurais voulu le partager avec eux. Cet alcool que je buvais parmi ces inconnus, à peine débarqué sur leur sol, ne faisait qu'exalter la chaleur de mon amour pour les miens.
J'étais grand, blond. Les yeux bleus, la peau blanche. J'étais de la race nordique, maîtresse du monde. J'étais droit, dur, avec des ruses directes. Naïf, plein d'un égoïsme généreux. Une secrète mystique, au fond du goût de la puissance. J'avais envie d'émigrer en Amérique ou en Australie pour rejoindre ceux des nôtres qui connaissent notre plus haute prospérité. Je n'ai jamais songé du reste à aller en Scandinavie où notre race trop pure s'anéantit dans la perfection. Cette sorte de mythologie, vers 1910, me leurrait. Nietzsche, Gobineau : Bibliothèque des Romans d'Aventures. Plus tard j'ai manqué donner dans l'autre godant : la Méditerranée. Enfin je suis Français du nord de la Loire. J'ai été bien autre chose.
Dans le sport l'homme reprend ses droits. Il reconquiert la discipline, la seule liberté qui soit douce.
Enfin j'aime la France comme une femme rencontrée dans la rue. Elle m'apparaît inquiétante, fascinante comme le hasard. Puis je l'aime à jamais, son visage devient solennel, c'est celui de la Destinée.
La vie n'allait pas assez vite en moi, je l'accélère. La courbe mollissait, je la redresse. Je suis un homme. Je suis maître de ma peau, je le prouve.
Avec une voix que je ne m'étais jamais connue, j'entonnai le chant des cavaliers d'Agreda. Alors, il sembla que tout l'animalité que nous traînions après nous s'éveillait à la beauté inouïe du site: les chevaux tirèrent le cou, agitèrent leurs gourmettes d'acier et deux ou trois hennirent; les âmes des hommes, au refrain, s'élevèrent d'un seul élan au-dessus d'eux-mêmes, qui se dandinaient sur les montures. Le plus haut chœur de la terre composa la magnifique illusion d'un chant qui atteignait en plein les étoiles.
Ah, si tu n'as pas entendu chanter à pleine gorge des hommes, qui par la grâce de la guerre, savent enfin qu'ils allaient tous les jours à la mort, tu ne peux connaître la fugitive beauté d'être leur frère. C'est quand le cheval est préféré à la femme, le fer à l'or. Bénis soient Apollon et le dieu solaire des Incas, j'ai chanté les hommes plus souvent que les femmes. Du reste, dans nos contrées de sang indien, la femme admire l'homme et n'attend rien que de son bienfaisant mépris.
Parmi les infirmières, il y en avait une qui avait frémi de dégoût en entendant son nom, mais qui s'était prise de sympathie pour lui quand elle avait pu le considérer comme une victime, et une victime révoltée. Cette Rebecca était petite, laisse de visage et de silhouette; mais elle avait la patience maternelle des laissez, l'acharnement fasciné de la juive devant le chrétien, les moyens abusifs de la psychanalyse, une curiosité lubrique et une jolie peau. C'était plus qu'il n'en fallait pour envoûter Paul qui, bien que souillé, était vierge.
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Pourtant, cette scène l'avait terriblement frappé. En effet, il avait découvert avec horreur que ces crapules ne faisaient que répéter les unes sur les autres les atteintes qu'il avait fait subir depuis longtemps à sa propre personne. Là, où il s'attendait à découvrir une énergie démoniaque, il n'avait trouvé que l'image de sa propre faiblesse, de sa propre luxure sournoise.
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Car si épaisse que soit la cuirasse de notre égoïsme c'est de la mort des nôtres que nous mourons.
Elle grommela en vaquant dans la chambre comme on prend vaguement à témoin un petit chien.Les humains ont des enfants comme ils ont des chiens , pour ne pas parler aux murs ou croire qu'ils ne leur parle pas.
La liberté pour l'Allemand c'est de vaincre ; pour l'Occident c'est de jouir.
La doctrine nationale prend deux aspects, résolument contradictoires, mais non moins résolument liés dans l'esprit des premiers adeptes comme dans l'esprit de toute la nation qui s'y soumet : cette doctrine reste profondément nationale et soumise aux intérêts de la nation, en même temps qu'elle se propose au dehors comme internationale et susceptible d'une adhésion universelle. En un mot, la doctrine d'Etat est un ferment d'impérialisme.
Il n'y a plus de "peuple". Il n'y a plus cette réserve vierge, vénérable de l'élite, qu'en France on n'a pas invoquée en vain jusqu'à 1848, jusqu'à 1871, cet élément primitif, jeune, resté en arrière et à l'abri de la corruption moderne, cet élément profondément conservateur sur lequel on pourrait s'appuyer pour réagir contre les mœurs stérilement novatrices de cette bourgeoisie qui s'est lancée à corps perdu dans la spéculation et la fabrication en séries. L'ouvrier est pourri par la monnaie de son salaire comme le bourgeois par son bénéfice.
Les idées ont, elles aussi, perdu de la robustesse charnelle que leur prêtait la générosité de nos grands-pères. La Liberté n'est plus pour nous cette belle fille honnête et sûre à qui des générations avaient engagé leur foi. Trop de gouvernements l'ont mise dans leurs lits. Elle n'est plus qu'un fantôme incroyable ou un leurre irritant.
Au milieu des ruines morales, intellectuelles de notre époque, seule la machine se dresse, seules ces mâchoires sont solides qui dévorent tout le reste.
Il n'y a que des modernes, des gens dans les affaires, des gens à bénéfices ou à salaires ; qui ne pensent qu'à cela et qui ne discutent que de cela. Ils sont tous sans passions, ils sont la proie de vices correspondants.
Il n'y a plus de socialistes, parce qu'il n'y a jamais eu de chefs socialistes que des bourgeois et que tous les bourgeois depuis la guerre sont en quelque manière socialistes, tandis que les chefs socialistes ne peuvent plus dissimuler leur bourgeoisie.