Dans Mesure de la France, au lendemain de la Première Guerre mondiale dans laquelle il a combattu,
Drieu La Rochelle dissèque implacablement son pays, avec toujours en lui l'amour de la patrie chevillé au corps : « Cette terre qui a eu mon sang aura mes os » ; clame-t-il. Et s'il craint pour l'avenir de la France, il se rassérène : « Nous n'avons pas dit notre dernier mot. Plus d'un peuple périra avant nous. » ; même si, du fait d'une faible natalité, d'un individualisme consumériste – déjà à l'époque ! –, l'auteur fait un constat désenchanté : « Nous avons perdu le sens de notre grandeur et de certaines valeurs humaines. Il faut donc que nous apprenions la honte pour retrouver la noblesse. »
Et de s'abandonner à la nostalgie d'autrefois : « Autrefois, par son génie national on [les Français] a enfanté un monde qui enfermait tout l'humain. » Mais faute, d'une démographie satisfaisante avant la guerre : « Nous nous perdons dans la foule des vainqueurs de l'Allemagne et la victoire saisie par vingt bras échappe facilement à une emprise aussi maladroite. » Nouvelle angoisse du déclassement de la « patrie charnelle. » Toujours l'ombre de la guerre qui plane et a tranché entre un monde d'avant et un monde d'après.
Drieu dessine de manière prophétique le monde de demain : l'Europe prise entre deux blocs, le russe et l'américain ; il entrevoit aussi la mondialisation et sa vacuité : « Demain il n'y aura plus de nations, plus rien qu'une immense chose inconsciente, uniforme et obscure, la civilisation mondiale, de modèle européen. Qu'on tâche de se représenter cette grande firme absurde à laquelle les intérêts vitaux de l'humanité seront présentement abandonnés. » Ceci a été rendu possible, entre autres, par l'abandon, par l'Occident, du spirituel au profit du matériel, selon l'auteur.
Cependant, le constat fait, une solution est avancée : « Il faudra engager une lutte patiente, séculaire, discrète contre la folie matérialiste qui entraîne les classes dites productrices, brutales et orgueilleuses, à se ruiner les unes les autres, que ce soit par les grèves ou par les guerres, par les trusts ou par les spéculations. »
Dans ses Écrits de 1939-1940 – en fait des articles –, Drieu nous offre, entre autres choses, une magistrale démonstration sur le jacobinisme de la Terreur et les régimes totalitaires de l'époque à laquelle il écrit : « Oui, le lien profond entre les régimes allemand, russe, italien d'aujourd'hui c'est qu'ils découlent en droite ligne du précédent français de 1793. […] Ce parti unique [les Jacobins] obéit lui-même aveuglément à quelques chefs qu'il n'a de cesse de transformer en dictateurs. » Ces écrits se terminent sur des considérations depuis les toits de Paris, dans l'attente de la déferlante allemande. Nous sommes en mai 1940…