Citations de Robert Goolrick (439)
Mon père est mort parce qu'il buvait trop. Six ans auparavant, ma mère était morte parce qu'elle buvait trop. Il fut un temps où moi-même je buvais trop. Les chiens ne font pas des chats.
Elle était lasse de raconter cette histoire. Lasse de le réconforter. Il n'était qu'un garçon, un petit garçon bloqué dans l'enfance, un paradis perdu qu'il ne pourrait jamais retrouver. Elle le savait. Elle était persuadée que la mort du père, les noeuds en diamant et tout ce dédain insensible et luxurieux ne lui rendraient jamais ce qu'il avait perdu, car ce qu'il avait perdu, c'était le temps et ce qui lui restait, c'était la fureur.
"À ça, on répondait : allez tous vous faire foutre!
On veut tout, et vous pouvez nous tuer sous le joug, on s'en tape.
On vit des choses impossibles, uniquement des grands crus, le nec plus ultra dans tous les domaines. On veut des salaires équivalents à notre âge multiplié par cent mille.
On veut cramer notre vie dans une course furieuse, on veut saccager, piller notre quartier, violer et détruire nos amis les plus chers.
Nous n'étions pas inquiets. Nous savions qu'à condition de vouloir tous la même chose, chacun recevrait une part égale de Gloire et de Désolation............"
Au bout de quelques semaines, il avait appris à faire le tri entre les coins qu'il appréciait et ceux qui le prenaient aux tripes. Lorsqu'il tombait sur un lopin qui lui faisait battre le cœur d'une certaine manière, il descendait de voiture, franchissait la barrière de barbelés ou escaladait la colline. [..]
Il lui arrivait de retirer ses vêtements pour s'allonger avec le chien dans un champ ou sous les arbres, et sommeiller dix minutes avec dans le coeur une paix qu'il n'avait jamais goûtée auparavant.
BSD. C'est l'acronyme qu'avait trouvé quelqu'un pour nos désigner, nous et rien que nous. Big Swinging Dicks, les Grosses Bites qui se la Pètent, et ça nous est resté. On portait ce sobriquet comme une médaille d'honneur, tout en fourguant nos obligations pourries et nos titres de merde. Il y avait cent mille dollars à se faire, chaque seconde de chaque minute, l'allumette s'enflammait dans un rougeoiement atomique, illuminant nos visages, nos joues échauffées et nos paupières plissées, nos mégawatts de cupidité, de gloire et de voracité.
Je voulais mourir depuis que j’avais douze ans.
Je ne me sentais pas en sécurité. Je ne me sentais pas appelé à durer. Ma vie était une fiction que j’avais créée, comme un extraterrestre qui débarquerait sur la Terre pour essayer de se faire passer pour humain. L’affection de mes amis ne signifiait rien pour moi, puisqu’elle s’adressait, telle qu’ils la concevaient, à quelqu’un qui n’existait pas. Il n’y avait personne à l’autre bout.
Tout souvenir est une fiction, gardez bien ça à l'esprit. Bien sûr, il y a des événements dont on est certain qu'ils ont eu lieu, sur lesquels on peut sans hésiter mettre une date et une heure, à la minute près, mais, si on y réfléchit, ça concerne surtout ce qui arrive aux autres.
(Remerciements)
Pour finir, à tous mes amis et collègues qui tiennent des librairies indépendantes dans mon pays, grosses ou petites, en ville ou en pleine campagne, vous êtes pour moi des héros. Je rends ici hommage à votre intelligence et à votre courage.
Lorsque nous étions enfants, mon frère, ma sœur et moi, les hommes et les femmes avaient deux choses que nous n'avons plus aujourd'hui : les cocktails et les coiffures sophistiquées. Ils buvaient des Gimlet, des Manhatthan, des Gibson, des Singapore Sling, des Vodka Stinger, des Blue Monday, des Grasshopper, des Old Fashioned, des Highball et des Side-Car. Les jours de courses de chevaux, ils buvaient des Mint Julep. Ils avaient aussi des shakers et des cuillères à cocktail. Les hommes acquéraient une réputation par leur talent à confectionner tel ou tel cocktail. Les femmes ne les préparaient jamais elles-mêmes, sauf peut-être pendant la guerre, lorsqu'elles étaient seules. Mais pas aussi bien.
C'était tout un rituel masculin, qui passait par l'équipement, le choix des alcools, l'habileté manuelle et le trait d'esprit. Mon père et ses amis disaient des choses du genre : "Laisse-moi te servir son petit frère." Ils employaient des expressions comme "dégraissant", ou "juste un dernier pour la route."
Les gens avaient un bar chez eux, un vrai meuble alambiqué. Ils avaient des seaux à glace en argent. Des timbales en métal. Ils avaient des verres spéciaux pour les Highball, avec leurs initiales monogrammées. On recevait ce genre de choses en cadeaux de mariage.
De nos jours, sauf à l'occasion pour prendre un Cosmopolitan ou un Mojito dans un bar branché, les gens boivent plutôt du vin. Ou bien des alcools forts, à Wall Street. Quand j'étais petit, personne ne buvait de vin ; même au dîner on en buvait rarement, sauf dans des soirées très chic. Et c'était du mauvais vin. Du moins à la campagne. Il était servi en pichet. A l'époque, on préférait les cocktails. Aujourd'hui, personne ne dit même plus cocktail.
Son cœur véritable, cependant, était enfoui si profondément en elle qu'il avait disparu sous la vaste couche de ses mensonges, de ses tromperies et de ses caprices. Tout comme ses bijoux, désormais ensevelis sous la neige, il gisait, caché, à attendre qu'un dégel vint un jour le libérer. Elle n'avait aucun moyen de savoir, bien sûr, si ce cœur qu'elle s'imaginait posséder avait en fait la moindre réalité. Peut-être était-il comme le bras coupé du soldat, qu'il sent battre là pendant des années, ou comme l'os brisé qui fait souffrir à l'approche de l'orage. Peut-être n'avait-elle jamais eu ce cœur qu'elle imaginait. Mais comment faisaient-elles, ces femmes qu'elle croisait dans la rue, riant avec leurs enfants ravissants ou colériques dans les restaurants, dans les gares, partout autour d'elle ? Et pourquoi se trouvait-elle à l'écart de tout de panorama romantique qu'elle sentait tourbillonner autour d'elle, chaque jour de sa vie ?
Au bout d'un moment, elle se dévêtit à son tour, non sans avoir baissé les stores, même s'il ne faisait qu'à moitié nuit et que le seul effet fut de rendre l'atmosphère de la pièce encore plus étouffante. Elle se détourna et, nue, elle recula jusqu'au lit, comme sa mère lui avait dit de le faire. Elle n'avait pas encore dix-sept ans. Elle se sentait plus vieille que sa propre mère.
"Il y a dans l'impuissance quelque chose qui nous fait mépriser celui qu'elle accable. Il y a dans le désespoir quelque chose qui nous rend incapable d'accepter de l'affection...."
Elle disait aussi : "Tu ne gagnes pas les disputes parce que tu as raison. Tu gagnes parce que tu argumentes mieux."
Lorsqu'on ne reçoit pas d'amour de ceux qui sont censés nous aimer,on ne cesse jamais de le rechercher,ensuite,comme un amputé à qui sa jambe coupée manque toujours,comme l'ancien fumeur qui tend encore la main vers son paquet après le déjeuner,quinze ans plus tard.Celà peut paraitre banal.C'est pourtant vrai.
On cherche cet amour dans les objets que l'on achète sans en avoir le besoin ou l'envie.On le cherche dans des visages que l'on ne désire pas.
{...}
On le cherche,c'est une certitude.Et on ne le trouve jamais.On n'en trouve jamais la moindre trace.
Je sais qu'il est plus facile de regarder la mort que la souffrance car, si la mort est irrévocable, et que le chagrin qu'elle laisse est appelé à s'estomper avec le temps, la souffrance quant à elle est trop souvent impitoyable et irréversible. Un véritable tableau vivant de la mort qu'elle précède, et qui adviendra, inexorablement.
Il entendait son nom partout. Dans les bruissements de feuillage devant la fenêtre de sa chambre à coucher. Dans les ondulations à la surface des ruisseaux qui couraient sur ses terres. Dans le chuintement de ses pneus sur l'asphalte. Il en sentait la douceur sur sa peau, la fraîcheur dans l'air qu'il respirait, la bénédiction dans le contact des draps qui s'enroulaient autour de son corps la nuit.
Sylvan.
Charlie n'avait jamais été très sensible au charme des enfants. Lorsqu'il rêvait d'un petit à lui, il pensait que c'était plus pour la continuité que pour sa compagnie. Charlie avait été un de ces gamins pour qui l'enfance est une prison dans laquelle il attendait impatiemment d'être adulte, d'être un homme, mais Sam [5 ans] commençait à le faire changer d'avis. Prisonnier de son passé d'enfant, Charlie n'avait jamais vraiment cessé d'en être un. Avec Sam, la conversation lui était naturelle, et Charlie lui racontait les endroits où il était allé et des gens qu'il avait connus, car il savait que Sam ne répéterait rien. Il lui expliquait bien que tout ce qu'il lui disait était privé, juste entre eux, en s'assurant que le petit comprenait le sens du terme. (p. 124-125)
Il y avait des règles à l'époque. Ma mère, par exemple, ne buvait ni ne servait de rhum. C'était une règle. Personne n'avait même jamais entendu parler de tequila, alors.
Le matin de mon anniversaire précédent, j'avais ouvert les yeux sur l'échec de ma vie et je m'étais dit : "si les choses ne vont pas mieux dans un an, je me tuerai."
L'année s'était écoulé. Je m'ouvris les veines.
Je ne pleurai pas. Je n'eus pas de pensée pour quelqu'un que je connaissais. Je ne ressentis ni désir de vengeance ni remords. Je me tranchai le poignet gauche de la main droite. Je suis droitier.
La peau céda facilement, et le sang s'écoula le long de mon bras jusque dans ma main repliée, puis sur les draps. La douleur était atroce.
[...]
Le sang était d'un rouge vif, plus rouge que je ne m'y attendais. La couleur était belle. Cramoisie. Comme le rouge à lèvres sombre et laqué d'une belle femme. Dans la lumière, il miroitait. J'étais amoureux de mon sang. La peau de mon bras gauche était blanche, pure et laiteuse, de la neige qu'aucun pied n'avait foulée. La coupure s'élargit et je vis la chair sous ma propre peau.
"Ça y est, pensai-je. Personne ne peut dire qu'il s’agit là d'une décision prise sur un coup de tête. Je n'ai pensé à rien d'autre pendant toute une année. J'ai assez attendu. Voilà ce que j'ai attendu toute ma vie."
L'enfance est l'endroit le plus dangereux qui soit. Personne n'en sort indemne.