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Critiques de Roberto Bolaño (258)
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Le Troisième Reich

Une station balnéaire de la Costa Brava en pleine saison comme lieu idéal de perdition.



Pas le plus apprécié des romans du maitre Bolaño, mais sûrement l’un de ses plus aboutis…

Au vu des vastes latitudes d’appréciation qu’il laisse…



Une littérature des vaincus qui jamais ne se regardent dans le miroir.

Ou quand le Fusil de Tchekhov ne sert plus qu’à abattre un platiste mal réveillé.

Le loueur de pédalos n’est pas celui que l’on croit, malgré ses brûlures.



Les fantômes artificiels peuplant « La littérature nazie en Amérique » ne sont toujours pas revenus.

Goodwin sert encore ici de vague ligne d’horizon, tel ce spécialiste d’Hitler, qui finalement n’en parle jamais, dans le « Bruit de Fond » de Don DeLillo.

On joue avec, mais les pions ne sont pas de taille.



On pourrait aussi s’ennuyer, comme cela est suggéré… et puis non.

Cet Udo Berger, narrateur qui n’écrit même pas pour lui, et ce malgré l’antipathie, conserve une étrange forme d’intérêt, naturelle et froide, brillante comme un néon sale ou un capot de bagnole garée sur la plage.

Un souvenir de vacances qui ne devrait pas.

Un appeau de mouette ricaneuse qui aurait perdu toutes ses lettres, deux fois.



Mais peut-être qu’il n’y a rien à comprendre.

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Les Détectives sauvages

Normalement, à un moment, on lira Bolaño.

J'ai attendu, longtemps, un peu nerveux, cette rencontre obligée.

Il faut dire aussi que ses livres retournent rarement sur le marché de l'occasion, encore un signe…

Avec la parution de ses oeuvres complètes à L'Olivier, la circulation renait.

...

« Je crois que mon roman comporte autant de lectures qu'il contient de voix. Il peut se lire comme une agonie. Mais aussi comme un jeu. »

...

Oui… suffit d'en parler avec d'autres lecteurs… selon la période de sa vie…

Lola l'a lu à la fin de son adolescence; elle en garde dix ans plus tard un souvenir fougueux, l'excitation de la poésie, l'émancipation de la jeunesse…

...

Paul, à l'aube de la quarantaine, en retient surtout cette délicieuse impossibilité de la création, ce tapis-roulant de l'Avant-Garde qui ne s'arrête jamais, cette quête dérisoire de la Modernité.

On y comprend, à demi-mot, les raisons de la fin des grands courants artistiques, collectifs, au passage du millénaire, et son triomphe provisoire de l'individu. du refus affirmé des figures tutélaires, celle d'Octavio Paz pour les mexicains, avec en interrogation de l'auteur, la poésie a-t-elle encore quelque chose de nouveau à raconter ?

...

On y observe ces individus, perdus dans l'océan des possibles, ivres d'une liberté toute relative, avec pour beaucoup la mécanique destructrice de l'attraction-répulsion comme moteur amoureux. Un roman d'apprentissage du néant, à la lecture aisée mais bel et bien chaotique.

Bolaño se rit de Belano tout autant qu'il le pleure. Fuis moi je te suis, suis moi je te fuis.

...

En mélangeant les auteurs réels et imaginés, l'histoire et le roman, Bolaño écrit cette poésie sans jamais en faire, le Gouffre ayant avalé la Ravine… et la souffrance est dérisoire… comme cette quête ultime de ce qui n'a pas encore été lu ou écrit… l'oeuvre la plus désirable car inatteignable…

...

L'agonie de la création quand elle devient un but en soi… disparu ce mirage sauvage que la jeunesse permet d'entrevoir… « parce que nous sommes seuls et que nous sommes perdus. »

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Un petit roman Lumpen



Parfois, quand la vie nous joue de vilains tours on n'a pas d'autre choix que de s'égarer volontairement comme si se retrouver du mauvais côté de la vie et respirer l'obscurité était inévitable. Alors marcher sur un fil tendu en équilibre instable devient soudainement la seule chose qu'on soit capable de faire. Mais dans l'absence (car c'est d'absence dont il s'agit dans ce roman) persiste toujours un peu d'espoir pour qu'on puisse se raccrocher à quelque chose, qu'on le veuille ou pas, même si cela doit passer par des actes qui ôtent toute dignité. Perdre pied, s'enfoncer lentement mais toujours garder la tête hors de l'eau pour pouvoir respirer, c'est de cela que nous parle Roberto Bolaño dans ce court roman publié en 2002 sous le titre "Una novelita lumpen" qui sera le dernier ouvrage à être publié de son vivant.



Lumpen, terme péjoratif qui désigne les basses classes sociales. Lumpen, mendiant, voyou, délinquant, une vie en marge, une vie sans espoir ? Peut-être pas... Délinquante, c'est ainsi que se définit Bianca la narratrice de ce récit, du moins c'est l'image qui lui vient à l'esprit quand elle se remémore la gamine d'à peine 18 ans qui par une belle journée d'été a laissé une partie de son coeur sur la route de Naples dans la fiat accidentée de ses parents.



C'est une Bianca plus âgée, établie et devenue mère qui nous raconte son histoire, l'histoire d'un moment d'égarement, il n'y a pas si longtemps, à Rome, après l'accident qui les a laissés orphelins elle et son frère. L'accident terrible dont seul subsiste le jaune de la carrosserie de la fiat, le jaune du silence, le jaune du soleil qui désormais brille sans interruption pour le frère et la soeur bien trop jeunes pour être éblouis par tant de malheur et qui, livrés à eux-mêmes dans l'appartement familial, tentent de s'accrocher à leur rêve d'une vie meilleure comme on s'accroche à une bouée pour ne pas couler et se laisser simplement dériver.



Bianca attend, Bianca se consume, hagarde elle lave frénétiquement les têtes au salon de coiffure au lieu d'étudier comme pour se laver l'esprit de tant de souffrances. Elle fait l'amour une première fois, une deuxième, une troisième, et puis encore... Avec le Libyen, avec le Bolognais, personnages inquiétants, sans nom, sans visage, sans passé, sans avenir. Mais qui sont-ils ? Et pour quelles raisons son frère a-t-il permis qu'ils s'installent dans l'appartement familial ? Alors Bianca souffre en silence et comble le vide de sa vie en leur offrant son corps, Bianca triste fantôme errant à la recherche de chimères dans la grande bâtisse délabrée de la Via Germanico qui semble être restée figée dans une autre époque tout comme son propriétaire Maciste, ancienne gloire déchue du milieu du culturisme à qui elle vend un peu de tendresse, un peu de chaleur car lui aussi a perdu quelque chose qu'il ne retrouvera jamais...



L'écriture de Roberto Bolaño est âpre, silencieuse, c'est ce qui en fait toute la beauté. L'économie de mots, la crudité du langage et surtout cette forme de détachement, de distance qui est distillée tout au long de ce roman comme si rien n'était grave alors que finalement tout est grave, font de ce roman une lecture à part car dans ces pages, pas de souvenirs, pas de regrets, pas d'hommages, pas de rires ou si peu, parfois quelques sourires, les évènements ne font qu'effleurer pour ne pas blesser car vous le savez aussi bien que moi l'absence fait mal à en crever.



Roberto Bolaño nous offre un récit aphasique et poétique d'une grande justesse dans lequel les contours sont flous tout comme les personnages (peu nombreux) qui passent sans se retourner comme s'ils n'avaient jamais existé ou qu'ils avaient simplement été rêvés, les fantômes d'un songe, le songe de Bianca dans lequel ses nuits sont aussi claires que ses jours. Une histoire qui pourrait être la nôtre, un frère, une soeur, une vie en suspens comme une petite mort qui serait nécessaire, qui traînent leur peine dans le clair-obscur d'une Italie encore marquée par les années de plomb. Un récit sobre d'une grande sensibilité que je vous invite à lire, qui donne la parole à la jeune fille en devenir dont j'ai trouvé le propos d'une incroyable lucidité.



"Ces vies frôlées mais jamais surprises dans leur déroulement secret derrière les murs et les vitres troubles..."

(Soufflé par Chystèle durant ma lecture : André

Hardellet - Le seuil du jardin).





Remerciements à Jmb, Vagualame, Dandine.







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Des putains meurtrières

« Quand nos noms ne signifieront plus rien, son nom continuera à briller, continuera à planer sur une littérature imaginaire appelée « littérature chilienne » »

Roberto Bolaño parle ainsi, dans sa nouvelle « Carnet de bal », à propos de Pablo Neruda, sans imaginer que cette phrase pourra s’appliquer à sa personne, 19 années après sa mort.



Ce recueil de 13 nouvelles peut se lire dans la lignée de ses « Détectives Sauvages », ou comme le présentent l’éditeur et la libraire babéliote MarianneL, en guise d’introduction à son oeuvre. J’aurais tendance à conseiller de ne pas commencer par ces nouvelles, mais son ouvrage a un tel pouvoir caméléon, reflétant singulièrement ce que chaque lecteur y projète, que je ne suis plus sûr de rien.



Explorant à nouveau et toujours cette fascination du vide, de l’oeuvre qui reste à créer, opposée à celle qui existe, avant qu’on ne l’ai oubliée ; du désespoir des déracinés, des fuites infinies, concluant que « quelqu’un qui a vécu sur terre ne peut être tranquille », Bolaño hésite sans cesse sur ce que la poésie, et plus généralement la littérature, peut encore apporter à l’humanité.



La putain prend ici tour à tour des airs de madone rédemptrice, de mère courage, et d’ange exterminateur, comme une vacuité de sens, au milieu de l’agitation humaine.



Et malgré tout, l’aventure continue.
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Les Détectives sauvages

Il etait temps que je fasse honneur a mon avatar. J'ai choisi un petit pave bien en chair, de ceux qu'on aime tenir a deux mains. Un gros livre, quoi! Mais quel livre! Il est compose de trois parties, distinctes. La premiere, le journal d'un jeune mexicain, Juan Garcia Madero, gravitant autour d'une bande de poetes, qui s'auto-proclament “real-visceralistes", reprenant le nom porte par un mouvement litteraire d'avant-garde une ou deux generations avant eux. La troisieme continue avec ce journal, et raconte son periple, avec les deux leaders du mouvement, Ulises Lima et Arturo Belano, de Mexico City jusqu'au desert du Sonora, pour trouver une ancienne poetesse qui leur est devenue mythique, Cesarea Tinajero, et en meme temps pour aider une petite putain a fuir son maquereau. le road-trip insense de poetes-bouffons, dangereux, pathetique. “…mais ne vous en faites pas, le poète ne meurt pas, il s'enfonce, mais il ne meurt pas." La deuxieme partie est une violente interruption de cette, relativement classique, trame. C'est la plus longue partie, et elle repudie tout modele traditionnel de roman, ignorant la necessite de protagonistes, de heros, et meme de narrateur. C'est une suite de temoignages, de monologues de differentes personnes, qui racontent des souvenirs, des rencontres, fortuites ou plus regulieres, avec Ulises Lima et surtout Arturo Belano, depuis 1976 (date de leur depart pour le Sonora) jusqu'en 1996. Des rencontres sur tous les continents, au Mexique, a Barcelone, a Paris, en Autriche, en Israel, en Angola et au Rwanda. Des monologues de gens de differentes nationalites, de differents metiers, qui en fait se racontent, eux-memes, ce qui donne une multitude d'histoires, comme une suite de nouvelles dont le fil qui les coud est le rapport aux deux poetes.



Parmi tous ces temoins monologuant (en revenant au texte j'en ai compte 54, mais je me suis peut-etre trompe), un, qui revient souvent, donne une clef pour la troisieme partie. C'est un ecrivain public qui garde la memoire de la poetesse mythifiee, et possede un fascicule avec son seul et unique poeme publie: Sion. Un poeme visuel, sans mots. Trois lignes, une droite, une ondulee, une brisee. Et un tout petit rectangle sur chacune d'elles. “C'etait tout ce qui restait de Cesarea, j'ai pense, un bateau sur une mer calme, un bateau sur une mer agitee, un bateau dans la tempete”.



De toute cette deuxieme partie, le narrateur des deux autres grands chapitres, Garcia Madero, est absent. On y suit, on y devine, le devenir chaotique des deux tetes du “realisme visceral", Lima et Belano, mais on ne dit rien sur lui. Personne ne s'en rappelle. Il n'est pas important. Et pourtant le livre se termine quand il reste seul dans le desert avec la petite putain sauvee et qu'il lui pose des devinettes. Des devinettes graphiques. Des petits carres avec de petits details qui les differencient. Des devinettes ou des poemes graphiques? C'est peut-etre lui le plus poete de tous, le vrai, le seul continuateur de Cesarea Tinajero?





Enormement de themes sont developpes dans cette oeuvre. L'initiation a la poesie, entendue comme une recherche de sens, d'ideal, recherche qui peut s'averer dangereuse, nocive. Une recherche qui, du passage de l'adolescence a l'age adulte, menera les uns a la frustration et au vide, d'autres a l'autodestruction. Un autre theme central en est la memoire. Toute la deuxieme partie est a mon avis un enorme classeur d'archive, touffu et desordonne, documentant et maintenant la memoire de trois poetes, Lima, Belano, et la mythique Tinajero. Ce theme de memoire est d'autant plus fort qu'il est clair que Belano n'est autre que l'auteur, Bolano. Lima n'est autre que Mario Papasquiaro, avec qui Bolano s'etait lie (en 1975) au Mexique pour former le mouvement poetique des “infrarealistes", mouvement qui n'a pratiquement rien donne et il est heureux qu'au moins Bolano soit passe a la prose. Et autour et alentour de ces deux personnages camoufles et romances apparaissent enormement de poetes et d'auteurs reels. Beaucoup d'entre eux deja oublies, a qui l'auteur redonne une vie romancee, qu'il rappelle ainsi a notre memoire.





C'est un de ces livres ou je me perds et lentement, lentement, me retrouve. Qui m'embrasent. Il y a des livres comme ca. Qui me font sentir, tout en suscitant enormement de reminiscences, qu'ils sont differents. Que j'ai sous les yeux quelque chose de neuf, et en meme temps vieux comme le monde. Ils ne ressemblent a aucun autre mais ils en rappellent beaucoup. Justement ceux qui m'ont frappe par leur etrangete. Qui m'ont souleve, m'ont fait leviter au dessus de leurs pages. Qui m'ont marque, ont ete les grands jalons de ce que je designerais (avec un peu de grandiloquence, ca fait bien) ma culture livresque (il faut que je redescende sur terre, vite). Il y a des livres comme ca. Qui ouvrent une nouvelle breche ou s'engouffrera bientot toute une generation. Qui seront taxes de fou, de genial, de maudit. Eleves aux nues par les uns, excommunies par les autres. Des livres revolutionnaires. Et ce livre est une revolution. “Et alors je lui disais : comment peux-tu dire que tu es marxiste, Jacinto, comment peux-tu dire que tu es poete si ensuite tu fais de telles declarations, tu penses faire la revolution à coups de proverbes ? Et Jacinto me répondait que franchement il ne pensait plus faire la revolution d'une maniere ou d'une autre, mais que si une nuit ça le prenait, eh bien ce ne serait pas une mauvaise idee, avec des proverbes et avec des boleros.”





Avec ce livre nait une nouvelle generation de latino-americains. Parce que le realisme magique y est oublie, fini, relegue aux sieges du fond, tout comme les folklorismes particuliers. Parce qu'il revient a Borges, a Joyce, a Musil, qu'il mentionne souvent; a Lowry, dont une citation ouvre le livre. Il renie les peres et revient aux grands-peres.

Chaque generation se revolte contre la precedente? Non. Affirmation exageree. Chaque generation, pour s'affirmer, doit mettre en question les valeurs de la precedente? Question. A verifier. Et si on pose la question a l'envers, qu'en est-il de la transmission? Mais je m'eparpille, je m'effiloche, je me perds. Revenons a nos moutons. Bolano fustige, renie la generation d'auteurs qui l'ont precede, mais en un meme temps, d'un meme souffle, travaille a la sauvegarde de leur memoire. Ce livre est novateur a tous points de vue, mais c'est aussi le livre d'un continuateur, d'un fidele heritier. Un grand livre. A lui tout seul, il aurait pu etre l'oeuvre d'une vie. Mais heureusement Bolano etait un forcat de l'ecriture. 2666 m'attend.

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Etoile distante

Lu en v.o. ESTRELLA DISTANTE.





Je m'imagine Bolano raconter de vive voix les histoires qu'il ecrit. Je le verrais bien assis a la place Djemaa-el-Fnaa de Marrakech et autour de lui un demi-cercle de badauds buvant ses paroles pendant des heures. Je dis bien des heures parce que l'art de Bolano est centrifuge: a l'histoire centrale se rajoutent sans arret d'autres qui prennent l'air de nous en eloigner et en fait l'epaississent. Je le verrais bien raconter Etoile distante face a la mine effaree, rebutee, degoutee parfois, mais toujours fascinee de ses auditeurs. Ce sont les mines que je faisais surement moi- meme pendant ma lecture.





Etoile distante c'est l'histoire de la traque d'un poete avantgardiste qui s'avere etre un poete demoniaque, carrement meurtrier. Il torture et assassine, photographie ses assassinats et publie cette documentation qui est pour lui l'aboutissement de son art. Un alter-ego de l'auteur (nomme Arturo Belano) est prie de participer a sa traque. Lui aussi est poete, et il a connu le poete assassin dans sa jeunesse, alors qu'ils participaient tous les deux aux ateliers de poesie de deux professeurs de literature d'une universite de province chilienne. Ce sera l'occasion pour Bolano d'inserer par-ci par-la des chapitres traitant du devenir de ces droles de profs a l'avenement de la dictature Pinochetienne au Chili. L'un d'eux, juif russe émigré en Amerique finit ses jours comme un mythique revolutionnaire combattant les armes a la main en differents exils. L'autre connaitra un temps d'heureux exil en France et mourra assassine par un groupe de neo-nazis espagnols. Une autre digression traite d'un autre jeune poete, un homosexuel qui perd ses deux bras dans un accident, emigre en Europe ou il connaitra succes et reconnaissance avant de mourir du sida. Bolano s'etend aussi beaucoup sur son alter-ego, le suivant dans ses differentes terres d'exil (le Mexique et l'Espagne) et surtout dans ses differentes quetes de moyens d'expression (c'est presque autobiographique).





On l'aura compris, Bolano explore les relations litterature/politique, les relations literature/action, les relations literature/mal. De l'esthetique de l'action jusqu'a l'esthetique du mal. Mail il n'est jamais peremptoire, categorique. Il inocule des pensees vaporeuses, sybillines, et c'est au lecteur de se faire sa propre idee, de juger s'il le faut. Les personnages qu'il dessine sont toujours un peu doubles. C'est du moins comme ca que je les ai sentis. En explorant les repercussions qu'un regime dictatorial a sur la vie et la pensee de differents citoyens – ici de jeunes poetes – Bolano ouvre une porte a la subjectivite. Sinon subjectivite du vecu, du moins subjectivite du ressenti, et avec le temps subjectivite de la memoire. Et il laisse au lecteur le soin – ou la possibilite – d'y meler sa propre subjectivite, faconnee par d'autres temps, d'autres lieux, d'autres experiences.





Je reviens a l'image du Bolano conteur. Parce que c'est un grand conteur. J'ai ete (moi aussi, moi entre de nombreux autres, vu que Bolano a, après sa prematuree mort, un auditoire grandissant) happe par son talent, fascine tout le long de ma lecture, meme quand elle a failli me faire vomir. Je conseille donc ce livre, en particulier a ceux qui ne savent pas encore qu'ils seront fans de Bolano.

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Nocturne du Chili

23.02.2021

Encore une fois. Je suis flou alors je renfloue un vieux billet disparu. Je le lui avais ecrit quand elle etait bebe. Elle a maintenant quatre ans et une petite soeur d'un mois. Je dois me preparer, etre en forme pour de nouvelles randonnees avec la nouvelle. Si elle me laisse du temps j'ecrirai de nouveaux billets. J'espere qu'elle (et vous aussi) sera comprehensive et conciliante…



NOCTURNO DE CHILE



Ma petite derniere etait une gueularde. Ses hurlements faisaient fremir les fondations de la maison. Je la sortais alors promener pour que l'air frais de la nuit et les tressautements sur les trottoirs cahotiques l'endorment. Je donnais aussi de la voix pour qu'elle se sente completement en securite. Ca allait de vieilles rengaines coquines du temps de ma mere (… la culpa la tiene Utrera / y el vagon de primera / y el vaiven del tren / y el vaiveeen del tren.) jusqu'a des ballades plus modernes, a ma sauce particuliere (… parslisay rosmary entaim / rimembermi touwan hulaivder / si ouanzouas etrou lovofmain.). Apres une longue randonnee on rentrait, calmes, le nez rouge, heureux = endormie!



Trente ans plus tard elle m'amene son hurlante a elle. Mais je n'ai plus la forme d'alors, les trottoirs sont moins cahotiques, et surtout beaucoup moins surs la nuit. Alors je chante intra muros, et quand elle est specialement longue a se detendre et mon repertoire ne suffit plus, je lui lis a haute voix mes livres du moment et de toujours. Elle aime ca. Elle aime ma voix, mon intonation, et elle apprecie les passages que je choisis pour elle. Elle en saisit le sens et la portee mieux que moi. Elle a souri a Nocturne du Chili. Qu'y a-t-il a sourire, ma petite fille? Qu'est ce que moi je n'ai pas compris dans cette histoire de decheance morale? Est-ce le rythme de l'ecriture de Bolano? L'alternance de longues et de courtes phrases? L'humour des histoires qu'il intercale dans la trame principale?



Je te souhaite de la chance, ma petite fille. Bolano nous a fait bien comprendre que la descente aux enfers est faite de millions de petites marches microscopiques. Il est tres difficile de se rendre compte qu'on a entame cette descente, et encore plus de savoir a quel niveau on se trouve. Je te souhaite que ton entourage te serve de boussole et non d'appat. Que tu aies la chance de pouvoir discerner les differentes teintes de gris. Que tu aies la chance d'aimer les plus claires. Que tu ne tombes pas dans un engrenage que tu n'auras pas pu pressentir a temps, comme le heros de Nocturne du Chili, Sebastian Urrutia Lacroix. Pour que tu n'aies pas l'impression qu'il a en conclusion de sa vie, d'etre dans une tempete de merde. Je te souhaite la chance d'avoir du discernement. Et surtout je te souhaite la chance d'avoir le choix. Dors, ma petite fille.



Souris, ma petite fille. Je te souhaite de lire Nocturne du Chili quand tu seras grande. Bolano y traite du passé, des annees de fer de la dictature de Pinochet, mais il ecrit pour l'avenir, pour toi. Il y traite de ce que d'autres ont appele "la trahison des clercs", d'une certaine inconstance sinon impuissance de la litterature, mais il croit encore aux mots, a l'espoir qu'ils peuvent eveiller, au baume qu'ils peuvent dispenser. C'est pour cela qu'il a ecrit comme un forcene jusqu'a son dernier souffle. Je te souhaite de lire Bolano, ma petite fille. Dors.

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Un petit roman Lumpen

Un petit roman Lumpen est la dernière oeuvre de fiction publiée du vivant de Roberto Bolano, écrivain chilien que je découvre par la même occasion.

C'est un petit roman en effet dans son minimalisme et c'est un grand roman dans la puissance émotionnelle qu'il délivre comme une déflagration.

L'histoire paraît presque dérisoire. C'est la narratrice Bianca qui nous la confie, se penchant quelques années après sur une tranche de sa vie.

Nous sommes en Italie.

Le destin offre un rendez-vous cruel avec la vie lorsque Bianca et son frère deviennent orphelins du jour au lendemain, perdent leurs parents dans un accident de voiture. Ils sont encore tous deux lycéens. Ils vont continuer de vivre tous les deux dans l'appartement familial à Rome, poursuivant leurs études. Mais bientôt les nécessités de l'existence les obligent à travailler, elle comme shampouineuse dans un salon de coiffure, lui comme homme d'entretien dans une salle de culturisme... Un jour, le frère invite deux amis mystérieux et taiseux, un Bolognais et un Libyen, qui finissent par s'installer dans l'appartement...

Elle ne se souvient plus vraiment lequel des deux est entré une nuit dans sa chambre pour lui faire l'amour. Cela n'a pas d'importance puisqu'ils sont revenus plus tard l'un après l'autre. C'est dans cette désillusion presque au bord du vide qu'elle a ainsi perdu sa virginité. Et c'est peut-être là au bord du vide aussi que son histoire a basculé vers un autre territoire, celui de la délinquance et de la prostitution. Oui, les deux hommes ont l'idée d'aller faire un coup génial, là-bas à l'écart de la capitale dans la demeure de cet homme, un culturiste aveugle, qui a incarné pour le cinéma et la télévision le célèbre personnage de Maciste. Il doit être riche, il cache forcément chez un lui un coffre-fort...

L'histoire pourrait paraître glauque.

C'est plus tard, bien plus tard qu'elle nous raconte cette histoire, bien plus tard que l'accident de ses parents dans cette Fiat jaune, plus tard que ce qui nous est raconté, une histoire parmi tant d'autres.

C'est un livre d'une étrangeté étonnante. Voilà un texte cruel qui dit magnifiquement l'absence et le désenchantement. C'est une petite voix désincarnée qui fait mal à entendre.

C'est comme une énigme, un mystère qui se faufile à chaque page, dans une écriture à la fois simple et poétique, subtile comme des miroirs imprévisibles. Il y a un pan de cette écriture qui devient vite addictif.

Il arrive à Bianca de rêver beaucoup et d'oublier ses rêves. Sa vie est peut-être d'ailleurs comme un rêve, elle s'y penche comme on se penche depuis une fenêtre de sa maison.

Que lui reste-t-il de cet accident de voiture qui a vu mourir ses parents ? Que reste-t-il à Bianca ? Un désarroi, une volonté de s'échapper du monde ou de se dissoudre dedans ? Se perdre dans une histoire qui ne lui ressemble pas ?

Laver des têtes à longueur de journée dans un salon de coiffure en plein Rome, ou bien courir à la recherche désespérée d'un coffre-fort, c'est un peu la même chose. Et si la vraie vie était ailleurs, la vraie vie de Bianca, celle qu'elle tente de nous raconter...

Lorsqu'elle fait l'amour, c'est comme si elle était absente, absente d'elle-même et de ses amants, comme si dans l'étreinte silencieuse ou douloureuse, elle regardait passer sa vie penchée depuis le balcon de sa fenêtre.

Il y a une lumière aveuglante qui joue avec le désespoir de ce récit, comme si cette lumière ne s'éteignait jamais, passant du jour à la nuit et de la nuit au jour.

Peu à peu les mots du récit tremblent comme une vision qui perd de sa lumière, perd de ses contours. Nous continuons d'avancer avec Bianca dans son histoire, un peu à tâtons, nous avons peur pour elle, peur qu'elle ne se perde en route. Elle est juste un peu fragile malgré son apparente passivité, dans cette promesse qui ne vient pas.

On a juste envie de la prendre dans nos bras et de la protéger des loups qui rayent la nuit et des virages qui broient comme une noix les Fiat jaunes.

Il y a un désenchantement infini qui résonne à la lecture de ce petit récit que j'ai beaucoup aimé et qui se prolonge longtemps après.

Merci à Gaëlle, Sandrine, Patrick dont les merveilleux billets m'ont donné envie d'aller vers cette lecture.
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Un petit roman Lumpen



Si Roberto Bolaño voulait dans son dernier écrit, transcrire le chagrin qu’une jeune adolescente ressent lorsque, elle et son frère, perdent leurs parents dans un accident de voiture, il utilise un langage plat, froid, sans absolument aucune émotion, aucun lyrisme, aucune poésie.

Bianca imagine la voiture jaune de ses parents, devenue grise après l’accident, voit de la lumière partout, pense d’ailleurs être la seule à VOIR, alors que son frère et ses deux amis, qui s’installent chez eux, sont, selon elle, aveugles.

Que voit-elle, Bianca, à l’intérieur de ces jeux de lumières et d’ombres?

En fait, rien.

La clarté n’éclaire rien, elle aveugle. Avoir les yeux ouverts sur rien, augmente le malaise et le mal-être de l’adolescente. Elle ne veut penser à rien, « ma tête est en blanc »dit-elle.

Comme morte, sans désir, sans plaisir, elle ne se rend même pas compte qui des deux amis vient la visiter la nuit, n’a pas l’idée d’ouvrir la lumière pour voir, et ne raconte pas les nuits obscures comme des nuits d’amour. Elle jouit, et s’en veut, emplie de rage.



C’est être heureuse qui la fait pleurer, car la réalité des choses lui échappe.

Elle se rend compte que tout est faux, dans cette petite survie élémentaire où elle shampouine des têtes, fait les courses et la cuisine, regarde des films pornos, avec une apparente gaieté qui est en fait est une manière d’ occulter le vide et la tristesse.



Je sais que Roberto Bolaño est un des très grands auteurs chiliens, qu’il a dédié ce livre à ses deux enfants et que cette petite « novelita lumpen » veut peut être exprimer le degré zéro des sentiments provoqués par la perte, comme un lumpen, état le plus pauvre du prolétariat, état le plus lamentable des non sentiments humains. Bianca ne parle pas de ses parents, sauf pour indiquer les journaux romains que lisait son père ; de sa mère il n’est pas question. Nous ne saurons rien sur ce que Bianca et son frère ont perdu.

Nous ne connaitrons pas la relation qu’ils avaient entre eux.



Et pourtant, pourtant, l’art de Roberto Bolaño est de nous introduire peu à peu, de façon discrète, dans le chagrin de Bianca. Elle entend son frère pleurer dans la salle de bains. Elle- même entend la voix de ses parents. Non, elle n’est pas folle, mais affolée par la perte, sans avoir eu les moyens de l’exprimer, sans avoir pu parler et sans avoir pu prendre des décisions.

Et puis elle rêve, puisqu’elle subit son sort. De désert, de soif, de tourmentes, comme les rayures noires et blanches qui remplacent les images de la télévision après fin des programmes, un ouragan.



« J’attendais quelque chose. Une catastrophe. »

Elle pense à ses parents, à l’accident, elle pleure de rage.



Enfin, elle les prend des décisions, on comprend qu’elle est sauvée.

Arrive la tempête, une tempête entre deux mondes, silencieuse, à l’intérieur de laquelle elle trouve enfin un refuge, son ombre qui est la sienne.

Bolaño termine son petit roman par une longue phrase lyrique, nous fait rêver à nous aussi, de manière d’autant plus forte et inoubliable qu’il avait depuis le début utilisé des phrases neutres.

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Amuleto

Le 18 septembre 1968 les forces de l'ordre mexicaines envahissent l’universite autonome (l'UNAM) dans la capitale Mexico et evacuent tous ses occupants, professeurs et etudiants. Une jeune fille se cache dans les w.c. du dernier etage et restera cachee la pendant treize jours. Bolano s'empare de cette histoire et fait de la jeune fille l'heroine de ce roman. Il la nomme Auxilio. Auxilio en espagnol veut dire aide, secours. Et si on y ajoute un point d'exclamation, auxilio!, cela devient au secours! Ce sera donc une heroine qui au fil des pages passera du role de la bonne samaritaine a celui de la lanceuse d'alerte pour finir en celui de pleureuse de tragedie.



Auxilio nous livre un monologue ou elle mele present passe et futur, action, pensees et reves. Un monologue qui commence par conter, au sortir de sa cachette, son quotidien, ses petits travaux pour survivre, ses rencontres avec nombre de poetes et d'artistes, toute une galerie, de vrais noms d'espagnols exiles comme Leon Felipe, des mexicains que le lecteur doit deviner (“le petit gros qui travaillait au ministere de l’Interieur a attendre que le gouvernement mexicain lui accorde une ambassade ou un consulat quelconque” est a l'evidence Octavio Paz), et des jeunes inventes ou deguises sous de faux noms que nous avions deja rencontre dans “Les detectives sauvages", comme Arturo Belano (l'alter ego de Bolano). Pour ces derniers elle sera “la mere de la poesie mexicaine".



Ce monologue s'engage graduellement dans une certaine irrealite pour se hisser vers la fin jusqu'a des descriptions de paysages et de tableaux humains fantasmagoriques, de visions oniriques qui – tout lecteur le comprend aisement bien que cela ne soit en aucun cas explicite – commemorent le massacre de centaines d'etudiants dans la place de Tlatelolco en octobre 1968, et pleurent leur sacrifice. Bolano ecrit 30 ans apres le massacre, mais pour lui “hacer memoria es hacer resistencia", faire memoire c'est faire resistance. Et il eleve sa lamentation, depassant le cas particulier du massacre de Tlatelolco, sur tout un collectif, forme par tous les jeunes latino-americains victimes de guerres et de dictatures, toute une generation sacrifiee: “Je les ai vus. J’etais trop loin pour distinguer leurs visages. Mais je les ai vus. Je ne sais pas si c’etaient des jeunes de chair et d’os ou si c’etaient des fantomes. Mais je les ai vus. […] Ils marchaient vers l’abime. Je pense que je l’ai su des que je les ai vus. Ombre ou masse d’enfants, ils marchaient inexorablement vers l’abime. […] Ils chantaient. Les enfants, les jeunes chantaient et se dirigeaient vers l’abime. […] Et je les ai entendus chanter, je les entends encore chanter, maintenant que je ne suis plus dans la vallee, ils chantent tout bas, un murmure presque inaudible, les enfants les plus beaux de l’Amerique latine, les enfants mal nourris et les bien nourris, ceux qui ont tout eu et ceux qui n’ont rien eu, quelle jolie chanson sort de leurs levres, comme ils etaient jolis, quelle beaute, meme s’ils marchaient cote a cote vers la mort, je les ai entendus chanter. […] Tout ce que j’ai pu faire fut de me mettre debout, tremblante, et d’ecouter jusqu’au dernier soupir leur chant, d’ecouter toujours leur chant, car meme si l’abime les a avales, le chant est reste suspendu dans l’air de la vallee, dans le brouillard de la vallee qui, au crepuscule, montait vers les flancs et les escarpements de la montagne. […] Une chanson a peine audible, un chant de guerre et d’amour, parce que les enfants partaient sans doute a la guerre mais ils le faisaient evoquant les gestes dramatiques et souverains de l’amour. […] Et meme si le chant que j’entendais parlait de guerre, des hauts faits heroïques d’une generation entiere de jeunes Latino-Americains sacrifies, j’ai su que par-dessus tout ce chant parlait de la bravoure et des miroirs, du desir et du plaisir. Et ce chant, c’est notre amulette”.



C'est un livre court. Comme un rajout aux “Detectives sauvages", dont il reprend des personnages, des lieux. Une oeuvre mineure? Peut-on parler d’oeuvres mineures chez Bolano?

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2666

Un des commentaires sur Amazon ( 1 étoile ) :

« Près de 1000 pages de tripotage intellectuel vaseux et stérile, un vide abyssal, un ennui profond. 30 euros et je ne sais pas encore si je conserverais "l'ouvrage" même pour caler un pied d'armoire, tant il m'a semblé calamiteux!!! A MOI Césaire, sauve moi de "ça". »

Réponse d’un lecteur à ce commentaire :

« Pas étonnant qu'un admirateur de Césaire (l'improbable), ne comprenne rien à Bolaño, la quête d'utilitarisme conduit, elle à l'abysse. »



Si ces commentaires m’ont interpellée c’est que je crois bien, moi aussi, n’avoir rien « compris » à Bolaño. On m’avait « vendu » 2666 comme un chef d’œuvre et les qualificatifs élogieux ne manquent pas lorsqu’on lit la plupart des avis : roman-monde, roman total, roman fou etc etc…

Vous l’avez compris, je ne partage pas l’enthousiasme et l’extase générale suscités par ce roman. J’en attendais probablement trop, autre chose en tout cas c’est certain. Non, en fait le problème c’est que j’en attendais tout simplement quelque chose, rien de précis mais au moins quelque chose et que, finalement, il ne s’est rien passé, je n’ai rien retiré de ma lecture.

C’est pourquoi j’ai voulu vous faire part des deux commentaires amazon ci-dessus.

« La quête d’utilitarisme conduit, elle à l’abysse. »

Ayant lu ces mots, je me suis dit que j’étais une lectrice « utilitariste », j’attends obligatoirement quelque chose de mes lectures, j’ai besoin qu’elles me soient « utiles », que j’en retire un enseignement, une réflexion, des informations, la beauté des mots voire même simplement un beau moment de rêve et de détente. Mais je ne conçois vraiment pas la lecture comme une activité stérile, lire pour lire, sans rien attendre en retour.



2666 ne m’a rien apporté, vraiment rien. Le style n’a rien d’exceptionnel, la construction est on ne peut plus frustrante ( peut-être dû au fait que le roman est inachevé …), je n’ai rien appris, je n’ai pas été invitée à la réflexion ( ou alors je n’ai pas vu l’invitation car d’autres apparemment l’ont vue). L’auteur multiplie les genres au sein d’un même roman, c’est bien mais ça n’a rien d’inédit, bref je ne comprends pas l’engouement général …



2666 se compose de 5 parties destinées d’abord à être publiées séparément, cette décision initiale de l’auteur, qui se savait malade, visait à assurer l’avenir économique de sa famille. Après sa mort, par souci de respecter l’œuvre dans sa globalité, les éditeurs ont choisi de passer outre la volonté de l’auteur et de publier ainsi les cinq parties ensemble.



La première partie m’a franchement déroutée, je me suis même demandée si mon exemplaire n’avait pas été victime d’une erreur d’impression. L’action se déroule en Europe, on suit les péripéties amoureuses d’un quatuor d’universitaires tous fascinés par l’œuvre d’un mystérieux écrivain allemand. Leur quête les conduit jusqu’au Mexique, à Santa Teresa, où les meurtres en série de jeunes femmes terrorisent la population.

Les deux parties suivantes s’attachent chacune à un personnage précis. D’abord, un mexicain dont l’auteur nous retrace la vie, père célibataire vivant dans la crainte que sa fille ne soit victime du tueur en série. Ensuite, un jeune journaliste américain est chargé de couvrir un match de boxe au Mexique. Il entend parler des meurtres, un sujet en or pour un journaliste comme lui.

La quatrième partie retrace dans le détail toutes les circonstances de chaque meurtre perpétré à Santa Teresa. Ce sont des dizaines et des dizaines de meurtres qui s’enchaînent sans interruption. Cette partie m’a beaucoup impressionnée car on aurait pu craindre la lassitude à force de répétition mais pas du tout. On est littéralement plongé en plein roman noir. La partie précédente avait commencé à éveiller ma curiosité et mon intérêt, je dois avouer que cette partie-ci n’a fait que les accroître considérablement.

Je pensais donc apprendre enfin le fin mot de l’histoire ( au bout de 1000 pages !) dans la dernière partie, celle consacrée à ce mystérieux écrivain. Après donc le roman noir, on se retrouve en plein récit de guerre. J’ai bien aimé cette partie où le tableau commence à s’éclaircir.



Finalement, je me suis quand même plutôt ennuyée durant les ¾ du livre. J’en suis ressortie frustrée car bien qu’il y ait un fin fil conducteur entre les parties, on ne retrouve plus du tout les personnages d’une partie à l’autre, je m’attendais à ce qu’il y ait un lien, des explications mais je suis restée avec mes questions. A la fin, on a bien une idée de l’identité du coupable mais rien n’est affirmé et le fait que le roman soit inachevé se fait bien sentir.



Concernant la série d’assassinats, elle est inspirée de faits réels. Pour connaître l’histoire, je vous conseille le film « Les oubliées de Juarez » avec Antonio Banderas et Jenifer Lopez. Ayant déjà vu le film avant cette lecture, vous comprenez que le sujet du roman de Bolaño n’avait rien d’original pour moi.



Je crois que c’est Joachim qui avait souligné l’influence de Gabriel Garcia Marquez chez Bolaño et c’est vrai, je l’ai remarquée de temps à autre. La dernière partie m’a aussi beaucoup rappelé Kaputt de Malaparte dont il faudra que je vous parle prochainement alors que la toute première partie nous plonge plutôt dans une ambiance digne des auteurs européens tels Zweig, Musil, Marai … Je reconnais donc le talent de Bolaño d’avoir su aussi habilement manier les genres.



C’est terrible, c’est limite si je ne m’excuse pas de ne pas avoir aimé. Alors certains diront que je n’y connais rien en littérature ( et dans ce cas qu’on m’explique ce que signifie « s’y connaître en littérature » ), que je suis une inculte et que je suis dénuée de toute intelligence etc … ( j’y ai eu droit lors de l’affaire « plug anal de MacCarthy »). Mais voilà, c’est comme ça, je me suis ennuyée, je n’ai rien appris, je suis très déçue et je ne dois pas avoir la même définition du « chef d’œuvre » que la plupart des gens. J’ai mentionné Kaputt tout à l’heure, eh bien Kaputt pour moi EST un chef d’œuvre.









Addendum :



Je me suis rendue compte que je reprochais aux avis élogieux de ne pas être précis concernant les raisons de leur "orgasme littéraire" mais que mon avis tombait dans le même travers.

Je vais donc essayer d'être plus explicite.

Je dis dans le corps de mon article que les différentes parties du roman sont finalement très peu liées entre elles. A vrai dire, j'ai même carrément eu l'impression qu'on sautait parfois du coq à l'âne. Je n'ai vraiment pas compris pourquoi Bolaño avait procédé ainsi et ce qu'il cherchait à montrer. J'ai cru comprendre, en lisant d'autres articles, que 2666 est dans son ensemble un roman sur le Mal, je veux bien mais je ne vois en quoi c'est le cas concernant notamment les trois premières parties. A moins de considérer le Mal sous son acceptation religieuse et d'y inclure donc les plans à trois, les sports de combat etc ...

Ce que je reproche également à ce roman c'est de vouloir apparemment toucher à plein de choses sans les approfondir. Je fais partie des lecteurs qui aiment lorsqu'un auteur décortique et analyse à fond son sujet. Ce n'est pas du tout le cas ici et j'ai d'ailleurs du mal à déterminer quel est le sujet, l'objectif, la raison d'être de ce roman. J'ai une sensation de superficialité, de survol alors que j'aime plutôt la profondeur.

Enfin dernier point, j'ai une grande prédilection pour les romans coups de poing et les romans surprises. C'est d'ailleurs le critère principal de ma propre définition du chef d'oeuvre. Et ici, j'ai attendu et attendu en vain la "surprise", ce moment où tu te dis " Waouh !". Ce roman a pour moi manqué de force, de panache, je l'ai trouvé terne et sans relief. Je suis restée en dehors. Je n'ai pas ressenti d'atmosphère particulière.

Voilà donc essentiellement pourquoi 2666 n'est, selon moi, pas un chef d'oeuvre.
Lien : http://cherrylivres.blogspot..
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Les Détectives sauvages

Los Detectives Salvajes

Traduction : Robert Amutio



ISBN : 9782070416769





Ah ! mes amis, quel livre ! Il ressemble à une piñata gigantesque que des adultes ivres de mots et d'écriture auraient bourré de tout et de n'importe quoi, de la gourmandise la plus délicate au bout de chiffon élimé encore poisseux d'un reste de sucre. A certains moments - c'est plus fort que soi, surtout avec l'un des deux héros prénommé "Ulises" - on songe à Joyce. La même puissance, qu'on dirait aveugle alors qu'elle est sait très bien où elle va, à l'oeuvre dans "Ulysse", est ici au rendez-vous, une puissance encore décuplée - que dis-je ? centuplée - par la chaleur des Tropiques. Le roman fleurit, s'ouvre, se déroule, s'étale avec l'exubérance tenace et l'éclat carnassier des plantes de ces pays. Certains passages - comme le monologue mettant en scène Heimito Künst, à Vienne, ou l'errance avec Hans, sa femme et leur fils, entre l'Espagne et le sud de la France, sur laquelle ne cesse de planer un danger bien difficile à identifier - flirtent avec l'incohérence ou l'inutilité. D'autres - comme la découverte du seul poème publié de Cesárea Tinajero dans la revue qu'elle édita jadis - ne peuvent se passer sans nuire à la compréhension de l'histoire et du but ultime de nos deux chercheurs du Saint-Graal littéraire. Mais tous, fût-ce le moins compréhensible, le plus gratuit en apparence, à l'exemple des diverses réflexions sur la littérature espagnole et latino-américaine à la Foire du Livre de Madrid en 1994, tous accrochent le lecteur comme autant de ronces teigneuses et déterminées qui le ramènent à ce tourbillon de folie, d'onirisme, d'imagination et, bien sûr, de poésie qu'est l'univers de Roberto Bolaño.



Lire "Les Détectives Sauvages" est une expérience de lecture authentique, comparable à celle que vous faites en découvrant l'"Ulysse" de Joyce, "Le Bruit & la Fureur" de Faulkner ou, plus proche de nous mais sans doute moins connu (et on peut le regretter), "La Maison des Feuilles" de de Mark Z. Danielewski. Tout lecteur digne de ce nom comprendra sans peine qu'il faut donc s'accrocher fermement à son siège et à ses pages tout en s'abandonnant en confiance au courant qui prend possession de soi. Il saisira tout aussi vite que "Les Détectives Sauvages" n'est pas un livre à lire n'importe où, n'importe quand. Privilégiez un lieu calme et une période calme, où vous pourrez prendre tout votre temps pour bâiller, tourner vos pages, vous dire "Ce type est fou !", revenir en arrière, relire, savourer un ou deux détails qui vous avaient échappé, réfléchir un moment à ce que tout cela suscite en vous et penser soudain : "Ce type est génial !"



Vous entrerez tout de suite dans "Les Détectives Sauvages" - ou vous resterez à sa porte. Ce sera tout l'un ou tout l'autre : le moyen terme n'existe pas en ce monde dominé par une poésie onirique et réaliste, à vingt-mille lieues de celle, gonflée, ampoulée, des "Cent Ans de Solitude" de García Márquez mais qu'on apparenterait plus aisément, dans sa démesure et son flamboiement naturels, à celle d'un Jorge Amado écrivant sa "Boutique aux Miracles." Ca brûle et ça gèle, ça éclate de partout et pourtant les silences sont terribles, ça aveugle et puis, ça rafraîchit la manière d'envisager les choses, ça assourdit pour mieux replonger dans la perplexité et le silence, ça laisse sans voix et ça gratte là où ça agace mais on ne peut pas l'abandonner avant la dernière page.



Non qu'on veuille réellement savoir si Arturo Belano - alter ego de l'auteur - et Ulises Lima finiront par retrouver Cesárea Tinajero et le reste de ses poèmes. Simplement, on a fait tout ce long voyage avec eux (même si l'on vient de s'en apercevoir), on a vibré, on a vécu, on a partagé, on s'est étonné, on a perdu ses illusions, on a vieilli avec eux, alors, il est bien normal qu'on les accompagne jusqu'au bout. Car ce voyage que nous avons fait ensemble, qui est aussi une traversée presque complète de leurs vies et de celles de tant de personnages, qui est encore, ne l'oublions pas, une traversée de l'imaginaire social, poétique, fantasmatique, de l'Amérique latine, ce voyage, nous l'avons en quelque sorte vécu par anticipation, dans cet espace temporel et littéraire que constitue la seconde partie du livre, imbriquée, par la volonté de l'auteur, entre les deux parties, infiniment plus modestes, qui couvrent la fuite des poètes et de la prostituée loin du District fédéral de México, en direction de l'Etat de Sonora - où les attendent Cesárea et leur destin.



Et cela aussi, on l'a trouvé naturel : cette anomalie chronologique ne trouble pas un seul instant, elle va de pair avec l'ensemble et en rehausse la surprenante et majestueuse beauté. Certes, on n'est pas devenu l'un des "Détectives Sauvages" mais c'est tout de même un peu comme si ... Wink tant sont grands le génie de son auteur et la générosité avec laquelle il accueille son lecteur dès lors que celui-ci accepte de plonger sans filet.



Un livre incroyable, un auteur à découvrir et à placer au tout premier rang de sa bibliothèque car, à sa manière cahotique de rebelle obstiné, Roberto Bolaño fut et demeure l'un des auteurs latino-américains les plus extraordinaires du XXème siècle. ;o)
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Les Détectives sauvages

« Moi j’ai conservé sa revue et j’ai conservé son souvenir. Ma vie, probablement, me le permettait. Comme tant d’autres Mexicains, moi aussi j’ai abandonné la poésie. Comme tant de milliers de Mexicains, moi aussi j’ai tourné le dos à la poésie. Comme tant de centaines de milliers de Mexicains, moi aussi, l’heure venue, j’ai cessé d’écrire et de lire de la poésie. À partir de ce moment ma vie a suivi le cours le plus triste que l’on puisse imaginer. J’ai fait de tout, j’ai fait ce que j’ai pu. »



C’est Amadeo Salvatierra qui s’exprime ici. On est en janvier 1976, à Mexico, et il vient de passer la nuit à boire et parler en compagnie de deux jeunes poètes qui se réclament d’un mouvement littéraire obscur nommé «réalisme viscéral», fondé cinquante ans plus tôt. L’un d’entre eux, Ulisses Lima, est mexicain mais l’autre, Arturo Belano est chilien, en exil. Ils sont à la recherche de l’œuvre qu’a pu laisser Cesárea Tinajero, une poète mystérieusement disparue.



La voix, la confession presque, de ce vieil homme n’est qu’une des dizaines qui vous attendent dans ce merveilleux roman pour fous de littérature et de poésie, qui m’a laissé pantois d’un bout à l’autre.



Nous suivrons Ulisses Lima et Arturo Belano de 1975 à 1996 dans leurs voyages, leurs vies souvent difficiles mais exaltantes. Pourtant jamais ceux-ci ne s’exprimeront directement dans la narration. Ils apparaîtront dans le reflet de ce que disent d’eux certains de ceux qu’ils ont croisés, appréciés ou aimés.



La construction du roman est superbement maîtrisée : trois parties, inégales en longueur. D’abord un journal, celui d’un jeune poète nommé Juan Garcia Madero, qui à la fin de 1975 rencontre ces réal-viscéralistes et laisse tomber ses études de droit pour les suivre. La seconde partie, la plus ample, déroule les récits de toutes les voix qui ont notamment connu Arturo Belano et Ulisses Lima de 1976 à 1996, d’Amérique en Europe et en Afrique. La troisième partie est un retour au journal de Juan Garcia Madero, en 1976, alors qu’ils sont à la recherche de Cesárea Tinajero dans le désert du Sonora.



Ce roman sera certainement mon plus grand choc littéraire de l’année. Il dormait depuis longtemps sur mes étagères car j’étais un peu effrayé par sa longueur et par son exigence supposée. Quelle erreur !



C’est vrai que je suis, comme beaucoup d’entre nous en ce moment, disponible pour une lecture longue et touffue. Mais je n’ai trouvé que des qualités à ce roman de 930 pages. Il ne souffre pas d’un trop grand formalisme (pas d’effets de style grandiloquents, embrouillés ou obscurs). Roberto Bolaño était un très grand écrivain et je vais rapidement lire autre chose de lui.

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Un petit roman Lumpen

Bianca et son frère perdent brutalement leurs deux parents dans un accident de voiture en Italie. Ils se retrouvent seuls tous les deux dans l'ancien appartement familial avec la pension de décès de leur père comme unique moyen de subsistance. Ils tentent de poursuivre leur étude mais bien vite la nécessité d'un job d'appoint se fait sentir. le travail prend le dessus sur le lycée, Elle devient laveuse de cheveux dans un salon de coiffure et lui laveur de sueur dans un club de culturisme.



C'est dur de perdre ses deux parents à 18 ans, j'en ai fait aussi cette triste expérience la première fois à 23 ans et la seconde fois à 28 ans. le deuil te fait perdre toute notion de temps et provoque en toi une brûlure de l'âme qui se traduit par une lumière intense qui vient frapper ta rétine provoquant un éblouissement permanent. Tu ne fais plus la différence entre le jour et la nuit. Tu te retrouves dans un décor surexposé à la lumière où la balance des blancs a été complètement dérèglée.



« À partir de ce moment-là, les journées ont changé. Je veux dire, le cours des journées. Je veux dire, ce qui unit et en même temps marque la frontière entre un jour et l'autre. D'un coup, la nuit a cessé d'exister et il n'y a plus eu que soleil et lumière, sans interruption. Au début, j'ai pensé que c'était dû à la fatigue, au choc produit par la disparition soudaine de nos parents, mais lorsque j'en ai parlé à mon frère, il m'a répondu que la même chose lui arrivait. Soleil et lumière et explosion de fenêtres ».

« Je penchais à la fenêtre et regardais la rue avec ses deux rangées de voitures encore garées de chaque côté, et je ne pouvais pas croire que cette incandescence soit la nuit. Ça revenait au même de fermer les yeux ou de les garder ouverts ».



Tu vis dans un mode où le réel et l'irréel se mêlent et s'entrelacent au point de ne plus faire qu'un. Dans cet univers hyper blanc qui voudrait atténuer la noirceur de ta vie, tu demandes ma chère Bianca (Blanche en français et je n'invente rien) si tu ne vas pas devenir folle. Eh bien, tu n'es pas folle, tu n'es pas une délinquante ni une pute. Tu es simplement une jeune fille qui a perdu ses repères et qui veut se débarrasser simplement de cette douleur qu'on appelle le deuil. Comme tu le dis aussi, tu es « comme ces petits oiseaux perdus dans la tempête et qui n'intéressent plus personne ».



« Parfois, je voyais toute ma vie en négatif : une maison plus grande, dans un autre quartier, des enfants, un meilleur travail, des années, la vieillesse, un petit-fils, la mort dans un hôpital public ou couverte par un drap dans le lit de mes parents, un lit dont j'aurais aimé entendre les grincements, des grincements pareils à ceux d'un transatlantique au moment de couler, mais qui, au contraire, était silencieux comme un cercueil ».



Et puis, il y a ton frère qui arrive un soir avec deux amis rencontrés à la salle de culturisme. Il les invite à rester à demeure dans ton appartement. Ils vont désormais vivre avec toi. Comme des fantômes, des personnages sans visages, sans nom, sans histoires, ils sont uniquement là pour essayer d'exister, de surnager, de tenir. Oui je sais qu'ils te font peur ma petite Bianca et que tu cherches à les éviter, à les ignorer.



« Je crois que, pendant quelques jours, j'ai vécu comme sur la pointe des pieds. J'allais de la maison au travail et du travail à la maison, en essayant de ne pas attirer l'attention, et le soir, je regardais la télévision, pas trop, parce que mon intérêt pour les émissions qu'avant j'avais l'habitude de suivre avait commencé à décliner peu à peu ».



Et à force de se tenir à coté de toi, de manger avec toi, Ils vont vouloir coucher avec toi…



« Cette nuit-là, j'ai fait de nouveau l'amour avec l'un des amis de mon frère et la nuit suivante et celle qui a suivi cette nuit aussi, et toutes les nuits de cette semaine, et la semaine qui a suivi, jusqu'à ce que sur mon visage commence à se voir que je faisais l'amour toutes les nuits ou que je dormais peu, au point que mes collègues de travail m'ont demandé ce qu'il m'arrivait, si j'étais malade, ou quoi ».



Et quand on connait comme toi l'amour physique avant de vivre un amour sentimental, quand on perd sa virginité comme on perd ses parents aussi brutalement que toi, on offre son corps pour combler un vide immense car l'absence fait mal à crever. Et puis un jour, ils te demandent de coucher avec un vieil acteur aveugle de séries B pour lui soutirer du fric pour enfin s'assurer un avenir comme ils disent. Et toi qui vis dans le blanc tu vas connaitre la noirceur de Maciste. Tout est noir et sombre chez lui, sa maison, sa vie, tout ce qui sort de lui … Et c'est peut-être ton passage obligé, ton parcours initiatique, ta recherche du Saint Graal pour connaitre ta rédemption. Pour que tu deviennes alors une mère et une femme mariée.



« Rendre visite à Maciste, c'était penser au futur, transpirer, entrer dans des pièces où l'obscurité était totale, c'était penser au futur. Un futur qui ressemblait à n'importe quelle pièce de la maison de Maciste, mais plus lumineuse, avec des meubles recouverts de vieux draps de lit ou de couvertures, comme si les propriétaires de la maison (une maison qui se trouvait dans le futur) étaient partis en voyage et n'avaient pas voulu que la poussière s'accumule sur les choses. Et c'était ça mon futur, et c'est comme ça que j'y pensais, si on peut appeler ça penser (et si on peut appeler ça futur) ».



D'un simple fait divers, Roberto Bolano aurait pu nous plonger dans le mélodrame habituel des orphelins livrés à eux seuls, il aurait pu également nous tirer les larmes habituelles que l'on éprouve dans ce genre de situation avec à la fin soit un bonheur retrouvé ou pire une fin plus pathétique. Il n'en n'est rien, l'auteur chilien dans son dernier roman publié avant sa mort (eh oui j'ai commencé mon apprentissage avec son dernier ouvrage) nous offre avec l'innocence brute de ses deux protagonistes, une histoire où il n'y aura pas de pitié, pas de culpabilité et encore moins de regrets. Tout son art se trouve dans cette façon qu'il a de nous montrer sans fioriture mais sans vulgarité les états d'âme, les réactions de ses personnages livrés à eux seuls. Sa prose est limpide et coule de source. On la lit sans voyeurisme et sans dégout. Et on finit même par l'aimer si on s'y prend lentement pour lire ses 94 pages.



Merci à Gaëlle et à Sandrine de m'avoir fait découvrir « Un petit roman lumpen ». Leur magnifique critique à toutes les deux y a été pour beaucoup !!! Je m'en suis aussi inspiré qu'elles m'en excusent. J'espère avoir à mon tour apporté une petite pierre à cette lecture commune.



« Il pleut sur Santiago » Film de Helvio Soto (1975)

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Amuleto

Le 18 septembre 1968, la police entre dans l’Université de Mexico et y arrête un grand nombre d’étudiants et de professeurs. Roberto Bolano s’est inspiré de ce fait pour écrire Amuleto et imaginer une femme, Auxilio Lacouture, qui se serait cachée dans les toilettes d’une faculté pour échapper à la purge. Ce sera le point central, le moment charnière de l’existence de cette femme. Là, elle réfléchira aux événements qui l’y auront menée puis, par la suite, elle y retournera en pensée. Lacouture, Urugayenne de naissance mais Sud-Américaine dans sa tête. Amie des poètes, voyageuse dans l’âme, résistante jusqu’au bout, elle est débarquée dans la capitale mexicaine quelques années plus tôt et s’y est fait son nid. Très rapidement, elle s’est liée avec les écrivains, les acteurs et les philosophes. Sans un sou, elle a occupé divers petits jobs à l’université, elle a fréquenté plusieurs personnes comme Arturo Belano et Lilian Serpas, lu les bons auteurs comme Pedro Garfias.



Je préviens tout de suite les potentiels lecteurs : il ne se passe pas grand chose dans ce roman, l’entrée de la police dans l’université n’occupe pas une place importante. C’est le prétexte. Amuleto évoque le destin de quelques uns des jeunes et moins jeunes amis de Lacouture. Mais il est surtout question de cette génération perdue de Latinos qui auraient pu faire une plus grande différence. C’est surtout un roman d’ambiance, selon moi. Personnellement, j’adore ! Ce style nostalgioque, presque mélancolique. Des poètes, des acteurs, des philosophes d’occasion, discutent, imaginent un monde meilleur, osent espérer le changer. Un peu comme Modiano (Dans le café dela jeunesse perdue) ou Guenassia (Le club des incorrigibles optimistes). Mais avec cette touche sud-américaine, cette perspective unique. J’ai tellement apprécié que j’ai hâte de lire d’autres œuvres de Roberto Bolano.
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2666

Vous avez déjà dû voir, un jour sur une plage, à marée basse, les contours d un courant imprimé dans le sable, où le lit d une rivière, seulement visible lorsque la mer se retire.

2666, c est un peu ça.

Sur 1162 pages superbement bien écrites, Roberto Bolano nous parle de violences, l air de rien, au travers de plusieurs histoires qui se rejoignent. Violence visible, celle des femmes décédées à Ciudad Juares (Santa Theresa) au nord du Mexique, violence larvée d intellos à la recherche d un mystérieux personnage...

Les cinq livres contenus dans ce volume, et qui devaient être édités en autant de livres, pour assurer une tranquillité financière à la famille de Roberto Bolano qui se savait en sursis, en attente d une greffe de foie, ont été publiés dans le même ouvrage, avec l accord des héritiers et de l éditeur.

Riche idée à mon avis, c est un monde total, global, une immersion dans ce que j appellerais la grande littérature, le roman poussé à son climax.

Sous couvert de plusieurs histoires et de très nombreuses digressions, jamais ennuyeuses, Bolano nous prend dans ses filets, la lecture en devient addictive, sans toujours savoir où l on va..

C est pour moi la quintessence du roman, un formidable travail, parfois proche du journalisme, du reportage, comme ce long passage sur les enquêtes des policiers dans le désert mexicain, tout en gardant ce souffle admirable dans la narration.

C est puissant, le texte forme une sorte de puzzle, apparemment sans rapport, avant qu une phrase vienne subitement vous éclairer, dessiner les ramifications.

Un pavé d intelligence et de Littérature,avec un très grand "L".

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Un petit roman Lumpen

Cette petite nouvelle est comme une respiration entre deux romans plus imposants.

Figure majeure de la littérature chilienne contemporaine, j’ai eu envie de découvrir Roberto Bolaño avec cette petite nouvelle, la dernière publiée de son vivant.

Et j’en profite pour remercier Sachka pour cette belle proposition de lecture.



*

Voici comment débute le récit de l’enfance difficile de Bianca :

« À présent je suis une mère et aussi une femme mariée, mais il n’y a pas longtemps j’ai été une délinquante. Mon frère et moi on s’était retrouvés orphelins. D’une certaine manière, ça justifiait tout. On n’avait personne. Et tout était arrivé du jour au lendemain. »



Le mot Lumpen est un terme péjoratif, voire injurieux, pour désigner les classes sociales les plus pauvres. C’est ainsi que se décrit Bianca.

L’adolescente vit à Rome à l’époque. Orpheline du jour au lendemain à la suite du décès de ses parents dans un accident de voiture, l’adolescente se retrouve seule avec son jeune frère.



« Nous sommes des oiseaux dans la tourmente, personne ne s’en rend compte. »



Bianca et son frère vivotent dans l’appartement familial grâce à de petits boulots, jusqu’à ce que son frère ramène deux hommes étranges et taiseux qu'il a rencontrés. Ils emménagent chez eux et paraissent vouloir s’installer durablement.

J’ai vu leur arrivée comme une menace latente, indéfinissable qui m’a troublée et mise mal à l’aise.



« Voilà ce qui me revient à la mémoire dans mes souvenirs de ce soir-là : de la nervosité et en même temps de la joie, une joie primordiale sans aucun doute, sans aucune fissure, qui transparaissaient sur les visages des amis de mon frère, des souvenirs que j’essaie de repousser chaque fois que je me rappelle ce moment-là, parce que je ne veux pas de cette joie pour moi ni auprès de moi. C’est une joie qui ressemble trop à la mendicité, à une explosion de mendicité, et c’est aussi une joie qui ressemble à la cruauté, à l’indifférence. »



*

C’est à partir de ce moment-là que le récit se tend progressivement et que l’on devine une évolution prochaine dans le scénario. Et je dois bien avouer que le tournant pris par l’auteur m’a surprise car cette histoire m’est apparue crédible mais avec une part d’irréalité contenue, discrète, inattendue.



Après avoir fait des recherches pour mieux comprendre le texte, j’ai trouvé une autre définition du mot Lumpen. Il renvoie aux mots absurde, jugement, adolescence, stupide. Et à la lumière de cette nouvelle définition, j’ai eu la certitude que ce récit était plus profond qu’il n’y paraissait à première vue et que derrière les mots de l’auteur et de Bianca, il y avait un sens caché.



Est-ce que Bianca transforme la réalité de sa vie pour lui donner plus de profondeur et d'importance ? L’auteur étant connu pour son engagement littéraire, faut-il voir, derrière certains mots, une dimension politique, sociale ?

Dans les deux cas, j’en ai l’intime conviction.



*

J’ai beaucoup aimé Bianca. Malgré son apparente passivité face aux évènements qui bouleversent sa vie, comment ne pas ressentir de l’affection pour cette jeune fille en manque de repères, qui se cherche, et avance sans l’appui de ses parents ?



Son récit est mélancolique, triste et le lecteur ressent de plein fouet sa fragilité, son chagrin, son deuil, sa solitude, sa honte, ses peurs. J’ai eu parfois la curieuse impression que ses sentiments et ses émotions se dissociaient de son récit, de son corps, comme si elle n’était pas reliée à la réalité.

Qu’elle rêvait peut-être à un autre futur, plus généreux avec elle.



« Certains soirs, je me mettais à la fenêtre et la nuit était aussi claire que le jour. Je pensais parfois que j’étais en train de devenir folle, que ça ne pouvait pas être normal, autant de clarté, mais dans le fond je savais que jamais je ne deviendrais folle. »



*

Roberto Bolano a une écriture très plaisante, belle de simplicité, directe à l’image de la jeune femme, mais elle se revêt également de subtilité et de poésie, avec parfois des fulgurances lyriques.



« La maison de Maciste était une promesse et une maladie, et je tournais et virais dans la promesse et la maladie, et je sentais sur la peau lorsque mon corps, ou la vitesse que j’imprimais à cet instant à mon corps, passait d’un état à l’autre, la promesse irisée, la maladie, une chute ou un vol plané en oblique, déambulant, effleurant tout du bout des doigts, jusqu’à ce que j’entende la voix de Maciste qui m’appelait, qui me demandait où j’étais. »



*

« Le petit roman lumpen » est une nouvelle étonnante, imprévisible et sujet à de multiples interprétations. Elle se lit en une soirée et mérite sa découverte.
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Amuleto

« Ça va être une histoire de terreur. Ça va être une histoire policière, un récit de série noire, et d’effroi. Mais ça n’en aura pas l’air parce que c’est moi qui raconterai. C’est moi qui parlerai et, à cause de cela, ça n’en aura pas l’air. Mais au fond, c’est l’histoire d’un crime atroce. »



Ce sont les premières lignes de ce roman. Comment ne pas poursuivre après ça ? Les lecteurs qui connaissent déjà l’univers de Bolaño ne vont peut-être pas prendre au pied de la lettre cette déclaration d’intention, tant l’auteur aime nous perdre dans des méandres narratifs, souvent surprenants. Pourtant la voix qui se fait entendre aura finalement raison.



Les évènements de l’automne 1968 autour de l’université de Mexico, avec notamment le massacre de plus de trois cents personnes, sont au cœur des souvenirs de la narratrice, Auxilio Lacouture. Mais le plus souvent comme un angle mort. Sa pensée s’égare dans le temps à partir de ce point central de son expérience.



Auxilio se définit comme « la mère des poètes du Mexique » car cette uruguayenne n’est jamais revenue dans son pays d’origine, préférant continuer à mener une vie précaire, vivant chez les uns ou chez les autres, abonnée aux petits boulots universitaires sans lendemain et aux discussions sans fin dans les bars où se réunissent les jeunes poètes, encore inconnus.



Un autre roman de Roberto Bolaño, « Les détectives sauvages », a été pour moi le choc initial qui m’a donné envie de lire tout ce qu’il avait écrit. « Amuleto », je l’ai lu comme une sorte de retour dans l’univers de ce vaste roman, tant les thématiques sont communes. Il y a toutefois une différence de taille : la voix d’Auxilio unifie ce roman autour d’elle. Alors que « Les détectives sauvages » était beaucoup plus éclaté.



Pour ceux qui, comme moi, s’interrogeraient en cours de lecture sur le titre de ce roman, patience ! Ce sera son tout dernier mot.

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Etoile distante

« Quand il survola le Centre de la Peña le bruit qu'il fit ressemblait à celui d'une machine à laver déglinguée. D'où je me trouvais je pus apercevoir le visage du pilote, et pendant quelques instants je crus qu'il agitait la main et nous saluait. Ensuite il releva le nez de l'avion, prit de l'altitude et se retrouva au-dessus du centre de Concepción. Et c'est là, à cette hauteur-là, qu'il commença à écrire un poème dans le ciel. »



Ce court roman est issu d'une bouture de « La Littérature nazie en Amérique », livre dans lequel on fait la connaissance d'un personnage similaire. Il s'y appelle Ramirez Hoffman. Ici il portera d'abord le nom d'Alberto Ruiz-Tagle, puis celui de Carlos Wieder.



N'imaginez-pas une sorte de Saint-Exupéry chilien car l'homme se révèle être parfaitement dangereux, au-delà de son charme et de ses performances poétiques en plein ciel. Il fait partie de ces officiers qui sous la dictature ont torturé et tué. C'est même un tueur en série, qui trouve un terrain particulièrement favorable à ses exactions. Il s'est évanoui dans l'air mais est-il réellement mort ? C'est une sorte d'enquête que nous allons suivre, du Chili à la France et l'Espagne, des années 1970 aux années 1990.



Comme souvent chez Bolaño, les narrations sont savamment imbriquées les unes dans les autres. Le narrateur cède la place à des interlocuteurs divers, du passé ou du présent, mais le tout reste d'une grande clarté. Toute sa thématique est bien là : jeunes poètes à l'avenir incertain, violences, cruauté irrémédiable du monde...



Plus j'avance dans la lecture de son œuvre, plus il m'impressionne.
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Un petit roman Lumpen

«A présent je suis une mère et aussi une femme mariée, mais il n’y a pas longtemps j’ai été une délinquante. Mon frère et moi on s’étaient retrouvés orphelins. D’une certaine manière, ça justifiait tout. On n’avait personne. Et tout était arrivé du jour au lendemain.»

Ainsi débute ce récit, récit d’une succession d’événements qui vont survenir après la mort accidentelle des parents de Bianca, la narratrice, et de son frère. Ils étaient alors deux lycéens et vont brusquement se retrouver livrés à eux-mêmes. Dans un premier temps ils continuent à aller au lycée le matin, à vivre dans l’appartement qu’ils occupaient et subviennent à leurs besoins grâce à la pension qui leur est versée, elle travaille dans un salon de coiffure et lui dans une salle de sport où il va s’adonner au culturisme.

Petit à petit ils vont délaisser le lycée puis leur travail, le frère va ramener chez eux deux hommes rencontrés à la salle de sport, le Bolognais et le Libyen. Ils vont alors lentement dériver.



Pourtant je n’ai pas trouvé que ce soit un roman noir. Le ton est détaché, doux, sans jugement et la narratrice garde une distance et une grande part d’innocence.

Ce que je retiens avant tout de ce texte c’est le jeu de lumière et d’ombre.



De l’aveuglante clarté du début du récit après l’enterrement des parents :

« A partir de ce moment-là, les journées ont changé. Je veux dire, le cours des journées. Je veux dire, ce qui unit et en même temps marque la frontière entre un jour et l’autre. D’un coup, la nuit a cessé d’exister et il n’y a plus eu que soleil et lumière, sans interruption. Au début, j’ai pensé que c’était dû à la fatigue, au choc produit par la disparition soudaine de nos parents, mais lorsque j’en ai parlé à mon frère, il m’a répondu que la même chose lui arrivait. Soleil et lumière et explosion de fenêtres.» p 12



en passant par une diminution progressive de la lumière, les contours de leur vie devenant plus flous pour aboutir à la nuit obscure de l’ultime rencontre de la narratrice avec un ancien Mister Univers, acteur dans des peplum des années soixante où il interprétait Maciste, dont le véritable nom est Giovanni Della Croce.

Elle dit, alors qu’elle est laissée seule chez cet homme par les deux amis du frère : «Puis je me suis retrouvée plongée, pour le première fois depuis très longtemps, dans l’obscurité totale.» p 59



Je n’ajouterais rien de plus car ce serait enlever tout intérêt à ces 100 pages sobres et belles qui sont plus nuancées et complexes qu’elles en ont l’air au prime abord.

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