Citations de Roland Barthes (722)
Je rencontre dans ma vie des millions de corps ; de ces millions je puis en désirer des centaines ; mais, de ces centaines, je n’en aime qu’un. L’autre dont je suis amoureux me désigne la spécialité de mon désir.
L’horreur d’abîmer est encore plus forte que l’angoisse de perdre.
Irritation. Non, le deuil (la dépression) est bien autre chose qu'une maladie. De quoi voudrait-on que je guérisse ? Pour trouver quel état, quelle vie ?
TENDRESSE : Ce n’est pas seulement besoin de tendresse, c’est aussi besoin d’être tendre pour l’autre : nous nous enfermons dans une bonté mutuelle, nous nous maternons réciproquement, nous revenons à la racine de toute relation, là où le besoin et le désir se rejoignent. Si je reçois le geste tendre dans le champ de la demande, je suis comblé : ce geste n’est-il pas un condensé miraculeux de la présence ?
La langue, comme performance de tout langage, n'est ni réactionnaire, ni progressiste ; elle est tout simplement : fasciste ; car le fascisme, ce n'est pas d'empêcher de dire, c'est d'obliger à dire.
Les mots ne sont jamais fous (tout au plus pervers), c'est la syntaxe qui est folle : n'est-ce pas au niveau de la phrase que le sujet cherche sa place - et ne la trouve pas- ou trouve une place fausse qui lui est imposée par la langue?
Cette méditation de l’intelligence entre la pure morale du sacrifice et la dure loi du succès, traduit un ordre mental composite, à la fois utopique et réaliste, fait des vestiges d’une éthique très ancienne, féodale ou tragique, et d’exigences nouvelles, propres au monde de la compétition totale. C’est dans cette ambiguïté qu’est la signification essentielle du Tour : le mélange savant des deux alibis, l’alibi idéaliste et l’alibi réaliste, permet à la légende de recouvrir parfaitement d’un voile à la fois honorable et excitant les déterminismes économiques de notre grande épopée.
L’individualisme est un mythe bourgeois qui permet de vacciner d’une liberté inoffensive l’ordre et la tyrannie de classe.
Il y a donc une impasse de l’écriture, et c’est l’impasse de la société même : les écrivains d’aujourd’hui le sentent : pour eux, la recherche d’un non-style, ou d’un style oral, d’un degré zéro ou d’un degré parlé de l’écriture, c’est en somme l’anticipation d’un état absolument homogène de la société ; la plupart comprennent qu’il ne peut y avoir de langage universel en dehors d’une universalité concrète, et non plus mystique ou nominale, du monde civil.
De tous ceux que j'avais connus, X... était à coup sûr le plus impénétrable. Cela venait de ce qu'on ne connaissait rien de son désir: connaître quelqu'un, n'est ce pas seulement ceci: connaître son désir? Je connaissais tout, immédiatement, des désirs de Y...: il m'apparaissait alors "cousu de fil blanc", et j'étais enclin à l'aimer non plus avec terreur, mais avec indulgence, comme une mère aime son enfant.
L’acte II est celui de la colère ; j’adresse des reproches violents à l’absent : « tout de même, il (elle) aurait bien pu… », « il (elle) sait bien… » Ah ! Si elle (il) pouvait être là, pour que je puisse lui reprocher de n’être pas là !
(ATTENTE)
Tout à coup, il m'est devenu indifférent de ne pas être moderne.
Cité dans Petit traité de philosophie - À la dérive - Charles Berbérian
Chacun son rythme de chagrin.
L'argument du cours a été le suivant : on a défini comme relevant du Neutre toute inflexion qui esquive ou déjoue la structure paradigmatique, oppositionnelle, du sens, et vise par conséquent à la suspension des données conflictuelles du discours. Le relevé de ces inflexions s'est fait à travers un corpus qui ne pouvait être exhaustif ; cependant, les textes des philosophies orientales et mystiques se sont trouvés naturellement privilégiés. [...] À travers des touches successives, des références diverses (du Tao à Boehme et à Blanchot) et des digressions libres, on a essayé de faire entendre que le Neutre ne correspondait pas forcément à l'image plate, foncièrement dépréciée qu'en a la Doxa, mais pouvait constituer une valeur forte, active.
Le texte est (devrait être) cette personne désinvolte qui montre son derrière au Père Politique.
Le rêve : connaître une langue étrangère (étrange) et cependant ne pas la comprendre : percevoir en elle la différence, sans que cette différence soit jamais récupérée par la socialité superficielle du langage, communication ou vulgarité ; connaître, réfractées positivement dans une langue nouvelle, les impossibilités de la nôtre ; apprendre la systématique de l’inconcevable ; défaire notre « réel » sous l’effet d’autres découpages, d’autres syntaxes ; découvrir des positions inouïes du sujet dans l’énonciation, déplacer sa topologie ; en un mot, descendre dans l’intraduisible, en éprouver la secousse sans jamais l’amortir, jusqu’à ce qu’en nous tout l’Occident s’ébranle et que vacillent les droits de la langue paternelle, celle qui nous vient de nos pères et qui nous fait à notre tour, pères et propriétaires d’une culture que précisément l’histoire transforme en « nature ».
Il est manifeste que ce que la plupart de nos candidats donnent à lire dans leur effigie, c’est une assiette sociale, le confort spectaculaire de normes familiales, juridiques, religieuses, la propriété infuse de ces biens bourgeois que sont par exemple la messe du dimanche, la xénophobie, le bifteck-frites et le comique de cocuage, bref ce qu’on appelle une idéologie.
Tout anti-intellectualisme finit […] dans la mort du langage, c’est-à-dire dans la destruction de la sociabilité.
le haïku n'est pas une pensée riche réduite à une forme brève, mais un événement bref qui trouve d'un coup sa forme juste.
D'un côté, c'est ne rien dire, de l'autre c'est dire trop : impossible d'ajuster. Mes envies oscillent entre le haîku très mat, résumant une énorme situation, et un grand charroi de banalités. Je suis à la fois trop grand et trop faible pour l'écriture : je suis à côté d'elle, qui est toujours serrée, violente, indifférente au moi enfantin qui la sollicite. L'amour a certes partie liée avec mon langage (qui l'entretient), mais il ne peut se loger dans mon écriture.
Ce que l'écriture demande et que tout amoureux ne peut lui accorder sans déchirement, c'est de sacrifier un peu de son Imaginaire, et d'assurer ainsi à travers sa langue l'assomption d'un peu de réel. Tout ce que je pourrais produire, au mieux, c'est une écriture de l'Imaginaire ; et, pour cela, il me faudrait renoncer à l'Imaginaire de l'écriture.