Rosetta Loy

C'est quoi cette histoire que nous sommes tous égaux, il y a les bons et les méchants, les riches et les pauvres; et puis surtout il y a les hommes et les femmes. Les militaires payent pour avoir un peu d'amour, les trafiquants vendent au marché noir des boîtes de viande en conserve et des soldats ivres chantent dans le soir.

J'arrive probablement à la faveur d'un déraillement inattendu du cycle.

Après ce soir-là les petites s’étaient encore penchées en tirant le cou par-dessus le parapet du balcon dans l’espoir de le voir arriver avec sa démarche balancée et sa veste déboutonnée sur son pull vert chou : puis papa avait dit ça ne sert à rien. Arturo est parti.

Maman avait replacé le feutre sur les touches du piano, d’autres collègues de papa venaient quelquefois à la maison et maman restait assise avec eux quelques instants sans bouger puis trouvait un prétexte pour se lever et commencer à faire autre chose.
Les autres, les collègues d’Enrico, la suivaient du regard, la robe d laine qui enserrait ses hanches arrondies et ces jambes longues, pleines au mollet, fines et nerveuses à la cheville.

Il y avait dans le courage un mystère qui fascine, essaierait-il plus tard d'expliquer à Margot, surtout quand il s'exerce pour les autres. Une volonté qui agit de l'intérieur et ferait croire à l'existence de l'âme, quelque chose qui vous pousse à chercher la lumière et à fuir l'obscurité. L'obscurité, les ténèbres, on les perçoit au contraire comme paralysante, et donc dangereuses.

Je voudrais savoir si giudeo et ebreo c'est la même chose, maman dit oui c'est pareil mais il faut dire ebreo, giudeo ce n'est pas beau, c'est même vulgaire. Ils peuvent se vexer.

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Pendant le carême, on fait des exercices spirituels. Trois journées pendant lesquelles il n’y a pas de leçons, mais on reste tout le temps avec un prêtre qui s’appelle le père Pesce. Au réfectoire, on garde le silence pour écouter la lecture de la vie de saint Tarcise, le jeune homme lapidé pour avoir voulu sauver les hosties avec le corps du Christ. Même au dessert, il n’y a pas de Deo gratias. « Déogratzias » est un mot codé. Pour moi qui ne sais pas encore le latin, c’est une sonorité ronde qui nous délivre du silence et transforme instantanément le réfectoire en une volière pleine d’oiseaux. Mais pendant les exercices spirituels, on n’entend dans le réfectoire que le bruit des couverts dans les assiettes et la voix de mère Rose qui lit.

C'est ainsi qu'une famille prévoyante de la bourgeoisie italienne affrontait le 1er septembre 1939.

Sa chair semble pétrie de beurre tant elle est claire et lisse, à peine plus colorée que ses joues.

Est-ce qu’on peut être malheureux à douze ans, profondément, totalement malheureux, au point que ce malheur devienne un concentré de tous les battements de cœur connus jusque là ? Et demeurer en même temps réceptif à la plus petite parcelle de ce qu’on est en train de vivre ? Comme si ce mois d’août avait marqué le partage des eaux entre le calme écoulement de l’enfance et la bousculade impétueuse et désordonnée de sentiments nouveaux, lancés ensemble dans un goulet étroit comme celui où se précipite l’Evançon.

17 mars 1981: découverte des listes des membres de la loge P2 .
Parmi les 962 noms , outre ceux de magistrats , d'hommes du monde du spectacle , de PDG d'entreprise ( parmi lesquels Silvio Berlusconi ) , se trouvent ceux de trois ministres en fonction au gouvernement et de 44 parlementaires. Ainsi que ceux de 12 généraux des carabiniers , 22 généraux de l'armée de terre , quatre généraux de l'aéronavale , cinq généraux de la garde des finances , cinq amiraux .Et aussi ceux du général Giulio Grassini , du service secret du SISDE ( service pour l'information et la sécurité démocratique ) , et de l'amiral Antonio Gerace , chef des services secrets du SIOS ( service informations opérationnelles et sécurité ) de la marine militaire . Mais l'implication des hauts gradés de l'armée ne s'arrête pas là . Parmi les membres , on compte également le responsables des postes de contrôles à Rome pendant les 55 jours de l’enlèvement d'Aldo Moro : le général Raffaele Giudice ( commandant général de la garde des finances ) , le général Donato Lo Prete ( chef de l'état major ) et le général des carabiniers , Giuseppe Siracusano . Postes de contrôle que celle que l'on a surnommée la " commission Moro " ( commission d’enquête sur l'attentat de la via Fani , sur l’enlèvement et l'assassinat d'Aldo Moro et sur le terrorisme en Italie ) jugera en 1988 très peu efficaces .
Mais la surprise ne se termine pas là . Dans la liste des 962 inscrits , on trouve aussi le préfet Walter Pelosi , directeur du CESIS ( comité exécutif pour les services d'information et de sécurité ) et Federico Umberto D'Amato , chef du bureau des affaires spéciales du ministère de l'intérieur entre 1971 et 1974 ( décoré de la Bronze Star , médaille du mérite de la C.I. A ) . Le 30 mai 1974 il sera démis de ses fonctions sous l’accusation d'avoir exercé une " intense activité d'obstruction pour couvrir les responsables des attentats .

"Dans la vie, il faut toujours insister, jamais perdre courage".

Ceux qui du jour au lendemain le privaient de tous ses droits pour le rejeter dans les poubelles du monde, sans autre raison que le nom qu'il portait et ces ancêtres qui pendant des siècles avaient lu la Torah et pratiqué avec foi une religion différente.
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Mais quand on est très jeune la mort a des ailes de libellule, invisibles dans son vol, elle fascine et répugne avec son odeur de myrte et ses pierres tombales aux inscriptions à peine lisibles sous les fleurs qui se fanent.

Un horizon de plomb qui rappelle à madame Arnitz un film qu'elle a vu il n'y a pas longtemps, "Horizons perdus" ,un film qui parle d'un pays où l'on reste éternellement jeune. Mais dès qu'on passe la frontière, la vieillesse comme un gaz maléfique vous tue à l'instant même.

La jeune fille était allée à la mer. Sur leur villa à deux étages, l'enduit cette année-là avait été repeint en rose pâle, il y avait deux nouveaux divans en cuir dans le salon.

Il avait un bras en moins, et maintenant qu'il était tourné vers elle ce moignon flottait dans l'air bleuté du soir. Merveilleux chef-d'oeuvre de la nature tranché par les Parques auxquelles miraculeusement lui-même avait échappé.

"Vous êtes bizarres vous les jeunes, avait dit l'homme alors qu'assis à une buvette dans le jardin des Tuileries ils attendaient le retour d'Irène, vous ne réagissez pas, c'est peut-être un des plus grands dégâts causés par le fascisme. Ou bien vous réagissez vous le faites comme des provinciaux. "

Le dernier. Le dernier été, quelque chose qui persistait dans l'air, quelque chose de lourd, de statique, un air plombé comme quand on transpire beaucoup sans savoir pourquoi. Une immobilité stupéfaite, blafarde. Une attente de gare, les quais se perdent dans les broussailles, les gens se disent au revoir et se regardent, le chef de gare s'apprête à donner le signal.

il y a quelquefois entre nos gestes des intervalles qui séparent l'avant de l'après, rassemblant comme dans une synthèse des milliers d'autres gestes disparus. Ce pantalon quand il l'avait enfilé c'était encore avant, et maintenant c'était après.

Et une nuit, dans la chambre numéro 48 du Grand Hôtel Brusson, à la place du mari endormi dans quelque baraquement perdu d'Afrique orientale, la mère de Giorgio découvre son fils, nu comme le David de Michel-Ange. En nage et blanc de peur. Elle a tapé sur la porte à en réveiller tout l'étage, et la petite fille qui dormait dans la chambre d'à côté s'est mise à pleurer. Après, pendant que Giorgio disparaissait en serrant ses vêtements contre sa poitrine, il a fallu donner à la mère du cognac sur un carré de sucre.
Le lendemain matin tout le monde était au courant de la fuite de Giorgio à moitié nu dans le couloir du deuxième étage. Giorgio, l'« avanguardista » par excellence, exemple vivant de cette « mâle jeunesse » voulue par le Duce, en train de se sauver à moitié nu dans le couloir, pendant que la dame restée seule se barricadait dans sa chambre à cause des coups furieusement frappés contre sa porte.