Rosetta Loy

Quand le chauffeur se retourna pour lui demander où il devait l'emmener, elle répondit:" Qu'est ce que j'en sais moi, je suis juive, et il y a les Allemands qui viennent nous prendre." Le chauffeur de taxi devint tout pâle:"Oh, Sainte Vierge, et j'en fais quoi, moi, de ceux-là?" Mais après un moment de terreur où ils restèrent à se regarder, aussi affolés l'un que l'autre, l'homme démarra et les emmena tous les quatre chez lui, où il vivait avec sa femme et ses deux enfants. Et ils restèrent là eux aussi, pendant huit mois, entassés les uns sur les autres dans deux pièces, mangeant le peu de nourriture que la femme d'Ermete, le chauffeur de taxi, réussissait à se procurer.

Mais l'amour a aussi sa part dans ce premier été de la guerre, et quand ma soeur aînée et quelques-unes de ses amies se déclarent amoureuses d'un garçon prénommé Rienzi, pour ne pas être en reste je dis moi aussi que je suis amoureuse de lui : et bien que je sois la plus petite, je réussis à obtenir de lui un baiser. Pour l'avoir, je suis cependant obligée de monter sur un tabouret. Pour l'émotion, zéro, mais l'exhibition est très gratifiante.

Mais il avait compris maintenant qu'il était possible d'aider les autres, et que même on souffrait moins. Il y a dans le courage un mystère qui fascine, surtout quand il s'exerce pour les autres.

Ce n'est pas une citation,mais une critique de Franck Mannoni
" Ce livre absolument indispensable dresse un portrait sans concession de l'Italie de cette époque,mais aussi des Italiens.
Il démontre d'une manière implacable comment se construit le fascisme d'Etat et comment les citoyens d'alors le répercutent et l'entretiennent dans leur vie de tous les jours."

[...] l'histoire c'est comme un poisson dans un aquarium, ça va ça vient sous ton nez sans que tu puisses jamais l'attraper. Tu peux juste rêver sur ce qu'étaient les choses autrefois, mais c'est tout, c'est tout...

Elle a rapporté de France un album à la couverture de cretonne fleurie, à l’intérieur il y a des disques rangés qu’elle extrait avec précaution pour les poser sur le gramophone d’Asia. Des disques aux titres magiques de Contrée désolée et Contrée brumeuse ; et à la petite fille qui s’ennuie et voudrait ces chansonnettes qu’Ulpiana aussi aime tellement, elle explique que cette musique a été écrite par un grand compositeur alors qu’il n’était guère qu’un jeune homme, des rêves d’hiver heureux et malheureux à la fois, ses yeux dans les yeux d’Asia pour l’entraîner avec elle dans toute cette harmonie sublime.
« Rêves d’hiver? Ah bon » disait Ulpiana devant les tentatives d’Asia de lui communiquer l’enthousiasme de sa mère, la main qui laissait tomber les pommes de terre dans l’huile bouillante avec calme à présent que le brun cousin Dolenga ne faisait plus d’apparitions à la porte de la cuisine. « Rêves, lui expliquait Asia, ça veut dire sogni » et ses yeux regardaient les petites bulles d’huile se gonfler autour des pommes de terre. (pages 47-48)

Après la fin de la guerre, en 1954, Pie XII fut le héros d’un film intitulé Pastor Angelicus, produit par le Centre cinématographique catholique de Gedda. Un film qui raconte de manière emphatique et sublimée quelques moments de la vie de Pie XII, présenté par le générique comme ce « Pastor angelicus » annoncé par une ancienne prophétie. Le film exalte l’œuvre du pape, faisant apparaître la guerre comme un cataclysme mystérieux, un ouragan de feu sans protagonistes ni coupables.

La « solution finale » comprend en effet quatre temps : ficher les victimes, les dépouiller de leurs biens, réduire leur liberté de mouvement, et enfin les déporter pour procéder à leur élimination. Le coût du transport ferroviaire devra être financé par les Juifs eux-mêmes, grâce à la confiscation des biens qu’ils possèdent encore au moment de la déportation. Les chemins de fer allemands, qui accordent un tarif de groupe à partir de quatre cents déportés, recevront le produit de la vente des alliances et dents en or arrachées aux cadavres avant l’introduction dans les fours crématoires.

Mais en Europe et aux États-Unis, malgré l’effroi suscité par cette violence, la politique d’immigration à l’égard des juifs reste inchangée. L’Église allemande n’émet aucune protestation officielle. La seule voix d’importance qui s’élève en faveur des persécutés est celle du doyen de la cathédrale de Sainte-Hedwige à Berlin, Bernard Lichtenberg (un prêtre courageux, que nous retrouverons). Le soir du 10 novembre, invitant en chaire ses paroissiens à prier pour les juifs, il lance cet avertissement : « Ce qui s’est passé hier, nous le savons; ce qui se passera demain, nous ne le savons pas. Mais ce qui se passe aujourd’hui, nous en sommes les témoins : tout près de nous, la synagogue est en flammes, et c’est aussi une Maison de Dieu. »

L'hiver 1939-1940 est entré sinistrement dans leur vie; le Tribunal de la Race a commencé à fonctionner depuis quelques mois, et ils ne peuvent plus quitter leur résidence habituelle sans la permission des autorités de la police nationale. Ils n'ont plus de passeport: de toute façon , à quoi leur servirait-il ? D'Allemagne arrivent des nouvelles lourdes comme des pierres : les Juifs ont dû donner leurs appareils radio, et s'ils ont encore pour le moment des cartes d'alimentation, ils ne reçoivent plus de tickt pour s'habiller, et sont exclus des attributions de volaille et de poisson et de distributions exceptionnelles. Ils n'ont le droit d'entrer dans les magasins qu'après quatre heures de l'après-midi, quand des produits non rationnés, comme les fruits et les légumes sont épuisés . Personne n'a eu de nouvelles des trente et un mille déportés de 1938, et d'autres dizaines ou centaines des milliers sont partis vers les territoires de l'ancienne Pologne sans laisser de traces.

Mais lorsqu'en octobre de la même année, Pie XII promulguera sa première encyclique intitulée Summis Pontificatus, certains des passages dans lesquels il déplore les souffrances subies par les catholiques polonais seront entièrement décalqués du projet conçu à Paris pendant l'été 1938. Cependant, tout ce qui concerne l'antisémitisme et les Juifs aura disparu ; de même que toute allusion au nazisme ou à la politique expansionniste d'Hitler. De l'encyclique Humani Generis Unitas, il ne reste pour le moment aucune trace.

Le pere LaFarge doit lui préparer un projet pour une encyclique sur le racisme et s'engager à garder le secret le plus absolu. [...] puis, ayant exposé dans leurs grandes lignes le sujet, la méthode à suivre et les principes à observer, il ajoute : "Dites tout simplement ce que vous diriez si vous étiez pape vous-mêmes."

John Lafarge apparenté par sa mère à Benjamin Franklin et en 1938 un jeune prêtre des États-Unis qui s'est intéressée à la question des noirs et du racisme en particulier dans le Marineland où il est resté jusqu'en 1926 en 1937 il a publié un livre Interracial Justice, qui a fait de lui dans son pays le champion catholique de la lutte pour la justice raciale. Le 2 mai, il débarque du paquebot Volendam en Angleterre afin d'effectuer des recherches sur la situation en Europe pour l'hebdomadaire catholique America dont il est un membre de la rédaction.
[...] alors qu'il s'apprête à quitter Rome pour l'Espagne, un message du Vatican arrive: le pape désire le rencontrer en privé et lui fixe un rendez-vous. Le 22 juin, LaFarge est de nouveau à Castel Gandolfo. Pie XI lui déclare qu'il a lu Interracial Justice qu'il a beaucoup apprécié : c'est d'ailleurs, affirme-t-il, ce qu'il a lu de mieux sur la question. Et au moment où il cherche une personne capable de prendre en charge ce qui lui tient le plus à coeur, c'est Dieu qui lui envoie le père LaFarge.

Il faudra 33 d'années avant qu'on puisse savoir en partie du moins qu'elle était la volonté de pi 11 et ce qu'il avait probablement l'intention de dire aux évêques ce 11 février 1939 et il faudra 56 ans,56 longues années avant qu'on ne connaissent enfin le texte de l'encyclique Humani Generis Unitas, l'unité du genre humain préparée à la demande du pape par un jésuite franco-américain.

Un article fameux du père Charles paru dans la Nouvelle Revue Théologique de Louvain en janvier 1938, ne rencontre guère plus d'écho. Pourtant ce jésuite, après avoir montré que les Protocoles étaient des faux, concluait ainsi : " [...] on a voulu en rendre coupables les Juifs, ils n'en sont que victimes, et victimes innocentes." Dans la troisième édition italienne de ces Protocoles datée de 1938, un nouveau chapitre sera inséré sous "Gli ebrei in Italia" ("Les Juifs en Italie") avec la liste alphabétique (dans quel but, on l'imagine aisément) de neuf mille huit cents familles juives.

Pendant ce temps, le cardinal Innitzer a été convoqué d'urgence par Pie XI et il arrive à Rome en avion le 5 avril. Une sorte de rétractation va suivre sous forme d'une nouvelle déclaration dans laquelle le cardinal, en son nom et au nom de tous l'épiscopat autrichien, invite les fidèles à ne pas tenir compte de ce qui avait été dit précédemment, toute directive politique étant incompatible avec la foi et la liberté de conscience des catholiques.

Cependant, Pie XI sera encore la cause d'une grosse contrariété. Lorsque Hitler, le 2 mai 1938, arrive à Rome, toute la ville est illuminée en signe de fête, le Vatican seul reste dans l'obscurité. Pour ne pas rencontrer le Führer, le pape est parti le 30 avril à Castel Gandolfo, avançant ses vacances d'été. Et le 3 mai, dans l'Osservatore Romano, il énumère un ensemble de propositions qu'il juge, sur la question du racisme, inacceptables: un petit syllabus en huit points que la Congrégation romaine compétente à fait parvenir dans les universités catholiques dès le treize avril.

la nuit roule comme un caillou, noire dans le jardin où de gros papillons aux antennes effrangées se posent sur le lierre près du garage.

Tendres parfois , elles ont des regards de pitié pour un chat, une vieille femme; d'autres fois elles irritent ou étonnent par leur indifférence. La passé n'existe pas, tellement le futur presse : les Allemands, la guerre, les SS, qu'est-ce donc auprès de désir de devenir. De posséder. le passé avec ses journées de terreur les a à peine frôlées, leur mémoire est courte, fermée sur de petits événements.

Finies les petites filles en tablier à carreaux qui sucent leur tresse ou s'assoient par terre pour jouer gravement avec les plaques noires et blanches du domino, finis les sombres et lents crépuscules du goûter : de la fumée, des boutonnières qui sautent, une puanteur d'aisselles et de pieds. C'est vraiment le jeu le plus extraordinaire, avec ces garçons disponibles qui vous expliquent comment jouer, racontent des histoires drôles et offrent même une cigarette.