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Critiques de Ryûnosuke Akutagawa (87)
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Rashômon et [trois] autres contes

Ryûnosuke Akutagawa, conteur saturnien



L'auteur japonais, dont le conte fut adapté au cinéma, défendait, face aux attaques de Tanizaki, la primauté du style sur le fond d'une intrigue. Cette controverse peina grandement Ryûnosuke Akutagawa, déjà fragile mentalement et qui décida de mourir à trente-cinq ans, atteint de ce même spleen littéraire nippon qui frappera Kawabata et Mishima après lui.



"Il arrive parfois qu'un homme consacre sa vie entière à un désir qu'il ne pourra peut-être jamais réaliser. Celui qui se moque d'une telle illusion ne connaît rien à la vie."



Des intrigues dans ces nouvelles il y en a bien sûr. Mais il est indéniable que ces contes, inspirés des histoires du Japon médiéval, sont d'un grand intérêt esthétique. le narrateur s'invite avec cocasserie dans la narration et nous fait parfois sentir l'atelier de l'écrivain, substituant, sous nos yeux, une phrase à une autre pour toucher au plus juste de ses descriptions.



Rashômon et les autres contes comportent une dimension fantastique mais elle reste à la marge. le fantastique n'est pas rédempteur. Ce n'est pas la magie démoniaque qui arriverait un peu comme un cheveu sur la soupe pour endosser la cruauté, l'acte gratuit, l'inqualifiable, la perfidie et satisfaire illusoirement le lecteur. Ceux sont les hommes qui sont et restent seuls responsables.



La longue nouvelle centrale, qui retrace la composition du paravent des “Figures Infernales” par un peintre de cour consentant à d'abjects sacrifices pour le lucre de l'art, me rappelle les descriptions de Marguerite Yourcenar. L'académicienne campe un autre artiste pour qui tout est matériau pour son Art qui passe avant le reste dans “Comment Wang Fô fut sauvé” tiré de ses Nouvelles Orientales. Yourcenar a t-elle lu Akutagawa ? Troublant parallèle qui vient conforter cette vision de l'oeuvre qui consomme et qui consume, tragiquement reflétée dans la biographie de l'auteur… “rien n'est plus triste que cette tristesse” écrivit le poète japonais Chuya Nakahara, la beauté est peut-être la politesse de la tristesse en littérature.



Qu'en pensez-vous ?
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L'iris fou - Odieuse vieillesse - Le Maître -..

Avant le bombardement d’Hiroshima, alors que tous savent à quoi s’en tenir, la population ayant été avertie par des tracts américains, un aubergiste refuse de vendre une jarre qui pourtant est vouée à la destruction. Ainsi dans L’Iris fou d’Ibusé Masuji à côté de la grande tragédie de la guerre, la vie continue et certains s’accrochent aux choses quotidiennes, pensant peut-être repousser de cette façon l’inéluctable.



Plus que la réalité des choses, l’essentiel est semble-t-il l’idée que l’on s’en fait. Il en est ainsi du Tableau d’une Montagne à la saison d’automne dont on ne sait si la trace indélébile qu’il laisse dans les esprits dépend de la qualité de l’imaginaire et du talent de celui qui le décrit ou de l’œuvre elle-même, réelle ou imaginée.



Dans le même ordre d’idées le plus merveilleux tireur à l’arc du Maître de Nakasima Ryunosuké n’était-il pas celui dont la réputation est telle qu’arc et flèches lui sont désormais inutiles, puisque ce qui compte c’est précisément cette réputation, répandue par un autre maître, bien plus que ses capacités réelles.



« Les gens devraient bien s’éteindre comme une musique, en laissant derrière eux une belle mélodie. » Ce qui est sûr c’est que l’Umé d’Odieuse vieillesse de Niwa Fumio est une aïeule qui empoisonne son entourage et qui de fait ne laissera derrière elle qu’un soulagement après qu’elle a disparu. Eh oui, certaines vieilles personnes par leur comportement ne sont que charge et désagréments pour ceux qui s’en occupent...



La dernière nouvelle de ce formidable petit recueil, Le crime de Han de Shiga Naoya, pose la question de la culpabilité. Han, le lanceur de couteaux, sera-t-il jugé coupable d’avoir tué sa femme alors que lui-même ne sait s’il l’a fait intentionnellement ? La réponse est dans le livre. Une chose est sûre, une fois encore on aurait tort de se fier aux apparences...



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La Magicienne

Akutagawa, le plus fameux prix littéraire japonais,équivalent du Goncourt, porte le nom d'un grand écrivain du début du siècle dernier, l'auteur de ces cinq nouvelles.

Comme dans "Ivresse de brocart ", de Hisako Matsubara,récemment lu, le Japon moderne qui peine à terrasser le Japon traditionnel nous marque déjà avec la première nouvelle, "Les Poupées ". On se retrouve avec trente boîtes en bois de paulownia contenant "les poupées",une collection se composant de l'empereur et de l'impératrice , de trois dames du palais, cinq musiciens, pages et chambellans, ainsi que tout le mobilier. Considérées à l'origine comme servant à purifier la maison des vicissitudes de l'année, elles étaient exposées le 3 mars dans les maisons où il y a une fille.Une tradition qui remonte à l'époque Heian (794-1192). Les poupées appartiennent à une famille qui se trouve dans l'obligation matérielle de s'en séparer. Le pére,la mère, la fille ,le fils ont chacun des ressentis différents face à cette séparation lourde de signification.

"Un crime moderne", reflète le résultat de la contradiction entre une union traditionnelle et une union moderne , définit comme celle où l'homme et la femme s'unient par une attirance naturelle, plutôt qu'une union arrangée. Alors que dans "Un mari moderne" , une réflexion sur le concept et la valeur de la dite " modernisation ", à travers l'histoire d'un mariage "moderne", met en doute ce changement de cap à l'occidentale.

" La Magicienne", la quatrième et la plus longue nouvelle du recueil, qui y donne son titre est d'un tout autre ordre, une plongée dans le monde occulte. Comment porter plainte auprès de la police pour un futur crime prévu dans le monde invisible ? Une histoire dans la veine de Poe, qu'on lit comme un mini thriller.

Dans la dernière,"Automne" , un amour sacrifié nous laisse dans le flou de la condition féminine, qui malgré la modernisation ne semble pas vraiment avoir évolué.



À part la dernière nouvelle, l'auteur procède en nous transmettant une histoire qui lui est raconté. L'intrigue toujours présente , le style fluide,et les histoires riches en détails de divers traditions, croyances et superstitions donnent un recueil plaisant et intéressant à lire.
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Rashômon et [trois] autres contes

Dans « Rashomon et autres contes », on plonge dans une Japon assez inhabituel. Son auteur Ryûnosuke Akutagawa est né à la fin du XIXe siècle dans une famille aux valeurs très conservatrices. Or, à cette époque, le Japon s’occidentalise. Akutagawa, au collège, s’initie aux grands auteurs français tel Maupassant et Mérimée. Toute son œuvre sera imprégnée de ces deux influences, un pied dans les traditions, l’autre dans la modernité.



Ce recueil comprend cinq nouvelles. D’abord, « Rashomon », dans laquelle un pauvre homme réduit à la mendicité est troublé par des questions éthiques. Qu’est-ce que le Bien et le Mal ? Malgré sa bonne conscience, il se voit contraint de voler une pauvre hère qui elle-même arrachait, volait les cheveux sur un cadavre de femme, afin d’en faire une perruque qu’elle pourrait vendre. C’est à ça qu’en sont rendus les laissés-pour-compte, toujours plus nombreux, à qui les promesses de la modernisation ne se sont pas concrétisées. Cette nouvelle porte à réfléchir et peut s’appliquer encore aujourd’hui, et à différents endroits.



Ensuite, « Figures infernales », dans laquelle un artiste officiel – et perfectionniste – de l’époque féodale du XIIIe siècle doit réaliser son chef d’œuvre. Ce désir de perfection le pousse à la recherche de modèles précis et exacts. Quand son mécène lui demande de reproduire une peinture audacieuse, dans un décor infernal, quasi-mythologique : un char enflammé sur laquelle se trouve une dame perdue… Qui sera le modèle ? Violente et vicieuse, cette nouvelle pousse à l’extrême les épanchements artisitques de certains et les désirs manipulateurs des personnes en situation d’autorité. Mais on y retrouvait des longueurs, je ne l’ai pas particulièrement aimée. Tout comme la quatrième et dernière nouvelle, « Gruau d’igname », qui également ne m’a pas plu. Une autre nouvelle d’époque, mais l’intrigue était lente à se déployer. Mais on assiste encore une fois à des scène de cruauté et de violence (plus psychologiques, cette fois-ci).



« Dans le fourré », un lieutenant de la police criminelle interroge plusieurs individus témoins d’un crime, incluant le meurtrier. Bûcheron, moine, brigand, sorcière, tous y passent. Mais tous ont des impressions différentes, des versions différentes. Mais avec sa voix si unique. En fait, nous avons droit seulement aux comptes-rendus. Et le style ! Cette nouvelle me fait beaucoup penser aux intrigues policières de Rampo Edogawa. Pas de longues parenthèses, de descriptions inutiles, de pistes qui ne mènent nulle part. Non ! On va à l’essentiel. C’est direct et et original. Beaucoup d’auteurs occidentaux devraient s’en inspirer.



Au-delà du propos lui-même, c’est toute la violence qui se dégage de ces nouvelles. Et la sexualité. Et la violence sexuelle. C’était nouveau pour l’époque. Ça en a choqué plusieurs et, encore aujourd’hui, nos yeux un peu plus habitués à tout ça ne peuvent s’empêcher de cligner. C’est très différent de ces personnages aux sourires polis, dont on perçoit à peine les dépalcements dans un froissement d’étoffe, auxquels la littérature japonaise traditionnelle (et moins traditionnelle aussi) nous avait habitués. Akutagawa nous entraine dans ses ténèbres, à notre plus grand plaisir…
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La vie d'un idiot (précédé de) Engrenage

Le 24 juillet 1927 Akutagawa Ryûnosuke se suicidait par absorption massive de barbituriques. Les deux textes de ce recueil ont été publiés après sa mort, la même année. Les thèmes en sont la folie, la littérature et la mort. Ils sont d'une intensité exceptionnelle.

Akutagawa est né en 1892. Neuf mois après sa naissance, il est confié à son oncle maternel car sa mère est devenue folle.

Il se nourrit de littérature, aussi bien de classiques chinois et japonais que de classiques occidentaux. Encore simple étudiant en Lettres, il traduit et écrit des nouvelles. En 1916 Sôseki publie la terrible nouvelle Rashomon et le Nez (Hana) dont il fait l'éloge, dans sa revue. Dès 1920 Akutagawa est un écrivain célèbre, apprécié du public et reconnu par ses pairs, tant il sait faire le lien entre les nostalgiques de la tradition et les modernes. Il écrit des essais, des poèmes, des nouvelles et autres textes brefs. Il revisite les légendes médiévales ou les histoires de fantôme pour interroger le présent, angoissant et menaçant. Il est en perpétuelle recherche formelle et ses textes sont d'une remarquable modernité et toujours percutants. Il est devenu le maître incontesté de la forme courte. Dans le même temps, et alors même que le Japon plonge dans le nationalisme militaire, sa santé mentale se dégrade jour après jour et il vit une véritable descente aux enfers.

La mort d'Akutagawa est survenue six mois seulement après la mort de l'empereur Taisho et le début de l'ère Showa. Pour beaucoup, elle représente non seulement la fin d'une époque*, mais aussi la défaite* des intellectuels japonais.



1. Engrenage (« Haguruma », 1927, publication posthume).

C'est un récit à la première personne. le narrateur Monsieur A est un écrivain célèbre. Dans un taxi, son compagnon de voyage, un rondouillard à barbiche, lui apprend qu'un fantôme en manteau de pluie hante une propriété. le narrateur n'y prête guère attention, mais bientôt, il voit un manteau de pluie, à la gare, dans le train, dans les rues qui lui semble être l'ange de la mort. Dès lors les hallucinations morbides s'enchaînent. Il les affronte d'abord avec un calme clinique avant que la honte et l'angoisse ne le submergent totalement.

Ce qui apparaît comme une simple histoire de fantôme devient rapidement le récit bouleversant et extrêmement précis des souffrances du narrateur-auteur. Il scrute les mauvais présages dans des objets ou de simples couleurs, le rouge et le noir qui lui rappelle l'Enfer, il a des hallucinations visuelles et auditives impressionnantes (rires sardoniques, chuchotements dans la nuit). Il se voit dans un miroir déformant et un engrenage flotte dans ses yeux. le récit évoque Gogol, Poe, Dante, Maupassant (Le Horla), Sternberg, Dostoievski et bien d'autres. La littérature semble avoir nourri la bête qui le rongeait depuis l' enfance.



2. le journal d'un idiot est composé de 51 fragments poétiques que l'auteur rédigea en 1927 avant de se donner la mort. Ils sont écrits à la troisième personne. Akutagawa se met à distance et se regarde. On voit comme dans un film expressionniste, instantané par instantané, son cheminement littéraire et personnel. Chaque fragment porte un titre révélateur : 1 Époque*... 2. Sa mère ...6. maladie. 9 cadavre...13 La mort du maître (Soseki) 17 Papillon...31 le grand tremblement de terre...49 Un cygne empaillé. 50 Prisonnier. 51 Défaite*. Chaque fragment est magnifique, intense et marquant.

« La vie d'un idiot était achevée", quand il découvrit un cygne empaillé dans la boutique d'un antiquaire. L'oiseau était debout, le cou tendu, mais ses ailes jaunies étaient trouées par les mites. Songeant à sa vie, il sentit un sourire de dérision brouillé de larmes lui monter aux lèvres. La folie ou le suicide, c'est tout ce qui l'attendait. Il marchait, solitaire, dans les rues où tombait la nuit, résolu à attendre le destin qui, lentement, viendrait l'anéantir ».

(49 Un cygne empaillé)
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Les poux

Est-ce que ça vous chatouille, ou est-ce que ça vous gratouille ?

« le 26 de la onzième lune de l'an 1 de l'ère Genji, une troupe du clan de Kaga, affectée à la protection de Kyōto, appareilla dans le delta de l'Ajikawa à Ōzaka afin de prendre part à l'expédition entreprise pour châtier le clan de Chōshū ; à sa tête se trouvait le gouverneur d'Osumi, premier vassal du fief ».

C'est par cet incipit quelque peu belliqueux que débute cette courte et malicieuse nouvelle de Ryûnosuke Akutagawa, intitulée Les poux, et qui m'a enthousiasmé.

En merveilleux conteur, Akutagawa nous entraîne à bord de cette flotte à l'époque féodale, la date bien sûr ne vous aura pas échappé. Cependant, j'ai vu ici comme un clin d'oeil satirique de l'auteur en direction de nos époques contemporaines.

Or donc, au moment où nous nous apprêtions à vivre une bataille navale mémorable entre les deux clans, voilà qu'un ennemi improbable s'invite à bord : des poux...!

Il y en avait des milliers, il y a en avait partout, dans le bateau, sur les voiles, dans les cordages, dans les vêtements... Il y a en avait partout. Vraiment partout ? Oui partout, je vous le dis ! Là aussi ? Oui pardi ! Même au fond de la cale il y en avait.

De mémoire de samouraïs, nous ne nous étions jamais grattés autant...

Brusquement, la guerre se déplace d'un cran, un autre ennemi apparaît dans le collimateur et va occuper l'esprit et les doigts à vif de nos amis samouraïs...

Deux thèses vont alors s'affronter : celle d'une étrange et secret personnage, Mori qui propose de choyer les poux et nullement de les chasser, les accueillir sur soi afin d'y puiser un réchauffement contre la morsure du froid... Il fallait y penser, non ? Mais ce serait trop simple de rallier tout l'équipage à cette noble cause. Voilà brusquement que l'équipage se fissure, l'autre moitié est vite tentée pour suivre la thèse d'un autre personnage non moins étrange, un certain Inoue Tenzō, qui plaide l'idée du poux façon apéritif. « Comment dire ? Un goût de riz grillé et pilé, avec un fond de gras ». J'ai connu une Polonaise qui en prenait au p'tit déjeuner...

J'ai adoré découvrir l'univers de Ryûnosuke Akutagawa dans cette courte nouvelle ciselée à merveille comme une fable terrible sur l'humanité.

Vous en reprendrez bien encore un peu ? Je parlais bien sûr d'un des propos de cette nouvelle craquante à souhait sous la dent : « Y a-t-il sur ce bateau quelqu'un qui ne soit pas redevable aux poux de leurs bienfaits en les mangeant, vous rendez le mal pour le bien. »
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Rashômon et [trois] autres contes

Je ne me souviens plus de l’Edition Galimard dans « Connaissance de l'Orient ». C'est par hasard que je suis tombé sur cette version abrégée de ces contes. Avec un grand plaisir je me suis laissé entraîné par Akutagawa sous la porte Rasho de Kyoto, un soir d'orage, au milieu de la guerre civile à l’époque Heian. Je me suis également rendu à la cour du seigneur de Horikawa en compagnie du peintre Yoshihidé et de sa pauvre fille. Mes pas m'ont ensuite guidé dans la forêt de Yamashina sur les traces du voleur Tajomaru et de ses victimes, puis enfin sur les pas du pauvre officier Goi devant son plat de gruau d'igname. Akutagawa nous relate avec brio les tristes aventures de tous ces personnages, jouets du destin qui s'acharne sur eux. Il sait aussi bien nous décrire la misère que les fastes d'un seigneur dans le Japon médiéval. Ce fût une grande redécouverte.
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Les poux

Je déteste les poux, ce sont vraiment des petites bêtes déplaisantes, répugnantes. Rien que d'en parler, j'ai une envie irrépressible de me gratter.

Les critiques de mh17 et Berni_29 ont eu cet effet-là. Elles m'ont aussi donné envie de lire cette petite nouvelle extraite du superbe site nouvellesdujapon.



*

Nous sommes en 1864.

Deux bateaux prennent la mer avec à leurs bords, de vaillants samouraïs qui s'en vont combattre un clan rival.

De loin, lorsqu'ils quittent la baie d'Osaka, ces navires ont fière allure avec leurs beaux étendards rouge et blanc qui flottent au vent.



Mais en y regardant de plus près, le lecteur se rend très vite compte que la vie à bord va être éprouvante, qu'ils devront endurer de nombreuses souffrances, telles que le froid, la promiscuité, une nourriture infecte. Les marins vont également voyager, serrés comme des sardines en boîtes, soumis à des conditions d'hygiène les plus précaires, assaillis par des odeurs pestilentielles et surtout par des légions de poux.



« Notez, ce n'était pas des poux de bonne composition, restant cachés dans les coutures des habits. Ils grouillaient sur les voiles. Sur les bannières. Sur le mât. Sur l'ancre. En forçant un peu le trait, disons qu'on ne savait plus si ces bateaux servaient à transporter des hommes ou à promener des poux. »



Imaginez ses fiers marins assiégés par une armée de poux.

Imaginez ses valeureux soldats cloqués par des dizaines et des dizaines de morsures sur tout le corps.



« … tout ce que l'expédition comptait de samouraïs avait le corps criblé de piqûres, les ventres et poitrines étaient uniformément rouges et enflés au point qu'on eût dit que ces guerriers souffraient de la rougeole. »



Et ce qui devait être une vendetta contre un clan rival va se transformer en une guérilla sans merci contre ces petits parasites envahisseurs.



Comment faire pour se débarrasser de ces bestioles qui leur empoisonnent la vie ?

Deux positions antinomiques vont alors naître pour traiter ce problème avec rapidité et efficacité.

L'auteur dresse ainsi deux portraits singuliers, ceux de Mori et Inoue, les deux marins à l'initiative de ces deux idées.

Je vous laisse les découvrir, ainsi que tout ce qui va en résulter.



*

Cette petite nouvelle de Ryunosuke Akutagawa est très plaisante, mais laisse aussi un sentiment contradictoire.

En effet, le lecteur est à la fois amusé par le ridicule de la situation et par le ton humoristique de cette histoire subtilement ironique. Mais le récit est également terriblement affligeant, porteur d'une triste fatalité.



Cette petite nouvelle se lit en moins de cinq minutes seulement. N'hésitez pas à la découvrir.
Lien : https://nouvellesdujapon.com..
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Rashômon et [trois] autres contes

-Après une succession de guerres, cyclones, incendies et séismes, Kyoto connaît une période de grande misère. Réfugié sous la porte Rashô, un homme regarde la pluie. Derrière la porte, un charnier. Doit-il abandonner tout honneur et piller les cadavres ? Comme le fait justement la vieille femme qu'il rencontre à l'étage, une pauvresse qui arrache les cheveux d'une défunte pour en faire une perruque.

-Le riche seigneur de Horikawa commande un paravent à l'un de ses peintres préférés. Le Paravent des figures infernales va hanter le peintre Yoshihidé. Cet homme vil, avare, mesquin, détesté de tous, ne peut reproduire que des scènes qu'il a vues de ses yeux, alors quand il s'agit de représenter l'enfer...Sa passion créatrice va le conduire au pire, sous le regard impitoyable de son seigneur.

-Dans le fourré, un mort a été découvert. Le policier chargé de l'enquête reçoit les témoignages, parfois contradictoires, de tous les protagonistes de l'affaire, et même celui de l'esprit de la victime.

-Parmi les gens qui servent le Régent Fujiwara Mototsune, un officier de cinquième rang est moqué de tous, de ses collègues jusqu'aux enfants des rues. Son gros nez rouge, ses vêtements décolorés par le temps et la misère, son caractère timide en font un objet de sarcasmes permanents. Le pauvre hère vivote, solitaire, en caressant un unique rêve, celui de se rassasier un jour d'un bon gruau d'ignames, ce mets délicat, réservé aux fêtes, qu'il a déjà goûté sans pouvoir s'en repaître. Ayant eu vent de l'affaire, un seigneur l'entraîne dans un périlleux voyage hivernal jusqu'au cœur de l'abondance. Mais que cache cette générosité inespérée ?



Quatre contes très différents mais baignés par la même ambiance étrange et sombre. Le mal, la violence, la cruauté y sont très présents, sous la forme d'esprits vengeurs, de tentations, de représentations de l'enfer ou de comportements manipulateurs. Nulle rédemption, nulle pitié, nulle douceur dans l'univers d'Akutagawa. L'écriture est précise, ciselée, foisonnante mais malheureusement, le format court des contes laisse un peu sur sa faim...C'est pourtant une bonne introduction à l'oeuvre de cet auteur majeur au Japon, qui s'inspirait aussi bien des grands classiques japonais et chinois que de la culture occidentale.
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La vie d'un idiot et autres nouvelles

Ryûnosuke Akutagawa (1892-1927) était un écorché vif dans une époque troublée. Dans ce recueil qui contient neuf textes, on suit son cheminement intérieur et littéraire jusqu'à son suicide, qui coïncide avec la fin de l'ère Taisho. Akutagawa demeure le maître du récit court au Japon.



1.Le recueil s'ouvre sur un texte lyrique « L'eau du fleuve »que l'écrivain a composé alors qu'il était simple étudiant. Il s'apparente à un poème en prose avec des descriptions mélancoliques, reflet de son âme déjà tourmentée.



2.Suit une nouvelle historique « Un jour, Oishi Kuranosuke » composée en 1917. Il reprend une légende, celle des 47 rônin et raconte leur fin. Ils viennent de commettre leur vengeance et sont assignés à résidence en attendant que le shogun décide de leur sort. Il fait beau, on plaisante mais peu à peu, le grand Oishi Kuranosuke sombre dans la morosité car il se met à penser aux félonies, aux jalousies des uns et des autres et puis il ne se reconnaît pas dans l'image enjolivée que les autres ont de lui. A la fin du récit on retrouve la même description qu'au début mais notre perception, qui épouse celle d'Oishi a changé.



3. Lande morte. Un texte fictif fameux. le grand poète Basho est mort. Akutagawa imagine les réactions de ses cinq disciples. On s'attend à cinq variations sur leur douleur. On a cinq variations sur leur égoïsme. Même Jôsô « ce dévoué Jôsô des monastères zen »est envahi par une profonde sérénité, la triste et voluptueuse jouissance » d'être délivré. Akutagawa s'est-il senti aussi secrètement libéré à la mort de son maître Natsume Soseki ?



4. Les Mandarines. (1919) est un texte personnel très beau et construit magistralement. le narrateur est d'humeur morose dans un triste train de banlieue. Une petite paysanne est poussée dans le compartiment. Son apparence le dégoûte. Elle essaie maladroitement d'ouvrir la fenêtre et ses efforts renforcent le dégôut du narrateur devant » l'absurdité, la vulgarité, la monotonie de la vie humaine ». Au milieu du tunnel, elle parvient enfin à ouvrir la fenêtre et il croit étouffer en recevant la suie dans la figure. Il s'apprête à la rabrouer vertement quand elle lance quelques mandarines qu'elle tenait cachées sous sa blouse par la fenêtre… La perception du narrateur-auteur change alors. Les descriptions, les couleurs du temps, le portrait de la petite et les réflexions du narrateur sont construits symétriquement par rapport à l'événement.



5. le bal (1919) est un récit ironique. Nous sommes dans la bonne société le soir du 3 novembre 1886. Une jeune Japonaise Akiko vêtue comme une Pompadour croise le regard d' un officier français. « Sa robe de bal rose tendre, le ruban bleu pâle élégamment noué autour de son couet, dans sa chevelure de jais, cette rose au doux parfum » Vous aurez peut-être reconnu dans ce pastiche un écrivain français très en vogue à la fin du XIXème siècle. Akutagawa se moque des Japonais qui singent les occidentaux sans se rendre compte de leur ridicule et en même temps des préjugés exotiques des occidentaux sur les Japonais tout aussi ridicules.



6. Extraits du carnet de notes de Yasukichi (1923). le texte est très expérimental et donc déroutant. Yasukichi est un double de l'auteur sans doute et rappelle également le personnage des Mandarines. Il est imbu de sa personne et ne se supporte guère. le carnet est constitué de cinq fragments, cinq instantanés de vie.



7. Bord de mer(1925) Dans ce texte poétique , l'auteur expérimente la "touche lente". Aucun événement narratif d'importance mais une atmosphère intense qui mêle rêve et réalité. le narrateur contemple un étang ooù se mire la lune. Quelqu'un l'appelle...





8. Engrenage (1927, publication posthume).

C'est un récit à la première personne. le narrateur Monsieur A est un écrivain célèbre. Dans un taxi, son compagnon de voyage, un rondouillard à barbiche, lui apprend qu'un fantôme en manteau de pluie hante une propriété. le narrateur n'y prête guère attention, mais bientôt, il voit un manteau de pluie, à la gare, dans les rues qui lui semble être l'ange de la mort. Dès lors les hallucinations morbides s'enchaînent qu'il affronte d'abord avec calme avant que la honte et l'angoisse ne le submergent.

Ce qui apparaît d'abord comme une simple histoire de fantôme devient le récit bouleversant et extrêmement précis des souffrances du narrateur-auteur. Il scrute les mauvais présages dans des objets ou de simples couleurs, le rouge et le noir lui rappelle l'Enfer, il a des hallucinations visuelles et auditives impressionnantes (rires narquois, chuchotements dans la nuit). Il se voit dans un miroir déformant et un engrenage flotte dans ses yeux. le récit évoque Gogol, Poe, Dante, Maupassant (Le Horla), Sternberg, Dostoïevski et bien d'autres. La littérature semble avoir nourri la bête qui le rongeait depuis l' enfance.



9. La vie d'un idiot, (1927. Publication posthume). le journal d'un idiot est composé de 51 fragments poétiques que l'auteur rédigea en 1927 avant de se donner la mort. Ils sont écrits à la troisième personne. Akutagawa se met à distance et se regarde. On voit comme dans un film expressionniste, instantané par instantané, son cheminement littéraire et personnel. Chaque fragment porte un titre révélateur : 1 Époque... 2. Sa mère ...6. maladie. 9 cadavre...13 La mort du maître (Soseki) 17 Papillon...31 le grand tremblement de terre...49 Un cygne empaillé. 50 Prisonnier. 51 Défaite. Chaque fragment est magnifique, intense et marquant.

« La vie d'un idiot était achevée", quand il découvrit un cygne empaillé dans la boutique d'un antiquaire. L'oiseau était debout, le cou tendu, mais ses ailes jaunies étaient trouées par les mites. Songeant à sa vie, il sentit un sourire de dérision brouillé de larmes lui monter aux lèvres. La folie ou le suicide, c'est tout ce qui l'attendait. Il marchait, solitaire, dans les rues où tombait la nuit, résolu à attendre le destin qui, lentement, viendrait l'anéantir ». (49 Un cygne empaillé).



L'édition est accompagnée d'une préface et d'introductions éclairantes de la traductrice.
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Rashômon et [trois] autres contes

Ce petit recueil rassemble quatre nouvelles écrites entre 1915 et 1922. Les trois premières renouvellent des contes issus d'un ouvrage du XIIIème siècle, le "Konjuku monogari".

1. Rashômon (1915)

Une nouvelle très courte, forte, sombre et dérangeante. Elle fait réfléchir sur la condition humaine.

Elle se déroule à Edo à l'époque Héian mais pourrait se passer à n'importe quelle époque dans n'importe quel lieu ravagé par des catastrophes. Un pauvre miséreux qui a été congédié par son patron se rend à la Porte Rashô, une ruine transformée en charnier. il se demande s'il doit voler les cadavres en putréfaction ou mourir de faim. Il rencontre une vieille femme qui va l'aider à résoudre cet horrible dilemme.



2. Figures infernales ( 1918)

Le conte le plus barré du recueil, décadent, déjanté avec des descriptions vraiment horribles. Ames sensibles s'abstenir ! Dommage qu'il y ait des longueurs au milieu du récit.

le narrateur est un serviteur du seigneur. Celui-ci demande à Yoshide son artiste officiel de peindre un paravent de figures infernales. Mais nous faisons d'abord connaissance avec ce peintre vil au visage simiesque que tout le monde méprise et admire en même temps. Puis avec sa très charmante enfant qui recueille un petit singe. le peintre l' aime profondément. L'artiste commence à peindre son paravent mais il lui faut des modèles pour ses figures infernales. Il enchaîne d'abord l'un de ses jeunes assistants...



3. Dans le fourré (1922)

J'ai beaucoup aimé cette nouvelle policière très astucieuse qui multiplie les points de vue d'un même événement. Mais bon sang qui dit vrai ?

A la suite d'un meurtre, un lieutenant criminel entend différentes dépositions de témoins plus ou moins concernés et recueille les aveux d'un brigand. Nous lisons également la confession d'une femme impliquée et le récit de "l'ombre" de la victime par la bouche d'une sorcière.

L'histoire a servi de base à l'intrigue du film Rashômon de Kurosawa.



4.Gruau d'ignames (1915)

Une nouvelle qui m'a laissée comment dire ...perplexe..

Gao est un officier de bas étage. Il est affublé d'un nez rouge et il est persécuté par tout le monde. Une fois dans sa vie, il voudrait se rassasier d'un gruau d'ignames ( patates douces). le fils d'un ministre a entendu son souhait...

Je compte sur vous pour m'expliquer la suite !
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Les poux

En lisant cette nouvelle vous serez pris d'une irrépressible envie de vous gratter. Je vous aurai prévenus ! Akutagawa (1892-1927) est un conteur de génie. Cette courte nouvelle que vous pouvez lire ou écouter gratuitement en est le témoignage. L'action se passe à l'époque féodale « le 26 de la onzième lune de l'an 1 de l'ère Genji » mais ne vous y trompez pas l'ami Akutagawa nous parle bel et bien de son époque (1916). La nouvelle est ciselée, pleine de malice, drôle et terrible à la fois.

Or donc à cette époque deux clans se livrent une féroce bataille navale. Les bannières rouges et blanches claquent fièrement dans le vent. Mais pour l'équipage des deux bateaux venus soutenir le clan de Kaga, c'est une autre affaire. Ils sont trente huit coincés comme des sardines dans l'espace central encombré de baquets de radis fermentés puants. Et puis ils claquent des dents y compris les petits jeunes des provinces du nord habitués au froid. Mais ce n'est pas le tout les amis. A bord, il y a quantité de poux, mais alors partout, partout, partout grouillant sur les voiles, sur les bannières, sur le mât, sur l'ancre et bien sûr pullulant dans les vêtements des passagers. Ils se dénudent tous y compris les fiers samouraïs, endurant le froid glacial et livrent en pagne une guerre sans merci à la vermine. Peine perdue, il en vient toujours plus. Mais, sur le bateau de Tsukuda, le samouraï Mori, un curieux personnage, ne chasse pas les poux. Il a en effet une théorie tout à fait originale qui va faire des émules. Cependant ce Précurseur génial aura bientôt un rival qui proposera une autre théorie non moins originale qui vous ouvrira l'appétit croyez-moi…

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Rashômon et autres contes

J’ai lu ce livre alors que j’étais en pleine « période japonaise ». Et j’avais notamment un intérêt particulièrement marqué pour deux aspects de la question : comment les auteurs japonais vivaient-ils le déchirement de leur société, tiraillée entre sa culture et son histoire et une ouverture revendiquée vers la culture européenne – on sait que Mishima en avait fait un cheval de bataille, donnant à son suicide rituel (seppuku) le sens d’une protestation contre l’envahissement de la culture japonaise par les mœurs occidentales -, d’une part, et en quoi la littérature japonaise repose-t-elle sur un travail stylistique particulier.



Après Mishima – Le pavillon d’or -, par filiation, j’ai commencé à lire Yasunari Kawabata. Tristesse et beauté, Les belles endormies, Pays de neige. Incroyablement peu connu en France pour un prix Nobel de littérature – le premier japonais a avoir reçu ce prix -, considéré comme un écrivain majeur du XXe siècle, il était d’autant plus attirant pour moi. Pouvoir, au détour d’une phrase, citer un auteur japonais peu connu, quel infini bonheur, non ? Bon, certes, cela a été partiellement gâché lorsque Les belles endormies est devenu un film (Sleeping beauty, 2011), mais l’échec relatif du film et son peu de spectateurs fait que c’est encore jouable…



Avec Tristesse et beauté, la question du style était sur la table. Alors quand j’ai découvert un troisième auteur japonais de la même mouvance mais dont toute l’œuvre tournait autour de la question du style, je ne pouvais plus y échapper. En effet, comme le dit Roger Bozzetto dans « Littérature et cinéma fantastiques au Japon » (La revue des ressources, 2008), Ryunosuke Akutagawa propose, dans Rashômon et autres contes « des textes originaux, [qui] se réfèrent à d’anciens contes recueillis dans le Konjaku monogatari (XII°siècle). [Il reprend] sous des angles neufs et dans un style littéraire moderne les thèmes des anciens contes. [Il répète, à sa manière,] ce que Pu Song Lin au XVIII° siècle avait fait pour les contes chinois de la dynastie des Han, à savoir transposer dans la prose littéraire de son époque les images et les récits venus du folklore ».



C’est à cette occasion que j’ai découvert cet exercice à ma connaissance propre à la littérature japonaise de reprendre des textes de recueils anciens, de les réécrire, avec un objectif qui, s’il est simple à exprimer, est d’une insondable complexité dans les faits : réécrire des « contes » – la définition ici n’est pas celle que nous acceptons habituellement dans la littérature européenne -, en faisant en sorte à la fois – et c’est bien là toute la difficulté – qu’ils conservent le style propre à leur version originale tout en leur donnant un style propre à celui qui les réécrit. Autrement dit, objectif schizophrène, que chaque conte, extrait d’un recueil différent, conserve sa spécificité (un peu du style de son auteur d’origine), tout en faisant en sorte de donner néanmoins une uniformité de style – celui de l’auteur qui mène l’exercice – à ces récits. Une uniformisation qui conserve la typicité, en quelque sorte ! Ou la quadrature du cercle !



C’est à la fois fascinant, et parfois presque trop. Il faut alors se laisser aller à replonger dans l’ambiance, se laisser porter par le texte. L’ambiance est sombre, voire macabre. Faut-il y voir une trace de la mauvaise santé de l’auteur ? Souffrant du cœur, de l’estomac, des intestins, sujet à des hallucinations et à une neurasthénie tenace, il se suicide à l’âge de 35 ans, en laissant pour seul message « vague inquiétude ». Deux de ses nouvelles, Dans le fourré et Rashômon, justement, ont inspiré à Akira Kurosawa son Rashômon…



Bon, avouons le : je l’ai lu, mais je n’y reviendrai sans doute pas. Ce n’est évidemment pas le livre que je recommande à ceux qui voudraient faire une première incursion du côté de la littérature japonaise. Mais il n’y a pas que les block-busters, il n’y a pas que les page-turners…
Lien : https://ogrimoire.wordpress...
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Rashômon et [trois] autres contes

羅生門 : "Rashômon et autres contes" de 芥川龍之介 : AKUTAGAWA Ryūnosuke, né en 1892 et disparu en 1927 à Tokyo.



Un recueil de quatre nouvelles traduites du japonais en 1965 par 森 有正 : MORI Arimasa (1911-1976) ; extrait repris par l'éditeur Gallimard en 2003 pour sa collection "Folio 2 €" d'un recueil éponyme plus conséquent de la collection "Connaissance de l'Orient" pour le compte de l'UNESCO et où figurait une longue préface du traducteur - en 1965, donc .



Allons-y...



(1°) "Rashômon" [1915] est situé en des temps médiévistes de famines, de guerres et d'épidémies est une plongée dans un enfer ordinaire de misère et de mort. "L'argument" ? Un pauvre hère se réfugie sous le portail ou la Porte Rashô et reste là "à attendre une accalmie de la pluie". Il a faim. Hésite entre se faire voleur, assassin ou mettre fin à ses jours sans espoir. C'est aussi la (superbe) introduction du magistral film éponyme de 黒澤 明 KUROSAWA Akira, oeuvre surgie en 1950 qui révéla pour l'Occident la maîtrise de la mise-en scène du génial artisan tokyoïte (1910-1998) et se vit décerner la statuette très orientaliste du Lion d'Or à la "Mostra" festivalière de Venise. Revenons au pauvre hère : il monte à la galerie (où l'on se débarrasse des cadavres en ces temps troublés) ; il tombe sur un bien méchant spectacle... Sans pitié, comme pour se venger de toutes ces horreurs, il rudoie sa victime pour lui voler sa loque et pouvoir la revendre. Nous sommes à la fois au Cabinet des Figures de Cire et aux antichambres de l'Enfer... Avec un petit côté "Nosferatu" (incarné par l'inoubliable Max Schreck, 1879-1936) mis-en-lumières par Friedrich Wilhelm MURNAU... "Morale" ? Il n'y en a pas... Quand c'est "l'enfer-sur-Terre", on se débrouille, n'est-ce pas ? On se souvient du calvaire de "The Road" (2009) de John HILLCOAT, adaptation proprement "infernale" du roman de Cormac McCARTHY (2006)... L'écriture est clinique et nous donne tout simplement à voir (comme dans les premiers films de Wim WENDERS), à éprouver... Et on ne juge pas. On comprend... Bref, du pur SIMENON (Georges) ou tout comme... Pieds nus dans la glèbe et le limon de cadavres.



(2°) "Gruau d'ignames" [1915] nous donne à éprouver de la compassion pour un autre être pitoyable : un gars qui n'a rien pour lui. Bout du nez rouge et ombre de moustache. Il vivait lui aussi dans "L'Ancien Temps" (entre l'ère de Gangyô et celle de Ninna, à l'époque de Heian dite du "Règne Impérial") ; ce personnage y exerçait les fonctions d'un officier de la cinquième catégorie ou plutôt "du cinquième rang". Un gars que tout le monde méprise. Vraiment tout le monde. Sa femme le trompe avec un moine alcoolique. On urine dans sa gourde de saké (à armature de bambous). Tout le monde, sauf un : qui cherche à comprendre ou deviner le secret de cet homme "sans qualités" (apparentes) et lui donnera satisfaction en une étonnante chasse au trésor hivernale, au long de descriptions de nature magnifiques de sensorialité proprement cinématographiques... Allons, ne dévoilons pas ou plutôt "Ne divulgâchons point !" [responsabilité de la source de ce néologisme : Gaston et Alfred Croisière, co-auteurs de la chronique "Cinéma" avec leur papa Thomas, in "Par JupiClasse", radio de Service Public "France-Inter", tous les mercredis de 17 h 50 à 17 h 55].



(3°) "Figures infernales" [1918] : tirée d'une chronique ou "anecdote" du 今昔物語集 "Konjaku monogatari shū" écrite vers la fin du XIème siècle, lors de la période 平安時代 Heian, il s'agit de la genèse secrète d'une Géhenne artistique — celle du "Paravent aux Figures Infernales" du peintre de maudit Yoshihidé à la physionomie simiesque. Il exerce ses talents à la Cour du Seigneur de Horikawa. Il y a un autre singe dans l'histoire. Et une fille sensible à la peau de Lune (ou d'ivoire) : la propre fille adorée du peintre cruel. Dois-je vous en dire plus ? Dix-huit chapitres évoluant lentement dans la dynamique d'une menace sourde au suspense magistral. Une équation à quatre composantes : la cruauté et le cynisme d'un "Seigneur" s'additionnant à l'inconscience et l'inhumanité d'un artiste et père auxquels se soustraient la fidélité d'un quadrumane persécuté et le destin atroce de la victime expiatoire de toute cette sombre bêtise machiste...



(4°) "Dans le fourré" [1921] : est la suite du futur scénario du "Rashômon" de KUROSAWA Akira, située dans la clairière de la forêt de Yamashina, entre pins et bambous. "Où est la Vérité, noms de Dieux ?"... ou même "Où est la Réalité ? Vite, sortez-moi de là !" , ainsi que l'exclamait, affolé, l'un des personnages de "gamers" à la scène finale du génial "eXistenZ" (1999) de David CRONENBERG... le poète جلال‌الدین محمد بلخی : Djalâl ad-Dîn RÛMÎ (1207-1273) nous rappelait bien que "La Vérité est un miroir tombé des mains de Dieu" ("Al-Lâh" : le "Lui"), chacun en ramasse un morceau et crie qu'il tient là toute la vérité... alors que cette Vérité (si elle existe) est telle une toile d'araignée couverte de rosée étendue entre tous les humains...

Ici, pas moins de six entrées-en-matière successives pour une seule mort à élucider : auprès du Lieutenant de la "Crim" de l'époque (qui n'apparaît pas à l'écran des pages blanches) se suivent la déposition initiatrice d'un bûcheron (incarné par le bon 志村 喬 : Takashi Shimura dans le film d'A. K.), puis celle d'un moine itinérant, celle d'un informateur-mouchard-"balance", celle d'une "vieille femme recueillant sa fille "rescapée d'une épreuve", puis les "AVEUX DE TAJÔMARU" (une fieffée crapule, vantard incarné avec brio par l'acteur 三船 敏郎 Toshirô Mifune pour le film d'A.K. dans un registre histrionique sautillant et criard toujours savoureux), la "CONFESSION D'UNE FEMME VENUE AU TEMPLE DE KIYOMIZU" (qui est la pauvre victime, encore secouée)... enfin, le "RECIT DE "L'OMBRE" PAR LA BOUCHE D'UNE SORCIERE".

Bref, avec Akutagawa, le lecteur finira par tirer les vers (ou les asticots) du nez de cette humanité, mortelle et si prévisible, s'attribuant toujours "le beau rôle" à seule fin de cautionner et faire oublier ses petites saloperies quotidiennes, bien ordinaires...

Sauf que le défunt (de là où il parle, là où il est) n'a plus rien à perdre. Il se vengera par la bouche de la sorcière (fabuleuse scène de transe dans le film de KUROSAWA, avec le personnage de Tajômaru, accroupi et ligoté en arrière-plan, assistant à l'impressionnante "Danse avec les morts"). Avec un "Who-dun-it ?", ce misérable détail de l'intrigue sherlockholmesque contenue dans le propos d'outre-crémation du principal lésé : de QUI le mort tient-il absolument à se venger en nous révélant "sa" vérité ?



Allons, "Ne divulgâchons point" à nouveau les ressources narratives des extraordinaires nouvelles du "clinicien"/conteur AKUTAGAWA Ryûnosuke [... et apprenons tous à prononcer son nom d'une traite...]. L'art littéraire façonné par cet homme (d'un perfectionnisme "maladif" selon le préfacier Jacques Dars) se révèle d'une essence proprement CINEMATOGRAPHIQUE.



Ce gars était un chantre et fieffé praticien de la souffrance humaine ; chapeau, l'artiste ! Mais pourquoi "diable" (de cyanure !) avoir choisi la Voie du Suicide en vos trente-et-cinq printemps ?



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L'iris fou - Odieuse vieillesse - Le Maître -..

Le recueil est paru chez Stock en 1957 et a été réédité en 1997. Il contient six nouvelles de thèmes et d'époques variés mais toutes très intéressantes. L'anthologie donne envie de lire d'autres livres et c'est là l'essentiel. Cependant la traduction, qui semble avoir transité par l'anglais, gagnerait à être rafraîchie.



1) Ibuse Masuji (1898-1993) : L'Iris fou (1957). 28 pages.

L'action se situe dans un village à cent cinquante kilomètres d'Hiroshima, peu après la bombe et avant la capitulation du Japon. La nouvelle est remarquable dans sa construction. Elle fait alterner le motif allégorique de l'iris fou, des dialogues du quotidien, triviaux, dérisoires dans l'attente du prochain bombardement et puis l'irruption des rescapés atteints d'une étrange maladie.



2) Nakajima Atsushi (1909-1942) : le Maître (1942). 15 pages.

C'est un conte, avec beaucoup d'humour, des rebondissements et une chute qui illustre un précepte tao. Chang veut devenir le roi du tir à l'arc, il va trouver Fei le plus grand des archers. Celui-ci le soumet à des épreuves difficiles et très pittoresques qui font râler sa femme...

Ce conte apparaît sous le titre le maître fabuleux dans le recueil @Histoire du poète qui fut changé en tigre et autres contes.



3) Akutagawa Ryunosuke (1892-1927) : le Tableau d'une Montagne à la saison d'automne. 15 pages.

C'est une malicieuse histoire autour d'un chef d'oeuvre mystérieux que plusieurs témoins prétendent avoir vu. Une nouvelle sur la fragilité du témoignage, sur le pouvoir des mots plus vrais que la réalité, sur la vantardise et l'arrogance des critiques d'art. Un petit bijou du grand Akutagawa.



4) Niwa Fumio (1904-2005) : Odieuse vieillesse ( 1948). 48 pages

Une nouvelle cruelle, dérangeante car bien rigolote aussi sur une grand mère qui encombre ses petits enfants qui en ont la charge. La vieille Umé quatre-vingt six ans est insomniaque, gémit, réclame depuis son lit mais dès qu'on a le dos tourné trotte comme un lapin...Et puis elle fouille dans les affaires, chaparde, calomnie et se plaint de la nourriture. Bref c'est un fléau. Il faut refiler la vieille bique à l'autre petite fille...

"Odieuse vieillesse" est une expression entrée dans le vocabulaire courant au Japon.

La nouvelle est intitulée @L'âge des méchancetés en Folio.



5) Shiga Naoya (1883-1971) : L'artiste. (1913) 9 pages.

Un petit garçon collectionne les coloquintes, les sélectionne et en prend le plus grand soin comme s'il s'agissait d'objets d'art. Cette passion "efféminée" n'est pas du goût de son instituteur...

Le récit est charmant, concis, simple et donne un aperçu des mentalités de l'époque.



6) Shiga Naoya (1883-1971) : le crime de Han (1913). 17 pages.

Au cours de son numéro de lancer de couteaux , Han tranche la carotide de sa femme qui meurt sur le coup. Est-ce un accident ou un crime prémédité ? On suit les interrogatoires du juge d'instruction qui donnera son verdict à la fin. Cette petite enquête policière est d'une grande finesse psychologique.





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Rashômon et [trois] autres contes

Même sans avoir lu le recueil de nouvelles, Rashomôn est un titre qui parle, grâce au film de Kurosawa Akira. Je compte bien le visionner après cette lecture.



Akutagawa Ryūnosuke nous fait remonter le temps avec les quatre récits de l'édition Folio 2€. Bienvenue à Heian, l'ancien nom de Kyoto et capitale de l'Empire nippon depuis 794 jusqu'en 1868. La période dite Heian dure, elle, jusqu'en 1185. C'est pendant cette ère, contemporaine de la rédaction du Dit du Genji, que nous entraîne Akutagawa.



Le ton et l'atmosphère du recueil sont sombres, à divers degrés. L'auteur aborde le désespoir d'un homme amené à choisir entre le vol et mourir de faim dans "Rashomôn".

"Figures infernales", la plus longue et violente des histoires, raconte comment un vieux peintre, aussi prodigieux que détestable, est amené sur demande d'un grand seigneur à peindre un paravent figurant lesdites représentations de l'enfer (une sorte de Bosch du Moyen Âge japonais). La réalisation de cette oeuvre magistrale l'amène au bord de la folie et à des moyens terrifiants pour concrétiser son art.

"Dans les fourrés" est travaillée comme une nouvelle chorale, où un lieutenant criminel interroge témoins et protagonistes suite à la découverte du corps poignardé d'un jeune homme dans des fourrés en dehors de la capitale.

Enfin, "Gruau d'ignames" met en scène un fonctionnaire insignifiant, timide et moqué par ses supérieurs comme par ses collègues. Son rêve est de pouvoir se rassasier un jour de gruau d'ignames, plat appartenant au menu impérial des jours de fête et donc trop coûteux pour sa bourse. Pourtant une suite de péripéties va l'amener à réaliser son rêve... et à s'interroger sur le bien-fondé de le concrétiser.



J'avais lu il y a peu les dernières nouvelles, autobiographiques, d'Akutagawa. Celles-ci, publiées dans les années 1910, ont une tonalité toute différente. L'auteur se fait conteur pour retrouver les traces d'un Japon révolu, avec toute sa violence, ses détrousseurs de cadavres, ses sorcières, ses êtres désespérés ou écrasés par les castes supérieures. Ses contes sont certes noirs mais offrent une fenêtre ouverte sur petites gens et vie seigneuriale de l'époque Heian célèbre pour sa noblesse raffinée et cultivée. Akutagawa en montre également l'envers (et pour la seconde nouvelle, l'enfer) du décor.



Un recueil à découvrir pour le style hautement imagé de l'auteur. Rien que les descriptions de la Porte Rashô par ce jour sombre et pluvieux ou le paravent achevé des Figures infernales valent l'achat et la lecture de ce livre.
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Nouvelles asiatiques

L'ASIE EN TOUTES LETTRES.



Quelle délicieuse initiative que celle-ci : donner à découvrir, pour l'achat d'un guide de la merveilleuse collection de la «Bibliothèque du Voyageur», cette invite permanente au voyage, aux cultures, à la découverte de contrées et de paysages plus ou moins lointains, trois nouvelles de trois des plus grands auteurs chinois, indiens et enfin japonais du XXème siècle, dans un petit ouvrage répondant au nom, digne de Gobineau (grand orientaliste, bel écrivain voyageur loué par Nicolas Bouvier, mais épouvantable raciste et antisémite notoire par ailleurs), de «Nouvelles asiatiques».



On y rit, non sans grincer des dents, mais d'assez bon cœur avec «Inspiration» de Qian Zhongshu, première nouvelle qui fait le portrait "d'un écrivain célèbre, dont nous ignorons le nom !", tant la notoriété de cet homme fit qu'il était devenu, pour tous "l'Auteur" sans même à s'inquiéter de retenir son patronyme, lequel, ne recevant pas le Prix Nobel pourtant très largement mérité selon ses admirateurs et lui-même (pour la raison que les vieilles badernes de Stockholm ne peuvent lire leurs futurs lauréats que dans des langues européennes de premier plan, et que la traduction de notre impétrant fut passablement loupée), meurt, se retrouve en enfer - un Enfer bien moins terrible que ce qu'on imagine, puisque la vie sur terre en a pris tous les attributs ! - et se retrouve jugé par... ses propres créatures de papier qui lui reprochent de ne les avoir qu'esquissés, rendant leur existence d'outre-monde parfaitement insupportable, monstrueuse !

Un réquisitoire terrible et d'un cynisme assumé contre les écrivains se prenant pour plus qu'ils ne sont réellement...



La seconde nouvelle est de l'indien - et prix Nobel (sic !) - Rabindranath Tagore, aujourd'hui un peu oublié aujourd'hui mais qui connu son heure de gloire internationale dans la première moitié du XXème siècle et même un peu au-delà (avec le "revival" hippie). Il y est question ici d'un vieil homme très riche, un zemindar (une sorte d'équivalent hindou des fermiers-généraux de la fin de l'ancien régime), décidant de se consacrer pleinement à ses affaires spirituelles et qui abandonne pour cette raison ses affaires temporelles à son fils, un être froid, calculateur, rusé, certes dans ses droits quant à sa rigoureuse application de la Loi, mais sans aucune espèce d'état d'âme ni de compassion à l'égard des individus qui vivaient jusque-là sous la conciliante et généreuse administration de son père.

Un seul de ses administrés lui résiste mais lorsque son père apprend que son fils est en train d'acculer cet homme et sa vieille mère à la ruine, celui-ci sort de son temple et de sa retraite pour admonester son héritier et lui intimer l'ordre de rendre toutes ses possessions à cet homme... Un témoin de cette scène fait son enquête et comprend, à partir de ses conclusions, comme les êtres humains peuvent pratiquer une certaine forme de sainteté bien qu'en réalité ce sont, tout au long de leur existence, de parfaits tartufes.



L'ultime nouvelle proposée ici est, sans le moindre doute, la plus profonde, la mieux composée - presque à la manière d'un roman très ramassé, séparé par de courts chapitres -, la plus complexe. On la doit au très grand écrivain japonais (assez méconnu chez nous), Ryunosuke Akutagawa, qui a donné son nom, de manière posthume et parfaitement involontaire, au prix littéraire nippon le plus prestigieux de l'archipel. Celle-ci s'intitule «Engrenage» et elle conte, par des raccourcis saisissant ainsi qu'un sens dramatique implacable au travers d'une écriture précise, presque froide, toujours parfaitement juste, l'engrenage impitoyable de la folie qui atteint, pas après pas, le narrateur du texte qui, double jeu abyssal, semble n'être autre que l'auteur lui-même. Se référant, entre autres, à deux immenses prédécesseurs et, si l'on peut dire, experts en matière de folie, d'hallucinations diverses, de malaises existentiels, à savoir au suédois August Strinberg et à son Inferno (qu'il ne cite jamais directement mais on comprend très bien la référence) ainsi qu'à, peut-être, notre plus grand nouvelliste, le normand Guy de Maupassant (identiquement le Horla n'est jamais explicitement mentionné, mais on saisit très vite la parenté), Akutagawa nous entraîne avec un art consommé du rythme vers les rivages mouvants et flous qui se situent entre fantastique assumé (fantômes, vêtements qui apparaissent et disparaissent sans raison, coïncidences impossibles, etc) et avancée inexorable vers cet autre état de la conscience que nous définissons tellement rapidement sous ce vocable facile de folie.

Cette nouvelle prend un sens encore plus singulier et tragique lorsque l'on sait que, publiée à titre posthume, celle-ci décrit probablement cette angoisse terrible d'un écrivain qui se suicidera de crainte d'être atteint du même mal que celui qui emporta, dans la fleur de l'âge, sa propre mère !

Une nouvelle forte et dérangeante tout à la fois, qui mérite à elle seule l'intérêt que l'on peut porter à ce trop bref recueil.



L'ouvrage n'a, finalement, qu'un seul véritable défaut : dans la mesure où il était offert pour l'achat d'un autre ouvrage, il n'est pas commercialisé - je remercie au passage cette excellente librairie du centre de St Denis (93) mais dont j'ai aujourd'hui oublié le nom, et qui cédait nombre de ces ouvrages gratuits pour l'achat de n'importe quel autre livre ! Il m'aura fallu bien du temps pour le dévorer (il date de 2012 et je n'ai dû me le procurer qu'en 2014), mais comme le veut l'adage : mieux vaut tard que jamais !
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Rashômon et [trois] autres contes

Un bidon de saké et quatre petits contes pour une soirée japonaise. Je me souvenais d’une vague inquiétude, mon précédent Akutagawa…



J’attendais une ou deux geishas. Elles ne vinrent jamais. Je voulais grimper au 7ème ciel, du moins au sommet du Mont Fuji. Je suis resté sur ma faim porte Rashô. Je voulais le menu D8 composé de 4 yakitoris, 6 makis, 3 sushis et 8 sashimis. On m’a servi un gruau d’ignames.



Cela a donc commencé par une histoire trop courte (c’est parfois le défaut des nouvelles), celle d’un paumé, un miséreux qui crève la dalle. Malgré la faim qui le tenaille, il possède encore une conscience qui l’interroge. Accroupi au milieu des dépouilles nauséabondes et putréfiantes, il s’interroge encore sur le bien et le mal, sur son droit à voler les cadavres ou à mourir de faim, avec honneur. Une nouvelle extrêmement intense même si je l’ai déjà dit m’a paru trop courte.



Un meurtre a été commis. Je lis successivement les différentes dépositions. Comptes-rendus froids et sans âme des actes des uns et des autres. Certains ignorent tout, d’autres sont présumés, certains s’accusent et d’autres dénoncent. Par le cheminement de ces témoignages, un bucheron, un brigand, un moine itinérant, une vieille, l’épouse et même l’esprit du corps, j’espère découvrir le meurtrier. Qui est donc le coupable de cet acte odieux ?



Je croise le chemin d’un peintre qui de mon point de vue me parait halluciné. Pas net en tout cas, mais cela doit être le cas de toutes âmes visant à peinturlurer leurs états d’âmes de couleurs et de gouaches sur une feuille blanche. J’en connais des « folles » qui travaillent du pinceau et du couteau. L’art ne permet pas le rationnel, et il faut être déraisonné pour suivre cette voie. La scène se déroule au milieu des palais dans un Japon féodal du XIIIe siècle. Une vision de la dérive et de la folie. Et dire que je n’ai pas pris de champignons hallucinogènes, même en version yakitoris.



Il est laid, il est commun, un gros nez rouge au milieu du visage, persécuté depuis des années. Il est à la fois ridicule et souffre-douleur des autres. Mais il a un unique but dans la vie, plus qu’un but c’est un rêve : s’empiffrer d’un gruau d’ignames à la cannelle. Je me demande ce qu’une telle bouillie dans un bol peut provoquer comme effet secondaire. Je ne comprends pas, mais c’est aussi parce que je n’ai jamais gouté ce mets de Noël. Peut-être que du coup, je vais en rêver la prochaine nuit. Je ferme les yeux. L’odeur du gruau parfume ma chambre. Par la fenêtre, j’entraperçois la lune illuminer le versant ouest du Fuji-san. Une geisha frappe, son kimono à demi-ouvert. Toute gênée, elle m’annonce que le dernier bidon de saké a été offert aux Dieux, mais à la place, ouvrant un peu plus son kimono, elle me propose une Iki, une nouvelle bière japonaise avec, comme dans la plus pures des traditions belges ou presque, de la levure dans la bouteille. Mon Dieu, elle est fantastique !
Lien : http://leranchsansnom.free.f..
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Une vague inquiétude

Un petit recueil du grand Akutagawa. La qualité de ces trois histoires monte crescendo. La première, « le masque », dévoile le joli plan-tableau d'un Japon fluvial en fête… où la mort surgit grotesquement. On observe des relents de Poe et de son démon de la perversité, qui se confirment dans la nouvelle suivante, « le doute ». Akutagawa y confronte un personnage poesque au regard silencieux et compatissant du bodhisattva Kannon, via la médiation d'un narrateur/confesseur. Disciple de Natsume Soseki, Akutagawa met ainsi en scène un savoureux choc des cultures, révélateur du (pauvre) coeur des hommes. Pour finir, en quelques pages seulement, la dérive d'un wagonnet fait renaître la terreur enfantine d'un espace trop grand, qui entre progressivement en résonance avec une angoisse métaphysique beaucoup plus vaste et temporellement étendue, comme si le fracas du wagon sur les rails se retrouvait amplifié par la maîtrise d'un style très économe, mais riche en images crépusculaires. Si Akutagawa demeure très japonais dans son écriture il n'en est pas moins tourné vers l'occident dans les thèmes abordés, au point que la préface voit en lui un cousin nippon de Guy de Maupassant, guetté par la même menace invisible.
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La vie d'un idiot (précédé de) Engrenage

Akutagawa n'est pas que le nom d'un prix littéraire japonais prestigieux - un peu l'équivalent du Goncourt en France -, c'est aussi celui d'un écrivain nouvelliste ayant vécu, brièvement, à la période charnière du Japon.



Dans "Engrenage" et "La vie d'un idiot", il parle de lui. Ces deux textes furent publiés de façon posthume. Qu'il soit le "je" narrateur de la première histoire ou opte pour une distanciation avec "il" dans la seconde, on le voit dépeindre surtout les angoisses qui le conduisirent au suicide en 1927. Dans "La vie d'un idiot", il se déclare possédé par le "démon de la Fin du Siècle", écartelé entre sa japonéité et l'occidentalisation de son pays, à laquelle il succombe en partie à travers son attirance pour la littérature européenne du XIXème siècle et du début du XXème.

Les deux nouvelles regorgent de références à Flaubert, Strindberg, Tolstoï, Dostoïevski, Anatole France, etc.



Mais cet esprit cultivé, connaissant aussi bien ses classiques chinois et nippons que les occidentaux, s'avance dangereusement sur les pentes de la folie. Le spectre de sa mère morte enfermée dans un asile psychiatrique le poursuit. "Engrenage" montre tout particulièrement la montée en puissance des troubles qui accaparent ses pensées et sa vie même : paranoïa, hallucinations, impressions de découvrir des signes à lui destinés dans une lumière rouge, la phrase d'un livre ouvert au hasard, etc.

Une phrase de "La vie d'un idiot" résume parfaitement son état psychique lors de la rédaction de ses derniers textes : "La folie ou le suicide, c'était tout ce qui l'attendait".



La mort, souvent volontaire, est un thème récurrent dans la littérature japonaise, qu'il s'agisse du suicide pour retrouver son honneur ou mû par le désespoir. D'ailleurs, nombreux sont les auteurs nippons à être décédés de leurs propres mains, outre Akutagawa (Dazaï, Kawabata, Mishima, etc).



Les deux récits de ce court recueil prennent une signification particulière compte tenu de ce qu'il advint de l'auteur peu après l'apposition du point final. Les textes sont sombres, désespérés et ne laissant aucune échappatoire au narrateur. Pas même la religion puisqu'il soutient à une connaissance à lui, catholique fervent qui lui prône d'accepter le recours de la lumière, qu'il existe des ténèbres sans lumière. Il marche dedans et ses pensées souvent décousues par les prémices de la folie nous plongent dedans avec lui.



Par conséquent, mieux vaut avoir le moral plutôt au beau fixe pour entamer cette lecture. Ou alors prendre suffisamment de distance pour compatir à la situation de l'auteur sans se laisser plomber par sa noirceur. Mais par leurs qualités indéniables, ces textes méritent qu'on se penche dessus avec intérêt.
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