Pourquoi lire Simone de Beauvoir aujourd’hui ?
Philosophe, romancière, moraliste, essayiste et sans doute l’une des femmes les plus influentes de son siècle,
Simone de Beauvoir a produit tout au long de sa vie une œuvre considérable. Anticonformiste affirmée, elle aime prendre de front les controverses et mettre à bas les non-dits, comme l’illustre son éminent essai
Le Deuxième sexe. Souvent considérée comme une pionnière du féminisme, elle a activement participé au mouvement de libération des femmes aux côtés de
Jean-Paul Sartre, son amant de toujours. Son écriture s’articule principalement autour de deux axes thématiques, forts de leur dimension encore très actuelle : la remise en cause de l’éducation reçue et la critique de la condition féminine.
Née dans le sixième arrondissement de Paris, Simone de Beauvoir a bénéficié d’une éducation de qualité, poussée toujours plus par un père la considérant comme un fils « avec un cerveau d’homme ». Passionné de théâtre, le père de la jeune de Beauvoir suit des cours d’art dramatique et lui transmet son goût pour la littérature, si bien qu’à l’âge de quinze ans, la féministe en herbe affirme vouloir devenir un écrivain célèbre. Après avoir étudié à l’Institut Catholique de Paris et à l’Institut Sainte Marie de Neuilly, respectivement en mathématiques et en lettres, c’est à la Sorbonne qu’elle rencontre Sartre aux côtés de qui elle passera l’agrégation. Licenciée ès lettres et agrégée de philosophie dès 1929, elle enseigne à Marseille, Rouen et Paris et prend la plume dès 1943 pour rédiger son premier roman, l’
Invité. Relatant l’histoire d’un couple tripartite, de Beauvoir peint avec finesse et originalité l’aventure psychologique de ses personnages sur un fond d’existentialisme. Le style littéraire de Simone de Beauvoir constitue par ailleurs l’une de ses marques de fabrique, puisqu’elle propose une écriture presque orale reflétant sa pensée nue dans une langue simple et parfois familière. Ayant la chance de côtoyer dès ses débuts les grands auteurs de sa génération, elle fonde en 1945 avec Sartre et d’autres comme
Maurice Merleau-Ponty et
Boris Vian, la revue des
Les Temps Modernes, en vue d’offrir à l’existentialisme un écho auprès du grand public. Ardente avocate de cette philosophie, de Beauvoir s’intéresse à l’absurdité qui consiste à vivre dans un monde dans lequel nous n’avons pas choisi de naître.
Après l’
Invité, Simone de Beauvoir s’essaye donc à l’écriture philosophique. Adepte du voyage, elle rencontre au cours de sa vie une pléiade de personnages entrés aujourd’hui dans l’histoire, comme
Ernesto Che Guevara ou encore
Mao Tsé-Toung et
Richard Wright. Russie, Chine, Etats-Unis, on retrouve dans ses écrits des échos de ces nombreux voyages. Pour cette femme chez qui écriture et vie sont intrinsèquement liées, il n’est pas surprenant de voir naître des ambitions autobiographiques quelques années plus tard. Débutée vers ses cinquante ans, cette entreprise répond selon les dires de Beauvoir au moyen de s’offrir toute la richesse du monde, soit en tirant la portée universelle de son expérience singulière, soit en singularisant au contraire un savoir universel. Après son détour par l'autobiographie, Simone de Beauvoir s’essaye à la fiction où dorénavant, elle s’efface derrière la subjectivité de femmes en crise, confrontées aux difficultés de la maturité. Vient ensuite l’écriture de
Deuxième sexe. Cet essai qui lui vaudra la postérité est pourtant décrié à sa parution et jusque dans les années quatre-vingt. S’opposant aux féministes de l’époque qui niaient toutes différences entre les sexes, de Beauvoir démontre grâce aux outils existentialistes que ces différences relèvent d’un construit social. Le retentissement de ses écrits la place sur le devant de la scène, pour leur portée philosophique mais également pour leur ton, considéré comme choquant par la société de l’époque.
Cette ardeur à dénoncer la position dominée de la femme, de Beauvoir la doit en partie à la relation qu’elle entretiendra toute sa vie durant avec le philosophe Jean-Paul Sartre, qu’elle s’est employée à ériger en mythe. Transgressant sans cesse les conventions sociales, ils s’adonnaient tous deux à des « relations contingentes » affichant toujours plus leur anticonformisme et leur révolte contre leur milieu d’origine. Constituant aux yeux du public un véritable modèle de contestation pour toute une génération, cette relation mythique a su marquer les esprits grâce à ses valeurs constitutives de nécessité, de liberté et de transparence. Les œuvres des deux écrivains se répondent, se complètent mais contrairement à l’imaginaire commun, elles savent également se contredire. L’évolution politique de Beauvoir reste malgré tout inséparable de celle de son compagnon, avec qui elle ne cohabitera d’ailleurs jamais. Elle le suivra, du socialisme au communisme et ne cautionnera de manière spécifique les mouvements féministes qu’à partir des années soixante-dix. Avec le recul, certains mouvements utiliseront sa trop forte dépendance affective vis-à-vis de Sartre, pour remettre en cause la valeur philosophique de ses écrits. Par la suite, elle se lie d’une amitié profonde avec
Sylvie Le Bon de Beauvoir, étudiante en philosophie. Les deux femmes entretiennent alors une relation ambiguë et les doutes planent quant à la nature de leurs rapports dont le mystère reste entier, excepté que de Beauvoir lui lègue l’intégralité de son œuvre ainsi que sa fortune.
Pourquoi lire Simone de Beauvoir aujourd’hui ? Parce qu’elle est un appui fondamental pour l’égalité des sexes encore en question à l’heure actuelle.
Deuxième sexe a su faire naître une prise de conscience collective qui impulse encore une bonne part de ce que l’on peut écrire aujourd’hui. Lorsqu’elle explique « on ne naît pas femme, on le devient », en nous parlant d’elle, de Beauvoir ne nous parlerait-elle pas un peu de nous ?
Le saviez-vous ?
• Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir sont enterrés dans la même tombe au cimetière de Montparnasse.
• Bien qu’elle soit enterrée avec Sartre, de Beauvoir porte à son doigt la bague de Nelson Algren, son autre amant.
• Simone de Beauvoir était surnommée « le castor » car ce mot « beaver » en anglais, avait une sonorité proche de celle de son patronyme.
• A l’agrégation de philosophie, Sartre arrive premier et Simone de Beauvoir seconde. Elle devient alors la plus jeune agrégée de France à vingt-et-un ans.
• En 2008 est créé le Prix Simone de Beauvoir pour la liberté des femmes.
Chronologie
1908 : Naissance de Jeanne Marie Bertrand de Beauvoir à Paris.
1928 : Simone de Beauvoir rencontre Sartre à la faculté de lettre de Paris.
1943 : Beauvoir quitte l’enseignement pour l’écriture et publie
L`Invitée, son premier roman.
1945 : Fondation avec Jean-Paul Sartre de la revue
Les Temps Modernes, publiée chez Gallimard.
1949 : Publication du
Deuxième Sexe, vendu à plus de 22 000 exemplaires.
1954 : Elle obtient le prix Goncourt pour
Les Mandarins.
1958 : Simone de Beauvoir débute son projet autobiographique avec les
Mémoires d`une jeune fille rangée.
1960 : Publication de
La Force de l`âge.
1971 : Signature du Manifeste pour le droit à l’avortement, dit « des 343 salopes » et cofondatrice de l’association « Choisir » qui milite pour l’IVG.
1974 : Simone de Beauvoir fonde avec Anne Zelenssky la Ligue du Droit des Femmes dont elle restera présidente jusqu’à sa mort.
1986 : Simone de Beauvoir s’éteint à l’âge de 78 ans.
1990 : Publication posthume des
Lettres à Sartre (t. 1) : 1930 - 1939 , tomes I et II par
Sylvie Le Bon de Beauvoir, l’héritière de l’œuvre de l’écrivain.
Influence et héritiers
Les travaux de Simone de Beauvoir sont souvent confondus avec ceux de Sartre, mais nier leurs différences serait beaucoup trop réducteur vis-à-vis de la philosophie de l’un comme de l’autre. Bien que Sartre constitue, avec d’autres penseurs de gauche que l’on retrouve d’ailleurs parmi les fondateurs des
Temps Modernes, l’une de ses principales influences, de Beauvoir a fini par trouver sa propre voie dans l’existentialisme. Elle a en effet reproché à son compagnon un certain machisme vers la fin de sa vie. Voyant la sexualité comme l’expression même de la liberté, de Beauvoir s’élève contre les clichés de la différence sexuelle qu’elle pense invisibles aux yeux d’un homme élevé dans son milieu social.
En conséquence de tout cela, les héritiers de Beauvoir constituent principalement les théoriciens du
Women’s Lib d’aujourd’hui, puisant leurs arguments directement dans le
Deuxième Sexe. « On ne nait pas femme, on le devient », cette phrase devenue emblématique d’une féminité construite, fait de son auteur la mère du concept de genre sans même l’avoir nommé, et sur lequel se fonde une partie croissante des recherches en sciences humaines des vingt dernières années.
Ils ont dit de Simone de Beauvoir
Elisabeth Badinter: « Femmes, vous lui devez tout ! »
Claude Lanzmann: «Je n’ai jamais eu l’impression de vivre avec une icône. Elle était la moins austère des femmes. Marrante, joyeuse. Une vraie femme, complète.»
Charles Dantzig : « Il y a chez Simone de Beauvoir une noblesse placide. »
Fatima Benomar « Beaucoup de gens sont héritiers de Simone de Beauvoir sans le savoir. »