Citations de Sylvain Tesson (7502)
L'Odyssée est le poème du retour à soi, en soi et chez soi.
De mon duvet, j'entends crépiter le bois. Rien ne vaut la solitude. Pour être parfaitement heureux, il me manque quelqu'un à qui l'expliquer.
La terre avait été un musée sublime.
Par malheur, l'homme n'était pas conservateur.
Le sentiment de ne plus habiter ce vaisseau terrestre avec la même grâce provenait d'une trépidation générale fondée sur l'accroissement. Il y avait eu trop de tout, soudain. Trop de production, trop de mouvement, trop d'énergies.
Dans un cerveau, cela provoquait l'épilepsie.
Dans l'Histoire, cela s'appelait la massification.
Dans une société, cela menait à la crise.
Certains hommes espéraient entrer dans l'Histoire. Nous étions quelques-uns à préférer disparaître dans la géographie.
A Barjac, une plaque sur le mur du cimetière :
"Passant, arrête -toi et prie, c'est ici la tombe des morts. Aujourd'hui pour moi, demain pour toi."
(...) Pendant quelques mois j'avais porté une bague à tête de mort qu'on m'avait retiré après ma chute. L'inscription latine gravée au revers du crâne disait la même chose que la plaque de Barjac : "Je fus ce que tu es, tu seras ce que je suis". J'avais tardé à me pénétrer de cette évidence que les Romains inscrivaient à l'entrée de leurs cimetières
(...) Voilà longtemps que je ne m'étais pas trouvé exactement tel que je le désirais : en mouvement. Je jouissais de me tenir debout dans la campagne et d'avancer sur ces chemins choisis. Noirs, lumineux, éclaircis. C'était la noble leçon de Mme Blixen devant le paysage de sa ferme africaine : "Je suis bien là, où je me dois d'être". C'était la question cruciale de la vie. La plus simple et la plus négligée.
Le cigare et la vodka, compagnons idéaux de ces moments de repli. Aux pauvres gens solitaires, il ne reste que cela. Et les ligues hygiénistes voudraient interdire ces bienfaits ! Pour nous faire parvenir à la mort en bonne santé ?
RAISONS POUR LESQUELLES JE ME SUIS ISOLE DANS UNE CABANE
J'étais trop bavard
Je voulais du silence
Trop de courrier en retard et trop de gens à voir
J'étais jaloux de Robinson
C'est mieux chauffé que chez moi, à Paris
Par lassitude d'avoir à faire les courses
Pour pouvoir hurler et vivre nu
Par détestation du téléphone et du bruit des moteurs
La cabane est le lieu du pas de côté, le havre du vide où l'on n'est pas forcé de réagir à tout.
Entre l'envie et le regret, il y a un point qui s'appelle le présent. Il faudrait s'entraîner à y tenir en équilibre.
Un premier verre : pas besoin de berceuse !
Un second: pas besoin de couvertures !
Un troisième : pas besoin de lit !
La France est un paradis peuplé de gens qui se croient en enfer.
Le voyageur à pied, lui, peut quitter la route fréquentée pour des sentes mieux traitées par les hommes, c'est-à-dire moins battues. (p. 21)
... les citations ne sont pas des paravents derrière lesquels se réfugier. Elles sont la formulation d'une pensée qu'on a caressée un jour et que l'on reconnait, exprimée avec bonheur, sous la plume d'un autre. Les citations révèlent l'âme de celui qui les brandit.
- Offrir des fleurs aux femmes est une hérésie. Les fleurs sont des sexes obscènes, elles symbolisent l'éphémère et l'infidélité, elles s'écartèlent sur le bord des chemins, s'offrent à tous les vents, à la trompe des insectes, aux nuages de graines, aux dents des bêtes ; on les foule, on les cueille, on y plonge le nez. A la femme qu'on aime il faudrait offrir des pierres, des fossiles, du gneiss, enfin une de ces choses qui durent éternellement et survivent à la flétrissure.
Les arbres jettent l’or de leurs feuilles par les fenêtres de l’automne.
Le courage serait de regarder les choses en face : ma vie, mon époque et les autres. La nostalgie, la mélancolie, la rêverie donnent aux âmes romantiques l’illusion d’une échappée vertueuse. Elles passent pour d’esthétiques moyens de résistance à la laideur mais ne sont que le cache-sexe de la lâcheté. Que suis-je ? Un pleutre, affolé par le monde, reclus dans une cabane, au fond des bois. Un couard qui s’alcoolise en silence pour ne pas risquer d‘assister au spectacle de son temps ni de croiser sa conscience faisant les cent pas sur la grève.
Privé de voiture, l’ermite marche. Privé de supermarché, il pêche. Privé de chaudière, son bras fend le bois. [P]rivé de télé, il ouvre un livre.
(p. 254)
Pour bien vagabonder, il faut peu de choses : un terrain propice et un état d'esprit juste, mélange d'humeur joyeuse et de détestation envers l'ordre établi.
Le soir, la soupe. Passionnante conversation avec un pêcheur d’où il ressort que les Juifs mènent le monde (mais qu’en France ce sont les Arabes), que Staline était un vrai chef, que les Russes sont invincibles (ce nain d’Hitler s’y est cassé les dents), que le communisme était un système excellent, que le séisme d’Haïti est le résultat de l’onde de choc d’une bombe américaine, que Nostradamus avait raison, que le 11 septembre est un coup des Yankees, que les historiens du goulag sont des antipatriotes et les Français des homosexuels. Je crois que je vais espacer mes visites.