Citations de Sylvain Tesson (7460)
Il est cependant une autre catégorie de nomades. Pour eux, ni tarentelle ni transhumance. Ils ne conduisent pas de troupeaux et n'appartiennent à aucun groupe. Ils se contentent de voyager silencieusement, pour eux-mêmes, parfois en eux-mêmes. On les croise sur les chemins de monde. Ils vont seuls, avec lenteur, sans autre but que celui d'avancer.
De l'autre côté, en France, le pictogramme avec illustration semi-débile avait envahi les campagnes. « Regardez par ici, ne cueillez pas cela, ne vous couchez pas là, surtout n'approchez pas, sachez que 92,3 % de ceci produit 1/10 de cela. »
La tonalité finale de ces objurgations tendait à ceci : « Pour votre confort et votre sécurité, rentrez chez vous. »
Ainsi une époque exista-t-elle où la splendeur des reines, le silence des dieux, le courage des hommes et la bonté des bêtes fondaient la société.
Oui ! le monde fut un jour conduit par un principe darwinien hérité de la Grèce antique et très oublié aujourd'hui. Ce principe disait : seules triomphent en ce monde la bonté, la beauté et la force. Dans le tournoi, la plus belle revient au plus vaillant.
Par superstition, je ne parlais jamais de la panthère, elle surgirait quand les dieux - le nom poli du hasard - jugerait l'instant propice.
Le progrès consiste à régler les problèmes crées par les nouvelles solutions.
Arriver quelque part, c'est rejoindre sa déception.
J'écris pour savoir ce que je pense.
J’imaginais Karen Blixen ... au pied du Ngong ... je me demandais si elle s’était fatiguée de la splendeur. Elle avait écrit « La ferme africaine », le plus beau des livres sur le paradis terrestre. La preuve qu’on ne se lasse jamais de l’indescriptible.
"On m'en veut d'esthétiser le monde animal, se défendait-il
(Munier). Mais il y a suffisamment de témoins du désastre ! J e traque la beauté, je lui rends mes devoirs. C'est ma manière de la défendre."
L'homme croit vivre ses aventures. En vérité, ce sont les femmes qui le manipulent. Les premières seraient bien mal inspirées de vouloir être les égales des mâles alors qu'elles leur sont supérieures.
P112
Je crois à la perfusion de la géographie dans nos âmes.
"Nous sommes les enfants de notre paysage", disait Lawrence Durrell.
[...] Henry Miller pensait que le voyage en Grèce était ponctué d' "apparitions spirituelles".
Il faut s'incorporer à la matière physique dans laquelle Homère sculpta son poème.
P29-30
Subsistaient ces chicots de murs plantés dans l’herbe jaune. C’étaient des endroits attirants. Chaque mur écroulé abritait la possibilité d’une halte. Elles étaient précieuses, ces zones de repli défendues par les herses de mûres. Une plage de silence valait un royaume.
L'Empereur avait réussi une entreprise de propagande exceptionnelle. Il avait imposé son rêve par le verbe. Sa vision s'était incarnée. La France, l'Empire et lui-même étaient devenus l'objet d'un désir, un fantasme. Il avait réussi à étourdir les hommes, à les enthousiasmer, puis à les associer tous à son projet : du plus modeste des conscrits au mieux né des aristocrates.
Il avait raconté quelque chose aux hommes et les hommes avaient eu envie d'entendre une fable, de la croire réalisable. Les hommes sont prêts à tout pour peu qu'on les exalte et que le conteur ait du talent.
Il est rare en voyage de vivre des jours conformes aux idées que l'on s'étaient forgées avant les grands départs. D'habitude, voyager c'est faire voir du pays à sa déception.
(...) je voulais m’en aller par les chemins cachés, bordés de haies, par les sous-bois de ronces et les pistes à ornières reliant les villages abandonnés. Il y avait encore une géographie de traverse pour peu qu’on lise les cartes, que l’on accepte le détour et force les passages. Loin des routes, il existait une France ombreuse protégée du vacarme, épargnée par l’aménagement qui est la pollution du mystère. Une campagne du silence, du sorbier et de la chouette effraie.
La carte est le laissez-passez de nos rêves.
Ces tracés en étoile et ces lignes étaient des sentiers ruraux, des pistes pastorales fixées par le cadastre, des accès pour les services forestiers, des appuis de lisières, des viae antiques, souvent laissées à la circulation des bêtes. La carte entière se veinaient de ces artères. C'étaient mes chemins noirs. Ils ouvraient sur l'échappée, ils étaient oubliés, le silence y régnait, on n'y croisait pesonne et parfois la broussaille se refermait aussitôt après le passage.. Certains hommes espéraient entrer dans l'histoire. Nous étions quelques-uns à préférer disparaître.
Le vagabond évite tout ce qui risquerait d'enlaidir sa vie. Comme le faisaient les Celtes, il évite les êtres difformes, et rejette les situations conflictuelles, persuadé que la vilenie de l'âme s'exprime dans la laideur extérieure. Au moindre nuage menaçant son esthétique de vie, il prend la tangente. N'avoir qu'un bâton et un chapeau à plume permet de tourner les talons si le climat se gâte.....
Il fallait à présent me montrer fidèle au serment de mes nuits de pitié. Corseté dans un lit, je m'étais dit à voix presque haute : " Si je m'en sors, je traverse la France à pied. " Je m'étais vu sur les chemins de pierre ! J'avais rêvé aux bivouacs, je m'étais imaginé fendre les herbes d'un pas de chemineau. Le rêve s'évanouissait toujours quand la porte s'ouvrait : c'était l'heure de la compote.
Et si la liberté consistait à posséder le temps?
Et si le bonheur revenait à disposer de solitude, d'espace et de silence - toutes choses dont manqueront les générations futures?
Tant qu'il y aura des cabanes au fond des bois, rien ne sera tout à fait perdu.
Sur ces pentes de lœss les troupeaux laissaient leurs pointillés d’empreintes. La haute couture du monde.